Oeuvres complètes. Tome X. Correspondance 1691-1695
(1905)–Christiaan Huygens– Auteursrecht onbekendNo 2853.
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Monsieur Newton persiste à croire, que toutes les parties des corps terrestres s'attirent les unes les autres, non obstant ce que Monsieur Hugens dit à la page 159e de son traittéGa naar voetnoot5) de la Pesanteur. Je suis, Monsieur, du même sentiment que Monsieur Newton et j'ai fait voir à l'un et à l'autre de ces illustres Philosophes qu'il y pouvoit avoir une cause mechanique de la PesanteurGa naar voetnoot6), qui rende raison non seulement de cette attraction mutuelle, mais encore de la diminution de la Pesanteur dans la proportion reciproque du Quarré de la distance. Et cette cause est universelle pour le Soleil, la Lune, la Terre et tous les Astres, et la longueur du tems ne peut la détruire ni le mouvement des corps celestes n'en peut empêcher l'effet. Nous convenons Monsieur Newton et moi, que la quantité de matière, qui est dans l'Univers, ne remplit qu'une partie extrement petite de l'espace, de sorte qu'il demeure non seulement plus de vuide que de plein, mais encore incomparablement davantage. Il est vrai que l'explication de la Lumière telle que Monsieur Hugens la donne, ne s'y accorde pas tout à fait, à moins d'y faire une petite correctionGa naar voetnoot7). Mais quoique cette Theorie soit parfaitement belle et digne de son Auteur, il y a des raisons tres fortes, tirées des proprietés de la Lumière et des couleurs, qui nous persuadent que les raions de Lumière sont des corpuscules qui viennent actuellement du Soleil et des Etoiles jusques à nous. La rareté que Monsieur Hugens paroit avoir de la peine d'admettreGa naar voetnoot8) dans le monde, est absolument necessaire. Car si toutes les parties, qui composent l'Ether, se reposoient, il est evident qu'elles feroient une extreme resistence aux mouvemens des corps celestes et que cette resistence seroit plus grande plus on supposeroit l'espace rempli des corpuscules. Or j'ai une demonstration exacte que si on fait cesser le repos de ces parties de l'Ether et qu'on leur donne des mouvemens entremêlés, tels que l'on concoit ceux des fluides, la resistence augmentera et cela d'autant plus qu'on donnera plus de rapidité à ces mouvemens. La vitesse de la Lumière et des autres corps peut étre aussi grande que l'on veut dans un espace que l'on suppose étre presque absolument vuide. | |
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Pag. 163 du Traitté de Mr. HugensGa naar voetnoot9). Monsr. Newton est encore indeterminé entre ces deux sentimens. Le premier que la cause de la Pesanteur soit inherente dans la matière par une Loi immediate du Createur de l'Univers: et l'autre que la Pesanteur soit produite par la cause Mechanique que j'en ai trouvée, qui fait que toutes les parties de la matière s'attirent mutuellement, excepté celles qui produisent la Pesanteur même, et les autres qui pourroient étre moins grossieres que celles ci. Pag. 164. Mr. Newton se rend à ce raisonnement de Mr. HugensGa naar voetnoot10). Pag. 166. Mr. Newton est persuadé que la Pesanteur vers la Terre est moindre sous l'Equateur, non seulement à cause du mouvement journalier de la Terre, mais encore à cause de la distance de l'Equateur au Centre, qui est plus grande que celle du Pole au CentreGa naar voetnoot11). Il n'est pas necessaire de joindre à la Pesanteur vers le Soleil un mouvement de la matière qui l'environne, pour faciliter celui des Planetes et la Pesanteur n'est pas l'effet d'une force centrifugue. Il est indubitable que les queues des Cometes sont des emissions reelles, et il ne faut que construire quelques uns de leurs Orbes, pour voir que ces emissions sont toujours situées dans le plan du mouvement des Cometes. Il est vrai que Mr. Newton a fait des progres extraordinaires sur la converse des Tangentes, mais je ne pense pas qu'il la puisse toujours reduire aux Quadratures. Dans ma Theorie de la Pesanteur je suppose la rareté des corps terrestres presque immense. Mais les dernieres parties, dont ils sont composés doivent étre d'une même grosseur. Si par exemple on donnoit aux dernieres particules d'un certain corps terrestre la figure d'un Dodecahedre je n'en voudrois conserver que les arrêtes, qui auroient la figure d'un filé, et vuider tout le reste de la figure. Et ces arrêtes ou fibres seroient formées par des Cylindres presque infiniment déliez, mais de la même grosseur, c'est à dire du même diametre que toutes les autres fibres qui composent les autres corps terrestres. Je suppose encore une matière presque infiniment rare et extremement déliée, dispersée par tout l'Univers, et dont les parties soient mues chacune avec une vitesse immense en ligne droite, mais l'une en un sens et l'autre en un autre. Et je demontre que ces seules suppositions suffisent pour expliquer exactement tous les Phénomenes de la Pesanteur. Je scai, Monsieur, que je ne dis rien que je ne puisse prouver. Mr. Newton | |
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convient de l'exactitude de mes demonstrations: mais il m'a fallu beaucoup de tems pour en convaincre Monsieur Hugens. Il avoit dans l'esprit une objectionGa naar voetnoot12) qui m'a arrêté moi même dans mes recherches pendant trois ans. Car il semble que dans ma Theorie la matière se doit épaissir autour de la Terre, parce que la Pasanteur resulte de ce qu'une partie de la matière qui vient de toutes parts à la Terre s'en éloigne aprez avoir perdu tant soit peu de son mouvement. Mais cette objection s'evanouit entierement quand on l'examine avec exactitude: et c'est de quoi Mr. Hugens est à present persuadéGa naar voetnoot13). Il se passe en ceci quelque chose d'admirable qu'il faut avoir remarqué avant qu'on ne puisse voir que l'objection n'a rien de solide, quoiqu'elle paroisse d'abord avoir une force invincible. Pour produire toutes les Pesanteurs que nous connoissons dans le systeme du Soleil et des Planetes il suffit de si peu de matière que l'on voudra, pourvu qu'elle soit suffisament divisée et qu'elle se meuve avec une assez grande rapiditéGa naar voetnoot14). Ainsi il y a dans un seul grain de sable plus de matière qu'il n'en faut pour produire toutes ces Pesanteurs, et à proportion il n'en faut pas davantage pour les autres parties du monde. Je ne scai, Monsieur, si cette reponse satisfera Monsieur LeibnitzGa naar voetnoot15), qui auroit peut étre demandé un plus grand detail, mais il me semble que ce que j'ai dit suffira. Adieu, Monsieur. Je suis tout à vous N. Fatio de Duillier.
A Londres ce 30 mars 1694. S.V. |
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