Oeuvres complètes. Tome III. Correspondance 1660-1661
(1890)–Christiaan Huygens– Auteursrecht onbekendNo 744.
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plus esclattant. Sur les neuf heures du matin Monsieur de St. AnnelantGa naar voetnoot4) Pere du fiancè et mon illustre personne, Pere de la femelle menames le bon seigneurGa naar voetnoot5) dans un Carosse ouuert de tous costez (de peur que les spectateurs, accourus en grande foule autour de ma maison, ne perdissent la vüe de sa belle teste frisée et poudrée à outrance) jusques dans la nouuelle eglise sur le Canal de Delf. ou ayant pris place devant la Chaire sur beaux parterres de Tapis et autres ornements de haute lisse, vers la moitiè du sermon entra la belle victime du sacrifice, menée par un jeune Gentilhomme de qualitè, parè comme un soleil à midy, et enfarinè pour le moins de deux ou trois livres de poudre. suivit Madame de St. AnnelantGa naar voetnoot6) menée par mon AisnèGa naar voetnoot7) et Madame van DorpGa naar voetnoot8) Tante de la fiancée menée par mon second filsGa naar voetnoot9), deux vielles majestueuses, et qui au moyen de la bonne grace qui leur est naturelle firent tous les derniers efforts pour suppleer au defaut de ce que l'injure d'un aage d'environ six vingts ans pour les deux avoit ravi à leurs beautez, autrefois des plus esclattantes du siecle. Ce trio s'estant placè sur des beaux sieges de velours, entrerent trois pucelles, à scavoir deux niepces de mon costèGa naar voetnoot10), et une cousine de l'autre: la premiere menée par mon troisieme filsGa naar voetnoot11), la seconde et la troisieme, chacune par un des plus hupez de nos Galants. Ces nymphes ayant pris place sur trois sieges à l'opposite du dit Trio, faisoyent la petite bouche, et les beaux yeux en escharpe, autant que chascune l'avoit estudiè à l'envi de sa compagne, et m'estoit advis que pas une des trois n'eust voulu refuser de tenir la place de la fiancée. Le sermon achevè, tout le peuple de l'Eglise hazarda bras et jambes pour monter sur bancs et sieges, afin de contempler la formalitè des benedictions du mariage, au bout des quelles les fiancez firent leur priere à genoux sur deux grands Coussins de velour Cramoisy, ou de couleur de feu, ou de nacquerat, ou de telle autre qu'il vous plaira. Au sortir de l'eglise, comme quand mes vaches vont aux champs les premieres vont devant, le Trio masculin r'entra le premier en Carosse, le Pere du mariè tenant desormais la main droicte, comme pour entrer de la part de son fils en possession de la superioritè maritale; ceremonie de haute importance, et sans laquelle l'on tiendroit tout le potage gastè. Estrange metamorphose, catastrophe deplorable! qu'en un moment le seruiteur, le Valet, l'Esclaue deuienne seigneur et maistre de la maistresse; maistresse cajolée, maistresse seruie, maistresse honorée, maistresse | |
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adorée jusques à ce triste moment. Vostre Altesse me dira, que depuis 15. ou 16. petits siecles en ça le beau sexe a bien trouué l'inuention de donner ordre à ceste corruptele et à se remetamorphoser; que Prestres et ministres ont beau prosner, beau citer loix diuines et humaines sur les devoirs de l'obeïssance feminine; que malgré rime et raison femmes sont femmes et maistresses demeurent maistresses, et maris marris, c'est à dire, beaux petits souuerains imaginaires. A tout cela, Madame, ie supplie Vostre Altesse de trouuer bon que ie ne responde qu'en haussant les espaules, la verité par trop notoire me fermant la bouche, au moins pour ce qui regarde quelques mediocres parties de l'uniuers, comme vous pourriez dire l'Europe, l'Asie, l'Afrique, et, s'il plaist a dieu, l'Amerique, car de ce costé occidental ie suis encor en attente de quelqu'aduis authentique sur ce mesme subject. Pour reuenir à nos moutons, La mariée et son train ayant repassè avec peine au travers d'une estrange presse de monde, qui faillit à souslever son carosse, au sortir d'iceluy elle fut acceuillie du Seigneur Mariè avec honneur et reverence treshumble, et menée au logis; hors des fenestres duquel il fut fait largesse de succre en telle abondance, que vous eussiez dit d'un orage de gresle; ou l'on vit coups de poing donnez pour le butin, femmes decoiffées, filles culbutées, et autres bouleversemens estranges, le sexe à cotillon ne se souciant pas de ce qu'on luy faisoit, pourveu qu'il attrappast quelque poignée de sucre. Ce bruit de rue estant passe, et la famille ayant reprins ses esprits et son haleine, ce fut à se feliciter à la foule, à coups de baiser francs et bien appuyez; en fin, baisers Apostoliques et de bonne foy, qui firent un bruict dans la sale comparable à celuy que les Chartons d'Anvers et de Bruxelle font avec leurs foüets, quand quelque douzaine de charrettes enfile les premieres rues. de là les soings du chef de cette famille (personnage peu capable de plus grand employ, mais tousjours glorieux du tiltre de treshumble seruiteur de Vostre Altesse) se porterent à visiter la sale du Festin, la table en demie potence, la propretè du linge, les couverts et leurs utensiles à trencher, à piquer et à puiser potage, le buffet et sa vaisselle, et enfin certain Theatre de beau bois blanc (afin que Vostre Altesse ne croye qu'il fut d'Ebene ou d'yvoire) pour une douzaine de violons à douzaine. Toutes ces belles choses s'estant trouuées en ordre raisonnable on eust soing d'envoyer advertir les Conviez, de se vouloir trouuer au rendez-vous sur les 3. heures apres midy, pour disner à quatre, qui semble chose un peu discordante d'avec les bonnes horologes de la ville: mais, Madame, la raison en est si fondée, qu'assurément Vostre Altesse en approuuera le mystere. C'est qu'un festin de souper retarde trop le coucher de la mariée, et un disner à heure deue pourroit l'avancer en sorte, qu'a moin que de durer 7 ou 8 heures à table, la pauure creature se pourroit veoir menée au supplice en plain jour, qui fust trouuée chose indecente, lors que le bon boiteux Vulcan print la peine de faire rire les dieux à la feste de son cocuage. A peine les 3 heures eurent sonnè, que multitude de Carosses parut autour de l'hostel nuptial, et en veit on descendre dix paires de personnes tant vefues que mariees (l'un portant l'autre) et onze couples de belle Canaille à marier. dans le premier | |
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rang du premier escadron se trouua Monsieur l'Ambassadeur de FranceGa naar voetnoot12), qui malgré l'Excellence de l'Ambassade, eut la bonté de se laisser considerer, comme le plus proche uoisin d'un costé pour la journée. En mesme consideration y parurent Monsieur de BauoijGa naar voetnoot13) et Madame sa Femme, et le tousiours vert et tousiours jeune Monsieur d'HauceriueGa naar voetnoot14), logé, comme il doibt, chez l'Amoureux. Le reste consistoit en Parens et Parentes, de ce qu'il y auoit de plus proche à la Haye: dans la salle vers le jardin se fit l'assemblee de l'host. dans celle qui regarde sur la rue la viande estant portée, l'Ambassadeur menant la mariée, et chaque galanthomme sa dame, on y trouua un premier seruice que la bienveillance des Conuiez voulut juger raisonnable, comme en suitte le second et le dessert, ces messieurs de France faisant l'honneur à nostre Illustre Maistre Jacques, de le declarer aussi entendu en son mestier, que les plus habiles tournebroches de ParisGa naar voetnoot15). Quoy qu'il en soit, ceste tablée de 42. personnes, eut la patience de s'entretenir cinq heures d'arrache pied; et quoy que la chanson à boire n'y sonna point, comme j'ay sçeu de bonne part que des belles Duchesses et Princesses l'ont chantée auec les grands Roix, les sommetiez d'HollandeGa naar voetnoot16) y ont esté pratiquez incessamment, ce que les belles Duchesses et Princesses n'ont pas fait auec les grands Roix. durant ce glorieux repas, sale plus glorieuse fut mise en ordre et parfumée et esclairée d'enuiron cinq à six mille flambeaux, pour seruir à la gambade des jeusnes gens, et apres nos dites cinq heures passées, à manger, à boire, et à baiser, tout le monde fut bien ayse de s'y sauuer de la senteur des viandes et de la chaleur d'une presse qui auoit tant duré. En suitte, apres quelque entretien pour se degourdir le jarret; Monsieur l'Ambassadeur et | |
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le reste des gens d'aage ayans pris place, la dance s'entama; et de toutes celles qui suivirent apres les Bransles, celle qui se nomme la duchesse se trouua la plus belle; ce qui me fit croire que c'estoit de celle de Lorraine qu'elle auoit emprunté le nom. A peine cet exercice eut duré deux heures, que certain galanthomme parent de l'Espoux amusant l'Espousée à je ne sçay quel tour de Courante, à l'impourveue nous la rauit, et suivi de toute la nopce, l'entraisna jusqu'a dans sa chambre, où non-obstant certaines petites gouttes de larmes virginales, soit de despit ou de joije (aux lecteurs et lectrices en soit le jugement) grande violence arriua pour la decouronner, pour voler rubans, jarretieres, cordons de souliers, et en fin pour la plumer comme fait maistre Jacques à ses pauures oiseaux qu'on va embrocher. La parure de la chambre, le lict, les Toilettes et semblables ravauderies ayant passé par la censure des plus curieux, et la pauvre condamnée eschoüé tout ce que chacun voulut produire ou pour la railler ou pour la consoler, tout fut adoucy par une nouvelle pluye d'Hypocras, et comme apres force reuerences et souhaits des serieux, les serieuses firent paroistre quelque repugnance à partir, l'Espoux ayant prix son bonnet de nuict, et s'estant fait couvrir de sa robbe de chambre tout habillé, et les filles se doubtant qu'il ne le fut pas, cela les chassa en un moment, en sorte qu'on eust dit que le Tonnerre et le diable s'escrimoyent sur l'Escalier, et ceste tempeste uenant à se fondre de plus belle, dans la sale du Bal, le Baladinage y fut continué jusqu'a 4 heures du matin: sans qu'on y vist aucune de ces filles en peine du pitoyable estat où elles auoyent laissé et abandonné laschement la triste Espousée. Au retour de la chambre nuptiale, messieurs de Thou, d'Hauteriue et d'ArminuilliersGa naar voetnoot17), aussy meschans danseurs que moy, s'auiserent sagement et auec beaucoup de prudence de prendre congé de l'hoste, auec temoignage de trop de satisfaction du peu de bonne chere qu'on leur auoit faict; et à leur exemple ledit Sieur hoste eut bien l'esprit de preferer son pauvre petit lict bleu à tant de juppes clinquantées, qui peutestre danceroyent encore, si les moins folles les eussent laissé faire. Le lendemain, Madame, j'observay soigneusement la demarche de l'Espousée, et ne trouvant pas qu'elle boistast d'un ou d'autre costé, comme on ne trouve pas dans la Bible que fist dame Eve, nostre bonne Ayeule, je sentis mon ame retourner en son repos, comme elle est encor à present en attente de ce qui nous pourra arriuer de nouveau dans quelque demie douzaine et demie de mois lunaires. Ie ne m'excuse pas de la longueur de ceste lettre: Vostre Altesse nous a voulu faire l'honneur de se souhaitter presente à ces entrefaites. Ie l'y ay menée par tous les passages que ma meschante memoire m'a pû representer. Si elle se plaint du mauvais entretien qu'elle y a receu, elle fera moins de violence à la verité que ceux qui ont pris la peine de s'en louer. car | |
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tout plein de defauts et de foiblesse que je suis, je n'ay pas celle de les ignorer, non plus que de mecognoistre la grace que j'espere que vous me continuez de me croire
Madame
de Vostre Altesse treshumble et tresobeissant serviteur. |
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