No 2023.
Christiaan Huygens à Constantyn Huygens, frère.
26 avril 1675.
La lettre et la copie se trouvent à Leiden, coll. Huygens.
A Paris ce 26 Avril 1675.
Vous ne devez pas trouver estrange que je ne me sois pas hastè a faire achever la montre que vous avez demandee pour Monsieur le Prince, puisque l'experience m'a decouvert, dans celle que j'ay, des inconvenients ou il est besoin de chercher remede, comme vous avez desia sceu. Pour ce qui est de l'arrest qui peut arriver par le contretemps de la secousse circulaire je n'en suis plus guere en peine, parce qu'en portant la montre comme tout le monde les porte icy, dans une petite poche proche la ceinture du haut de chausse, je trouve que jamais ce contrecoup n'arrive, et lors qu'il est arrivè a ma montre, c'estoit que je la mettois dans une poche profonde, qui estoit secouée continuellement quand je marchois et encore plus en montant des degrez. Toutefois comme en maniant la montre à la main ce mouvement luy arrive quelques fois par hasard je n'ay pas laissè de chercher a y pourvoir, et j'ay un moyen assez bon pour cela, mais voicy autre accident qui ne pouvoit estre apperceu que par longue experience; afin que vous ne m'accusiez pas de ce que je n'ay pas tout preveu et considerè dans le commencement. C'est que par le frottement des pivots du balancier, qui est incomparablement plus pesant que dans les montres ordinaires, il s'engendre de la crasse qui peu a peu en embarasse le mouvement; et peut estre quelque defaut dans l'ouvrage contribue aussi a causer par fois des foiblesses; tant y a que je trouve de temps en temps ma montre
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d'escrire touchant l'horlogerie, et quant au doute qu'il a, pourquoy la montre estant arrestée ne se remet en mouvement d'elle mesme, vous scaurez que cela est impossible, de mesme qu'a une pendule, qu'on a arrestée, à reprendre ses vibrations. S'il en estoit autrement le petit ressort du balancier ne regleroit pas le mouvement de la montre. Vous pouvez la dessus consulter MeesterGa naar voetnoot7), qui vous dira que ce point est irremediable entierement. mais il faut faire en sorte qu'il n'arrive point d'arrest. |
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voetnoot3)
- Jean de Hautefeuille, fils d'un boulanger, naquit le 20 mars 1647 à Orléans, où il mourut le 18 octobre 1724. Il était abbé et entra, en 1686, au service du duc et de la duchesse de Bouillon. Montucla dit de lui: ‘Cet abbé était un homme qui ne manquoit pas de génie, mais qui, à l'instar d'autres mécaniciens que j'ai connus, n'avoit pas plutôt imaginé et publié quelqu'ébauche grossière d'une invention, qu'il passoit tout de suite à un autre objet, annonçant d'ailleurs, souvent d'après des
idées incomplettes et peu réfléchies, des choses qu'il eût eu sans doute grande peine à réaliser.’
La Bibliothèque Nationale de Paris possède un volume contenant 22 écrits de de Hautefeuille. Nous avons pu le consulter, grâce à l'obligeance de M. Delisle. En examinant ce livre, on reconnaît que le jugement de Montucla sur la nature des inventions de de Hautefeuille est exact, mais qu'il faut faire quelques réserves quant à ce qu'il fait présumer à l'égard des facultés mentales de l'abbé. En esset, s'il est vrai que tous ces écrits contiennent des inventions restées à l'état de projet, dont l'exécution est laissée aux lecteurs, la plupart de ces projets témoignent d'une absence complète de jugement et d'une ignorance de choses même élémentaires. Dans son humeur et sa conduite, l'abbé montre une inconhérence pareille à celle de ses idées. Pour le faire voir, quelques exemples suffiront. A propos des trompettes parlantes, Gallois avait eu l'idée de faire communiquer l'embouchure avec le pavillon au moyen de quatre tuyaux au lieu d'un seul. De Hautefeuille invente un perfectionnement qui consiste à munir d'une embouchure chacun des quatre tuyaux, afin de faire parler quatre hommes à la fois. Sous le nom de pendule perpétuelle, il propose une horloge qui se remonterait d'elle-même au moyen d'une planchette de sapin, s'allongeant et se raccourcissant sous l'influence de l'état hygrométrique variable de l'air. A l'influence de la température de l'air sur la marche du pendule il veut remédier en plongeant la partie inférieure de la verge avec la lentille dans l'eau, ce qui offrirait l'avantage de faire connaître ‘la proportion de l'air à l'eau, beaucoup plus exactement qu'on ne l'a fait jusques à présent.’ Ce même moyen
pourrait faire connaître encore la proportion des différentes eaux, de l'huile, du vin et même du sang des persounes saines et malades. Pour diminuer la longueur des lunettes, sans diminuer leur effet, il propose de placer plusieurs objectifs l'un à la suite de l'autre. Il veut expliquer le flux et le reflux de la mer en ces termes: ‘Je donne à la terre un troisième mouvement auquel les sçavans n'ont point encore pensé. Je lui fais décrire autour du Soleil en un an, une Ligne Spirale que j'apelle Elliptique pour la distinguer de l'Helice & de la circulaire qui se termine à un Centre. Pendant que la terre fait un tour chaque jour, je lui fais faire deux Volutes Spirales ou quatre demi Cercles en 24. heures 48. minutes, deux grands en haut & deux moindres en bas alternativement, chacun en six heures 12 minutes.’ &c. Il invente une loterie qui sera tirée à coups de fusil en présence de tout le peuple de Paris. et ayant proposé, en 1694, de pourvoir à la rareté de l'or et de l'argent et à l'état critique des finances de l'état par l'émission de ‘rescriptions du roi’, c'est-à-dire de papier monnaie, il s'imagine être l'auteur d'un moyen dont, - ainsi qu'il s'exprime dans une requête présentée au Roi et qu'il a publiée, - Sa Majesté ‘a tiré plusieurs centaines millions quoiqu'il n'en ait jamais reçu aucune gratification.’ Dans cette même adresse il demande l'institution d'une commission pour examiner ses inventions, mais supplie le Roi que les commissaires ne soient point de l'Académie des Sciences, et il se permet les invectives les plus violentes contre de la Hire, qu'il accuse de plagiat et d'avoir empêché que ses inventions fussent examinées par l'Académie. Enfin, ayant dit
qu'il a un moyen, qui permettrait à trois matelots, assis dans un même appareil, d'observer en pleine mer les occultations des satellites de Jupiter avec des lunettes de 10, 12 ou 15 pieds, il déclare s'abstenir de faire connaître son invention, parce qu'il serait injuste qu'il donnât continuellement gratis au Public des inventions qui lui ont coûté beaucoup de peines, de veilles et de dépenses. Le privilège des pendules et des montres aurait pu, dit-il, lui rapporter, pour vingt ans, un revenu de trois ou quatre mille livres par an, le grand nombre de millions dont le Roi a profité ne lui a valu aucune gratification; il y a plus de quarante ans qu'il travaille pour le public, et le public n'a pas travaillé un jour pour lui: il ne veut plus rien donner au public. Cette déclaration est immédiatement suivie de trois nouvelles inventions, de même valeur que celles que nous avons rapportées.
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voetnoot5)
- Franz Egon von Fürstenberg, né le 10 avril 1625, mort le 1er avril 1682.
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voetnoot6)
- Wilhelm Egon, prince de Fürstenberg-Heiligenberg, frère du précédent, né le 2 décembre 1629, conseiller de l'Electeur de Cologne, qu'il mena dans l'intérêt de la France. L'empereur le fit arrêter, le 4 février 1674, à Cologne, d'où il fut conduit à Bonn, puis à Wienerisch-Neustadt pour y être décapité. Les vives remontrances de la part de la France le sauvèrent. Après la paix de Nymègue, il fut relàché et réintégré dans ses titres et honneurs. En 1682, Louis XIV le nomma Archevêque de Strasbourg, en 1688 il fut créé cardinal. Il mourut à Paris le 10 avril 1704.
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voetnoot7)
- Meester était un mécanicien, qui suivait le Prince d'Orange dans ses campagnes.
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