Le théâtre villageois en Flandre. Deel 1
(1881)–Edmond Vander Straeten– Auteursrechtvrij
[pagina 137]
| |
VIII
| |
[pagina 138]
| |
qu'elle exhibât les scènes du foyer domestique, soit qu'elle déroulât les cérémonies du culte ou les annales de l'histoire. L'instinct forma les premières sociétés de ce genre; les besoins de l'époque les conservèrent; les circonstances varièrent à l'infini leur conduite et leur physionomie. Presque toujours l'élément national domina les phases diverses de leurs transformations. On voit souvent les mêmes pièces données sous des titres différents. Ces titres étaient généralement délayés dans de longues périphrases sentencieuses ou entortillés dans des chronogrammes laborieusement agencés. On tenait moins à donner aux oeuvres un air de nouveauté, qu'à manifester les principes qui guidaient les acteurs et la manière dont ceux-ci comptaient faire ressortir les enseignements de la représentation. Plus de la moitié de ces pièces se rapportaient aux annales guerrières et religieuses du pays. Les suivantes s'y rattachent plus ou moins directement: Liederick de Buck, Thierri d'Alsace ou la Translation du Saint-Sang à Bruges, saint Hubert, la Bataille de Groeninghe, Geneviève de Brabant, la Destruction de la cité Belgis, Godefroid de Bouillon, le Miracle du Saint-Sacrement à Bruxelles, Baudouin de Constantinople, le Martyre de sainte Godelive, Notre-Dame de Dadizeele, Héroïsme de saint Lambert, les Gueux à Audenarde, le Martyre de Jacques Lacops, saint Amand, saint Éloi, saint George, saint Roch, saint Liévin, saint Corneille, saint Étienne, saint Laurent, saint Jacques, sainte Anne, saint Joseph, sainte Apolline, saint Donat, saint Alexis, sainte Catherine, saint Hermès, saint Pierre, saint Bavon, etc. On s'étonnera de trouver, dans cette nomenclature, beaucoup de noms de saints étrangers au pays. Mais la plupart sont naturalisés, pour ainsi dire, par le culte qui leur a été | |
[pagina 139]
| |
voué à titre de patrons d'églises ou de chapelles. Plus de cinquante églises paroissiales sont dédiées à saint Martin, dans le seul diocèse de Gand. Une foule de sanctuaires ont également adopté saint Amand comme patron religieux. Le pays d'Alost, où les pèlerinages ont existé et existent encore en abondance, a fourni aux scènes villageoises diverses pièces légendaires dignes d'intérêt. Disons tout pourtant. Si Albert et Isabelle déployèrent une sévérité excessive contre les exhibitions des rhétoriciens, en revanche, ils tolérèrent tout ce qui se représentait dans les maisons religieuses chargées de l'enseignement. Les jésuites tenaient le haut du pavé. De leurs institutions sortirent cette masse de tragédies bibliques en latin, en français et en flamand, dont on peut voir l'énumération dans les colonnes exubérantes de la Bibliothèque de l'ordre, éditée par MM. Augustin et Aloïs de Backer. Ils donnaient la note et l'accent à toutes les autres scènes de collége. Leurs satellites immédiats étaient les oratoriens et les augustinsGa naar voetnoot(1). Frappés de ces représentations, données avec un grand luxe de costumes et de décors, et rehaussées par le chant et par l'orchestre, les élèves cherchaient, en revenant dans leur foyer, à renouveler, tant bien que mal, ce qu'ils avaient vu et entendu, et c'est ainsi que généralement les pièces passaient des maisons religieuses dans les cercles de nos villes et de nos campagnes, et offraient aux facteurs de rhétorique un canevas tout prêt à recevoir leurs rimes. Beaucoup de tragédies qu'on prend aujourd'hui | |
[pagina 140]
| |
pour d'anciens mystères transformés, n'ont point d'autre origine. Voici, par exemple, celle d'Agapitus, du père Porée, réputée pour sa meilleure. Les faits se passent dans la ville de Préneste, en l'an 275, sous le règne d'Aurélien. Au premier acte, Métellus le flamine des dieux, dénonce un sacrilége au préfet de Préneste, Antiochus, ami de Lysandre, le père d'Agapit. Pendant que de jeunes idolâtres offraient des voeux à la déesse Hébé, Agapit, suivi d'une troupe de jeunes chrétiens, avait renversé la statue de la déesse. Le coupable avoue son crime. Douleur de Lysandre; efforts du père pour amener son fils au repentir; triomphe apparent des larmes paternelles. Dans le premier intermède, les chrétiens doutent un instant de la persévérance d'Agapit. Un ami d'Agapit les rassure. Le choeur appelle par ses prières la grâce d'en haut, afin qu'Agapit ne faiblisse point devant les épreuves. Au deuxième acte, Antiochus et Lysandre se concertent pour faire croire au jeune homme que César veut la tête du père de celui qui a renversé la statue, le fils étant censé n'avoir pas commis spontanément ce forfait. Agapit est affligé, mais ne succombe pas. Le flamine impatient vient réclamer sa victime. Agapit voit qu'on le trompait, et refuse absolument d'abjurer. Antiochus le livre aux bourreaux, mais en l'avertissant qu'il lui parlera une dernière fois entre les tortures et la mort. Dans le deuxième intermède, un jeune païen se convertit, pour avoir assisté aux tortures du martyr. Au troisième acte, le préfet prend la résolution d'en finir avec Agapit. Comparution d'Agapit devant son juge et devant son père. Il résiste aux menaces de l'un et aux pleurs de l'autre. Antiochus le rend aux soldats. Prières de | |
[pagina 141]
| |
Lysandre à son ami. Antiochus réconforte le père au désespoir, en lui disant qu'il a seulement fait conduire Agapit au flamine, pour que le flamine essaie une dernière fois la vertu des menaces. Métellus revient, mais seul, et se félicitant de la mort de l'impie. Lysandre, éclairé par la grâce, jure haine aux faux dieux et se proclame chrétien. Le troisième intermède contient le récit de la mort d'Agapit et des chants de victoire en l'honneur de son martyre. Cette construction dramatique n'est guère compliquée. De plus, elle est assez malhabile: à la fin du second acte la pièce est finie. Rien ne se tient. Les personnages entrent et sortent par un pur caprice de l'auteur et non par les exigences de l'action. Mais, que parlons-nous d'action? Il n'y en a pas l'ombre. Quant aux caractères, l'auteur les a puisés, tant bien que mal, dans Polyeucte, moins Pauline et Sévère. Ne disons rien du latin: il est antithétique, à la façon de Sénèque, et de plus prétentieux outre mesureGa naar voetnoot(1). Ce sera le modèle, en quelque sorte, de bien de tragédies que l'on jouera sur les théâtres d'amateurs, à l'exception toutefois de la tragédie légendaire, qui a sa physionomie spéciale, consistant en une naïveté toute primitive, soit dans le style, soit dans les caractères, soit dans l'action. C'est à ce genre d'une rudesse toute charmante, qu'il convient d'appliquer le mot: proles sine matre creata. L'auteur ou plutôt les auteurs de pareilles pièces, c'est tout le monde. Il y avait d'abord une légende originale; la légende s'est successivement enrichie d'épisodes ajoutés par les conteurs. A sa complète éclosion, le théâtre s'en est emparé, et on n'a fait autre chose, pour l'y adapter, que de | |
[pagina 142]
| |
mettre en action le récit populaire. Une analyse substantielle de deux ouvrages de ce genre, se rapportant à des pèlerinages célèbres de la Flandre occidentale, va en fournir la preuve. Donnons d'abord la pièce ingénue de Notre-Dame de Dadizeele: Acte premier. Scène 1re. Un richard de cette localité a perdu deux vaches noires. La mère de Dieu apparaît à un ermite voisin; elle lui commande d'aller trouver le richard et de lui dire qu'il cherchera en vain ses bêtes, mais qu'il rencontrera, dans l'Elsenbosch, près de sa maison, deux vaches blanches de la grandeur de ses deux noires. En commémoration de ce fait, elle l'invite à commencer à bàtir, au même endroit, une chapelle sous l'invocation de la sainte Vierge. Scène 2me. Les domestiques du seigneur, fatigués de faire des recherches, perdent courage et considèrent les vaches comme perdues. L'ermite les instruit de ce qu'ils auront à faire. Scène 3me. Le seigneur ayant, d'après les indications de l'ermite, trouvé les deux vaches blanches dans l'Elsenbosch, fait incontinent déroder le bois et mettre la main à l'édification de la chapelle. Intermède des idoles des bois, qui doivent quitter leur siége pour faire place à la mère de Dieu. Acte deuxième. Tableau où se voit l'érection de la chapelle. Scène 1re. Le sanctuaire est placé sous l'invocation de Marie. Des visiteurs, capelbezichters, sont envoyés chez l'évêque, pour en obtenir la consécration officielle du temple. Scène 2me. Chemin faisant, ils rencontrent une femme honorable, qui leur dit que la chapelle est bénie par la mère de Dieu, et, qu'en signe de ce fait, ils verraient un fil de soie tendu autour du bâtiment. Scène 3me. Les visiteurs et le chapelain trouvent ce fil, qui n'a ni commencement ni fin, et auquel ils ne remarquent aucun | |
[pagina 143]
| |
noeudGa naar voetnoot(1). Le miracle se répand bientôt, et une multitude d'aveugles, de muets, de sourds et d'infirmes, de toute nature, affluent vers la chapelle et sont guéris de leurs maux. Choeur général, pour célébrer, avec de grandes réjouissances, la dédicace de la chapelle, kerkwydinge. Acte troisième. Scène 1re. Le chapelain ayant cherché vainement à obtenir, la veille de Noël, un aide pour chanter les matines dans la chapelle, a recours à Marie et est exaucé. Scène 2me. La Vierge apparaît, pendant la nuit, à un homme illettré, nommé Jean Onraet, lui commandant d'aller aider à chanter les matines, et lui montrant, à cet effet, un livre placé sous son oreiller. Scène 3me. Jean Onraet ayant trouvé le livre, se rend près du prêtre, et, après avoir fait le service divin avec lui, reste attaché, pendant plusieurs années, à la chapelle, en qualité de clerc. Acte quatrième. Scène 1re. La Flandre, avant les combats de Guinegate et de Viesville qui se préparent, prend refuge auprès de Notre-Dame de Dadizeele, et recommande à sa protection son peuple et son souverain, le comte Maximilien, qui, grâce à cette intervention, remporte la victoire. Scène 2me. Maximilien vient, avec Jean Van Dadizeele, son lieutenant-général, remercier Notre-Dame de Dadizeele du triomphe qu'il a remporté, et séjourne, en la commune, pendant douze jours, du 19 au 31 août 1479. Intermède de quelques mendiants arrivant à la kermesse de Dadizeele. Scène 3me. Divers pèlerins obtiennent la santé, en invoquant la Vierge miraculeuse. Acte cinquième. Scène 1re. Les Écossais pillent, en 1583, l'église de Dadizeele et l'incendient; mais la chapelle, bénie par Notre-Dame, est préservée. Scène 2me. Les paroissiens | |
[pagina 144]
| |
trouvent l'image de la Vierge intacte, sous les décombres de l'église. Scène 3me. Le curé se console du désastre par la conservation de l'oratoire et de l'image miraculeuse, et, pour réparer l'outrage commis par les Écossais, il incite ses ouailles à la dévotion envers la Vierge. Cette pièce fut jouée à Dadizeele en 1732. Elle émane vraisemblablement du curé de la localité. La pièce légendaire de Sainte Godelive fut représentée à Moen, en 1762, sans doute d'après un manuscrit emprunté aux rhétoriciens de Ghistelles, où le corps de l'héroïne est conservé pieusementGa naar voetnoot(1). Déjà on jouait le Martyre de sainte Godelive à Furnes, en 1500, et les acteurs de la gilde étaient placés sous l'égide de la sainte filleGa naar voetnoot(2). Bertolf ou Bertou, seigneur de Ghistelles, épris de la belle Godelive, la demande en mariage, ce qu'il obtient avec peine, par l'intercession du comte de Flandre. Mais la mère de Bertolf, cédant aux suggestions de l'esprit infernal, excite son fils contre Godelive. Bertolf, suivant son conseil, ne lui donne, pour toute nourriture, que de l'eau, du sel et du pain, traitement qui la réduit à une faim excessive, et l'oblige à quitter la cour de son mari, pour retourner à la maison paternelle. Le comte de Flandre apprenant le fait, menace Bertolf de punition, s'il ne s'améliore. Bertolf est terrifié par ces menaces; il rappelle son épouse, moyennant promesse de s'amender. | |
[pagina 145]
| |
Toutefois, l'aversion augmentant, grâce aux incitations de sa mère, il persécute Godelive de plus en plus, et, ses cruautés lui ayant attiré des réprimandes de la part de ses amis, il la fait secrètement assassiner la nuit. Tel est, en substance, l'argument du drameGa naar voetnoot(1). Il n'y est guère question de la différence des races, dont le dramaturge eût certainement su tirer le meilleur parti. Godelive était d'origine celtique et avait les cheveux noirs. La familie du châtelain de Ghistelles était de race nordique et avait les cheveux roux. De là peut-être cette aversion invincible de la mère de Bertolf pour Godelive, et cette haine féroce qu'elle parvint à faire partager à son fils. Le puits légendaire, où Godelive fut plongée, n'apparaît point non plus dans la pièce, sans doute par un scrupule scénique emprunté aux vieux classiquesGa naar voetnoot(2). En revanche, une foule de détails ont été ajoutés par le librettiste, autant pour remplir les actes, que pour provoquer graduellement l'émotion dans le coeur des spectateurs. Voyons maintenant avec quelle simplicité candide l'argument susdit a été adapté à la scène: Première partie. Eustache, comte de Boulogne, plein d'admiration pour la beauté de Godelive, demande à son père de la voir et lui conseille le mariage. Bertolf adresse des paroles aimantes à Godelive et Fengage à prendre un époux, ce quelle refuse en s'éloignant. Bertolf va trouver | |
[pagina 146]
| |
le père, pour demander la main de Godelive, mais en vain. Bertolf sollicite l'intercession du comte de Flandre; cet expédient lui réussit. Godelive se marie. Léonore raille son fils Bertolf sur la laideur de sa nouvelle épouse, et l'engage à partir, ce qu'il fait. Pendant que les parents de Godelive sont à la noce, Léonore les accable de paroles dures et les éconduit; en outre, elle enlève à Godelive ses joyaux et l'enferme dans une chambre avec sa servante. Deuxième partie. Bertolf étant de retour, Léonore l'excite contre Godelive, dont elle dévoile plusieurs vices. Godelive vient saluer le retour de Bertolf; elle est mal accueillie et reçoit l'ordre de pourchasser les corbeaux de ses terres. Adelaïde annonce que Godelive a fait passer les corbeaux dans une grange, pendant qu'elle se rendait à la messe. Léonore n'en veut rien croire, et calomnie de plus en plus Godelive. Bertolf ajoute foi à ces accusations, fait éloigner Godelive de l'église et l'enferme dans une prison, en lui laissant, pour toute nourriture, de l'eau, du sel et du pain, dont une partie est donnée par elle aux pauvres. Ce que voyant les serviteurs de Bertolf l'accablent de reproches et dispersent les mendiants. Godelive les admoneste avec douceur. L'un d'eux, troublé, a reeours à l'imposture pour noircir Godelive aux yeux de son époux, qui ordonne de diminuer son avitaillement. Les serviteurs de Bertolf raillent Godelive, en mettant en regard de sa pitance un rôti succulent. Drogo conseille à Godelive de regagner la maison de son père. Troisième partie. Godelive se met en route avec sa servante. Elle rencontre son père et sa mère, qui s'évanouissent de douleur. Hemfroid va accuser Bertolf auprès du comte de Flandre, qui se résout à le punir. Bertolf se réjouit avec ses serviteurs du départ de Godelive. Il s'étonne de ne rien apprendre de son épouse. Bientôt une | |
[pagina 147]
| |
lettre de l'évêque Radbod le menace d'excommunication. Bertolf déchire la missive. Le comte de Flandre, à son tour, lui écrit, et lui enjoint, sous peine de punition, de reprendre son épouse, ce qui le terrifie beaucoup. Bertolf envoie ses serviteurs quérir Godelive, avec promesse de s'amender. Quatrième partie. Les serviteurs de Bertolf arrivent près d'Hemfroid et le prient de consentir au départ de Godelive. Hemfroid donne son consentement. Bertolf se plaint à sa mère des menaces du comte de Flandre; elle lui conseille de faire mourir Godelive. Les serviteurs arrivent avec Godelive près de Bertolf, qui lui témoigne quelque amitié. Mais, persévérant dans sa colère, il la fait maltraiter de plus en plus. Godelive est visitée par un prêtre et par de pauvres gens, qui maudissent Bertolf. Elle les exhorte à prier plutôt pour lui. Bertolf reçoit des menaces d'Adolphe, son frère, et de Widon, son oncle, qui lui reprochent vivement sa cruauté; ce qui l'exaspère au point de demander protection aux esprits infernaux. Ils paraissent, en lui montrant un torchon, à l'aide duquel il se propose de faire étrangler Godelive. Il va trouver ses serviteurs, expose son projet et demande s'ils veulent se charger de le mettre à exécution. Ils se disent prêts à l'accomplir. Bertolf s'approche de Godelive avec une amitié feinte, lui promettant de vivre désormais en paix et envoyer, vers minuit, une femme dévote pour la consoler pleinement. Il va retrouver ses serviteurs, fait accord avec eux pour le meurtre de Godelive et reçoit leur serment à ce sujet. Les serviteurs frappent à la porte, disant qu'ils amènent la bonne femme dont Bertolf a parlé; mais dès que la porte s'ouvre, ils se ruent sur la victime et l'étranglent au moyen du torchon. Bertolf, apprenant la mort de Godelive, éprouve un vif repentir et maudit sa mère, qui, en proie au désespoir, est entraînée par les esprits infernaux. | |
[pagina 148]
| |
On voit, en regard, la reproduction photolithographique d'une bannière triangulaire offrant, en quelque sorte, la synthèse du drame. Non-seulement les pèlerins (la coutume en existe encore aujourd'hui) se procuraient ces bannières, comme souvenir de leur visite à Ghistelles, mais, aux représentations du drame légendaire, les murs de la salle étaient littéralement couverts de ces petites images commémoratives, et parfois même, ainsi qu'il sera constaté plus loin, la scène en était ornée de tous côtés. La bannière de sainte Godelive est gravée sur bois et paraît dater du xviie siècle. Deux sbires, Lambert et Hacca (l'histoire a conservé leurs noms!) tordent le cou à la victime, qui, debout et les mains suppliantes, reçoit les insignes du martyre de la main de deux anges planant dans un nuage, d'où se détachent les armes de Ghistelles. A côté du groupe, apparaît le puits où le corps de la martyre fut plongé. A droite, un petit oratoire, élevé probablement sur l'emplacement de la chambre où se perpétra le crime. Plus loin, dans la même direction, l'endroit où, d'après la tradition, Godelive cousut la chemise de Bertolf, après sa mort. Au fond, la commune de Ghistelles, devant laquelle s'agitent quelques corbeaux (ceux sans doute que la sainte eut l'ordre de pourchasser), avec le mot répété: Cras, demain. Au premier plan, se montre un groupe de pèlerins agenouillés, dans le costume traditionnel. Deux religieuses se joignent aux pieux fidèles. Elles appartiennent vraisemblablement au couvent de Sainte-Godelive (ordre de Saint-Benoît), fondé par la fille que Bertolf eut de son second mariage. L'une d'elles tient, en effet, la crosse abbatiale. Cette gravure, assez grossièrement exécutée, est loin, | |
[pagina t.o. 148]
| |
[pagina 149]
| |
nous l'avouons, d'être un modèle du genre. Elle n'en constitue pas moins un précieux spécimen d'histoire locale, qui dit au peuple crédule et naïf tout ce qu'elle veut dire, et que l'on consultera longtemps encore, de préférence aux images modernes et sans caractère qu'on lui a substitué de nos joursGa naar voetnoot(1). Une analyse succincte du drame légendaire de sainte Ommecommena, martyre jadis très-populaire en Brabant, où elle avait un sanctuaire fort fréquenté, ne serait point déplacée ici. Toutefois, comme cette sainte n'avait point de popularité en Flandre au même titre que les autresGa naar voetnoot(2), quelques lignes de la légende suffiront: Sainte Wigeforte (son vrai nom) était fille d'un roi de Portugal, et sa rare beauté la faisait convoiter de tous les souverains. Son père, pour cimenter une alliance durable avec le roi de Sicile, avec lequel il avait été en guerre, l'avait promise en mariage à ce monarque. Mais elle n'entendait choisir d'autre époux que le Roi crucifié. Jetée dans un cachot, elle demanda à cet époux la faveur de devenir si difforme que les hommes l'eussent en horreur. Sa prière fut exaucée, et la barbe lui vint dès lors en si grande abondance, qu'on eût pris notre héroïne pour un grossier paysan. Son père s'étant approché d'elle, pour voir si elle persistait toujours dans sa résolution, recula d'épouvante, et, l'ayant interrogée sur cette transformation surnaturelle, il reçut pour réponse: que c'était Dieu qui, pour conserver la virginité de sa servante, lui avait accordé cette faveur. Transporté de rage, le roi lui dit que si elle ne reniait | |
[pagina 150]
| |
sur-le-champ son Dieu crucifié, il la ferait crucifier de même. Mais Wigeforte persévéra dans sa résolution, et, peu de temps après, elle fut attachée à une croix par les ordres de son père. Avant d'expirer, elle adressa ses voeux à Dieu pour ses bourreaux. Cette légende fut représentée, entre autres, à Heurne, en 1770, et à Landuyt, section d'Eecke, en 1777. S'il fallait résumer toutes les pièces de ce genre qui ont paru sur les scènes villageoises de la Flandre, à l'époque dont nous nous occupons, un gros volume n'y suffirait pasGa naar voetnoot(1). Il en est, dans le nombre, dont l'analyse serait, pour ainsi dire, impossible. Telle est la tragédie légendaire de Geneviève de Brabant, où, entre autres détails étranges, on voit deux loups, convenus de mettre en commun leur butin, et qui ayant agi de mauvaise foi, viennent demander à Geneviève de juger leur différend. Nous croyons savoir, tout porte à le supposer du moins, que ce grotesque épisode est emprunté à une tragédie écrite, sur le même sujet, par Pierre-Corneille Blessebois, qui édita son oeuvre à Châtillon-sur-Marne, en 1675. Une légende bien différente a été publiée par le jésuite René de Cérisiers et traduite dans presque toutes les langues. La première édition en français a vu le jour à Tournai, en 1640. C'est de cette pièce que procèdent vraisemblablement toutes celles que l'on trouvera citées, | |
[pagina 151]
| |
sous le même titre, dans la nomenclature de la deuxième partie du présent travail. Pour en finir avec ce genre, racontons la légende dramatique de Liederick de Buck; elle a également ce ton simple et candide, cette allure sans apprêt, ce nous ne savons quoi qui en fait une histoire touchante, sans pourtant avoir la moindre visée sentimentale. On y voit percer un respect sincère pour la justice, non pour cette justice dictatoriale qu'usurpe le despote, mais pour celle qui émane du peuple, représenté par un jury de son choix. Une pièce plus développée, due à la plume de DroomersGa naar voetnoot(1), fait intervenir le même Liederick, mais en lui prêtant un rôle différent. Cette tragi-comédie étant connue des villes, nous ne nous y arrêterons guère. Voici la légende en question: Première partie. Scène 1re. La Justice apparaît à la Flandre. Scène 2me. Liederick occupe le siége prineier. Il consulte son entourage, et se décide à envoy er ses enfants à Dantzig, pour y acheter du grain. Scène 3me. Deux manants se plaignent de la cherté des subsistances. Ils apprennent qu'une pauvre veuve, nommée Landienne, chargée de deux petits enfants, veut se pendre, exténuée de misère. Ils empêchent cet acte de désespoir. Scène 4me. Joseram achète des fruits à Landienne, qu'il ne paye pas. Pendant que l'infortunée veuve attend son argent, ses deux enfants meurent de faim. Joseram est à table. Deuxième partie. Scène 1re. Landienne présente les deux cadavres au comte. Celui-ci fait enfermer Joseram. Scène 2me. Joseram, en prison, voit sans cesse se dresser devant lui les ombres des victimes. En proie aux plus vives terreurs, il est visité par sa mère, qui essaie de le | |
[pagina 152]
| |
consoler. Il est prêt à succomber de douleur. Scène 3me. Liederick se rend à Tournai et y fait transporter secrètement Joseram, pour y être jugé. Eudonia, son épouse, implore la grâce du coupable, mais en vain. Troisième partie. Scène 1re. Liederick, mis en présence du conseil, apprend la sentence qui frappe Joseram. Les juges vont annoncer à Joseram qu'il sera décapité. Scène 2me. Eudonia, désespérée, se rend avec les exécuteurs dans l'appartement de son mari, et, ne le trouvant point, part pour Tournai. Scène 3me. Tableau représentant la Justice. Liederick apprend du maître d'hôtel que ses ordres sont accomplis. Eudonia demande des nouvelles de Joseram. Le maître d'hôtel lui montre un cadavre. Comme il est facile de le voir, ces petits drames narratifs ressemblent beaucoup aux anciens mystères, avec moins de grossièretés toutefois, et une passivité plus plastique dans les personnages. Les drames, venus des colléges, forment pour ainsi dire l'intermédiaire entre eeux-là et le drame moderne, nous entendons le drame à intrigues fortement nouées, à mouvements passionnés et à caractères étudiés scrupuleusement. On démêle, dans ces pièces scolastiques, un esprit de prosélytisme exclusif et constant, qui s'épanchait parfois en tirades déclamatoires du genre le plus grotesque. Les qualités essentielles d'une bonne pièce scénique étaient ou négligées ou dédaignées. L'auteur se contentait d'une exposition claire el facile du sujet. Il inventait peu de chose, quant au noeud de l'oeuvre, et moins encore, quant au dénoûment. Il suivait, à cet égard, la donnée de l'histoire. Il savait agencer quelques scènes d'intérieur d'après la vie réelle, et les transformer en de petits tableaux attrayants, à la manière des peintres flamands. Pour le reste, il se confiait aux sentiments religieux de l'auditoire, | |
[pagina 153]
| |
et il était sur en quelque sorte que l'intérêt ne lui ferait point de défaut. Nous, qui ne ressentons point cette dévotion ardente qui préparait l'esprit de nos pères à recevoir, avec une respectueuse émotion, la moindre des terreurs saintes provoquées par les personnages, et qui n'avons à examiner les pièces que sous le rapport purement littéraire, nous ne pouvons nous défendre d'éprouver un sentiment bien pénible en parcourant ces élucubrations froides et languissantes, pâles et décolorées, et où tout n'est qu'exactitude servile et précision calculée. Un drame inerte est comme un visage en cire. Il ressemble en quelque manière; mais tout y est glacé, tout y est mort, et les traits de vie, qu'emploie si heureusement la peinture dans ses portraits, ne s'y retrouvent plus ou paraissent éteints. Taine dit, en parlant de Denys, l'ancien historien de Rome: ‘Qu'il y a de fausseté dans cette exactitude apparente! Le rhéteur grec explique minutieusement les institutions, les guerres, les négociations. On suit pas à pas tous les personnages... Par malheur, il a oublié qu'il fait agir des hommes; ses personnages marchent, imitent la vie, mais n'ont point l'âme. Tout choque dans leurs mouvements; ce sont des automates rangés avec ordre sur un théâtre bien peint, qui traînent en boitant leurs membres mal liés.’ Ne pourrait-on point appliquer à certains drames flamands du genre de ceux en question, la très-juste appréciation de l'écrivain français? ‘Dans le drame flamand, pas plus que dans la poésie lyrique, dit M. De BaeckerGa naar voetnoot(1), les règles des anciens n'étaient guère suivies. Ainsi, la | |
[pagina 154]
| |
simplicité et l'unité d'action, fidèlement observées au théâtre antique et sous Louis XIV, étaient bannies du théâtre des Flamands. Au contraire, nombreux acteurs, situations compliquées, action se passant en divers pays, toute une vie d'homme se déroulant sous les yeux des spectateurs.’ Pour la violation de la loi des unités, cette loi, à vrai dire, n'est pas une règle pour toutes les nations. Évidemment, il n'y en a que trois qui les aient suivies: les Grecs, les Romains et les Français. On peut faire de beaux poëmes dramatiques en observant les unités: Corneille, Racine et Voltaire l'ont prouvé. Est-il bien démontré qu'on n'en puisse pas faire sans les suivre? Prenons pour exemple le Coriolan de Shakespeare. Dixsept tragédies sur ce même sujet ont été publiées en France; aucune n'a réussi. A quoi imputer cette disgrâce? A la mauvaise idée qu'ont eue leurs auteurs de ne peindre le hér os que dans un seul instant de sa vie. Le Coriolan de Shakespeare plane sur tous ces pauvres trépassés. Cette tragédie est, à nos yeux, un poëme épique mis en action. N'en voulons donc point à nos littérateurs flamands de s'être affranchis de règles onéreuses et injustifiables. Permettons-nous seulement de contester le nom qu'ils s'opiniâtraient à assigner à leurs pièces: celui de tragédies. Trop de conditions font défaut pour cela: ‘Partout, dit Voltaire, où il n'y a ni crainte, ni espérance, ni combats du coeur, ni infortunes attendries, il n'y a point de tragédie. Encore si la froideur était ranimée par l'éloquence de la poésie! Mais une prose incorrecte et rimée ne fait qu'augmenter les vices de construction de la pièce.’ Puis, si, à l'exemple des Sept péchés capitaux, de Guillaume Ogier, on se fût borné à diviser les pièces en un nombre indéterminé de scènes, au lieu de les couper par | |
[pagina 155]
| |
actes, on n'eût fait usage que d'une liberté parfois féconde en péripéties heureuses, et qui eût eu beaucoup d'imitateurs en nos parages. Mais, on se permettait d'entasser sans façon les événements les plus contradictoires, de mêler le grotesque au terrible, de confondre le sacré avec le profane, de passer d'un cabaret à un champ de bataille, d'un cimetière à un trône. Où trouver dès lors trace d'art et ombre d'intérêt? On dirait que le théâtre espagnol a beaucoup influé sur celui-là. Rappelons-nous le drame d'Eustache, emprunté au premier siècle de l'ère chrétienne, et où l'on voit des soldats s'exercer au maniement du fusil! Milton plaça, il est vrai, des canons dans l'armée de Satan, mais Milton était un génie aussi vigoureux qu'original, et les beautés de premier ordre qui fourmillent dans son Paradis perdu, excusent ce bizarre anachronisme. Presque toutes les pièces dont nous venons de parler, appartiennent à la Bible ou à l'histoire sainte. Restent le genre mystique et le genre romantique. Le premier procède des anciennes moralités, ou mieux, des anciennes allégories, spelen van sinne; le deuxième semble venir eu droite ligne d'Allemagne. Comme spécimen du mysticisme nébuleux et prétentieux des villageois flamands, la pièce de De Langhe: Le Triomphe des adorateurs du Très-Haut, jouée à Nokere en 1773, se recommande, avant toute autre, à notre choix. En voici la teneur: Première partie. Scène 1re. Un grand seigneur donne un souper, pour lequel il fait de nombreuses et pressantes invitations. Il envoie son domestique, à l'heure convenue, pour annoncer aux convives que tout est prêt. Scène 2e. L'homme fier se croit au-dessus de tout. Quand l'envoyé lui rend compte de sa mission, imposée par la haute volonté de | |
[pagina 156]
| |
Dieu, il s'excuse en disant: j'ai acheté une maison de campagne; il faut que j'aille la voir. Scène 3e. L'avare voudrait posséder toutes les richesses du monde. Le messager le réprimande à ce sujet, l'invitant au repas, an lieu indiqué par Dieu; il s'excuse, en disant: j'ai acheté cinq jeunes vaches, que je dois soumettre aux épreuves du labour. Scène 4e. La plupart discourant sur les plaisirs du monde, disent, à la réception de l'envoyé: je viens de me marier, je ne pourrai donc répondre à l'invitation. Scène 5e. L'envoyé, à son retour, détaille toutes ces excuses au chef de famille, qui, troublé et étonné, dit: allez, convoquez les faibles, les boiteux et les aveugles, et emmenez-les ici. Deuxième partie. Scène 1re. Les orgueilleux ne voulant pas s'humilier, reçoivent, par la miséricorde de Dieu, la grâce intérieure. Scène 2e. Les avares, attachés à leurs richesses, méprisent toutes les exhortations chrétiennes. Scène 3e. Les pauvres et infirmes, se conformant à la volonté de leur créateur, sont conduits au lieu désigné. Scène 4e. Dieu le Père reçoit ses adorateurs dans la gloire céleste, et, montrant à son serviteur les places inoccupées, il dit: allez et ramenez à la vertu les tièdes et les pusillanimes. Troisième partie. Scène 1re. Le serviteur remplit son mandat, mais les tièdes ayant demandé à temporiser, il les stimule par des souffrances éphémères. Scène 2e. Les avares, au milieu de leurs vaines jouissances, reçoivent d'une voix intérieure un avertissement inattendu, et s'enfuient. Scène 3e. Les lents et les indifférents, éprouvés par les peines, suivent les admonitions du Seigneur. Scène 4e. Les sensuels, s'adonnant à tous les plaisirs, sont avertis, à leur tour, par une voix étrange, qui les met en fuite. Scène 5e. Les infirmes, touchés de la grâce divine, sont, après leur mort, reçus dans le royaume des cieux; les | |
[pagina 157]
| |
amateurs des jouissances terrestres, rebelles à sa grâce, sont condamnés justement. Quatrième partie. Scène 1re. Lucifer et ses compagnons, apprenant que les sensuels deviennent leurs vassaux, s'en réjouissent. Scène 2e. Des gens honnêtes, venant à passer devant la demeure des sensuels, et n'entendant que les sons du chant et du violon, plaignent ces serviteurs de Bacchus, et les préparent à la cène du Seigneur. Scène 3e. Quelques orgueilleux, voyant qu'ils ont fait fausse route, répondent à l'appel céleste. Scène 4e. Les pusillanimes se proposent de tout abandonner, et s'apprêtent à se rendre à l'invitation divine. Exhibition du Ciel. Scène 5e. Les serviteurs de Bacchus, Vénus et Crésus, vainement avertis, persévèrent dans leur obstination. Scène 6e. Les vicieux, les contempteurs des institutions divines, les blasphémateurs, les adorateurs des choses terrestres, les usuriers et les adultères, sont récompensés de leurs actes impies par les serviteurs de Lucifer. Peut-on imaginer un imbroglio plus fade, plus guindé et plus inepte que celui dont on vient de lire l'analyse sommaire? L'esprit humain est profondément humilié et confondu devant de pareilles absurdités scéniques. C'est l'allégorie mystique du moyen âge, moins la sincérité naïve, la douceur onctueuse et l'inspiration franche qui caractérisent les écrivains adonnés aux pratiques de la vie intérieure, aux exercices de la méditation contemplative. Pour le genre romantique, le meilleur type à citer, est, sans contredit, la tragédie de Rosamonde, qui a eu, parmi nous, un succès aussi franc et aussi durable que les tragédies empruntées à la Bible ou aux légendes. Ce sujet, d'ailleurs, a été traité par les dramaturges de presque toutes les nations, paree qu'il est d'un intérêt touchant, et qu'il est fondé sur les ressorts les plus puissants du coeur hu- | |
[pagina 158]
| |
main. On compte, entre autres, des Rosamonde anglaise, flamande, française et italienne. Une tragédie de ce nom fut jouée à Lille en 1758. Une autre, de Balthazar Baron, date de 1649. En Flandre, on possède des pièces de Rosamonde traitées par Vander Borcht, Zevecote et CaudronGa naar voetnoot(1). On a donné, en 1732, à l'hôtel de ville d'Ypres, une tragi-comédie de Rosamunda, dochter van Anaxarses, koninck van Persien, sous la direction de Dominique-Martin Boeteman, instituteur de la localité. Elle était en cinq actes, et entremêlée de ballets. C'est peut-être la même qui a servi de modèle aux pièces du même sujet, popularisées depuis dans les campagnes de la Flandre. ‘En 1703, l'armée des alliés campa près de la ville (Maestricht), et comme la pluspart consista en troupes anglaises, quelques officiers de cette nation, pour se désennuyer, représentèrent, au mois d'avril, dans une grange appropriée à cet effet, au village de Wilre, à une demie lieue de Maestrigt, vers l'occident, huit à dix pièces du théâtre anglais, entre autres: Rosamond, an opera in 3 acts, by Addisson. Le duc de Marlboroug, feld-maréchal, etc., y assista chaque fois pour se distraire. Plusieurs citoyens de la ville s'y rendirent par curiosité, pour voir un spectacle que l'on n'avait jamais vu, nique l'on n'a vu, depuis ce temps, dans ces contréesGa naar voetnoot(2).’ D'ordinaire, les drames étaient entremêlés ou suivis d'une farce ou d'une parabole, bagatelle souvent laborieuse, parfois obscure, toujours grossière. On la nommait tus- | |
[pagina 159]
| |
schenspel, intermède (interludium), et naspel, épilogue (postludium). Un ballet, qui n'avait de chorégraphique que le nom, terminait quelquefois aussi les grandes pièces. Les fabellae étaient la plupart rimées, et la morale se dégageait péniblement et froidement de l'allégorie. Nous préférons les farces qui sermonnent moins et qui peignent davantage, où le coeur humain se voit à nu, où les passions se combattent et où la vie circule. C'est là un enseignement plus profitable que celui qui s'affiche. Les intermèdes étaient rarement tirés du drame même. La légende de Notre-Dame de Dadizeele, analysée plus haut, comporte deux scènes de ce genre, qui nous montrent les idoles abattues pour faire place au culte de Marie, et où les mendiants arrivent en foule à la kermesse communale. La comédie, en général, comme le drame, était façonnée d'après les ouvrages les plus applaudis dans les établissements des Jésuites. Prenons celle qui passe pour le chef-d'oeuvre du père Le Jay, savant professeur du collége de Louis le Grand, aujourd'hui inconnu. Nous avons nommé Damoclès. Le courtisan du tyran Denys est transformé en philosophe. Ce philosophe est plus remarquable par l'ampleur de sa barbe que par son bon sens. Il dit et répète sans cesse que les peuples ne seront jamais heureux, à moins que les rois ne deviennent philosophes, ou que les philosophes ne deviennent rois. ‘Eh bien! soit, dit Denys, règne donc à ma place.’ Et Denys abdique, ou fait semblant d'abdiquer, en faveur de Damoclès; et voilà Damoclès roi de Syracuse. Tout va bientôt de mal en pis. Le peuple, ridiculement gouverné, se soulève contre le maître incapable, et rappelle l'ancien roi. Denys reprend l'autorité; Damoclès est dépouillé du manteau royal, et condamné à mort pour son | |
[pagina 160]
| |
impéritie et son outrecuidance. Mais Denys n'est pas le Denys de l'histoire: il est bon homme, et il aime à rire. Il se contente de la barbe de Damoclès, au lieu de sa tête. Damoclès tient à sa barbe presque autant qu'à la vie; et, quand Nicagoras paraît, armé d'un rasoir, il regimbe, il crie qu'il aime mieux mourir. Mais il est philosophe: c'est dire qu'il se résigne à vivre. Seulement il implore de n'être point rasé devant tout le monde. Denys lui accorde cette grâce. On passe, pour l'opérer, dans un cabinet voisinGa naar voetnoot(1). Conclusion morale: les philosophes ne sont et ne peuvent être que des vantards, des sots et des poltrons. Cela est tiré, sans doute, de la boîte au gros sel; mais, il y a là, il faut en convenir, un certain vis comica, dont le succès a dû être infaillible. Aussi, ce Damoclès a-t-il fait le tour d'une infinité de scènes de villages, sous des noms divers, bien entendu. Il n'y a pas longtemps que nous l'avons vu jouer devant les tréteaux d'une foire. Les facteurs de village mettaient si peu de différence entre la farce et le haut comique, qu'ils mêlaient indistinctement les scènes de caractère avec les arlequinades les plus grossières. Pour déguiser leurs larcins, ils se bornaient à changer les titres des pièces ainsi que les noms des personnages, et à transporter les scènes d'une pièce à l'autre. Souvent ces titres étaient enveloppés dans des quatrains alambiqués, d'une compréhension assez difficile. Classiques, bouffes italiens, comiques français, allemands, hollandais, ils s'emparaient de tout, sans mettre le moindre goût dans leur choix. Il n'est guère malaisé, par exemple, de discerner l'origine des farces suivantes: Adam et Ève, les Sept péchés capitaux, la Pucelle de Flandre, Bon Jean, le Savetier, Lemmen et son nez, Ar- | |
[pagina 161]
| |
lequin amoureux, Minerve, Arlequin sauvage, Arlequin savoyard, l'Oracle, l'Avare, le Perroquet, le philosophe Diogène, les Jardiniers, etc. Il y en a même une qui provient en droite ligne du Danemark: le Potier d'étain renommé, farce tirée incontestablement d'une comédie de Louis Holberg, le grand comique du Nord. C'était enfin la confusion dans l'abondance, une sorte de Babel comique. Voici, à titre de spécimen, le début d'une comédie manuscrite, imitée très-vraisemblablement d'une farce italienne: le nom de Mascarille, valet de l'ancienne comédie bouffonne, autorise du moins cette supposition. Peut-être est-ce la même que l'abbé CarnelGa naar voetnoot(1) résume, et qui a pour personnages Pasquier et Isabelle. Nous ne possédons que ce fragment, qui doit être du xviie siècle. Il roule sur des affaires d'amour et de ménage. Mascarille est devenu maître d'école et marchand de fromages. Ces raisonnements fades et froids, ces chevilles et ces remplissages, ces vers traînants et ces barbarismes, n'annoncent rien de bien remarquable. Nous la donnons, faute de mieux, pour la plus ancienne production du théâtre villageois flamand qu'il nous ait été permis de retrouverGa naar voetnoot(2): | |
Eerste deel.
| |
[pagina 162]
| |
Maskaril.
Helaes! ja, ja, 't is waer, myn schoone Isabelle;
'K heb noyt genoegh gedaen om u uyt mynen cop te stellen;
Maer 't is om niet geweest, want soo ick weer besien
U ooghskens, mondeken, lipkens, bortiens, knien,
Voetiens en al de rest, soo hebbe ick reden
En wort van jalousie, weer teenemael bestreden,
Dat ick maer schoonder waer! gaet aen, syt in geen pyn,
'K en sou voorwaer de helft, ja soo jalours niet syn.
Gy weet emmers dat ick u van uwe kintsche dagen
Schier hebbe opgebrocht, en op den arm gedragen.
Geeft my lieffde nu, en hert tot recompens.
Siet daer, daer is myn hant. Ach! wat een wonder mens!
Ick ben schoolmeester en grooten coopman in kesenGa naar voetnoot(1).
Wat dat ick segh oft niet, 'k en can haer niet belesen.
Van morgen, Isabel, soo gy maer en begeert,
Sult gy nevens my in't bedde syn aenveert.
Wat dunkt u? Sou u dat den appetyt by brengen?
Isabella.
Van morgen, segt gy! Neen, men can dat wel verlengen;
'K ben daer niet haestigh toe; spreckt my binnen thien jaer.
Maskaril.
Binnen thien jaer?
Isabella.
Jae.
Maskaril.
Dan ben ick al lanck grootvaer.
Neen, neen, geenen uytstel, 'k en wil niet langer wachten,
Gy sult gy meester syn by daghen en ick by nachten;
Gy sult peerlen draghen en hebben het gebiet
Van al myn knechten te bekyven, maer my niet.
Ick sal u boven dien laten potagie koken;
Maer ick wil idere reys daerinne kees gebroken,
Want dien bemin ick even gelyck als u.
Onthout maer wat ick segh; g'hebt my begrepen nu?
Isabella.
Gy meyntGa naar voetnoot(2) het dan voor goet, als dat gy tegen morgen
Begint van nu aff aen de maeltyt te besorgen!
Ey! stelt het noch wat uyt.
| |
[pagina 163]
| |
Maskaril.
Ten is niet mogelyck.
Seker redenen die maecken my gevoelyck.
Neen, neen, myn lieff, geenen uytstel oft ick sterve;
Liever nu, cost het syn, als langer noch te derven.
Ja, ja, het gen' ick soeck, dat soeckt gy oock, segh ick.
En ist niet waer, myn lieff, gy hebt daer van geen schrick?
..........
A coup sûr, on n'en tolérerait pas l'équivalent au boulevard, dans le plus débraillé des vaudevilles. Veut-on maintenant du comique sérieux, grotesque? La scène est empruntée à une comédie ayant pour titre Den geveynsden Hovenier, très-probablement une imitation libre du Jardinier supposé, pièce à ariettes jouée aux Italiens à Paris, en 1762Ga naar voetnoot(1). On se trouve à la foire de Bezon. Nanette danse avec un comte. Entre un chevalier, qui demande de faire un menuet avec Nanette. Provocation, se terminant par une saillie bouffonne d'Arlequin. Ce qui se chantait ne valait probablement pas la peine qu'on le parlât:
Chevalier.
Ach! wat vreugd is het te wesen
By soo lieve engelin!
Ik voel in myn hert geresen
Eenen schicht door suyver min.
Soo haest ik haer quam anschouwen,
Ik wiert in myn ziel gewont.
Ach! alderschoon beeld der vrouwen,
Mogt ik u spreken mont an mont!
Nanet.
Ach! myn hert is u genegen:
Maer, eylaes! dien ouden graef,
Wie myn vaeder is genegen,
Die maekt my als eene slaef.
| |
[pagina 164]
| |
Graef.
Al dat ik hier can sien of nerstig can begrypen,
Is niet als myn persoon misachtig te verslypen.
Dus, soo ik nog heb geseyt, jouffrouwen, let,
Bedankt die compagni, en recht naer Parys net.
Chevalier.
Met orelof, myn heer. Wat comt u te mishaegen?
Graef.
Wel, syt gy niet beschaemt al sulcx an my te vraegen,
Dat gy haer caresseert in myn bywesentheyt?
Chevalier.
Wel, spreekt dan met fatsoen, maer geen brutaliteyt.
Graef.
Ik zeg dat sy aenstont met my naer huys zal comen.
Chevalier.
Wat insolentien? wat hebt gy voorgenomen?
Comt gy misschien alhier stooren d'heel compagnie?
Siet wel wat dat gy doet, en hoe en tegen wie;
Gy spreekt zu petit bourgeois, ik seg gy cleynen borger;
Wel syt gy dan alleen haer leydsman en besorger?
Graef.
Ja, hunnen heer papa beval my desen last.
Ik raede u, myn heer, dat gy seer wel oppast;
Dat woort petit bourgeois dat sal ik u vergelden;
Hoe, eenen graef als ik dusdaenig uyt te schelden,
Wiens hoogen edeldom, wiens verheven stam
Uyt vorstelyke bloed eerst synen oorspronk nam!
Chevalier.
Uw dreygen acht ik niet! gy en cont my niet derren,
Midts ik my vind in staet manhaftig af te weiren
Het onheyl ofte ramp het gone dat my naekt,
En daer gy soo verwaent al die bagage op maekt.
Sal uw jalourschen aert al onse vreucht beletten?
Sult gy d'heel compagni alhier in troubel setten?
(Leggen beyde de hand op den degen. Nichon en Nanet stellen hun tusschen beyde.)
Nanet.
Alon! nog eens gedanst, wy comen om plesier;
Nichon.
Ja, beminde masseur, eer wy scheyden van hier,
Laet ons het hert ophaelen en danssen sonder faelen;
Want een goet houwelyk dat moet het al betaelen.
| |
[pagina 165]
| |
Myn heer, bied my de hand.
Nanet.
My geenen tydt verveelt.
Myn heer, uw dienares. Sa, musicanten, speelt:
(Ten eynde van den dans, treckt hy Nanet weg.)
Chevalier.
Gy, onbeleefden buffel, is dit manier van handelen
An die hier tot vemaek syn t'saemen comen wandelen?
Gaet, gaet, poltron, gaet vry te saemen naer Parys.
Joffrouwen, tot wedersiens, 'k hoop op een ander reys,
Dat ik, als trouw minnaer, de eere sal ontfangen
Te toonen met eerbied hoe seer ik ben bevangen
En in myn ziel geraekt door uwe schoonigheyt.
Adieu, dan! weerde lief, tot op een ander tydt.
(Binnen.)
Arlequin.
Ik speel kasaksken uyt; hy waer te seer verbolgen,
Dat ik volgens myn plicht hun niet kwam naer te volgen;
Want het is eenen vreck, ik zeg het voor gewis,
Die noyt begrepen heeft wat dat van leven is.
Dog is het voorval, soo dat ik van hier moet scheyden.
Ik beminde de vreugd, Cupido, t'allen tyden.
En die is in de weir, schiet syn pyltjens uyt,
Maer parçà die slist list, dar med' is 't deeltjen uyt.
Voltaire mandait, en 1762, à Damilaville: ‘On s'est mis, depuis quelque temps, à proscrire le comique de la comédie. C'est là le sceau de la décadence du génie. Le goût est égaré dans tous les genres, et il n'appartient qu'à un siècle ridicule de ne vouloir pas qu'on rie.’ Deux ans avant, il avait écrit au marquis Albergati Capacelli, relativement aux bonnes tragédies et aux bonnes comédies: ‘Elles ont souvent corrigé les hommes. J'ai vu un prince pardonner une injure, après une représentation de la clémence d'Auguste. Une princesse, qui avait méprisé sa mère, alla se jeter à ses pieds en sortant de la scène où Rhodope demande pardon à sa mère. Un homme connu se raccommoda avec sa femme, en voyant le Préjugé | |
[pagina 166]
| |
à la mode. J'ai vu l'homme du monde le plus fier devenir modeste après la comédie du Glorieux, et je pourrais citer plus de six fils de famille que la comédie de l'Enfant prodigue a corrigés. Si les financiers ne sont plus grossiers, si les gens de cour ne sont plus de vains petitsmaîtres, si les médecins ont abjuré la robe, le bonnet et les consultations en latin; si quelques pédants sont devenus hommes, à qui en a-t-on l'obligation? Au théâtre, au seul théâtre.’ Oui, pourvu que le persiflage soit collectif et n'aille pas atteindre, ipso facto, les personnes; alors la comédie va à l'encontre du but. Et ici nous donnons pleine raison à l'autorité, quand elle prohibe des abus pareils à ceux qui se produisirent, en 1789, au village d'Erwetegem, au pays d'Alost. Le 15 mai, Bernard De Croo et Bernard Van Cauwenbergh, habitants de cette commune, demandèrent au gouvernement l'autorisation de représenter, une douzaine de fois, et pour l'amusement de la jeunesse de l'endroit, la comédie intitulée Den gulten Bulten. Ils exposèrent, entre autres, qu'ils avaient fait plusieurs répétitions de l'oeuvre avec le plus grand succès, et que ce succès les enhardissait à la donner en public; ils ajoutèrent que ce spectacle occuperait la jeunesse du village, et qu'ils avaient loué un local spacieux à cet effet. Le procureur général de Flandre communiqua la requête aux hommes de loi de Sottegem, lesquels furent d'avis de refuser l'autorisation, en donnant pour raison que le Gulten Bulten n'était fait que pour tourner en ridicule les habitants d'Audenhove-Sainte-Marie, village contigu à celui d'ErwetegemGa naar voetnoot(1). Comme on le pense bien, le | |
[pagina 167]
| |
procureur s'empressa d'adhérer à leur sentiment, d'autant plus ‘qu'en général les représentations de comédies et tragédies, au plat païs, ne servent qu'à distraire le laboureur de ses travaux et donnent d'ailleurs occasion à des vices et des ivrogneries, et qu'on ne peut d'autant moins les autoriser, lorsqu'il s'agit, comme ici, de donner cours à quelque animosité particulière.’ Sur quoi, Joseph II, par apostille du 13 juillet, déclara que la demande ne pouvait être accordée, et cette délibération fut transmise aux intéressés. Il est vrai que les acteurs avaient, de leur côté, bien souvent à souffrir du public, comme il conste de ces rimes, placées en tête de la pièce de Crispe, fils de Constantin, jouée, en 1788, à Deerlyk: Nu siet men hedendaegs, het welk word zeer gemeyn
Ten lande, dorp of stad, dat groot ende kleyn
Tonneelen rechten op, spreekplaetsen van de konste,
't Welk is in 't kort gezeyd een geestig redenwoonste,
Alwaer daer word verbeeld, in geestelyken zin,
Levens der Heylige die swerfden in Gods min.
Maer laes! het schynt als nu dat alle de theat'ren,
Niet anders en verbeelt als plaetsen om te schatt'ren,
En merkt een deugzaem woord rype verstanden niet,
Zoo hebbens een waen geloof, al wat hun word bedied.
Dus is met regt gestroeyt de roosen voor de swynen,
Waer door al 't Midas volk moet gauw 't qwaed doorschynen.
Ceci nous amène à dire encore un mot des arguments ou programmes. | |
[pagina 168]
| |
Généralement ces programmes étaient en prose. Ils donnaient en substance l'histoire qui se jouait au théâtre. Outre cela, ils initiaient l'auditeur, scène par scène, à la pièce même. D'ordinaire ils comportaient quatre pages in-4o. Il en existe quelques-uns en format in-fo. Le nombre d'exemplaires destinés au public variait selon les communes. Il allait, en moyenne, de 200 à 2,000. La plupart des analyses n'offraient malheureusement qu'une copie déguisée des réductions sommaires faites par les associations rhétoricales des villes. On se bornait parfois à changer l'orthographe seule. Le reste était rempli de réclames dont l'imprésario recueillait le bénéfice. Les arguments qui appartiennent à la première moitié du xviiie siècle, sont rédigés avec une simplicité exempte de prétention. Un fac-similé en est joint à la présente page. Ceux au contraire de la seconde moitié, dont on voit également un spécimen, où apparaît la roue du char d'Apollon, sont chargés de tautogrammes, de chronogrammes, d'anagrammes, d'acrostiches et d'autres bigarrures à renverser l'auteur du Pugna porcorum, outre que les titres des pièces sont entortillés dans un verbiage barbare et inextricable. L'argument de la pièce historique jouée à Sinay, en 1782, et qui retrace les hauts faits de Marie-Thérèse, de François Ier et de Joseph II, alors régnant, est hérissé d'une centaine de chronogrammes au moins, sans compter les anagrammes et les acrostiches de tout genre que l'imprésario y a répandus avec une profusion réellement stupéfiante. Comment justifier la nécessité d'une recherche aussi laborieuse? Il est vrai que chaque siècle et chaque nation ont eu leurs enfantillages littéraires, et que les exemples de ces débauches d'esprit partaient de haut et de loin. Nous pré- | |
[pagina *1]
| |
[pagina *3]
| |
[pagina 169]
| |
férons les simples quatrains on tercets que contiennent les arguments anciens. C'est plus clair et plus pratique. En fait d'acrostiches, bornons-nous à citer les suivants: Ofschoon Bellona vreed haer bloed-trompet doet blazen
Ontrent Europa's deel, en dat Mars ook laet raezen
Syn grouwzaem krygsbazuyn op Neptunus pekel-plas,
Tot in 't West-Ind's gewest, en ofschoon Momus ras,
En Midas nydig volk hun ezels-tael laet hooren
Rond de Parnassus-school, nog kan dit niet verstooren
Zoo grooten iverzugt als d'Oosterzeelsche jeugd
En leerelings, bezield om hun verlossers deugd
En lyden, kruys en dood van Christus te verbelden,
Lofwaerdig op 't tooneel hun Scheppers lof te melden.
Als Parnass' word befaemd voor die de konst beminnen,
Na dat hy tonneel opgeeft, moet in syn sinnen
Stellen regels des Helicons en drinken 't bronn',
Een ingank van het myer der negen choorsche sonn',
Gelyk uyt Pegaâs top waer d'edel revieren
Egall' uytbortelen 't goon poëten leeren cieren,
Met loon const door de penn' Apool altyt jolyt,
gY, Minnaers CrUYs-Weg, 'k Jonn' U aLL' De saLIgheYt.
Mensch die hier leeft naer Godts ste M
Aensien eeens sonder gen A
Recht oordeel sal spreken klae R
Twelk sal wesen eens ons lo T
Ider schepselen al w I
Niemant in genaed' ontfae N
Uwe deugden wilt die n U
Sonder twyffel geven pry S
Merckt dat wy al sullen he M
Als een rechter die hier n A
Rechtveerdig in 't openbae R
Tot vergelding van dien God T
Ionck en oud soo zal hy d I
Naer zy quaed hebben gedae N
Ubereyden God sal U
S' hemels eeuwig parady S
Ophasselt stoeckt in 't werck der edele poësie,
Poëten reym-gedicht, en vinden daer in dese,
Het laest en algemeyn Oordeel in rym gestelt,
Al sulckx dat ten tooneel van hun hier wort verbelt.
Schoon sy in 't reden-ryck niet constich zyn ervaeren,
Schatert hun daerom niet, gy meerder constenaeren,
Een-ieder schept zyn vreugt in 't werck naer syn verstant.
Let op het sede-werk, laet Momus in den bant,
Tot rust van 't gemeen en vrê van uwen naesten.
| |
[pagina 170]
| |
D'overcautersche hebben eenen zin geslaegen,
Om door dees redenkonst hun werken op te draegen,
Van Weenen het ontset, aen hunne overheyd,
Eensaemig met malkaer, dat nu ten toone leyd,
Rechtzinnig voor de die, die hun tot ons begeven
Can komen op den tyd hier vooren aengeschreven,
Als behoudens die zoud' komen uyt spotterny,
Uoor seker ende vast dat die maer gaen voorby;
T'en is maer voor den mensch te sien met vredsaem oogen,
En voor die rust voed, t'aenschouwen in vertoogen;
Ras henen dan met spoed, gy Momus praeters al,
Soysilus ons tot rust veel beter dienen zal;
Comt dan gy, minnaers t'saem vol vré en ruste mede,
Het is tot uwer eer dat men hier speeld in vrede,
En dat in het publiecq voor die het willen zien,
zullen u alle eere bienGa naar voetnoot(1).
Moen zIet g'hIer nU begaefD Door hUn beroeMDe DaeDen,
OVerVLoeDIg In praeL, Door LaUers oVerLaeDen,
EenzaeM Der Vre-goDIn Door pUer eenDraChtIgheIt,
Nu MoMUS Wort VerkraCht Door Vaste nYDIghelt.
Les directeurs de théâtres villageois se hasardaient rarement à aborder les rébus et les logogriphes, bien que ces tours de force fussent dans l'esprit des populations flamandes, qui raffolent, comme on sait, d'images et de symboles, témoin leurs intéressants cortéges allégoriques. Ils n'en ont fait usage, pensons-nous, que pour ne pas demeurer en reste avec les sociétés urbaines, qu'en maintes choses ils avaient pris pour modèlesGa naar voetnoot(2). Un rébus apparaît sur le programme d'une pièce jouée à Peteghem, en 1779: l'Overrompeld Audenaerde (Aude- | |
[pagina 171]
| |
narde surpris). Ce programme, rédigé par Pierre-Joseph Crispyn, est de la teneur suivante: 'T para 10 is 8; 't soeckt die 20.
Ver van ven, doet den derven.
Ce qui veut dire ‘: t' Paradys is wit; 't soeckt die vind. Vermaen van sterven, doet sonden derven.’ Un rébus, plus court et moins forcé, se lit sur l'argument d'Abraham, pièce jouée en 1763, à Anseghem, sous la direction de Jean-Baptiste Signor, qui était alors clerc d'église à Sulsique; le voici: Een is een der
En d'autres termes: ‘Een hert is een croon der werelt.’ Ce rébus reparaît, avec une légère variante, sur l'argument de Lupold, rédigé, en 1786, par Pierre-Joseph Signor, maître d'école à Deerlyk. Pour la cryptographie, un simple échantillon suffira. Il est emprunté à un argument de Syngem de 1777: 16 h22ft d28 h12t 4p 48s g26429t,
48s sp26 w49t t28 t448226 g2v429t.
La solution en est: Al heeft den haet op ons geloert,
Ons spel wort ten tooneel gevoert.
Partout le souvenir amer d'une persécution qu'auraient essuyée les directeurs de théâtre, de la part d'un groupe d'envieux ou de mécontents. Le sort de ces zélés amateurs devait donc être bien dur! Comme nous le verrons bientôt, l'invasion des pièces à grand spectacle avait fait déserter, | |
[pagina 172]
| |
à la fin du xviiie siècle, les modestes pièces privées de trucs, et rendus extrêmement difficiles certains auditeurs, qui, éblouis peut-être par les splendeurs de l'opéra, ne savaient plus faire la part des lieux ni des circonstances. |
|