Le théâtre villageois en Flandre. Deel 1
(1881)–Edmond Vander Straeten– Auteursrechtvrij
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VII
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secrétaire du comte de Bylandt, puis devint clerc d'église à Melden, près d'Audenarde, sous le nom de Jean-George Signor. Enfin leur père, Pierre-Jean Signor, né à Melden, en 1708, fut clerc et instituteur à Sulsique, procureur de la seigneurie de Sulsique, Quaremont et Ruyen, par diplôme émané de la comtesse de Mérode, en date du 12 janvier 1755. Il s'intitula componist sur le programme de la tragédie d'Héraclius, jouée à Sulsique en 1732, paries Amateurs de la Croix, et il mourut en 1774Ga naar voetnoot(1). C'est de lui, sans doute, que les frères Signor héritèrent de ce goût ardent pour la littérature et le théâtre, qui, stimulé par un zèle infatigable, devint bientôt un des principaux moyens de propagande patriotique. SIGNOR, Jean-Baptiste, était né à Sulsique le 31 juillet 1731. A la fois botaniste habile et rimeur exercé, il fut instituteur à Sulsique et à Renaix, dirigea plusieurs sociétés dramatiques et composa de nombreuses pièces en vers, telles que tragédies, mystères, chansons de circonstance, panégyriques, etc. La plupart portent les initiales Z.K. Sa devise anagrammatique était Poësi baert gans in jonst, ce qui veut dire: Poésie porte toute faveur. Comme spécimen de son talent de versificateur, nous donnons, aux annexes, quatre chansons de lui, composées à l'occasioh de représentations. La première se rapporte à la tragédie: le Siége de Vienne, jouée à Etichove, le 5, 6 et 7 octobre 1755Ga naar voetnoot(2)aant.; la deuxième a trait à la pièce d'Euphémie, donnée à Nukerke le 20, 21, 27 et 28 août 1769aant.; | |
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la troisième concerne la tragédie d'Eustache, jouée à Etichove, le 1, 2, 8 et 9 octobre 1769aant.; et la quatrième regarde le drame: Béatrix, représenté au château de Renaix, au mois de septembre 1773Ga naar voetnoot(1).aant. Ce sont de véritables comptes-rendus de ces solennités. Quant aux couplets de moindre importance, composés de pied levé, op de vuist, ils n'ont d'autre mérite que la facilité du rhythme et la lucidité toute flamande des pensées. L'exiguïté de leur étendue nous permettra d'en reproduire ici deux: l'épithalame d'un maçon et l'apologie d'un tailleur. Voici la première: Nieuw Liedeken tot lof van Joannes-Baptiste Cabooter, meester metser tot Sulsicq.
Op de wyse: Lieven neve, trouwt geen weve. 1e Claus.
Musicaelen
Wilt afdaelen
Van Parnassus-berg bekent,
Om u stemmen
Te doen clemmen
Tot in 't hooghste firmament.
Uwe chooren,
Laet die hooren
Door u lieffelycke tael;
Dry mael drye,
Zy aen sye,
Comt dan musen al te mael.
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2e
Comt getreden
Hier beneden,
Musicanten van het hof;
Helpt my conden
En vermonden
Aen de metsers hunnen lof;
Want hun wercken,
Soo wy mercken,
Veel ambachten overromt.
Daerom 't saemen,
Naer betaemen,
Geeft hier lof die hun toekomt.
3e
Bringt laurieren,
Om te cieren
Hun romdaedelyck trauweel;
Want schoon wercken,
Soo wy mercken,
Comt door dit tot staet geheel.
De casteelen
En prieelen
Van de metzers wordt gemaeckt;
Huysen, kercken,
Schoone wercken,
Door 't trauweel in luyster blaeckt.
4e
Voor het leste
Doet u beste,
Offert Godt altydt uw werck,
Tot syn glori
En victori,
Daerdoor bloeydt d'heylige kerck.
Gy suit erven
En verwerven
Naer u doodt het hemelryck.
Doet myn raeden,
'T sal niet schaeden,
'K blyf u dienaer al gelyck.
- Door een herteclyke genegentheyt tot UE. eenpaerig.
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La deuxième chanson est celle-ci: Liedeken tot lof van Pieter-Anthone Scheldewaert, klêermaecker tot Zulsicq.
Op de wyse: ‘Wat is de weirelt loos.’ 1.
Komt, sanckgodinnen al,
Met lieffelyck geschal,
En singht te saem met vrê
Een nieuwen menuë,
Op een musicaelen thoon,
Geheel constig ende schoon,
En croont daer mê te gaer
Kleermaecker's edel schaer.
2.
Het snyden, schoone const,
Dat is nu oock begonst,
Door een in naem vermaert,
Anthone Scheldewaert,
Die nu snydt en naeydt precies
En tot gerief hy hier oock is,
Op Sulsicq by 't gemeen,
Ten dienst van groodt en cleen.
3.
Daerom dan al gelyck,
Soo aerm ende ryck,
Wilt gy een nieuw fatsoen,
Om aen u lyf te doen,
Voor de hit of voor de kouw,
Bringt Anthoon de stof al gouw,
Dat sal syn haest gemaeckt,
Als hy aen 't werck geraeckt.
4.
Geluckig is een stadt
Of prochi boven dat,
Die g'heel wel syn voorsien
Van sulcke ambachts lien,
Die hier wercken, jaer voor jaer,
Kleeren voor ons al te gaer;
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Waervoor ick, boven dat,
Hem wensch proficiat.
Het eynde van dit liet,
Maer van ons vriendschap niet.
UL. dienaer, hebt gy nog iet van doen. Os cordi concordat.
Sa compilation du Martyre d'Eustache ne renferme pas moins de deux mille cent soixante-dix vers. La dédicace en contient cent quatre. Adressée au baron d'Exaerde, seigneur d'Etichove, La Deuze, etc., elle fait énergiquement allusion au décret prohibitif promulgué, en 1663, contre les sociétés dramatiques du pays. Le poëtey prend le ton de l'ode, et montre, au début, l'Hélicon précipité dans le gouffre et Apollon chargé de chaînes par les calomniateurs de Momus. Pénétré de sa mission civilisatrice, fier de ses prérogatives, il semblait dire de sa souveraineté littéraire ce qu'un roi disait jadis de sa couronne: Gare à qui la touche! Arrêtons-nous un instant à la tragédie d'Eustache. Elle nous donnera la mesure du talent dramatique de Jean-Baptiste Signor. Le sujet légendaire est simple et touchant. Eustache se nommait Placide avant sa conversion. Il était si fameux dans l'art militaire, que l'empereur Trajan lui donna le commandement général de sa cavalerie. Étant à la chasse, il aperçut, entre le bois d'un cerf, l'image du Christ crucifié, et il entendit une voix qui l'avertissait de se faire chrétien. En recevant le baptême, il fut nommé Eustache. Trajane, sa femme, eut le nom de Théophista, et ses deux fils furent appellés Agapite et Théophiste. Quelque temps après, il retourna à la même place, où il entendit la même voix qui lui prédit toutes les afflictions qu'il devait souffrir pour l'amour de Dieu. Il les endura avec beaucoup de patience, et bientôt, se voyant réduit à une extrème misère, il s'enfuit clandestinement. | |
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Arrivé sur les côtes d'Égypte, les pirates enlevèrent sa femme, et il perdit malheureusement ses deux enfants. Dans cette étrange conjecture, il se mit en service chez un riche laboureur, où il demeura près de quinze ans, jusqu'à ce que l'empereur Trajan, ayant pro mis de grandes récompenses à ceux qui découvriraient la retraite de Placide, deux officiers le trouvèrent enfin et l'amenèrent à Rome. Dès qu'il y fut arrivé, l'empereur lui donna la conduite d'une armée, pour aller réduire des sujets de l'empire qui s'étaient révoltés. Eustache gagna la bataille, et remit ces peuples sous l'obéissance des Romains. Après cette victoire, il reconnut sa femme et ses deux enfants, qui étaient dans son armée. Ce fut une rencontre prodigieuse, qui les remplit tous d'admiration et de joie. L'empereur Adrien, successeur de Trajan, reçut Placide avec beaucoup de témoignages de joie et d'affection, et lui décerna l'honneur du triomphe. Il ordonna aussi que l'on fît un sacrifice solennel aux dieux pour leur rendre des actions de grâces de cette victoire. Eustache, ayant été demandé par l'empereur, lui déclara qu'il était chrétien, et qu'il ne devait rendre grâces qu'au vrai Dieu. Adrien, irrité de cette réponse, et le voyant constant dans la foi, tâcha, par la voix de la douceur, de l'attirer à lui. Mais, sentant que ses prières étaient inefficaces, il le condamna au feu, ainsi que sa femme et ses deux enfants. ‘Ce fut pour eux un heureux supplice, où ils finirent saintement cette vie mortelle, pour ensuite recevoir l'éternelleGa naar voetnoot(1).’ On conçoit qu'une donnée offrant des ressources dramatiques si naturelles et si vraisemblables, ait tenté la verve de plus d'un littérateur. Les pièces qui surgirent, avant le | |
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xviie siècle, sur cette légende, nous sont inconnues. Au fait, elles ne méritent peut-être pas l'examen. Il nous suffira de nommer la tragédie de Pierre Smidts, médecin, laquelle parut à Bruges en 1697, et qui servit de type à toutes celles qui se produisirent depuis. L'oeuvre a un mérite réel comme drame, et, n'était un soin trop assidu donné à l'agencement factice des rôles, et substitué à l'expression vive et colorée des caractères et des situations, il n'y aurait que des éloges à décerner à l'écrivain. Elle fut représentée maintes fois, non-seulement sur les scènes villageoises, mais aussi sur les théâtres des grandes villes. On en fit deux éditions, à Gand, dans la deuxième moitié du xviiie siècleGa naar voetnoot(1). D'après J. Droomers, rien n'est aussi parfait que l'oeuvre de Smidts. Il la compare à tout ce que Vondel a produit de plus beau en ce genre. ‘Smidts, dit-il, c'est Vondel lui-même.’ Une imitation française de la même tragédie parut à Menin, en 1735, au collége de saint Jean-Baptiste. Cette imitation offre des différences assez sensibles, tant dans l'ordonnance du plan que dans l'arrangement des détails. Le dénoûment surtout est modifié, assez malheureusement selon nous. Dans la pièce de Bruges, après la promulgation de la sentence de mort, Othon, ami intime de l'empereur Trajan, supplie celui-ci de conserver Eustache, pour les services | |
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éminents qu'il a rendus et qu'il peut rendre encore à la patrie. L'empereur, touché des supplications de son confident, donne ordre de suspendre les apprêts du supplice. Mais, c'est trop tard; Eustache n'existe plus. Ce qu'apprenant le souverain, la démence s'empare de lui. Il perce de son glaive Arcas, l'un des généraux qui avait remplacé Eustache et qui était venu annoncer la fatale nouvelle. Il essaie d'attenter à sa propre vie, mais ses courtisans l'empêchent d'exécuter son sinistre projet, et il est ramené dans son palais. Une tragédie d'Eustache, modelée en partie sur celle de Smidts, parut sur la scène d'Elverdinghe en 1773. Là encore le beau dénoûment est modifié, et la pièce, grâce à de notables suppressions, est divisée en trois actes. Les tragédies de Menin et de Bruges en ont cinq. Enfin, une tragédie d'Eustache fut mise en vers par les confrères de la Marguerite d'Audenarde, et jouée par eux, en 1754. Une autre fut représentée par les élèves de la congrégation de l'oratoire, à Renaix, en 1757Ga naar voetnoot(1). Elle portait le titre d'Eustachius en Trajana, echtgenooten en martelaers. D'après le docteur Vander Meersch, la tragèdie des Kersouwieren, de même que la pièce: Het overrompeld Audenaerde, sont dues à la plume de Pierre Vincent, poëte de la localité. L'exact et consciencieux historien ajoute que, jusqu'à ce jour, aucun exemplaire n'en a été vuGa naar voetnoot(2). Nous regrettons cette perte, car elle nous eût éclairé, en bien des points, sur l'oeuvre de Jean-Baptiste Signor. Faut-il le dire? Signor a copié presqu'en entier la tra- | |
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gédie de Smidts. Il s'est borné à changer l'orthographe de son modèle, à retourner quelques vers, manie malheureuse que nous ne pouvons nous défendre de blâmerGa naar voetnoot(1), et à raccourcir les longs monologues, moins par goût peut-être, que pour ne pas mettre trop rudement à l'épreuve la mémoire de son personnel scénique. Passe encore ce demi-vers du rôle de l'empereur: Ik zwym van vrees en schroom...
que le compilateur a modifié ainsi: Waervoor ick vreesig beef...
pour éviter un calembour dont la pointe menaçait probablement un vieux confrère, chargé du personnage de Trajan. Avions-nous tort de dire que l'imprésario de village était un pirato? Les cinq premières scènes de la tragédie compilée de Signor n'apparaissent point dans l'ouvrage de Smidts, du moins l'édition que nous avons sous les yeux en est dépourvueGa naar voetnoot(2). Ces scènes introductives existent-elles dans l'édition originate de Bruges, qu'il est impossible de retrouver aujourd'huiGa naar voetnoot(3), ou Signor les a-t-il empruntées à la pièce originale d'Audenarde? S'il a eu recours au plagiat, ce ne sera point vraisemblablement dans les scènes où il est question de munitions de poudre et de plomb, et où surgit un exercice au fusil, commandé par un adjudant. Donnons une traduction de cette dernière; elle caractérise le genre purement villageois, et elle nous permet de juger, par induction, de ce qu'ont pu être les tragédies | |
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sorties de pied en cap, comme la Minerve de la fable, du cerveau de nos littérateurs campagnardsGa naar voetnoot(1): L'Adjudant (romain). ‘Çà! hommes, tant que vous êtes, attention! je vais vous apprendre l'exercice au feu. Écoutez bien mes paroles, pour que vous sachiez bien tous les mouvements voulus. Prenez donc votre fusil. Nous voici en campagne. Rangez-vous. Veuillez placer vos pieds ainsi... Le chapeau un peu enfoncé sur la tête... Prenez garde!... Présentez l'arme!... Baissez l'arme... Ah! cela est bien... Maintenant, demi-tour à droite... à gauche... Repassez doucement l'arme!... Bas l'arme!... Placez-vous sur une seule ligne... Allons!... en avant!... Halte!... Préparez-vous au tir... Couchez en joue... Ensemble... Feu!... (Détonation.) Votre exercice est bon; j'en suis ravi. - Maintenant, amis, je vais vous conduire au palais de l'empereur, pour lui dire que vous êtes tous prêts à combattre pour sa couronne.’ Voilà, proh pudor, la scène que Signor a tirée de son propre fonds. Cela est bien aussi ridicule que ce peintre villageois, auteur d'un Sacrifice d'Abraham, où le généreux père est armé d'un fusil, qui, au moment de faire feu, reçoit, d'un ange suspendu dans les airs, certaine rosee peu céleste, pour humecter la poudre d'amorce dans le bassin de l'arme. Toutefois, nous le répétons, cela met la rhétorique campagnarde à nu, et il était impossible d'exiger mieux de gens qui n'avaient qu'une faible teinture d'instruction. SIGNOR, Pierre-Joseph, porta pour devise anagram- | |
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matique: Hun is poësis opregt rust. Poésie leur donne parfait repos. Né à Sulsique, le 9 septembre 1750, il fut successivement instituteur à Oycke, Avelghem, Deerlyk et Nukerke, dirigea plusieurs associations dramatiques, et produisit quantité de pièces scéniques et de poésies de circonstance. L'argument, farci de chronogrammes, de la tragédie d'Euphemia, jouée à Moen, en 1789, porte sa signature en toutes lettres. Occupé à surveiller l'érection d'un théâtre à Hoorebeke, il fut atteint par la chute d'une échelle, et mourut, peu après, le 29 octobre 1804. Ses pièces portent le monogramme: Z.K.Z. Il n'en est point, croyons-nous, qui soient originales. Parmi celles qu'il a mises en vers, on distingue: Meza, roi de Moab, joué à Ingoyghem, en 1784; Temerarius et Cléomède, représentés à Deerlyk, en 1787; le Martyre de sainte Agathe, joué à Nukerke, en 1797; Bélisaire, joué à Asper, en 1798; Levée du siége de Hal, mise en vers alexandrins, et jouée, pour la première fois, à Kerkhove, en 1801. C'était un lutteur infatigable contre les déplorables tendances françaises de son pays. Le prospectus d'une pièce représentée à Worteghem, sous sa direction, en 1778, renferme ces mots: ‘On donnera une farce satirique sur les sottises actuelles du monde, ainsi qu'une comédie intitulée Le guet-à-pens matrimonial, ou le Français dupé, dont l'interprétation sera confiée à quelques rusés flamands. Elle a été nouvellement mise en rimes, et porte pour devise: Met den Franschman en de sotten,
Komt de Vlaming meest te spotten.’
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Autrement dit: Des Français et des sots, le Flamand aime surtout à se railler. Pierre-Joseph Signor s'intitule, sur le programme d'une représentation d'Eustache: ‘Instituteur enseignant la parfaite littérature.’ Hélas! ce qu'il pouvait peut-être enseigner à la perfection, le brave homme, c'était la facture des chronogrammes simples ou complexes, droits ou circulaires, entrelacés ou non entrelacés. Dans ce métierlà, il était passé maître par excellence. Un programme de 1782, dû à sa plume, ne contient pas moins de trentehuit chronogrammes. Tant d'efforts dépensés en pure perte, une aussi fatigante et bizarre manie, détournaient ces deux soutiens de la littérature villageoise du but véritable de l'art, qu'ils ne semblent n'avoir pas même entrevu dans aucune de leurs productions. Qu'est-ce qu'une centaine d'acrostiches, de légendes cryptographiques, anagrammatiques, chronogrammatiques, mise en regard d'une tirade heureuse, d'une situation piquante, d'une scène pathétique? Disons-le sans détour: les deux frères Signor, aussi bien que leurs collègues et leurs successeurs, n'eurent pas assez de talent pour fronder la routine et pour discerner le médiocre, le rabattu, le vulgaire, du beau, du neuf et du sublime véritable. Ils dédaignèrent les bons modèles, et Vondel probablement ne leur était guère connu. Cats l'était bien certainement, vu que certaines pièces, écrites dans le goût de eet auteur, in den Catischen rymtrant, ont été jouées sur les théâtres villageois. En tout cas, les routes du coeur étaient ignorées; on se complaisait dans un froid et insipide galimatias; les termes les plus outrés passaient pour des prodiges d'esprit. SIGNOR, Charles-Joseph, un des enfants de Pierre- | |
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Joseph Signor, se lança également dans la carrière de directeur de théâtre, organisa différentes représentations à Nukerke, Etichove, Eyne, Leupeghem, Bever, Sulsique, et fit jouer à Renaix, en 1822, la Conversion et le martyre de saint Hermès, grande pièce qui lui valut, plus tard, la nomination de directeur de la société Thalie. Instituteur et arpenteur à Renaix, il occupa le poste de secrétaire de l'association des instituteurs du district d'Audenarde, sous le gouvernement provisoire. Il adopta pour devise anagrammatique: Sa, nu ivrig voor de const! que nous traduirons par: Ça, de l'ardeur pour l'art! Entraîné, par le goût du jour, dans l'organisation des spectacles à trucs, importés par les troupes ambulantes de France, il en farcit tellement ses représentations, que le spectateur aura dû se croire plutôt dans une baraque de saltimbanque que dans un lieu consacré aux muses, lesquelles pourtant sont invoquées, à tout propos, par l'imprésario Signor. Pour la représentation de la tragédie de Bellérophon, donnée à Leupeghem, en 1798, on déploya une mise en scène inouïe jusque-là dans une simple commune. On y vit des ‘ballets de vierges (sic), d'arlequins, de sauvages, des feux d'artifices et des décors réclamés par les diverses situations de la pièce.’ Cela valait mieux, assurément, que les assommants chronogrammes entrelacés ou libres de Joseph Signor. La vue, du moins, était éveillée, sinon satisfaite. Après la vaillante familie des Signor, vient naturellement une troupe nombreuse de satellites, rimeurs pédantesques et obscurs auxquels une mention honorable est due, à raison des efforts qu'ils ont faits pour conserver et entretenir l'esprit national. C'étaient, répétons-le, les gardiens vigilants de la langue maternelle, cet héritage sacré du | |
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peuple. Les tirer de l'oubli, c'est fournir un élément de plus à ceux qui veulent étudier l'histoire de nos ancêtres, sous tous leurs aspects. Comment s'asseoir en idée au foyer domestique du peuple, comment participer en imagination à ses fêtes, comment chanter ses refrains, réciter ses légendes, assister à ses ébats dramatiques, sans avoir à compter avee ces hommes actifs et laborieux qui en constituaient les principaux promoteurs, et qui, dans les limites de leurs fonctions modestes, ont apporté, sans le savoir peut-être, un tribut fort honorable à la réédification de notre nationalité? Car, si le rêve de nos ancêtres était la liberté, il est constant que l'unionisme n'existait qu'instinctivement parmi nos populations, surtout parmi celles des campagnes. ALLEGAERT, Pierre-Martin, organiste à Mullem, est auteur de l'argument et fut peut-être directeur de la tragédie de Saint Étienne, jouée à Mullem, en 1776, comme le constate ce quatrain boiteux: Naer-reden
Gestelt door onzen organist,
Wilt hem verschoonen dezen keer,
En heeft hy ergens in gemist;
Want hy heeft zulkx gedaen niet meer.
BAERTSOEN, Jacques, rimeurGa naar voetnoot(1) à Avelghem et à Lokeren, est auteur de la pièce d'Abraham, jouée sous sa direction à Nazareth, en 1769, et à Auwegem, en 1777, ainsi que de la tragédie: la Conversion d'Achat, représentée à Heurne, en 1774. BONNÉ, Pierre-Jean, rimeur, adopta pour devise ana- | |
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grammatique: U jonsten beparen ons, Vos faveurs nous unissent, et dirigea les représentations d'Oswald, pièce de sa composition, à Harelbeke, en 1753, à Deerlyk, en 1775, à Deurle, en 1776, et à Peteghem, en 1780, avec grand succès. C'était un amateur effréné de l'acrostiche. BOSSUYT dirigea, en 1774, à Sweveghem, Théodore et Angèle. Il habitait Knocke, où il était maître d'écoleGa naar voetnoot(1). BULTEEL, Gérard, rimeur et joueur de marionnettes à Ooteghem, dirigea les représentations de la pièce du Saint-Sang, à Kerkhove, en 1776, d'Ommecomna, vierge et martyre, à Ooteghem, en 1777, et de la pièce mystique le Diable, l'esprit et la chair, à Landuyt, en 1786. Il signe parfois en caractères cryptographiquesGa naar voetnoot(2). CAEKEBEKE, Jean-Bernard, conduisit à Oosterzeele, en 1796, Satan, Adam et Ève, comme le témoigne une inscription à lettres rétrogrades, ainsi conçue: ‘Siet gy, Rhethoricke ieveraeren, ik blyf alhier van u den leegsten uws dienaeren, Joannes-Bernardus Caekebeke.’ CLAEYSENS, Martin, instituteur à Sweveghem, mit en vers et arrangea pour la scène la Vie de l'apôtre saint Jacques, jouée sous sa direction, à Ooteghem, en 1766. CRISPYN, Pierre-Jacques, rimeur, adopta pour devise: De deugd baert vreugd, en nyt baert stryd, vertu amène joie et envie amène lutte. Il est auteur de la pièce Godefroid de Bouillon, dont il dirigea la première représentation à | |
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Bever, en 1770, de la Mort de sainte Anne, mise en scène à Peteghem, en 1774, et de la Mort de saint Marcou, exhibée en 1777; il présida aux représentations des pièces suivantes: Hildegarde, à Etichove, en 1756, les Gueux à Audenarde, à Peteghem, en 1760 et 1773, Iphigénie, audit Peteghem, en 1761, le Rosaire et Aquilonius, à Kerkhove, en 1767 et 1766, les Victoires de Charles VI, à Mooreghem, en 1776, Oswald, à Peteghem, en 1780, et d'autres pièces, en 1761, à Ingoyghem, en 1775, à Mooreghem et à Worteghem. Citons encore la tragédie d'Aquilonius, donnée, sous sa direction, à Peteghem, en 1779. Pierre-Jacques Crispyn déclare ètre l'ami du naturel et de la clarté, et, bien que doué de la science nécessaire, il préfère offrir au public un argument dénué de toute complication, et facile comme un refrain, effen uyt gesongen. CRISPYN, Pierre-Joseph, rimeur à Peteghem, dirigea la représentation de Conrad et Lupold, à Elseghem, en 1739, de Saint Hubert, à Caster, en 1751, d'Aquilonius, à Bever, en 1753, et de la Mort de Balthazar, à Peteghem, en 1755. Il s'intitula componistGa naar voetnoot(1). DE FOORDT, Pierre, rimeur à Moen et à Waereghem, dirigea les représentations de l'Installation du Rosaire et de la farce d'Hans Köelenbloet, à Heestert, en 1728, du Martyre de saint Cornil, à Ooteghem, en 1732, et de Geneviève de Brabant, audit Ooteghem, en 1756. Cette dernière fut mise en vers par De Foordt. Peut-être l'autre aussi émanet-elle de lui, car il se dit componist dans un vers qui termine l'argument: Ulieden dienaer soo 't behoort,
Blyft componist Petrus De Foordt.
DEGROOTE, François-Tiburce, rimeur et vendelmaeker | |
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à Syngem, est auteur de Solomé, mère des Machabées, pièce nouvelle dont il dirigea la première représentation à Asper, en 1768. Il présida aux représentations de Saint George, à Syngem, en 1769, du Saint-Sang, à Eecke, en 1773, d'Abraham et la Destruction de Sodome, de l'Empereur Maurice, à Asper, en 1776, de la Passion, à Syngem, en 1774, du Saint Rosaire, pièce nouvellement composée par lui, au même village, en 1767: Dit is nieuw gecomponeert,
Daerom my verexcuseert;
et des Victoires de Marie-Thérèse, à Vurste, en 1777. DELANGHE, Charles, rimeur et clerc d'église à Nokere, y dirigea les représentations d'Anne Boulen, en 1743. Il organisa encore celles de David, à Anseghem, en 1751, de Néron, à Worteghem, en 1754, et d'Abraham à Nokere, en 1763. Les deux dernières pièces furent mises en vers par De Langhe, ainsi que la moralité: les Adorateurs glorieux du Très-Haut, exécutée pour la première fois à Nokere, le 5 septembre 1773. DELBEKE, Joseph-Hubald-Alphonse-Bonaventure, dirigea la représentation et rédigea le programme de Cobonus et Peccavia, à Heestert, en 1783. Il excellait en cryptographie. Était-il gentilhomme? Voici, du moins, ce qu'il écrit à la fin de l'argument de Cobonus et Peecavia: ‘Compositum à me jonker Josephus, Ubaldus, Alphonsius, Bonaventura Delbeke.’ Son origine aristocratique le dispensait sans doute de savoir le latin. DEMETTER, Josse, a rimé le Martyre de saint Vincent, selon la déclaration expresse qu'il en fait lui-même, à la fin de l'argument: ‘In rym gestelt door Joos Demetter, tot Haelbeke (sic).’ Cette pièce, représentée à Heestert, en 1731, était entremêlée d'une farce, où nous voyons les | |
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personnages de: Madelon, Drinckaluyt, Gadelan (wallon), Grimbolin (magicien) et Van Geelant (bailli). Le même directeur a mis en rimes la Conversion de Marie-Madeleine, jouée à Moorslede, en 1733, et entremêlée d'une farce comprenant les personnages de: Griete, Hauten, Loeten, Luycken, Ronsken, Capiteyn, Moustafa, Laberlote. DEMEULEMEESTER, Jean-Baptiste, dirigea à Caster les représentations du Saint Scapulaire, en 1777, de Procope, en 1787, avec la devise: Ars non habet inimicum nisi ignorantemGa naar voetnoot(1). Il signe l'acrostiche suivant, qui prouve qu'il est l'auteur d'une farce jouée, pour la première fois, à Caster, après la pièce de Procope, en 1787: Komt al naer Caster toe, die wilt ons klucht aenschouwen,
Liefhebbers jong en oud, knecht, meyt, mannen en vrouwen,
U sal een seldsaem stuk 'twelk maer nieuw is gedicht,
Claer voor de eerste reys gebrocht worden in 't licht.
Hoe wel 't sien geld moet kosten, nog suldet niet beklaegen,
Terwyl gy noyt en hebt, en al u levens daegen,
S' gelyks ergens gesien, nochtans het maer en is
Puer een versierde saek, maer geen geschiedenis,
Een saeke, seg ik weer, die voor 't plaisier is maer
Louter voor ons gemaekt, waer mê 'k blyf u dienaer.
J.-B. De Meulemeester.
Il conduisit, en outre, la tragédie d'Eustache, à Tieghem, en 1788. DE RYCKE, Pierre-François, directeur à Ingoyghem, y présida aux représentations du Saint Rosaire, en 1772, de la Sainte Croix et de Clovis, en 1777. DE SCHEPPER, Jean, instituteur, conduisit, à Seevergem, en 1777, la tragi-comédie de Conrad et Lupold. | |
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DEVOS, Pierre-Gilles, dirigea la représentation d'Abraham, à Ingoyghem, en 1781. DEWAELE, Constantin, présida à la représentation d'Ommecomena, à Heurne, en 1770. L'argument porte un épilogue, naerreden, de lui. DEWINNE, L., dirigea la pièce de Clotilde à Oostacker, en 1782, comme l'atteste l'acrostiche: Lezer, 'k heb 't argument zoo kort als 'k heb gekonnen
Dweers op 't papier gebragt: misschien heb ik gewonnen,
En ook boven die Lîen, die meynen dat iet goet
Wilt in het lang en breed geschreven zyn, en moet.
Indien ik met een word kan zeggen myn gedagten,
Nochtans 'k gebruyker twee, 't is eene faut te agten,
Nut voor die is geleerd, of wel geleerd wilt zyn;
Ey! nemt dit Dicht in dank, al is het byster kleyn.
DUPONT, P.-François, maître d'école, composa une pièce nouvelle: le Siége de Vienne, jouée en 1742, par les confrères de la gilde de Saint-Éloi, à Menin (extramuros). L'argument porte: ‘Nieuw ghecomponeert door P. Franç. Dupont, schoolmeester.’ GOSSEY, Pierre, rimeur et directeur à Zele, adopta pour devise: G'eert sy poesi, honneur à la poésie, et organisa la représentation d'une pièce de sa composition: La victoire de Charles-Quint sur Barberousse, à Saint-Onolfsdyk et à Zele. Il est auteur d'une comédie intitulée 's Weirelds bedrog, afgebeeld door Selenus, landsman, et qui eut deux éditions, l'une chez J.-F. Kimpe, l'autre chez L. Van Paemel, à GandGa naar voetnoot(1). Pierre Gossey est nommé ‘poëte et directeur de spectacles’ dans l'opuscule: Beschryvinghe van Zele (Termonde, 1775). A cette époque, Zele comptait huit instituteurs, qui étaient vraisemblablement autant de | |
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rhétoriciens ardents; c'étaient, en dehors de Pierre Gossey: Gilles Vandenabeele, Daniel Waterschoot, Joseph Vermeire, Josse Vandendriessche, Adrien-François Gossey, François Landuyt, Pierre Verhent, Thomas Thienpont. HERMAN, L., dirigea les représentations de Rooborst, en 1771. HOLLEMART, Pierre, conduisit la Défaite de Soliman, à Avelghem, en 1752. JANSSEN, Guillaume, dirigea les représentations données à Boucle-Saint-Blaise et à Maeter, en 1770. KIMSAQUE, Liévin, rimeur à Nazareth, fit jouer, pour la première fois, la pièce de sa composition: David et Goliath, à Eecke, en 1756. L'argument porte cette annotation manuscrite de J.-B. Signor: ‘Livinus Kimsaque, by d'Eemolen tot Nazareth, heeft dit spel ghecomponeert.’ LAFAUT, Ignace-Jacques, rimeur à Oyghem, est auteur de la tragédie: Primislaus, tirée d'Énée Silvius, et jouée, sous sa direction, à Wiëlsbeke, en 1786. Il conduisit aussi, en 1775, à Deerlyk, la pièce d'Oswald, rimée par De Bonné. POULART, Pierre, directeur à Everbecq, présida à la représentation du Jour de Tribulation, à Ghoy, en 1787. RAVESTEYN, Jérôme, rimeur, natif d'Ooteghem, est auteur de Naboth, pièce nouvelle, et d'Athalie, dont il dirigea la première exhibition à Avelghem, en 1779. Athalie fut rimée à la prière des rhétoriciens d'Ooteghem. RODRIGOS, P.-F., maître d'école à Assenede, y dirigea, en 1769, la pièce de Joseph. ROMMENS, P., rimeur à Heestert, est auteur du Martyre de saint Sébastien, dont il organisa la représentation à Ooteghem, en 1751, et fit jouer, dans ce même village, une pièce nouvelle de David, en 1737. SEEUWS, Jacques, directeur à Peteghem, présida à la | |
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représentation de plusieurs tragédies dans ce village, et notamment en 1774. STYNS, Jean-François, de Quaremont, conduisit la pièce de Cobonus et Peccavia, jouée à Berchem, en 1801Ga naar voetnoot(1). TAILLIE, Vital-Ambroise, instituteur, dirigea la représentation de Thomas Morus, à Vichte, en 1761, et celle du Martyre des saints Crépin et Crépinien, en la même localité, en 1764. TANGHE, Jean-Baptiste, rimeur à Heestert, est auteur du Martyre de saint Étienne, qu'il fit mettre en scène à Ooteghem, en 1769. Il organisa, en outre, la première représentation de la tragédie de Théodore et Angèle à Heestert, en 1785. Jeune rhétoricien très-habile dans l'art de la cryptographie. TOMME, Pierre-Joseph, directeur, présida aux réprésentations d'Iphigénie et Oreste, à Peteghem, en 1761, et y fit jouer, en remplacement de son collègue Crispyn, la pièce de Joseph, en 1782. Il était encore directeur à Peteghem, en 1797. Il conduisit aussi les représentations de Goliath et de Temerarius, à Berchem, en 1802. VANDENHENDE, Jean-Baptiste, rimeur et instituteur à Renaix, dirigea les représentations de la pièce de Saint George, à Opbrakel, en 1783Ga naar voetnoot(2). VANDEWALLE, Jean-Baptiste, à Iseghem, rima la pièce intitulée: La mort de saint Silvestre, la conversion de Constantin et le martyre de saint Timothée, et jouée à Ingelmunster, dans la première moitié du xviiie siècle. Le programme, un des rares documents de ce genre sans date, | |
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porte: ‘Op rym gestelt door Jan-Baptist Vandewalle, tot Iseghem.’ VANHAEVERBEKE, Joseph-Silvestre, mit en rimes la pièce de Josaphat et Barlaum, jouée à Ledeghem, en 1738. L'argument porte: ‘In rym gestelt door Joseph-Silvestre Van Haeverbeke.’ VAN TIEGHEM, Josse, directeur à Caster, fit jouer la Passion, à Waermaerde, en 1764. VERROKEN, Martin, rimeur, dirigea les représentations de la pièce du Saint Sang, à Melden, en 1772. VOLCKERICK, J.E., conduisit la tragédie de Marie-Thérèse, en 1782, à Sinay. Les imprésarios, dont le nom précède, ont été recueillis, en grande partie, sur les pièces mêmes dont la représentation leur a été confiée, ou sur les arguments confectionnés par eux. Sans le soin qu'ils ont pris de se faire connaître, il est probable que la plupart étaient voués à un irréparable oubli. Le mal n'eût pas été grand sans doute, si on les considère isolément. Mais, quand on les envisage dans leur ensemble, le contingent qu'ils fournissent aide à compléter le tableau que nous avons voulu esquisser. Voici maintenant les principaux, écrivains campagnards que les livres et les revues ont célébrés: VAN MANDER, Charles, célèbre poëte, historien et peintre, né à Meulebeke, au mois de mai 1548, mort à Amsterdam, le 11 septembre 1606. Comme on a vu plus hautGa naar voetnoot(1), Van Mander fit pour son lieu natal des pièces de théâtre, les joua et les dirigea avec un talent qu'un plein succès vint couronner. Un biographe consciencieux reprend les renseignements fournis par Michiels, d'après Jacques De Jonghe.aant. Nous les reproduisons ioi: ‘Van Mander revint à Meulebeke, en 1569; il avait à | |
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peine vingt ans. Sa rentrée dans la commune natale fut un véritable triomphe: il fut fêté, choyé; la joie et le bonheur semblaient rentrer avec lui dans la commune. Les sociétés de rhétorique s'ouvrirent pour lui, et, de toutes parts, des appels lui furent adressés par des réunions de poëtes. Aussi Van Mander s'adonna tout entier à la poésie. Moralités, mystères, comédies, chansons, refrains, sonnets, une masse de ses productions datent de cette époque. Il triompha souvent dans les combats rhétoricaux, et se procura ainsi une provision d'objets d'étain pour son futur ménage, car c'était alors l'habitude de donner, comme prix aux vainqueurs, des cuillers, des louches, des assiettes et et des pots d'étain. Ces bonnes gens pensaient que leurs concurrents, quoique poëtes, n'en étaient pas moins hommes, et avaient, comme le reste des mortels, besoin de meubles et d'ustensiles. Van Mander ne se borna pas à ces pièces: il se décida à faire faire un pas aux représentations scéniques. Il s'était déjà essayé dans des pièces de moindre importance, qu'il faisait jouer à ses frères, à ses soeurs, et aux voisins. Dans ces sortes de représentations, il préparait tout: il était décorateur, auteur, directeur et acteur, et, dans ces rôles divers, il montra du talent et du génie. L'art dramatique était alors dans son enfance, et on ne connaissait point ces salles de spectacle de nos jours: le peuple choisissait des granges, les pièces se jouaient en plein air sur des tréteaux. Karel voulait que les siennes exprimassent une couleur locale, et s'ingénia à rendre l'illusion aussi complète que possible. Ses pièces avaient fait du bruit. Ayant à sa disposition son propre pinceau, il ne s'effraya pas de la masse de peintures à faire, il ne savait ce que c'était que de reculer lorsqu'il avait conçu une chose. | |
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Van Mander annonça enfin que, à un jour indiqué, on représenterait le Déluge. La grande nouvelle fut bientôt connue, et, de tout côté, on se prépara à accourir pour assister au spectacle; le concours devait être grand, car on savait que l'oeuvre serait digne de l'artiste. Karel avait fait d'immenses préparatifs, et son enthousiasme était si grand, qu'il était parvenu à le communiquer à son flegmatique et prudent frère aîné Corneille, et il l'avait si bien ensorcelé, que notre marchand de toiles, car, telle était l'industrie de Corneille, avança tous les fonds nécessaires pour couvrir les dépenses. Sur quoi, leur mère lui dit: ‘Vous êtes plus fou encore que Karel; car, sans votre argent, il ne donnerait pas ces représentations.’ ‘Le peuple les aimait avec passion; aussi, jeunes et vieux accoururent, lorsque Van Mander eût annoncé une pièce où l'on verrait le déluge. L'enthousiasme fut immense, et, au jour indiqué, la salle regorgeait de curieux, accourus des quatre coins de l'univers: l'attente était extrême. Noé parut d'abord, prêchant ses contemporains et les menaçant de la colère de Dieu. On représenta ensuite les vices du peuple, l'atelier de Noé, etc. Les bêtes entrent, à la fin, dans l'arche, et Noé les suit. Le moment suprême arrive: un orage gronde, la pluie tombe et l'arche commence à voguer. L'admiration fut au comble, à ce specacle; mais d'autres scènes devaient augmenter cet étonnement. Van Mander avait tendu, au niveau de l'eau, une toile qui représentait énergiquement la destruction des impies. Une masse de cadavres flottaient à la surface de l'eau; aussi les sanglots éclatèrent de toutes parts. Cependant, la pluie tombait toujours. Puisqu'il fallait bien en finir, les cataractes du ciel semblèrent s'ouvrir, et des torrents d'eau furent versés sur le théâtre et sur les spectateurs. Mouil- | |
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lés d'en haut, ils avaient fait bonne contenance, dans l'espoir que ce ne serait qu'une averse qui finirait; mais la pluie ne cessa pas. Karel était aimé, et on lui avait offert sa maison, et tous les greniers des maisons à l'entour de la salle de spectacle avaient des réservoirs d'eau; les gamins étaient infatigables et renouvelèrent sans cesse la provision. La persistance de la pluie finit par étonner autant Karel que son auditoire, et, avant d'avoir pu faire fermer la source, l'eau était montée et montait si vite, que l'on eut à craindre sérieusement une seconde édition du déluge. Beaucoup de pièces suivirent celle-là, toutes écrites par Van Mander: l'Histoire de Nabucodonosor, le Jugement de Salomon, et divers autres récits bibliques lui en fournirent les sujets. Le plus brillant de tous ces drames montra aux spectateurs la Reine de Saba visitant le Roi des Juifs. On le mit en scène durant la Pentecôte; des chameaux, plusieurs bêtes non moins rares, et cinquante acteurs y parurent. Le concours du peuple fut immense: on venait par troupes de Bruges, de Gand et des autres villes voisinesGa naar voetnoot(1).’ A en croire Snellaert, on n'a pu retrouver jusqu'ici les pièces de théâtre de Van Mander. Dans sa Schilderkonst, l'artiste fait l'éloge de la rhétorique, en la comparant à une belle fleur. Il se hâte d'ajouter qu'elle est stérile, au point de vue des conditions matérielles de l'existence. Aussi, en déconseille-t-il la culture aux peintres qui veulent n'être point trop distraits de leur travail. Luimême, dit-il, en a fait la triste expérience; on vient de voir comment: De dicht-const Rhetorica, soet van treken,
Hoe lustich, aenvallijck, soeckt te ontvluchten,
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Doch self en heb ickse noyt veel besweken,
Maer 't heeft my vry uyt den weghe ghesteken
Van de schilder bane, dat is te duchten;
'T is wel een schoon bloeme, droeghe sy vruchten,
Soo dat sy brochte het meel in de keucken,
Dan mochte den sin haer 't harteren jeuckenGa naar voetnoot(1).
DE BORCHGRAVE, Pierre-Josse, né à Wacken, le 17 avril 1758, d'une famille noble. Après Hofman, qui fut cinquante fois couronné, on peut dire qu'il jouit de la réputation la plus brillante qu'obtint, dans la Flandre occidentale, un poëte villageois. Lui aussi remporta de nombreuses palmes, aux grands concours littéraires qui s'ouvrirent de 1803 à 1817. Doué d'une intelligence vraiment supérieure, animé d'un zèle aussi vif que persévérant pour la société des Catherinistes de Wacken, dont il fut, pendant de longues années, l'âme et le soutien, non moins que pour tout ce qui concernait la langue et la littérature flamandes, il laissa une multitude de compositions en tout genre, et notamment diverses odes et épopées d'un accent lyrique réellement émouvant. Parmi les principales, on compte: de Belgen (1810); Abrahams offer (1811); de Slag van Friedland (1812); Waterloo (1815); Ode op het houwelyk van prins Frederik van Oranje met de russische grootvorstinne Anna Paulowna (1816). En fait de pièces scéniques, il faut citer: de Vrugteloose bewaeking, comédie dont on ne conserve qu'un acte; Krispyn of twee vliegen in een' slag, comédie d'une gaieté franche et décente, mise au jour par son petit-fils, M. l'avocat De Borchgrave, de GandGa naar voetnoot(2); Frederik, soldaet van het | |
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leger terugkomende, farce, et de Verhoorde aermen, of het deugdzaem huisgezin, drame; ces deux dernières complétement perdues. ‘Riche et coulante est sa poésie, dit Prudent Van DuyseGa naar voetnoot(1), qualités que ses confrères tenaient en haute estime. Il n'avait point cette vigueur d'expansion que le sentiment fait naître, ni cette élévation qui jaillit d'un esprit pénétré d'un lyrisme sublime. Son style manquait de ce fini délicat que donne une connaissance achevée de la langue.’ Cette appréciation nous paraîtrait sévère outre mesure, si elle ne s'appliquait spécialement, comme nous nous plaisons à le croire, aux tirades emphatiques qui déparent les meilleurs élans du poëte, et qui, pour être juste, étaient plus imputables au goût dominant de l'époque qu'à l'auteur même. Lorsque De Borchgrave traite des sujets intimes, légers, familiers, il arrive, par moments, à un naturel exquis et à une grâce parfaite, témoin sa Vinkje, digne pendant, dit M. Rens, de l'Anacreons duifjeGa naar voetnoot(2). | |
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En voici les trois premières strophes: Lieflyk Vinkje! teder wezen,
Die aen Vlaendrens welig oord
Door uw toontjens vaek geprezen
Reeds hebt oor en hart bekoort;
Vliegt, zoo 't u een vriend mag vergen,
Daer de kronkelende zoom
Batos vry gevogten bergen
Weet t'omarmen door zyn stroom.
Vliegt by eene kunstvriendin:
Wen gy by het morgenkrieken
Opent op haer schoot uw' wieken
Rekent staeg op haere min.
Teder zal haer' hand u streelen,
Nimmer stremmen uwen zwier,
En - komt g'haer een deuntjen kweelen, -
Rusten zult gy op haer lier.
Wilt haer, Vinkje! stille fluist'ren
Hoe haer vriend nooyt zyn genot
Zoekt door eerzucht opteluyst'ren;
Hoe - te vreden met zyn lot -
Hy tracht steeds zyn breyn te sieren,
Deugden zamelt voor zyn hart,
Hoe hy poogt zyn nymph te vieren,
Hoe hy laege afgunst tart.
Opposons-y, à titre de contrasts, les vers suivants empruntés à la pièce: Dood en onsterflykheid, qui, comme de Belgen et Waterloo, compte au nombre des plus nobles inspirations du littérateur flamand. Ces vers sont intitulés: Hymnus aen de onsterflykheid. Aanvaard myn groed, o stille Dood!
Laat myne dankbre hand voor U cypressen strooijen,
Dra rust myn romp in uwen schoot,
Onledigd zyner aardsche boeijen:
Zy', thans my welkom, plegtge stond!
Gy zyt myn trooster en myn engel:
Myn' ziel moet, als de bloem, ontrukt zyn aan haar stengel
Die nog wast op des waareld's grond.
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Wat zuchte vrêe zweeft om myn hart,
Toen d'aarde ontvoerd, tot U ontspringen myn' gedachten!
Gy stuit en foltering en smart,
Gy komt myn boezem fluks verzachten.
Ah! moest, toen 't graf zwelgt myn gewricht,
Daar sluim'ren ziel en geestvermogen,
En, wen eilaas! verdooft het vluchtge licht der oogen,
Moest ook verdooven 't eeuwig licht!
o Dood! gy waart een wangedrocht
Een naar, een wreed gespens, een spook vol yslykheden.
Voor my waar d'aarde een donkre krocht,
Vervult met list en aakligheden:
De gruweldaad, een hecht bevel,
De deugd, een' huichlary vol grimmen,
De spraak van Godes zoon, een droom vol harssenschimmen,
De taal eens vriend's, een klank der hel.
Pendant la domination française, De Borchgrave fut nommé receveur des contributions directes, fonctions qu'il remplit jusqu'à sa mort, arrivée le 13 octobre 1819. Il délaisse, en dehors d'une foule de manuscrits offrant un vif intérêt littéraire, un journal de sa vie rhétoricale, qui fournit, à ce que l'on nous assure, les données les plus curieuses sur le mouvement théâtral et poétique qui surgit, en Flandre, pendant une période d'une quarantaine d'années. Il est regrettable que ce précieux mémorial ait un caractère trop intime pour en permettre la publicité. Toutefois, des extraits pourraient en être faits utilemenlGa naar voetnoot(1). DE BURCHGRAVE, Pierre-Jacques, un homonyme de P.-J. De Borchgrave, mérite une courte mention ici, bien que le centre de son activité ait été une ville: Wervick. Il est auteur des tragédies: Cécile, Martial (prince de Majorque), Clovis, Alboin et Rosamonde, et Saint Médard, qui toutes sont perdues. Ce que l'on conserve de lui, est un | |
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journal manuscrit d'environ 53 pages, relatant les événements locaux qui surgirent de 1724 à 1764. Il nous a été d'un grand secours pour la détermination de certaines sociétés villageoises sur lesquelles il nous avait été impossible de rien recueillirGa naar voetnoot(1). De Burchgrave était maître d'école et médecin. Souvent il donna, à l'aide de ses écoliers, des représentations gratuites qui lui suscitèrent des querelles très-envenimées. C'est ainsi que la Naissance du Christ, puis Martial et Sainte Cécile lui attirèrent, de la part de la rhétorique de Wervick, une guerre acharnée. L'autorité décida en faveur du rhétoricien, qui continua à donner des représentations publiques avec un succès d'honneur et d'argentGa naar voetnoot(2). Pierre-Jacques De Burchgrave, fils de Pierre De Burchgrave, naquit vers 1696, à Passchendaele, et mourut à Wervick le 1er novembre 1764. | |
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VAN BRUSSEL, Jean, mort le 27 janvier 1851, à Wetteren, à l'âge de 73 ans. Il fut, dans son temps, un des plus fervents rhétoriciens de la localité. Il avait une lecture étendue, au rapport de M. Jean BroeckaertGa naar voetnoot(1), et il comptait, parmi ses auteurs favoris, Vondel, Cats et Poirters. Jeune encore, il s'essaya dans la versification, et il a laissé nombre de pièces où son caractère railleur et satirique se fait jour. Peu méritoires sous le rapport de l'expression et du style, comme toutes les productions écrites dans le goût rhétorical, elles dénotent un certain talent qui se serait immanquablement élevé à des proportions plus grandes, si l'écrivain s'était appliqué à l'exercer et à le polir davantage. Comme échantillon de son savoir-faire, nous donnons, d'après M. Broeckaert, un fragment d'un épilogue qu'il prononça à un concours, et qui contient l'éloge de ‘l'art de la rhétorique:’ De rederyke kunst, niet iedereen gegeven,
Komt door verkiezing van den Hoogsten nederzweven
In 't breyn des stervelings, en is zoo hoog in waerd',
Dat zy tot 't sterredak in eerdom is vermaerd...
Het goddelyk lofgeluyd is met dees kunst omhangen,
Dit stellen ons voor de oog de heylige gezangen
Waerdoor het Albestuer geëerd word en aenbêen,
Wiens heylig lofgeluyd trekt tot den hemel heen.
Leert ons het Godsblad niet, hoe Salomons liefdetoonen
De goddelyke bruyd met heylgen zang bekroonen?
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En hoe dat Davids stem zyn boozen staet beschryft
Uytroepend' om genaed' naer de Opperwezendheyd?
God heeft van d'eersten stond, als hy een wet kwam geven
Het kunstig maetgezang in heerlykheyd verheven.
En word op dezen dag geërpligt... Waerom dat?
Omdat de Redenkunst geëerd word als een schat
Der schatten, die van elk word roem en eer bewezen.
Van wien word d'oefening van deze kunst misprezen?
Van die de plompheyd draegt van Midas en van Pan,
Wiens onbeschaefden aerd en yslyk eedgespan
Genygd zyn om het zoet van dese kunst te haten.
DE SIMPEL, David, poëte, né à Moorslede, le 12 mai 1778, mort à Staden, le 11 juin 1851. Jeune encore, il s'adonna, avec une ardeur peu commune, aux travaux de l'intelligence. Il dut, par malheur, renoncer à ses exercices favoris, pour apprendre l'état de laboureur. Ce n'est que furtivement qu'il put reprendre, de temps en temps, ses livres d'école. L'hiver lui fut plus favorable, et il consacrait des nuits entières à la lecture. Arriva 1790, où, en échange des auteurs flamands, la Grammaire de Restaut lui fut prescrite. Il eût préféré apprendre le latin, dans l'un ou l'autre couvent voisin, mais la mort de son père vint contrarier ses projets, et, quatre ans après, il fut enveloppé dans la conscription. A peine échappé à cette loi fatale, il se rendit à Eecloo, pour y faire ses humanités sous la direction d'un récollet. ‘Vous êtes né poëte, lui dit celui-ci,’ après avoir examiné les compositions de son élève; et dès lors la vocation de David De Simpel fut décidée. ‘Après la révolution française, rapporte-t-il dans un mémoire autobiographique que l'Eendracht a publiéGa naar voetnoot(1), nos rhétoriciens recommencèrent à lever la tête. Les blasons furent repeints, les bannières réparées, les plumes taillées, et le célèbre | |
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Rymwoordenboek de Kroon, qui gisait dans la poussière, reparut au grand jour. Déjà, en 1803, je devins une recrue de la rhétorique d'Hooglede: Op de hoogte groeyt den Olyfboom...’ Tous les instants de David De Simpel furent consacrés à la culture de la poésie. Son mot de prédilection était: ‘On ne vit point de pain seul.’ Aussi, pareil à l'abeille, il se nourrissait du suc intellectuel que les fleurs poétiques, tant flamandes qu'étrangères, lui procuraient. Une trentaine de médailles, remportées dans les concours publics de la Flandre occidentale, furent la digne récompense de son beau talent. Il participa aux tournois littéraires de Rumbeke, en 1803, de Heule, de Gits et de Meulebeke, en 1807, de Lichtervelde, en 1808, etc. Son nom jouit encore aujourd'hui, en Flandre, d'une très-haute estime. VANDEN POEL, Augustin-Eugène, poëte, né à Wacken, le 1er avril 1758, mort le 25 janvier 1835. Médecin et chirurgien, il se voua, pendant ses heures libres, à la culture de la poésie, et sa muse, très-riche et très-souple, lui inspira surtout le genre épique, où il remporta maint succès. On a de lui, entre autres: s' Menschdoms val en verlossing, 1806; den Jongsten dag des Oordeels, couronné à Alost, en 1810; Abraham's offer, 1811; de Belgen, etc. DE SMET, Bernard, né à Zulte, le 15 juillet 1776, mort à Deynze, le 6 août 1868. C'était un des plus opiniâtres cultivateurs et soutiens de la littérature flamande. Tour à tour couronné, depuis 1820, aux tournois littéraires organisés à Iseghem, Sweveghem, Meulebeke, Deerlyk, Roulers, et Ypres, tant pour ses poésies que pour ses solutions, également en vers, proposées par les chambres de rhétorique, il devint doyen du cercle dramatique de Deynze, | |
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membre d'une autre société: Voor Moedertaal en Vaderland, érigée en la même ville, puis fondateur et président d'honneur de la Vlaamsche Gezelschap. L'une de ses pièces: Het Noodlot, couronnée à Ypres, offre des strophes qui laissent loin derrière elles les rimes de la rhétorique foraine. En voici une, prise au hasard: Nauw liet de zon haer heldre stralen,
In 's werelds vroegen morgestond,
Op al 't geschaap'ne zachtjes dalen,
Als haat aan zyne kluisters bond,
Het god'lyk beeld, zoo hoog in waarde,
Dan eerst aan 't noodlot blootgesteld,
't Welk Hem gestadig heeft verzeld,
En schonk of heil of ramp op d'aarde.
DE MUYN, Guillaume, mit en rimes la pièce: het Alderheyligste en onwaerdeerlyk Bloed van Onsen Zaligmaeker Jesus Christus, imprimée à Audenarde, par P.-J. Vereecken, en 1789Ga naar voetnoot(1), et jouée, probablement en la même année, à Olsene. Voici un échantillon de sa versification: o Vreede tyrannie, ach onbedachte tyden!
Voor die het Christendom en naeme Gods belyden;
o Vreeden Noradyn! o fellen dwingeland,
Wat mag de oorzaek zyn dat gy op 't Christenland
Zoo uwe vraek uytstort? Wie gaf u deze rede reden,
Om zoo tyrannelyk in 't Christenland te treden,
Daer Jesus voor ons al, door eene liefde zoet,
Aen 't kruys heeft uytgestort den laesten druppel bloet.
Zult gy nu, vreed barbaer, de plaetsen gaen onteeren
Met uwe moordery; is dit den Schepper eeren,
Die u geschaepen heeft, gesteld op 's werelds troon;
Is dit de weder-min, is dit den weder-loon?
En vreest gy niet, tyran, dat u de vraek des Heeren
Zal vallen op den hals om al het groot verzeeren,
En de moedwilligheyd, die gy nu, booswigt! doet,
Met uyt te storten zoo 't onnoozel Christenbloed?
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Ik hope, dat den God ten besten zal mishaegen,
En u noch, boos tyran, op't alderfeste plaegen,
Zoo hy nog heeft ghedaen aen uw voor-ouders al,
Die door de Christen magt gekomen zyn tot val.
Ik zal, is 't mogelyk, het Duytsche volk opwekken,
Om met een groote magt naer 't Heylig Land te trekken;
Ik zal met eenen brief den Keyzer met oodmoed
Verzoeken voor de Kerk te waegen lyf en bloed.
Ce sont les paroles qu'adresse le pape Eugène à deux cardinaux, pour se plaindre des cruautés exercées par les barbares dans la Palestine. BIEBUYCK, Auguste, rhétoricien, né à Gotthem, à la fin du dernier siècle. Il cultiva, avec zèle et persévérance, la littérature flamande. Il prit part à divers concours, notamment à celui de Beveren, prés d'Harelbeke, en 1820, où il remporta le premier prix avec le sujet traité par lui: Absolons euveldaden et à celui des Kruisbroeders, de Courtrai, en 1821, où il obtint le troisième prix avec Het Vermogen des Yvers, également dû à sa plume. Cette dernière composition figure dans la Versameling der bekroonde en voornaamste dichtwerken, op het voorwerp: Het Vermogen des Yvers, in-8o de 32 pages, brochure devenue assez rare. Biebuyck était distillateur à Gotthem, et il mourut, il y a une vingtaine d'années, à Vive-Saint-Éloi. SADONES, Joseph, dit le Béranger moral de Flandre, né à Opbrakel, le 6 décembre 1755, et mort à Grammont, le 19 octobre 1816. Orphelin dès son bas âge, il fut obligé de pourvoir à son existence par le travail. Il devint bientôt l'ami de toutes les personnes avec lesquelles il était en relation, grâce à sa bonne conduite et à ses dispositions étonnantes pour la poésie. Déjà il avait atteint l'âge de 24 ans, et il ignorait encore l'art d'écrire; quelques étudiants, admirant son intelligence, se plurent à lui | |
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enseigner la calligraphie. A 30 ans, il se maria et s'établit à Grammont. A partir de ce moment, il commença à tracer lui-même sur le papier ses poésies et ses chansons. Pendant plus d'un quart de siècle, Sadones exerça le métier de liedzanger, et gagna l'estime d'un chacun par le caractère moral de ses couplets et par l'honnêteté de sa conduite. Bien sûrement plus de 3,000 chansons émanent de lui, et, non-seulement en Belgique, mais en Hollande, on en chante encore actuellement un grand nombreGa naar voetnoot(1). Une de ces chansons, imprimée sur une feuille volante, est relative aux désastres survenus, en 1804, à l'église de Sainte-Walburge à Audenarde. Elle est de ce style facile et incorrect qui caractérise les improvisations de Sadones. Il plaisait à la foule: le but de l'auteur était atteint. Voici cette chanson, devenue aujourd'hui d'une rareté excessive: Liedeken wegens den schrikkelyken brand ontstaen, op den 24 february 1804 ouden styl, door het onweder, in de groote kerk tot Audenaerde.
Stemme van: Labere ofte de Requisitie. 1.
Het zyn tyden van wonderheyd,
't Zyn tyden die veel menschen drukken.
Wat hoord men anders, breed en wyd,
Als van rampen en ongelukken?
Het schynt dat heden locht en zee,
Die 't menschdom konnen behaegen,
Thans zyn bestemt tot ramp en wee,
Dit ondervind men alle dagen. (Bis.)
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2.
Als men het weder wel beschouwt,
't Is ongetempert tot elks wonder.
Van dag is 't heet op morgen koud...
Wie had verwagt dat men den donder
Zoud hooren drunnen door de lucht,
Thans in de maend van february,
Tusschen veel sneeuw en wind-gerugt,
Voor 't jaer-getyde heel contrary. (Bis.)
3.
't Was den vier-en-twintigsten dag
Van february, zoo 'k bemerke,
Dat 't vuer met eenen donderslag
Viel in de Audenaerdsche kerke.
Den toren, met een groot gerugt,
Die raekte aenstonds aen het branden.
Het vuer verhief tot in de lucht
En dreygde alles aen te randen. (Bis.)
4.
Den scrik wierd aenstonds algemeyn,
Geheel de stad was vol gekerm,
't Kwam al te been, groot en kleyn,
D'oude en jonge, ryk en erm.
Men zag de brave overheyd
Van dees door 't vuer bedreygde stede,
Om te bekomen veyligheyd,
Werken met hunne burgers mede. (Bis.)
5.
Zy gaven raed, zy gaven moed
Aen hunne burgers onderdaenen,
Om te bevryden leven, goed.
't Vrouwen geschreyen, kindr'en traenen
Wekten de vaders t'allen kant.
Men hoorde roepen: ‘Blust Gods kerke,
Anders raekt d'helft der stad in brand,’
't Gevaer was groot, zoo ik bemerke. (Bis.)
6.
D'Audenaerdisten t'allen tyd,
Ieverig voor Godts kerke en altaeren,
Met hun gewoone dapperheyd,
Zag men nog moeyt' nog leven spaeren.
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God lof! het vuer dat wierd geblust,
Onverbrand zyn Godts altaeren.
Men zag de stad, tot ieders rust,
Van de bedreygde rampen spaeren.
7.
Burgers, uw vleyd strekt u tot eer;
'k Moet uyt' er hert uw iever pryzen.
Maer wilt aen Godt, zeg ik nog meer,
Thans voor zyn wonder dank bewyzen.
't Is onvatbaer voor myn verstand
Hoe men het vuer konde verdelgen.
Had 't lot gewild, dien schrikbaer brand
Kwam de helft van de stad verzwelgen.
Door my, J. Sadones.
Vreugd en ramp,
Vuld myn lamp.
On doit, en outre, à Sadones, plusieurs pièees de théâtre, et, entre autres: De Welderkeerende requisitionnaire; de Bekroonde liefde; de Verdrukte weezeGa naar voetnoot(1). On peut, en toute justice, lui appliquer les vers suivants qu'Amand Gouffé consacre à Panard, son modèle: La gaîté dicte ses chansons,
Mais l'innocence peut les lire.
A la fois discret et malin,
En piquant jamais il n'afflige;
Sans ivresse il chante le vin,
Et sans outrager il corrige.
La Bibliographie gantoise, de M. Ferd. Vander HaeghenGa naar voetnoot(2), fournit encore quelques noms de rimeurs, de poëtes et de dramaturges appartenant aux localités rurales de la Flandre. Les amateurs, désireux d'en savoir davantage sur cette matière, pourront consulter avec fruit cet estimable travail. | |
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Quant aux services rendus, par ces vaillants champions, non-seulement à la littérature flamande, mais à la cause nationale, une esquisse sommaire de leur répertoire scénique, appuyée de quelques exemples, en fera ressortir suffisamment l'importance. C'est l'objet du chapitre qui suit. |
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