Oeuvres complètes. Tome VII. Correspondance 1670-1675
(1897)–Christiaan Huygens– Auteursrecht onbekendNo 2024.
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tefeüille, Chapelain en l'Eglise Royale de S. Aignan d'Orleans, Opposant à la verification & enregistrement des Lettres de PrivilegeGa naar voetnoot2) obtenuës par le Deffendeur cy-aprés nommé, pour la fabrication & debit des Horloges, & des Montres de nouvelle invention, & Deffendeur.
CONTRE Maistre Christian Huguens Sieur de Zulichem, de l' Academie Royale des Sciences, Deffendeur à ladite opposition, & Demandeur en Requeste du 16. May 1675. suivant & pour satisfaire à l' Appointement en droit du 17 juillet 1675.
A ce qu'il plaise à la cour recevoir le dit de Hautefeüille Opposant à la verification & enregistrement desdites Lettres de Privilege, faisant droit sur l'opposition les declarer subceptivement obtenuës, debouter ledit Huguens de l'enregistrement d'icelles, avec deffenses de se dire ny qualifier Inventeur du Secret desdites Horloges & Montres dont est question, sauf audit de Hautefeüille à se pourvoir pardevant le Roy pour obtenir le mesme Privilege, comme premier & seul Inventeur du Secret, & condamner ledit Huguens aux dépens. L'opposition formée par le Sieur de Hautefeüille est fondée sur un interest tresloüable & tres-sensible. L'application qu'il a donnée à la Physique & aux Mathematiques, luy ont fait trouver le secret de faire des Horloges & des Montres aussi justes que les Pendules, mais en mesme-temps portatives. Il en a donné l'avis à l'Academie RoyaleGa naar voetnoot3) des Sciences, pour faire part de cette Invention aux Sçavans & au Public. Le Sieur Huguens jaloux & usurpateur de la gloire des autres, s'est fait l'honneur de se publier Inventeur de ce Secret. C'est sur ce faux Titre & sur cette qualité usurpée, qu'il a obtenu du Roy par obreption & subreption le Privilege de la fabrication & du debit de ces Horloges & de ces Montres. Le Sieur de Hautefeüille, comme veritable Inventeur, s'y est opposé avec raison, afin qu'un autre ne luy enleve pas la gloire de l'Invention, & le fruit de son travail. Voilà en substance l'idée du Procés, & l'estat de la contestation. L'importance de l'opposition du Sieur de Hautefeüille se doit mesurer par l'importance du Secret dont on veut lui dérober l'honneur. On a cherché depuis long-temps le moyen de rendre les Horloges & les Montres d'une justesse toûjours égale, mais on ne l'a point trouvé: en recherchant ce moyen on a inventé celuy des Pendules, dont tous les Sçavans ont reconnu l'utilité par l'égalité & la justesse de leur mouvement. La Pendule estoit sans doute le moyen le plus facile & le plus certain pour connoistre les longitudes sur la Mer, si avec la perfection de l'égalité & de la justesse, elle n'eut point eû le défaut de n'estre pas portative, & de ne pouvoir estre müe avec le corps auquel elle est attachée sans s'arrester, en telle sorte que l'agitation des Vaisseaux interrompt necessairement son mouvement, qui est un inconvenient | |
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que l'on n'a pû éviter malgré toutes les precautions & tout l'Art que l'on y a apporté jusques à present. C'estoit donc une chose tres-avantageuse d'inventer une Horloge qui eut la perfection de la Pendule, c'est-à-dire une justesse toûjours égale, mais qui n'en eut point le défaut de ne pouvoir estre transportée sans interrompre son mouvement. Le Sieur de Hautefeüille en a le premier trouvé la maniere, qui consiste en un Ressort composé d'une lame d'Acier, tres-mince & tres-delicate attachée au corps de l'Horloge, dont la vibration toûjours égale donne à l'Horloge un mouvement reglé aussi juste que celuy des Pendules, mais qui ne s'interrompt point en quelque situation qu'on la mette, les Horloges & les Montres par ce Ressort sont justes tout ensemble, & portatives. Le Sieur de Hauteseüille a l'avantage d'avoir preuve écrite de ce qu'il avance. Il rapporte une Expedition à luy délivrée par le Sieur Gallois Secretaire de l'Academie des Sciences, du Memoire par luy donné de cette découverte, au bas duquel il se voit que cet écrit a esté presenté à l'Academie Royale des Sciences par le Sieur de Hautefeüille le septiéme Juillet 1674. pour estre examiné. La datte est à observer, comme décisive. Par ce Memoire il a expliqué d'une façon naïve & sincere, les reflexions qui l'ont conduit à cette invention, les espreuves & les experiences qu'il a faites sur ce sujet, la maniere d'appliquer ce Ressort, les differens usages qu'on en peut faire, soit pour les Horloges, soit pour les Montres de poche; les moyens en un mot de pratiquer & de perfectionner ce qu'il a inventé. Pour appliquer la preuve au fait; ce Memoire, avec le Certificat de l'Academie estant au bas dudit jour septiéme Juillet 1674. Signé Gallois, sera icy produit & cotté par AGa naar voetnoot4). Le Sieur Huguens n'estant pas content de l'estime que son propre merite luy a acquis, cherche encore à l'augmenter en s'apropriant les Ouvrages d'autruy, après avoir esté instruit du Secret du Suppliant, par cet écrit donné à l'Academie dont il est membre, il a eu la vanité de s'en dire l'AutheurGa naar voetnoot5). Pour s'en acquerir le nom, il l'a d'abord fait publier dans le Journal des Sçavans du quinzièmeGa naar voetnoot6) Février 1675. par une Lettre qu'il écrit sur ce sujet à l'Autheur du Journal dont la datte est tres-considerable, estant posterieure de plus de six mois à l'écrit du Sieur de Hau- | |
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tefeüille. Conferant cette Lettre du Sieur Huguens au Memoire dudit de Hautefeüille, on voit que l'une est extraite & formée sur l'autre, l'une & l'autre estant toute conforme, tant sur la fin & l'utilité que sur la substance mesme du Secret. Quant à la fin & l'utilité, voicy comme le Sieur de Hautefeüille s'est expliqué dans son Mémoire. J'ai crû que si on pouvoit inventer une Horloge dont la justesse fut égale à celle des Pendules, & qui n'en eut point le défaut (de ne pouvoir estre müe avec le corps auquel elle est attachée, sans s'arrester) on aur ait infailliblement trouvé le secret des longitudes. Et plus bas; Je ne doute point que si on fait les Montres de poche selon ce moyen, elles ne soient tres-justes, & qu'enfin une Horloge de cette manière ne soit d'un grand usage pour rectifier les Pendules sur la Mer. Il avoit dés le commencement marqué le défaut des Pendules, qui est, que l'agitation des Vaisseaux en interrompt & arreste le mouvement. Le discours du Sieur Huguens dans sa Lettre est tout semblable, & il n'y a de difference que dans le tour des paroles: Ayant trouvé [dit-il] cette invention long-temps souhaitée par laquelle les Horloges sont renduës tres-justes ensemble & portatives. [Et dans la suite] Les Horloges de cette façon estant construites en petit seront des Montres de poches tres-justes, & en plus grande forme pourront servir par tout ailleurs & particulierement à trouver les longitudes tant sur Mer que sur Terre, puis que leur mouvement est reglé par un principe d'égalité de mesme qu'est celuy des Pendules corrigé par la cycloide, & que nulle sorte de voiture ne les peut faire arrester. Touchant la substance du moyen & du Secret, la Lettre du Sieur Huguens imite aussi le Mémoire dudit de Haütefeuille. Le Mémoire dit, Que ce Secret est un Ressort composé d'une lame d'Acier tres-mince & tres-delicate, fortement attachée au corps de l'Horloge. La Lettre du Sieur Huguens dit, Que c'est un Ressort attaché à une piece qui tient à la platine de l'Horloge. Si le Sieur Huguens pretend avoir ajoûté quelque chose au Memoire du Sieur de Hautefeüille, quand il a dit, que ce Ressort est tourné en spirale; On lui répond, 1o. Que la sigure du Ressort est indifferente au Secret, toute la découverte consiste uniquement dans l'invention d'un Ressort attaché au corps de l'Horloge ou de la Montre, lequel par ses vibrations égales fait la justesse de l'Horloge ou de la Montre, qui par ce moyen est juste tout ensemble & portative. Quand le Sieur de Hautefeüille n'auroit dit que cela il a tout dit; La figure du Ressor n'est pas un Secret, il y a une infinité de figures dans la nature qu'on luy peut donner, & l'experience nous confirme que les Horlogers en ont déja mis en pratique de prés d'une douzaine de façons. Si le Sieur Huguens pour avoir exprimé la figure spirale se croit Inventeur du Secret, tous les Artisans qui ont imaginé d'autres figures differentes, auront le mesme droit que luy de s'en dire les Inventeurs, & d'obtenir tous des Privileges. La figure n'est qu'un accident du Ressort, elle est de l'Ouvrier & non pas de l'Inventeur; & c'est pour cela que le Sieur de Hautefeüille dans son écrit presenté à | |
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l'Academie, après avoir expliqué la nature, la proprieté, les vibrations, & l'effet de ce Ressort, laisse aux Artisans le choix de la figure, & de la maniere de l'attacher, en ces termes: Il y a plusieurs manieres de mettre ce Ressort en mouvement que je ne rapporteray point, les Artisans trouveront assez de moyens de mettre en pratique cette machine. Le Sieur de Hautefeüille n'a point specifié & determiné aucune figure particuliere à ce Ressort, ayant dit seulement en general, une lame d'Acier tres-mince & tres-delicate attachée au corps de l'Horloge dont les vibrations reglent le mouvement., Mais si on examine le Memoire du Sieur de Hautefeüille sans preoccupation, on y trouvera la figure spirale exprimée quoyque le mot n'y soit pas, quand il dit, qu'on peut faire les Montres de poche tres-justes selon ce moyen, car les Montres de poche ne pouvant à cause de leur petitesse souffrir un Ressort droit d'une grande longueur, & la spirale estant une figure capable de contenir une grande longueur en tres-peu de lieu, il est facile à voir, & le Sieur Huguens ne s'est pas beaucoup fatigué pour trouver qu'il faut se servir de la spirale dans les Montres qui sont extrémement petites, puis que mesme les Ressorts communs qui sont dans les tambours des Montres ordinaires, sont tous tournez de cette maniere. Ainsi le Sieur de Hautefeüille a dit la chose, & le Sieur de Huguens a dit le nom. D'ailleurs, si le Sieur de Hautefeüille s'est particulierement servy du Ressort droit dans les experiences qu'il a faites, c'est parce qu'il est le premier & le plus parfait de tous, & le plus facile à executer; & quand bien mesme le Ressort en spirale auroit quelque proprieté particuliere, le Ressort en spirale n'est-il pas tiré du Ressort droit, & qu'est-ce autre chose sinon un Ressort droit tourné & replié en luymesme? Si l'imagination d'une figure particuliere & vulgaire, estoit une perfection ou une addition au Secret, le Sieur Huguens ne pourroit pretendre au plus que d'avoir perfectionné ce que le Sieur de Hautefeüille a inventé, & le Sieur de Hautefeüille l'obligeroit de convenir avec tous les hommes, que
Difficile est invenire, facile autem inventis addere.
Ainsi la Cour voit qu'il n'a mesme rien ajoûté à la découverte du Secret, & que tout ce qu'il en a dit, soit pour la fin, soit pour la substance, soit pour la maniere, est entierement tiré du Memoire du Sieur de Hautefeüille. Pour faire connoistre cette veritè ledit de Hautefeüille produit le Journal des Sçavans du quinzeGa naar voetnoot7) Février 1675. dans lequel est transcrite ladite Lettre du Sieur Huguens sur le Secret dont est question, que la Cour pourra conferer avec le Memoire dudit de Hautefeüille cy-dessus produit, & est ladite piece cy cottée par B.Ga naar voetnoot8) | |
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Le Sieur Huguens aprés avoir trompé le Public, & s'estre arrogé l'honneur de l'Invention, s'en est encore procuré l'utilité & la recompense, par le Privilege qu'il a obtenu de Sa Majesté, de la fabrication & debit de ces Montres pendant vingt ans. Le Sieur de Hautefeüille peut dire par imitation de ce larcin que lui fait le Sieur Huguens, ce que disoit le Poëte en se plaignant d'une semblable usurpation;
Haec nova Pendula ego inveni, tulit alter honoresGa naar voetnoot9).
C'est le motif raisonnable de son opposition qui se reduit à deux moyens: Le premier, Que dans les Lettres obtenuës par le Sieur Huguens, il y a obreption & subreption, puis qu'il s'est dit Inventeur, quoy qu'il ne le soit pas, & que sur le fondement de cette qualité, qui ne luy appartient pas, il a surpris le Privilege qui est dû au veritable Inventeur. Surprise d'autant plus blâmable, que le Sieur Huguens a abusé en cela de la bonne foy & de la sincerité du Sieur de Hautefeüille, du Memoire duquel il s'est servy pour former le projet de son usurpation, s'imaginant sans doute, ou que le Sieur de Hautefeüille n'en seroit pas averty, ou qu'il n'auroit pas la force ny le credit de s'en deffendre: Le second, Qu'il est important pour l'honneur de l'Academie, & pour le progrez des Sciences, de conserver à un chacun la gloire de ses Découvertes & de ses Inventions, c'est le fruit de leur travail & de leur estude, qu'on ne peut leur ravir sans injustice. Si le credit de quelques-uns, dont le merite s'est trouvé appuyé du secours de la Fortune, étouffoit ainsi le merite & la reputation des autres; si l'on souffroit qu'un Particulier se donnast la liberté dans le Public de se publier Autheur de l'ouvrage d'autruy, ce seroit une tâche à l'Academie, & un moyen de refroidir l'ardeur & le courage de tant de Studieux qui y aspirent comme à la fin de leur loüable ambition. S'il y a donc un Privilege à obtenir, c'est le Sieur de Hautefeüille qui a droit d'y pretendre, puis qu'il a preuve par écrit, c'est-à-dire par son Memoire certifié de l'Academie, qu'il est le premier & seul Inventeur du Secret, & non pas le Sieur Huguens qui n'a point de preuve de ce Titre qu'il s'attribuë, sinon de s'en estre vanté dans le Journal des Sçavans & dans l'exposé de ses Lettres. Produit ledit de Hautefeüille son Acte d'opposition du cinquième Avril 1675. à la verification & enregistrement desdites Lettres qui sera cotté par C. Le Sieur Huguens est accoûtumé à ces sortes d'entreprises, & le Sieur de Hautefeüille n'est pas le premier qui s'en est plaint, tout le monde sçait qu'il s'est fait honneur des Découvertes de GaliléeGa naar voetnoot10) & de son fils, sur le sujet des Pendules; Il a abusé de mesme d'un Barometre inventé par Monsieur DescartesGa naar voetnoot11), & Grillet | |
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Horloger se plaint de l'usurpation d'un pareil instrumentGa naar voetnoot12), & accuse le Sieur Huguens d'avoir fait en cette occasion-là ce qu'il a fait en celle-cy, d'authoriser d'abord son usurpation, & de surprendre l'opinion publique, en le faisant publier dans le Journal des Sçavans, pour preuve de cela ledit de Hautefeüille produit l'Ecrit qui en a esté fait & publié sur ce sujet, qui sera icy cotté par D. Pour justifier de l'instruction, le Sieur Huguens connoissant le vice de ces Lettres, a eû bien de la peine à les communiquer, les Sommations ayant esté inutiles pour l'y obliger, son Procureur n'y a enfin satisfait que par ordre de Monsieur l'Avocat General, la veille seulement de la plaidoirie. Produit 4, pieces: La premiere du 16. May, est copie de la Requeste dudit Huguens, par laquelle il a demandé, que sans avoir égard à l'opposition dudit de Hautefeüille, il soit passé outre à l'enregistrement des dites Lettres, & cela sans donner copie desdites Lettres ny des pieces justificatives de la Requeste, comme il y estoit obligé par l'Ordonnance. La seconde duGa naar voetnoot13) est une Sommation faite à la requeste dudit de Hautefeüille audit Huguens, de donner copie de ses Lettres. La troisiéme du 16 Juillet, est la signification faite par ledit Huguens, de la copie de sesdites Lettres la veille de la plaidoirie. La quatriéme du 17. juillet, est l'Arrest contradictoire, par lequel les Parties sur l'opposition du Sieur de Hautefeüille sont appointées en droit, & joint à la demande d'enregistrement desdites Lettres, & sont lesdites pieces cy cottées E. Item, Produit le present Inventaire servant d'avertissement, cy cotté par F.
Arrault, Avocat.
Comme il ne s'agit pas tant en cette Cause de l'interest & du gain que l'on peut faire dans le debit de ces nouvelles Montres, que de l'honneur & de la gloire d'avoir fait une des plus belles découvertes de ce siecle; on a cru devoir se deffendre en public & rapporter les raisons que l'on a de se dire Autheur de cette Invention, afin de dissiper les mauvaises impressions que Monsieur Huguens & ses partisans ont mis dans l'esprit de la plus part du Monde. On avoit eu pensée pour cet effet de faire un Factum de plusieurs pages, dans lequel on auroit déduit fort au long toutes les preuves que l'on a sur ce sujet, les objections que l'on y peut faire avec leurs solutions, le mauvais procedé de Monsieur Huguens, & ce qui s'est passé dans tout le cours de cette affaire: Mais comme on ne pouvoit le faire sans se plaindre hautement de quelques personnes, & sans y avancer plusieurs choses fortes & hardies qui auroient pû attirer l'envie de quelques-uns, on n'a osé le faire; ce que Ciceron a tres-bien remarqué en quelque endroit de ses Offices. | |
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Sunt enim (dit-il) qui quod sentiunt, etiam si optimum sit, tamen invidioe metu non audent dicere. On a donc jugé plus à propos de publier simplement la Production que l'Avocat qui a plaidé cette Cause a dressé pour l'instruction de Monsieur le Procureur General, de Monsieur Mandat Rapporteur, & pour celle de tous les autres Juges. Les Personnes d'un sçavoir mediocre y auront pû appercevoir que ce n'est pas sans fondement que l'on a fait cette opposition: & à l'égard des Sçavans, par ce que l'on n'a pas eu la liberté de joindre dans cette production plusieurs choses qui concernent les Sciences, on les a ajoûtées icy, afin qu'ils puissent juger plus sainement & avec une plus grande connoissance de Cause, quel est le véritable Inventeur de cette découverte. Monsieur Descartes & les autres Sçavans de qui on a quelques-fois dérobé les pensées, n'ont point cru avoir de meilleures preuves qu'en faisant voir que les Plagiaires qui se les estoient attribuées ne les avoient pas entenduës, ou que, ne les ayant donné qu'imparfaites, ils les publioient dans leur perfection & leur donnoient toute l'étenduë dont ces pensées estoient capables. Il me semble que je puis aujourd'huy à leur imitation faire voir que Monsieur Huguens n'a pas plus pénétré dans cette découverte que plusieurs Artisans qui y ont travaillé; que pour certaines raisons, je n'avois donné dans mon Ecrit qu'une partie de mon secret, & que l'autre que je m'estois reservée & que je donne presentement, n'est pas moins considerable; & qu'ensin j'ay plus medité cette Invention que luy, ou du moins que j'ay eu plus de bonheur. Les Personnes qui ont connoissance de la Pendule ordinaire, sçavent qu'à son occasion on a trouvé deux choses considerables outre la justesse de son mouvement. La premiere est une Pendule circulaire, qui n'est autre chose qu'un poids pendu à un fil qui en se mouvant décrit des cercles parallelles à l'horizon, plus pettis ou plus grands, selon que la force qui l'éloigne du centre est plus ou moins grande, & ce mouvement est continué par les rouës & les poids d'une Horloge construite de la maniere necessaire pour produire cet effet. La seconde est une mesure universelle, invariable, & qui ne périra jamais. Ceux qui ont une mediocre intelligence de l'Antiquité, sçavent que nous n'avons aucune certitude de la veritable longueur du Pied antique Romain, non plus que de la grandeur du Pied dont se servoient les Grecs & les Hebreus & toutes les autres Nations anciennes, les pierres les plus solides & les metaux les plus durs, sur lesquels ils les avoient empreints & gravez, ayant esté rongez & destruits par le temps. Il n'en sera pas de mesme de la grandeur du Pied & de toutes les autres mesures dont on se sert aujourd'huy en France & ailleurs. Car les ayant une fois déterminées par le moyen des Pendules, & selon la proportion qu'elles ont avec certain nombre de vibrations simples qui se font dans un temps déterminé, il est | |
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indubitable que pendant que l'on aura ce nombre, on aura infailliblement la juste grandeur de ces mesures en quelque temps & en quelque lieu que ce soit. Je ne m'estendray point sur cette matière, ceux qui ne l'entendront pas assez, se la pouront faire éclaircir par des personnes intelligentes. A l'occasion pareillement des Pendules de poche ou des Horloges dont le mouvement est reglé par les vibrations d'un ressort, j'ay fait deux autres découvertes. La premiere est une nouvelle Pendule, que je nomme Pendule perpendiculaire, parce que ses vibrations se font perpendiculairement. La seconde est un poids horaire universel, invariable, & qui ne perira jamais. La peine dans laquelle nous sommes de connoistre la grandeur du Pied antique Romain, de celuy des Hebreux & des Grecs revient à l'égard de leurs poids, & la diversité d'opinions dans laquelle tous nos Autheurs sont partagez pour cette mesure se trouve la mesme lors qu'il s'agit de determiner leur poids: Car s'estant servis des mesmes pierres & des mesmes metaux sur lesquels ils avoient gravé leurs mesures pour conserver ces poids, il ne faut pas s'estonner, si ces mesures estant peries par la longueur des temps, les poids se soient aussi anéantis dans la durée des siecles. J'espere qu'il n'en sera pas de mesme des poids qui sont en usage à present, car ayant une fois determiné le nombre des vibrations qu'un poids fait dans un temps donné, il est certain qu'ayant un Ressort pareil & ce Nombre de vibrations, on aura en tous lieux & en tous temps le mesme poids. La maniere de faire l'experience de ces deux découvertes est tres-facile & de nul coust; Il faut prendre une corde d'épinette ou tout autre fil de metal, de telle longueur & de telle grosseur que l'on voudra, & la tortiller ensuite sur un Cylindre dont le diamettre sera pareillement à discretion, en tel sorte neantmoins qu'il y ait quelque proportion, car le fil de métal pourroit estre si delié, & le Cylindre si gros, ou au contraire, que cela ne produiroit point l'effet que l'on souhaite. On prendra donc une corde d'Epinette de moyenne grosseur, que l'on tortillera autour d'un Cylindre de 4. ou 5. lignes de diametre, laquelle estant tortillée autour de ce Cylindre descrira une Helice pareille à celle que l'on voit dans la premiere Figure marquée A, BGa naar voetnoot14), l'extremité A sera attachée fixe en quelque endroit, & à l'autre marquée B on y mettra un poids C que l'on tirera d'abord en bas, & l'ayant laché, on le verra aussi-tost remonter de lui-mesme & descendre, puis s'eslever derechef & s'abaisser; & fera ainsi de suite plusieurs vibrations perpendicures, de la mesme maniere que le Pendule simple ordinaire fait les siennes lors que l'on esloigne son poids de la perpendiculaire. Si on prend la peine de compter les vibrations, qui se font dans un temps donné comme d'un quart-d'heure ou d'une demie-heure, on en trouvera un certain nombre. Mais si on change le poids C, on ne trouvera plus le mesme nombre de Vibrations, & il y en aura assurément | |
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plus ou moins, selon la difference du poids que l'on aura chargé; s'il est plus leger il y aura un plus grand nombre de vibrations, s'il est plus pesant il y en aura moins; & ce changement arrive toûjours, quelque petite que soit la difference des poids. Je mettrois volontiers ici toutes les experiences que j'ay faite sur cette matiere; Mais estant si faciles à executer & de si peu de coust, on aura beaucoup plus de satisfaction de les faire soy-mesme. On remarquera visiblement par ces experiences que les grandes & les petites vibrations ne se font pas dans un temps égal, & que c'est le contraire de ce qui arrive dans les Pendules simples dont les vibrations qui se font par de grands arcs employent plus de temps que celles qui se font par de petits; & les grandes vibrations de ces Ressorts en employent moins: De maniere que si on prend deux Pendules simples égaux en toutes choses, dont l'un d'ecrive un Arc de 30. ou 40. degrez & l'autre seulement de 8. ou 10. il est constant que ce dernier fera beaucoup plus de vibrations que le precedent dans un mesme temps donné: Au contraire, si on a deux Ressorts en Helice ou d'autre figure égaux en toute chose, dont l'un fasse de grandes vibrations & l'autre de petites, celuy-cy en fera moins dans un mesme temps donné, & cela s'accorde avec l'experience de toutes les Montres à Pendule qui avancent au commencement & lors que [le] Ressort est extremement bandé, & qui retardent sur la fin. Lors que l'on a mis ces Helices ou ces Ressorts en mouvement, ils font comme j'ay dit quantité de vibrations, lesquelles diminuent toûjours de plus en plus jusques à ce qu'elles soient parvenuës à leur repos, & si on en veut avoir un plus grand nombre, il faut derechef les mettre en mouvement. Mais par ce que la necessité d'estre toûjours present, est une chose incommode & tres-facheuse, aussi-bien que de compter incessamment les vibrations, & que l'on se peut mesme tromper, il faut appliquer ces Ressorts à l'Horloge, & par ce moyen on aura le nombre des vibrations qui se font dans chaque heure chaque minute & chaque seconde. Il y a tant de manieres de faire cette application, qu'il seroit inutile d'en parler, estant mesme une chose qui depend plus de l'industrie des Artisans, que de la Science de tous les Mathematiciens. Mais parce que Monsieur Huguens pour avoir trouvé une seule maniere d'appliquer les Ressorts aux Montres, m'a fait un procésGa naar voetnoot15), que j'aurois peut estre évité si dans l'Ecrit que j'ay presenté à Messieurs de l'Académie Royalle des Sciences, j'eusse fait mention de quelques manieres d'appliquer ces Ressorts que j'avois pour lors dans l'esprit, j'apprehende que luy ou quelque autre ne se serve encore de cette occasion pour m'en susciter un nouveau, soit en inventant un autre moyen de continuer le mouvement à ces Helices, soit en ajoûtant ou changeant quelque chose à leur figure. Pour à quoy obvier, je décriray icy la maniere dont je l'ay executée, & qui m'a semblée la | |
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meilleure de toutes celles que j'ay imaginées, mais je ne pense pas que quand Monsieur Huguens ou quelqu'autres en trouveroient de plus simple, qu'ils pussent pour cela obtenir avec justice un Privilege, & se dire les Autheurs de cette Invention. On sçait que toutes les découvertes, mesme les plus belles & les plus simples n'ont jamais esté trouvées dans leur perfection, & l'on ajoûte tous les jours à celles que les Anciens ont inventées, & nous ne nous en attribuons point pour cela la gloire, joint que je ne desespererois pas de les perfectionner moy-mesme si j'avois le temps & les moyens de le faire. On imagina donc une Horloge avec ses rouës, ses pignons & ses aiguilles que l'on a obmis à dessein, & qu'un chacun peut facilement supléer, pour y donner la description du balancier marqué A, B, C, D, Figure seconde qui est denté par dessous, comme une roüe de champ, avec sa verge E, F, & ses pallettes G, H. Ce balancier engrenne dans le pignon I, K, & ce pignon en tournant fait hausser & baisser la cremaillere L, M, qui monte & descend perpendiculairement. Cette cremaillere est attachée à l'extremité B du Ressort en Helice de la Figure premiere, & l'on peut mettre le poids C, à l'autre bout de la cremaillere marqué M. Ces choses estant ainsi disposées, on donnera le premier mouvement à la cremaillere, qu'elle continuëra toûjours, pendant que les poids & les cordes appuyeront sur les rouës de l'Horloge. On pourra se servir non-seulement du Ressort en Helice, mais generalement de tous les Ressorts ausquels on donnera toutes les Figures | |
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imaginables qui sont dans la Nature, pourvû quelles soient capables de faire des vibrations, on en trouvera peut-estre mesme qui auront quelque proprieté particuliere, & qui feront que les grandes & les petites vibrations s'achevent dans un temps égal. J'avois pensé pour cet effet aux Anisocycles, c'est-à-dire aux Ressorts qui forment des cercles inegaux, & que l'on a tortillé sur une Cone, & plusieurs autres, dont je mettrois icy les experiences, & ce qui arrive en se servant pour poids de boules de cuivre creux, & de celles qui sont de plomb & de bois solides & toutes les autres remarques que j'ay fait sur ce sujet, si je ne travaillois à un ouvrage dans lequel je parleray de toutes ces choses fort au long & dont voicy le dessein. Je feray d'abord la description des Horloges & des Pendules, avec la perfection qu'il me semble leur pouvoir donner, par une decouverte qui est telle qu'à la reserve de l'application du Pendule & du Ressort, je ne pense pas que l'on en ait fait une plus belle depuis que l'Horlogerie est en usage. Je m'estendray sur la proprété de ces Pendules pour les mesures universelles, & sur celle, de determiner exactement par leur moyen l'espace que parcourent dans un temps donné les Corps qui tombent perpendiculairement. J'y donneray en mesme-temps un nouvel instrument avec lequel on pourra mesurer toutes sortes de hauteurs perpendiculaires par la chute des Corps & qui aura peut estre d'autres usages. Je passeray ensuite à celles des Pendules portatives & qui sont reglées par les vibrations des Ressorts. J'y descriray toutes les manieres dont on travaille à present, avec celles que je croy avoir de particulieres & quelque perfection que je prétens leur donner plus que les autres. Je m'arrêteray pareillement sur leur proprieté d'avoir par leur moyen les longitudes, & je donneray la maniere de les connoistre, tant sur Terre que sur Mer. Je parleray en passant de l'inegalité des jours naturels, & de l'équation du temps; Je viendray ensuite aux Pendules perpendiculaires & sur leur proprieté pour le poids horaire universel; j'y respondray à toutes les objections que l'on peut faire contre ce nouveau Problême, & je feray mention de tout ce que j'ay oublié dans cet Ecrit. A l'occasion de la mesure du temps & des Horloges Automates, je traiteray de celles qui se font au Soleil, & je feray la description d'un Quadran au Soleil qui marquera les minutes & les secondes, j'y ferai aussi celle d'un Instrument Astronomique avec lequel on prendra la hauteur du Soleil & des autres Astres jusques aux minutes & aux secondes; & parce que les Lunettes d'approche sont necessaires dans ces instruments, j'y decriray une nouvelle Lunette, par le moyen de laquelle on verra 8 ou 10 fois plus d'objets qu'avec les autres, & un nouveau Microscope fondé sur le mesme principe & qui produit le mesme effet; Mais je m'arresteray particulierement sur une nouvelle Lunette, qui fera autant d'effet qu'une qui seroit deux & trois fois plus longue, & par mesme moyen je donneray la maniere de se servir des Lunettes de 150 & 200 pieds, avec autant de facilité & aussi peu de frais que l'on ferait d'une de 60 ou 80, suposé que les Ouvriers puissent parve- | |
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nir à la précision que demande la speculative, dont je ne desespere pas, étant la chose la plus facile de toutes celles ausquelles ils travaillent. Au reste je ne pretens point estre garand de l'excellence de ces decouvertes, mais seulement de leur nouveauté, lesquelles je m'assure, auront du moins autant d'utilité que la Lunette de Monsieur Newton, laquelle Monsieur Huguens exalte & éleve si haut dans le Journal des Sçavans du 29 Février 1672Ga naar voetnoot16). | |
Pieces justificatives du proces.
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qu'il auroit besoin un jour de preuves, & que ceux à qui elle apartenoit ne manqueroient pas de se la revendiquer, il obtint un PrivilegeGa naar voetnoot19) des Etats Generaux des Provinces-Unies le 16 juin 1657. qui fut enregistré sans peine, ceux qui étoient en Italie n'ayant point fait d'oposition à un Privilege obtenu en Hollande. Il fit l'année suivante un petit Livret de la description de la Pendule, qu'il dédia à Messieurs des Etats Generaux de qui il implore la protection contre les Plagiaires, & contre lequels il fait les mesmes plaintes que j'aurois droit de faire contre luy. Aussi-tost que ce Livret parut, & se fut répandu dans le monde, le veritable InventeurGa naar voetnoot20) & ceux de sa nation s'en plaignirent, & firent leurs efforts pour recouvrer leur Invention, mais il n'estoit plus temps M. Huguens en estoit en possession, & tâche de s'y maintenir encore aujourd'huy. Je sçay qu'il répond à cecy dans son dernier Livre de la Pendule, mais cette contestation estant purement de fait, je m'assure que l'on preferera toûjours l'authorité & le temoignage d'une Academie toute entiere, aussi celebre & aussi illustre qu'est celle du Grand Duc de Florence, au témoignage & à l'authorité du M. Huguens. On pourra voir dans le Livre de leurs Experiences qui porte pour Titre, Saggi di naturale esperienze fatte nell' Academia del cimento sotto la protezzione del Serenissimo Principe Leopoldo di Toscana e descrite dal Secretario di essa Academia. in Firenze. On y lit à la page 21. ces paroles. Fu stimato bene applicare il Pendolo all' Orivolo, su l'andar di quello che prima d'ogni altro immagino il Galileo, e che dell' anno 1649. messe in pratica Vincenzio Galilei suo figlivoloGa naar voetnoot21). Mais si on examine le procédé & la maniere d'agir que Mr. Huguens a tenu pour s'attribuer l'invention des Pendules ordinaires, on en verra une presque semblable pour s'attribuer celle des Pendules de poche. Il obtient un Privilege en Hollande pour celle-là, il obtient un en France pour celle-cy; il compose un Livret pour se declarer l'Inventeur de ces premieres, il fait publier cette derniere dans le Journal des Sçavans à mesme dessein. Enfin il n'y a point de difference, sinon que j'ay reconnu la beauté de mon Invention, & que je ne l'ay point abandonnée; car dans la multitude de manieres dont l'on pouvoit appliquer ces Ressorts, & dans l'impuissance où je me voyois de faire toutes les experiences qui auroient esté necessaires pour juger quelle estoit la meilleure, je n'ay point trouvé de meilleur expedient & de moyen plus authentique pour me conserver cette Decouverte, que de la presenter à l'Academie Royale des Sciences. On a signifié la copie de cette production au Procureur de Mr. Huguens il y a près de deux mois & demy, c'est-à-dire le 20. de Decembre 1675.Ga naar voetnoot22) à la quelle il n'a | |
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point encore fait de contredits, on ne pense pas aussi que Monsieur Huguens luy puisse donner des moyens d'en faire, les objections qui viennent de sa part sont si faibles, que l'on a honte de les rapporter. Je n'ay point étably de fondement sur ce que Mr. Thuret Horloger, à qui je communiquay mon Ecrit peu de jours après l'avoir presenté à l'Academie, pretend avoir appliqué le Ressort en spirale, & avoir declaré sa pensée à Mr. Huguens, parce que cela ne me touche point & ne fait rien au Procés, & estant une chose qui dépend de la bonne foy de tous les deux, je ne prefere point le témoignage de l'un à celuy de l'autre. Enfin, je ne reponds rien à toutes ces personnes, qui se vantent d'avoir fait cette Decouverte il y a 10. 15. & 20. ans, parce que cela ne le merite pas, estant facile à un chacun d'en dire autant, non-seulement de celle-cy, mais mesme de toutes celles que l'on fera à l'avenir. J'ajouteray seulement que tout ce que j'ay avancé, n'a point esté dans le dessein de choquer Mr. Huguens, qu'il y a peu de personnes qui connoissent mieux son merite que moy, & qui l'honorent plus que je fais, que la seule necessité de me deffendre m'y a engagé, & pour me servir de ses paroles mesme, Et haec quidem necessariac defensionis causa dicenda fuereGa naar voetnoot23). |
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