Je lui dis d'abord comme aussi à M. son frere, & à deux ou trois autres personnes qui y étoient présentes, que ce que je leur faisois voir n'étoit pas de la salive, mais de la semence d'un animal; que j'avois eu mes raisons de la débiter pour de la salive à Rotterdam &c.
Comme je lui parlois du voyage que j'avois dessein de faire à Paris, il m'offrit des Lettres de recommandations aux Sçavans de cette ville, & de me faire avoir un passeport vûque la Hollande étoit encore en guerre avec la France, ajoutant de plus à ces offres très-obligenantes, que si je voulois attendre jusqu'à l'année suivante, je pourrois y aller avec lui, ce que mon pere & moi nous acceptames avec beaucoup de plaisirGa naar voetnoot5).
Quand je fus arrivé à Paris vers la fin du printempsGa naar voetnoot6) de l'année 1678, j'allai d'abord voir ce qui étoit le plus à mon goût, comme l'Observatoire, les Hôpitaux &c.
Un jour que j'étois à la Charité pour voir de quelle maniére l'on y traitoit les malades, j'entendis deux personnes parler Hollandois ensemble.
Je reconnus dabord que l'un deux étoit feu M. CyprianusGa naar voetnoot7), avec qui j'avois autrefois étudié à Amsterdam en Philosophie, & qui a été si fameux dans la suite par son adresse à tailler la pierre. L'autre étoit feu M. GuennelonGa naar voetnoot8), qui a exercé pendant long-temps la Médecine à Amsterdam.
Ayant témoigné à celui-ci que je serois bien aise de sçavoir quelque chose de la chymie, il me mena chez feu M. LemeryGa naar voetnoot9), où nous rencontrames trois ou quatre
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personnes & entre autres M. Hautefeuille, qui étoit fort piqué contre M. Huygens, de ce qu'il lui avoit enlevé son invention des pendules de pocheGa naar voetnoot10). Il est vrai que de la maniére que M. Hautefeuille l'avoit proposée à l'Academie Royale des Sçiences, elle ne pouvoit être d'aucune utilité, & que M. Huygens, qui étoit une personne d'un profond sçavoir & qui avoit l'esprit éclairé, l'avoit rectifiée, & même portée presque à sa perfection: mais ce qui est constant & que tout le monde sçavoit à Paris, c'est que M. Hautefeuille en avoit donné la prémiére idéeGa naar voetnoot11), & cela avoit pourtant son prix.
Leur discours roula principalement sur ce que M. Huygens avoit fait mettre dans le journal des sçavans, que par le moyen d'un microscope d'une nouvelle invention, il avoit fait plusieurs observations très-curieusesGa naar voetnoot12).
Comme je leur disois que M. Huygens avoit ces microscopes de moi; que je lui avois communiqué la plupart de ces observations; que j'étois venu avec lui de Hollande &c. Ils me conseillerent tous de faire mettre ceci dans le prémier journal qui s'imprimeroit; mais comme je ne sçavois pas assés de François pour cela, quelqu'un de la compagnie prit la peine d'en dresser un mémoire, auquel chacun ajouta quelque chose, & tous y lancerent des traits contre M. Huygens, selon qu'ils étoient plus ou moins piqués contre lui.
Je le copiai & le portai chez l'Auteur du Journal des sçavans pour l'y inserer; mais cet Auteur plus sage que nous tous, au lieu d'y mettre une piéce aussi sanglante qu'elle étoit contre M. Huygens, alla la lui porter.
M. Huygens l'ayant vuë me fit venir chez lui, & après m'avoir fait une petite reprimande que j'avois effectivement bien meritée, me dit, qu'il voyoit assés que cette piéce ne venoit pas de moi; que j'avois été chez ses ennemis &c. Mais que si je voulois que la découverte des animaux de la semence des mâles, & les autres observations qu'il tenoit de moiGa naar voetnoot13), parussent sous mon nom dans le Journal, il en dresseroit lui-même un mémoireGa naar voetnoot14); à quoi ayant consenti sans la moindre repugnance, je me raccommodai en quelque façon avec lui.
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Je rétournai deux ou trois jours après chez M. Huygens, qui me donna le mémoire qu'il avoit dressé, & je le portai à l'Auteur du Journal des sçavans, qui le mit dans son trentiéme Journal de l'année 1678.
Il m'a semblé nécessaire de faire ici ce recit de la découverte des animaux dans la semence des mâles, & j'espere que le lecteur me pardonnera cette petite digression. Mais revenons à la Lettre de M. Leeuwenhoek, où il fait assés connoître qu'il gardoit un Journal fort exact de tous ceux qui l'alloient voir. Etc. |
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voetnoot1)
- Cours de Physique Accompagné de plusieurs piéces concernant la Physique qui ont déjà paru, et d'un Extrait Critique des Lettres de M. Leeuwenhoek, par feu M. Hartsoeker. A la Haye, Chez Jean Swart. 1730. in-4o.
Dans la préface de cette publication, l'éditeur défend Hartsoeker contre le reproche d'avoir attaqué, en des termes trop peu mesurés, Bernoulli, Leibniz et Leeuwenhoek. La préface est suivie d'une Lettre de M. Hartsoeker à M. de Fontenelle, dans laquelle Hartsoeker tâche de démontrer qu'il n'a pas manqué à l'article du Règlement de 1699, qui interdit aux membres de l'Académie d'employer, soit dans leurs discours, soit dans leurs écrits, aucun terme de mépris et d'aigreur l'un contre l'autre. Dans cette défense, il accuse de la Hire et Huygens de lui avoir ‘enlevé ses pensées’; il y proteste d'avoir nommé ‘scavant chymiste, habile mathématicien, scavant géomètre’ Lémery, Parent, Carré et d'autres savants de ce temps, qu'il avait raillés; il se plaint de ce que Varignon avait dit qu'il ne lirait jamais ce qui viendrait de lui, de ce que d'autres avaient déclaré qu'on avait bien d'autres choses à faire que de lire ses mémoires à l'Académie, enfin de ce qu'on le laissait ‘pourrir dans l'obscurité.’ A la suite de cette lettre se trouve imprimé l' ‘Eloge de M. Hartsoeker par M. de Fontenelle’. Celui-ci y donne le récit de la découverte des spermatozoïdes, d'après la version inexacte de Hartsoeker, et du mauvais procédé de Hartsoeker envers Chr. Huygens, tel que Hartsoeker le raconte lui-même dans notre pièce No. 2137, dont le texte est tiré des pages 46 à 48 de l'Extrait critique des Lettres de M. Leeuwenhoek.
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voetnoot3)
- Hartsoeker raconte qu'il fit passer pour de la salive la liqueur dans laquelle il observait les spermatozoïdes.
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voetnoot4)
- Ce récit, arrangé de manière à faire croire que Hartsoeker était l'auteur de la découverte des spermatozoïdes, ne s'accorde pas avec ce que nous savons par la Correspondance de Chr. Huygens. Il est même très probable que ce fut par Leeuwenhoek, depuis le commencement de 1677 en relation personnelle avec Chr. Huygens, que celui-ci eut connaissance de la découverte faite par Ham. (Consultez les Lettres Nos. 2099, 2100, 2106, et la note 4 de la Lettre No. 2119). D'ailleurs, dans la pièce No. 2136, rédigée par Huygens avec le consentement de Hartsoeker, il n'est fait aucune allusion aux prétendus droits de Hartsoeker à cette découverte.
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voetnoot5)
- La fin de la Lettre No. 2122 semble indiquer que ce récit est inexact. D'après cette lettre, Hartsoeker, trompé dans son attente d'accompagner le fils de l'ambassadeur Paets, demanda, le 12 avril 1678, à Chr. Huygens la permission de voyager avec lui, pour plus de sécurité et d'agrément.
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voetnoot7)
- Abraham Cyprianus, fils du chirurgien Allart Cyprianus, naquit à Amsterdam, vers 1658. Il fit ses études à Amsterdam et à Utrecht, où il fut promu docteur en médecine en 1680. Il s'établit à Amsterdam et y acquit une grande réputation comme opérateur lithotomiste. En 1693, il fut nommé professeur à Franeker, mais deux ans après il donna sa démission pour retourner à Amsterdam et s'y vouer entièrement à la pratique. En 1696, il fut appelé en Angleterre, où, selon toute probabilité, il passa le reste de ses jours. La date de sa mort est inconnue.
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voetnoot8)
- Petrus Guenellon, né à Amsterdam vers 1657, fit ses études à Leiden, et s'établit dans sa ville natale comme docteur en médecine. Il est l'auteur de l'ouvrage:
Epistolica dissertatio de genuina medicinam instruendi ratione. Amstelodami, apud Adrianum à Gaasbeek. m.dc.lxxx. in-12o.
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voetnoot9)
- Nicolas Lémery, né à Rouen le 17 novembre 1645, mort à Paris le 19 juin 1715. Il apprit la pharmacie chez un apothicaire à Rouen, vint à Paris en 1666 pour étudier la chimie sous Glazin, démonstrateur de chimie au Jardin du roi, qu'il quitta au bout de deux mois, demeura trois ans chez un apothicaire de Montpellier et, après avoir parcouru la France, vint se fixer à Paris, où il installa un laboratoire et se rendit fameux par ses expériences et par ses remèdes, dont la vente lui procura largement les moyens d'entretenir sa maison avec les nombreux pensionnaires qu'il y logea. Poursuivi comme calviniste, il émigra, en 1683, vers l'Angleterre; de hautes protections lui permirent de retourner l'année suivante en France, où il se fit catholique en 1686. Il publia plusieurs ouvrages, parmi lesquels son ‘Cours de chimie’, paru pour la première fois en 1675, eut jusqu'à dix éditions, sans compter les traductions latine, anglaise, espagnole et allemande, cette dernière procurée par von Tschirnbaus. Il fut successivement associé chimiste de l'Académie en 1699, pensionnaire chimiste en 1705, pensionnaire en 1715. Fontenelle a écrit son éloge.
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voetnoot11)
- Consultez, entres autres, la Lettre No. 2029, note 2. La prétendue invention de de Hautefeuille n'avait aucun rapport avec l'invention des montres à ressort en spirale.
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voetnoot14)
- On remarquera que dans l'article cité, notre No. 2136, il n'est question que des spermatozoïdes du coq, découverts après ceux de l'homme et d'autres animaux.
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