Oeuvres complètes. Tome X. Correspondance 1691-1695
(1905)–Christiaan Huygens– Auteursrecht onbekend
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No 2863.
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quand vous vous ouuririés sur toute sortes de matieres encor que philosophiques et problematiques, vous ne feriés que bien. Vostre exhortation me confirme dans le dessein que j'ay de donner quelque TraitéGa naar voetnoot5) qui explique les fondemens et les usages du Calcul des sommes et des differences; et quelques matieres connexes. J'y adjouteray par maniere d'appendice les belles pensées et découuertes de quelques Geometres, qui ont bien voulu s'en servir, s'ils veulent avoir la bonté de me les envoyer. J'espère que M. le Marquis de l'Hospital voudra bien nous faire cette faveur si vous jugés à propos de le luy proposer. Messieurs Bernoulli freres en pourront faire autant. Si je trouue quelque chose dans les productions de Mr. Neuton inserées dans l'Algebra de Mr. Wallis, qui nous donne moyen d'avancer, j'en profiteray en luy rendant justice. Mais oserois-ie bien vous supplier vous même de me favoriser de ce que vous jugerés à propos, comme par exemple de vostre analyse du probleme de Mons. BernoulliGa naar voetnoot6) donnée par cette maniere de calcul? J'expliqueray entre autres ces Equations exponentiellement Transcendentes dont je vous ay parlé autres foisGa naar voetnoot7), lors que dans l'Equation de la courbe l'inconnue entre dans l'exponant. Par exemple si l'Equation de la courbe estoit xz=y ou pour garder la loy des homogenes Ga naar voetnoot8) et si z estoit une grandeur explicable par le moyen des interdeterminées x et y et de la determinée a; cette equation pourra estre delivrée de son exponentialité et reduite au calcul des differences; car en vertu de nostre equation, supposant le logarithme de la grandeur a estre 0, ou log. , il y aura z:a multipliée par log. x,=log. y, ou bien z log. log. y. Mais log. et log. donc et differentiando . Et c'est par là qu'on peut avoir dy:dx, c'est-à-dire la raison de l'ordonnée à la soustangente, en expliquant dz par la valeur de z que je suppose estre connue. Car si par exemple z estoit ; en sorte que l'equation 1. signifieroit , dz seroit , et de l'équation (7) pro- | |
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viendroit et par cette equation on aura dy:dx (ou dy/dx) c'est-à-dire on construira la tangente de la courbe en employant, x et y et le logarithme d'x. Mais pour delivrer icy l'equation ab omni vinculo summatorio il faudroit descendre aux differentio-differentielles. Souvent il suffit de venir aux Equations differentielles du premier degré, et alors ces Equations differentielles (qui sont des problemes de la converse des tangentes) se peuuent construire par Logarithmes, et se peuuent exprimer par des Equations Exponentiellement transcendentes, comme je fis un jour dans un Exemple que vous m'aviés proposé, ou pourtant à cause d'un mesentendu nous n'avions pas visé à une même ligneGa naar voetnoot9). Je
souhaitterois de pouuoir tousjours reduire les autres transcendentes aux Exponentielles, car cette maniere d'exprimer me paroist la plus parfaite et bien meilleure que celle qui se fait par les differences, et par les series infinies. puisque elle n'employe que des grandeurs communes, quoyque elle les employe extraordinairement. Cependant j'estime fort les series, car elles expriment veritablement ce qu'on cherche et donnent le moyen de le construire aussi prochainement qu'on desire, et achevent par consequent la Geometrie ou analyse quant à la practique. Et ce qui est le plus important, quand les autres voyes se trouuent courtes, les series viennent au secours. Car il peut arriver qu'un probleme descende aux differentielles du 2, 3me ou 4me degré, c'est-à-dire qu'il y aie non seulement x et y et dx, dy, mais encor ddx, ddy et même d3x, d3y; alors par les series la courbe ou la construction se trouve quelquefois aussi aisement, que si ce n'estoit qu'une Equation ordinaire, selon la maniere generale que j'ay donnée dans les ActesGa naar voetnoot10), et que je n'ay encor vue chez personne. car la methode que Messieurs Mercator et Neuson [sic] auoient publiéeGa naar voetnoot11) en estoit toute
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differente. Ainsi je ne sçaurois demeurer d'accord de ce que M le Marquis de l'Hospital vous a ecrit, qu'on peut faire sans les series tout ce qui se peut faire par elles. quant à ma construction Generale des Quadratures par la Traction, il me suffit pour la science qu'elle est exacte en theorie quand elle ne seroit pas propre à estre executée en practique. La plus part des constructions les plus Geometriques, quand elles sont composées, sont de cette nature. Comme par exemple les regles du Mesolabe organique de M des CartesGa naar voetnoot12) ne sçauroient operer exactement, lors qu'elles doivent estre un peu multipliées. Et quoyque M des Cartes ait proposé de construire les Equations du 5.me ou 6.me degré par un mouuement de la parabole materielleGa naar voetnoot13), je crois qu'on auroit bien de la peine à faire une telle construction avec exactitude pour ne rien dire des degrés plus hauts. Cependant la construction generale de toutes les quadratures est infiniment plus difficile, et neantmoins je crois que les difficultés pourroient estre assez diminuées en practique en se servant d'une bonne appression. Car non obstant tous les embarras apparens, l'appression faisant son devoir, la ligne de la traction ne sçauroit manquer de toucher la courbe. Monsieur Bernoulli le cadet, ayant consideré attentivement ma description, en a reconnu et admiré la verité, quoyqu'il croye aussi qu'il seroit difficile de la bien exécuterGa naar voetnoot14). Je voudrois avoir des moyens semblables bien generaux pour construire les autres equations differentielles, ou les courbes ex tangentium natura. Je n'ay point vû encor vostre refutation de la Theorie de la Manoeuvre des Vaisseaux. Apparemment elle sera dans l'Historie des ouurages des SçavansGa naar voetnoot15) que nos libraires n'ont pas encor receus par leur negligence ordinaire. il faudra que je mette ordre pour me les faire tousjours envoyer par la poste. Lors que je considerois autres fois cette theorie, elle me paroissoit un peu superficielle, et je n'achevay pas de la parcourir. Mais j'y penseray un de ces jours. je me souuiens maintenant, qu'il negligeoit entre autres choses le centre de gravité du vaisseau, le quel ne deuuroit pas estre negligé, ce me semble, sur tout pour la derive, puisque les impressions du choc des corps opérent diversement selon la situation de ce centre. Il y avoit bien d'autres choses qui m'arrestoient. Le meilleur y est ce qu'il | |
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y a de la practique et je voudrois avoir vu le liure de la manoeuvre de Mr. de TourvilleGa naar voetnoot16) qu'il citeGa naar voetnoot17). Asseurement Mr. Hook et le p. Pardies n'avoient garde d'arriver à l'explication des loix de la refraction par les pensées qu'ils avoient sur les ondulations. Tout consiste dans la maniere dont vous vous estes avisé de considerer chaque point du rayon, comme rayonnant, et de composer une onde generale de toutes ces ondes auxiliaires. Si Mr. Knorr m'avoit consulté je luy aurois dit mon sentiment la dessus. Le p. Ango qui ne scauoit de cela que ce qu'il avoit pû trouuer dans les papiers du p. Pardies, apres avoir bien suë inutilement pour rendre raison de la loy des sinus, a enfin fabriqué un pur paralogisme habillé en demonstration, pour se tirer d'affaireGa naar voetnoot18). Ne pouvant pas rendre raison de la refraction ordinaire, comment auroient ils osé penser à expliquer celle du cristal d'Islande. Il me semble qu'il y auoit encor quelques phenomenes de ce cristal, qui vous arrestoientGa naar voetnoot19) et je voudrois scauoir si vous avés fait depuis des progres la dessus. N'avés vous pas trouue que ce cristal fournit quelques phenomenes extraordinaires à l'egard des couleurs. Je ne scay si je vous ay mandéGa naar voetnoot20), que Mons. Facio m'a communiqué quelque chose des pensées qu'il a pour expliquer mecaniquement les sentimens de M. Newton, il est vray que ce n'est qu'avec reserve et en enigme. Il croit que la matiere ne remplit qu'une partie tres petite de l'espace; il croit les corps percés à jour comme les squelettes, pour donner aisement passage. Il croit aussi que si | |
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l'espace estoit asses rempli d'une matiere fluide muë en tout sens, cette matiere empecheroit extremement le mouuement des corps. Il parle de l'objection que vous luy aviés faite qui est que la matiere se deuroit epaissir autour de la terre, et que cela l'a arresté mais qu'enfin cette objection s'est evanouie quand on l'a examinée avec exactitude, c'est de quoy (dit-il) Mons. Hugens est à present persuadé. Il se passe en cecy (adjouter-il) quelque chose d'admirable, qu'il faut avoir remarqué, avant qu'on puisse voir, que l'objection n'a rien de solide. Il y a de l'apparence qu'il se fait une circulation ou reciprocation dans la nature en sorte qu'une matiere subtile mais dense ou serrée, s'eloignant des corps qui attirent les autres, force la matiere grossiere de s'y approcher, mais cette matiere grossiere, quand elle y est arriuée est broyée et rendue subtile, pour estre renvoyée derechef à la circumference ou estant dispersée de nouueau elle sert d'aliment à d'autres corps grossiers. il y peut avoir plusieurs raisons de l'attraction; comme la force centrifuge, née d'un mouuement circulaire, que vous avés employéeGa naar voetnoot21); item le mouuement droit des corpuscules en tout sens, que j'ay vû déja employé autres fois d'une maniere semblable par un auteur qui tachoit par là de rendre raison de la fermeté des corps et des phenomenes qu'on attribue communement à la pesanteur de l'air, mais que vous aviés pourtant observés dans le vuideGa naar voetnoot22). Et comme il semble que la masse de la terre doit faire en sorte que plus de corpuscules y tendent, qu'il n'en viennent; on pourra dire que cela poussera les corps vers la terre selon le sentiment de quelques uns que vous marqués. On peut encor adjouter l'explosion comme seroit celle d'une infinité d'arquebuses à vent. Car ne pourroit on point dire que les corps qui font la lumiere, la pesanteur et le magnetisme, sont encor grossiers en comparaison de ceux qui feroient leur propre ressort, et qu'ainsi ils enferment une matiere comprimée; mais quand ils arrivent au soleil, ou vers le centre des autres corps, qui font émission (dont l'interieur pourroit repondre au soleil) le grand mouuement qui s'y exerce les brisant et les défaisant, deliureroit la matiere qui y estoit comprimée. Il semble effectivement que c'est de cette maniere que le feu agit. Peut estre aussi que plusieurs moyens se trouuent joints ensemble, pour causer la pesanteur, puisque la nature fait en sorte que tout s'accorde le plus qu'il est possible. quoy qu'il en soit, il nous sera tousjours difficile de bien determiner ces choses. Si quelqu'un y peut reussir de nostre temps, vous le serés. il est vray que toute matiere etheree qui tend vers la terre ou vers quelque autre corps sans percer n'en sçauroit revenir. Car celle qui ne perce point, rejallissant, rencontrera d'autre matiere qui y arrive apres elle. Ainsi ces matieres se doiven: brouiller ensemble, | |
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et s'amasser à l'entour du corps, mais peut estre que la masse qui s'en forme est dissipée derechef à peu pres comme les taches du soleil. Quant à la difference entre le mouuement absolu et relatif, je croy que si le mouuement ou plus tost la force mouuante des corps est quelque chose de reel comme il semble qu'on doit reconnoistre, il faudra bien qu'elle ait un subjectum. Car a et b allant l'un contre l'autre, j'avoue que tous les phenomenes arriveront tout de meme, quel que soit celuy dans le quel on posera le mouuement ou le repos; et quand il y auroit 1000 corps, je demeure d'accord que les phenomenes ne nous scauroient fournir (ny même aux anges) une raison infallible pour determiner le sujet du mouuement ou de son degré; et que chacun pourroit estre concû à part comme estant en repos, et c'est aussi tout ce que je crois que vous demandés; mais vous ne nierés pas je crois que veritablement chacun a un certain degré de mouuement ou, si vous voulés de la force; non-obstant l'equivalence des Hijpotheses. Il est vray que j'en tire cette consequence qu'il y a dans la nature quelque autre chose que ce que la Geometrie y peut determiner. Et parmy plusieurs raisons dont je me sersGa naar voetnoot23) pour prouuer qu'outre l'etendue et ses variations, qui sont des choses purement Geometriques, il faut reconnoistre quelque chose de superieur, qui est la force; celle-cy n'est pas des moïndres. Monsieur Newton reconnoist l'equivalence des Hypotheses en cas des mouuemens rectilineairesGa naar voetnoot24); mais à l'egard des Circulaires, il croit que l'effort que font les corps circulans de s'eloigner du centre ou de l'axe de la circulation fait connoistre leur mouuement absolu. Mais j'ay des raisons qui me sont croire que rien ne rompt la loy generale de l'EquivalenceGa naar voetnoot25). Il me semble cependant que vous même, Monsieur, estiés | |
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autres fois du sentiment de M. Neuton à l'egard du mouuement circulaireGa naar voetnoot26). Je croisGa naar voetnoot27) que M. Teiler sera bien tost à Wolfenbuttel. Je vous suis bien obligé de la bonté que vous avés eue de vous en informer. J'auray soin d'écrire qu'on marque les errata, dans les Actes de Leipzig, dont je ne scaurois concevoir la raison, il faut que vostre écriture ait esté un peu obscure en ces endroits. Je suis bien aise d'apprendre la guerison de Mons. Newton aussi tost que la maladie, qui estoit sans doute des plus facheuses. C'est à des gens comme vous, Monsieur, et luy, que je souhaitte une longue vie, et beaucoup de santé, preferablement à d'autres, dont la perte ne seroit gueres considerable en parlant comparativement. si je remarqueray quelque chose dans les Actes de Leipzig, ou vous puissiés avoir interest, je vous en donneray part. Je n'ay pas encor celles du mois de May. Au reste je suis avec zele
Monsieur
Vostre treshumble et tres obeissant serviteur Leibniz.
P.S. Je ne scay quand je verray l'ouurage que Mons. Wallis vient de publierGa naar voetnoot28). Voudriés vous bien me faire la grace, Monsieur, d'en faire copier des endroits où Mr. Newton donne des nouuelles decouuertes. Je ne demande pas proprement sa maniere de trouuer des series, mais s'il donne des moyens pour la converse des tangentes ou pour quelque chose de semblable. Car en m'ecrivant autres fois il couurit sa maniere sous des lettres transposéesGa naar voetnoot29). Il marquoit d'avoir deux façons, l'une plus generale, l'autre plus elegante. Je ne scay s'il en aura parlé. |
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