Le théâtre villageois en Flandre. Deel 1
(1881)–Edmond Vander Straeten– Auteursrechtvrij
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IX
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communes flamandes, pour arriver, par voie d'induction, à des notions sinon précises, du moins vraisemblables. Il y a lieu de croire que, hormis l'orgue qui était- l'instrument obligé de toutes les églises, nos villages n'ont d'abord connu d'autres instruments que ceux qui retendssaient à leurs foires et à leurs kermesses. C'étaient généralement la trompette, le hautbois, la flûte, le fifre et le tambourGa naar voetnoot(1). Ces deux derniers instruments étaient utilisés aussi par les sociétés de tir. Dans certaines paroisses, les virtuoses se réunissaient en confréries, comme nous le verrons ailleurs. A l'égard du chant, la psalmodie se mêlait beaucoup aux chansons en vogue, surtout en pleine floraison du drame biblique. Les clercs d'église étant de la partie, tout devait aller pour le mieux. Le chant est d'ailleurs naturel à l'homme honnête et content de son sort: Boese Menschen haben keine Lieder,
dit un poëte allemand. Ces mots formaient en quelque sorte la devise des musiciens d'autrefois. Une idée semblable se rencontre dans l'introduction des Spelen van | |
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sinne, imprimés à Anvers en 1561: ‘La gaieté fuit les lieux d'où la rhétorique et la musique sont exclues.’ Sous ce rapport la Flandre, ce pays musical et scénique par excellence, a dû offrir un spectacle unique dans les annales de l'art. La trompette sonne, d'ancienne date, à la foire aux chevaux d'OudenbourgGa naar voetnoot(1). A Eenaeme, c'est la flûte qui roucoule de doux accordsGa naar voetnoot(2). A Grammont, c'est la harpe, la guitare et le luth auxquels la préférence est accordéeGa naar voetnoot(3). A Hauthem-Saint-Liévin, ce sont à la fois la trompette, la flûte, la cornemuse et le tambour qui ont pour mission d'égayer l'ommegang de ce village. Citons, à ce sujet, une relation de cette procession bruyante, que Charles-Quint, par un édit de 1549, crut devoir supprimer impitoyablement. En parlant de la translation du corps de saint Liévin, qui s'effectuait, à cette occasion, au lieu même où l'apôtre fut enterré après son martyre, l'annaliste ajoute: ‘C'estoit une grosse procession, depuis la ville de Gand jusques audit Haultem, de gens qui y alloient, tant de piet comma de cheval et aussi de chariot. On estimoit y aller chascun au plus de douze cens chariotz; le tiers du peuple de Gand s'y trouvoit cedit jour, et aussi du quar- | |
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tier à l'environ. Il y avoit une franche feste audit village de Haultem, et y trouvoit-on toute manière de marchandises à vendere cedit jour, que on y menoit de la ville de Gand et aussi de divers quartiers à l'entour; on y vendoit aussi à boire et à mangier à tous costez dudit villaige, et principalement en la plache d'icelluy qui estoit fort grande et ample, où la dicte marchandise et toute mercherie estoit mise avant, de sorte que ce sambloit une bonne grosse puissante armée et camp de bataille, tant y avoit gens de toutes conditions par bendes, eschades et confraries, les ungs ayant avec culx tambours et fluttes d'allemans, les autres de trompettes, et aussi forche muses (cornemuses) et autres divers instruments, jouans à tous lez et costez audit villaige, qui estoit chose fort admirable à l'oyr, tant estoit le bruyt grant à tous lez, les ungs dansans, les autres faisans autres esbas et passe-temps, car la pluspart de ceux qui y alloient, n'estoit point par dévotion, mais pour leurs plaisirsGa naar voetnoot(1).’ Le luth se faisait entendre de préférence aux foires de Grammont, avons-nous dit. Ce fait prouve que, comme à Furnes, le snaerspel était réservé aux processions religieuses, et que la trompette ainsi que la flûte vibraient surtout aux foires communales. Il est démontré, en outre, que les ménestrels du seigneur de Boulaere furent appelés à rehausser, au xve siècle, la kermesse de GrammontGa naar voetnoot(2). Les trompettes dominent à l'ommegang de Termonde. En 1522, des ménestrels de Moerbeke et de Stekene, | |
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jouant de cet instrument, vont se joindre à ceux qui arrivent des grandes villes pour contribuer à l'embellissement de cette processionGa naar voetnoot(1). Le Nederlandsche Sterrekyker de 1675, contient un couplet précieux à recueillir pour l'objet qui nous occupe. Il est relatif à la musique de danse: Claes gaet met den trommel raesen,
Jackje moet op't fluytje blaesen.
......
Herders en herderinnen,
Treckt eens al te samen binnen,
Want het veeltje roept ten dans.
A ces instruments de danse s'ajoutait parfois le chant, en guise de ballade, comme cela a lieu encore aujourd'hui chez certains peuples lointainsGa naar voetnoot(2). Nous trouvons encore la mention d'instruments de musique, dans la Dichterlyke nalatenschap van Jan-Frans Stallaert, édité par les soins de son petit-fils M. Charles-François Stallaert, et imprimé à Merchtem en 1868. Il y avait dans ce village, situé en Brabant sur les confins de la Flandre, une société d'harmonie érigée vers la fin du siècle dernier. Jean-François Stallaert en était le poëte, en même temps qu il était facteur de la société de rhétorique de la même commune. Il fit, en cette qualité, de nombreux morceaux pour des fêtes particulières, entre autres une chanson Tot lof der muzikanten, c'est-à-dire à la | |
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louange des musiciens. Nous en extrayons la dernière strophe qui suit: Neemt fluyten en clarinetten,
Violen, octaef daerby,
Walthorens, basson, wilt letten
Op de maet, maekt melodyGa naar voetnoot(1).
Évidemment ces instruments étaient ceux dont on disposait alors à Merchtem; de sorte qu'il est permis d'en inférer qu'outre ee qu'on appelait une harmonie, il y existait aussi un petit orchestre composé de flûtes, clarinettes, bassons, cors et violons. Cela est intéressant à noter, car pareille réunion d'instruments a dû se rencontrer aussi en Flandre. Un autre emploi d'instruments mérite d'être signalé. Dans les villes, on le sait, les joyeuses entrées des personnages d'importance s'effectuaient au son des trompettes, des fifres, etc.Ga naar voetnoot(2). Dans les villages, la même chose avait lieu. Outre cela, certaines coutumes se pratiquaient avec des nuances variées à l'infini. Mentionnonsen trois, qui nous semblent caractéristiques. La première figure dans le Beau Traicté des Fiefs en Flandres, édité pár les soins de feu M. Jules Ketele: ‘En la paroisse de Hoimile, y a ung héritier féodal estant tenu servir le conte, lorsqu'il est à Berghes, avec ung flagolet, pour faire taire et donner silence aux raines (grenouilles) et aultres bestes estans ès fossés. Soubs Berghes, y a ung aultre féodal qui est garde du lieu, nommé Spicke, et lorsque le conte passe illecq, est tenu estre droit et garder et souffler d'un flagoletGa naar voetnoot(3).’ | |
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La deuxième coutume nous est révélée dans un travail de M. Lanssens sur les KlokputtenGa naar voetnoot(1). M. Lanssens emprunte à un inventaire, dressé par ordre de Marie-Thérèse, des biens appartenant à l'abbaye de Zonnebeke, près d'Ypres, ce qui suit: ‘Cinq bonniers de terre, au village de Hooglede, lesquels ont été donnés en arrentement, l'an 1253, et sont à présent dans la possession de J. Harens, Charles Lansweert et consors, à charge de livrer à l'abbaye, chaque année, le 10 novembre, étant la veille de Saint-Martin, entre onze et douze heures avant midi, quinze poulets châtrés en trois cages, sur un chariot couvert, attelé de deux chevaux d'un même poil, avec des sonnettes à leurs garioles et un homme jouant de la flûte, assis sur le devant du chariot, qui doit demander la permission, avant d'entrer dans la bassecourt, et y étant, les chevaux doivent courir au grand galop jusqu'à la grande salle, de façon que le devant du timon y entre; et l'on doit encore payer en argent trente-deux pattards pour la sauce, ce qui se pratique exactement tous les ans, et quoique l'abbaye n'en ait aucun profit, à cause des dépenses et nourriture qu'elle est en usage de donner aux porteurs, se porte ici, ce qui se paie en argent, fl. 1-12-0.’ Enfin, la troisième coutume apparaît sur un petit tableau de l'ancienne école flamande, vraie merveille de coloris étincelant. Une dame de haut rang chemine à travers le verger d'une ferme. Elle est accompagnée de paysannes costumées à la-façon des anciennes béguines. Deux petits garçons tiennent les pans de sa robe. Devant elle marche, en jouant, un cornemuseux, la tête coiffée d'un chapeau rond surmonté d'un plumet. Évidemment, c'est la proprié- | |
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taire de ces domaines qui fait sa joyeuse entrée, et qui est, par un droit féodal, l'objet de cette aubade rustiqueGa naar voetnoot(1). Détachons de cette scène traditionnelle la figure du cornemuseux, qui nous paraît esquissée magistralement: Au mois de juin 1873, un jeune pâtre entonnait mélancoliquement, au milieu des prairies verdoyantes qui avoisinent le village d'Oombergen, une mélodie fort originale ayant pour timbre: Ne dirait-on pas un vrai motif pour cornemuse, instrument complétement abandonné en Flandre? On pourrait faire un recueil intéressant de ce qui se chante, vers le coucher du soleil, aux environs de la ville d'Audenarde. Dans l'analyse d'un ancien drame cornique faite par M. de Villemarqué, nous voyons le roi David, arrivé au mont Thabor, en Arabie, apostropher ses ‘écuyers et chevaliers,’ en ces termes: ‘Jouez, ménestrels et tambours, et vous, mes trois cents harpes et mes trois cents | |
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trompettes, tympanons, rotes, violes, guitares, psaltérions, luths et timbales, orgues et cymbales, et vous, chanteurs de symphoniesGa naar voetnoot(1)...’ Voilà, si nous ne nous trompons, tout l'appareil d'instruments qui servirent à rehausser les pièces bibliques du moyen âge, tant en France qu'en Belgique. Il est possible que les villages flamands en aient fait un usage plus ou moins fréquent, et proportionné à l'importance de leurs ressources. Mais nous n'oserions rien affirmer à cet égard. Opposons-y le récit d'une représentation villageoise donnée à Castets (Basses-Pyrénées), avec accompagnement d'un tambour, de deux violons, d'un galoubet et d'un tambourin. Entre ces deux extrêmes se trouve peut-être la vérité: ‘La pièce, qui était une espèce de tragédie ou drame intitulé: Les douze Pairs de France, fut jouée par des villageois, à midi et en plein air. La scène était en planches, bordée de grandes draperies blanches, et recouverte par d'autres qui servaient à intercepter les rayons du soleil et les regards des curieux du dehors. L'orchestre était composé d'un tambour, de deux violons, d'un galoubet et d'un tambourin: c'est le nom que l'on donne, dans le pays, à une espèce de caisse longue à six ou sept cordes, que l'on frappe à l'aide d'une baguette en bois. C'est au bruit de cette musique que s'exécutaient les marches (et il y avait nombre d'évolutions militaires dans la pièce), ainsi que les chants, car on y chantait une longue ballade. Tous les instruments jouaient à l'unisson. Dans les airs, qui n'étaient pas sans mélodie, M. Jomard crut découvrir des traces de notre très-ancienne musique. Au reste, il paraît qu'à Castets, comme à Rome, les femmes ne doivent point, monter sur le théâtre: c'était un | |
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charpentier du pays qui jouait le rôle d'une princesse, un autre paysan celui de sa suivante. Tout cela était burlesque, trivial, et personne n'était tenté de rireGa naar voetnoot(1).’ Dans la charmante introduction d'Esmoreit, pièce généralement attribuée aux premières années du xve siècle, l'auteur énumère diverses choses auxquelles on se complaisait de préférence, et il cite certains instruments de musique, qui, sans doute, auront été populaires alors, pour conclure enfin à la suprématie de l'art dramatique: Selc hoort gheerne melodien
Van orghelen, van fluten, van souterien,
In herpen, in vedelen, in rebebien,
In acaren, in luten ende ghiternen.
C'est-à-dire: ‘Tel aime à entendre les mélodies de l'orgue, de la flûte, du psaltérion, de la harpe, du violon, du rebec, des timbales, du luth et de la guitareGa naar voetnoot(2).’ Ce passage semble donner à entendre que la musique n'était guère employée aux anciennes représentations théâtrales. Mais, à notre sens, l'auteur fait allusion à la préférence exclusive de quelques-uns de ses contemporains pour certains instruments, ce qui n'exclut guère, cela est évident, leur usage accessoire dans les exhibitions scéniques. N'approfondissons pas davantage cette question, dont il sera traité in extenso dans notre livre de la Musique aux Pays-Bas, et arrivons, d'un bond, à des données plus locales et plus directes. Envisagée sous le rapport de l'art, la musique qu'on exécutait aux représentations villageoises ne valait guère mieux que les pièces. C'était le plus souvent une espèce de faux - bourdon, un contre-point grossier, un chant | |
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d'église larmoyant, pour l'interprétation desquels le directeur, d'ordinaire instituteur ou clerc d'église, nous l'avons déjà dit, était dispensé d'avoir recours à un personnel spécial, vu qu'il trouvait des exécutants tout prêts dans les enfants de choeur, dans les chantres et dans les élèves confiés à ses soinsGa naar voetnoot(1). Chaque acte finissait par un choeur, à l'imitation de Sophocle. Ces choeurs n'étaient point étroitement liés à l'action. Ils célébraient, au fur et à mesure du développement de la pièce, les louanges de Dieu et des héros en cause, et ils moralisaient sur ce qui se passait sous les yeux du spectateur. Ainsi, dans le drame de Clovis, on chante en choeur le Te Deum, pendant que le roi franc est baptisé par l'archevêque de Reims. Cela, du moins, n'était pas un anachronisme, l'hymne ambroisien étant antérieur au ve siècle. Un exemple plus caractéristique émane de la tragédie de Domitien, jouée en 1734, et où se chantent les ensembles suivants, dont nous traduisons littéralement l'intitulé: ‘Premier acte. Choeur de soldats. Un choeur des soldats réeite les louanges des princes. - Deuxième acte. Choeur de musique. On chante l'aveuglement de la superstition. - Troisième acte. Choeur des chrétiens. On rejette les malheurs et la décadence de Rome sur le culte des faux dieux. - Quatrième acte. Choeur. On chante les louanges de Constance. - Cinquième acte. Choeur de musique. On pleure la mort des martyrs, et on prédit les malheurs qui doivent arriver à Domitien.’ | |
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Dans la Défaite de Thersite, interprétée, en 1770, à Heestert, on voit un tableau accompagné de chant, vertooninge door gezang, représentant la combustion du cadavre d'Argégoras. Citons encore l'hymne Vexilla regis, exécutée dans la tragédie l'Invention de la Sainte-Croix, jouée à Ingoyghem en 1777, et le choeur chanté dans la pièce légendaire de Notre-Dame de Dadizeele, en 1732, pour célébrer la dédicace de la chapelle. Parfois, c'étaient des chansons ayant un air de parenté très-rapproché avec le plain-chant, mais revêtues d'une allure plus rhythmique, plus dégagée. Il y a une vingtaine d'années, se rencontrait, parmi les faibles débris des sociétés dramatiques rurales, une mélodie en sol mineur, que nous n'hésitons pas à ranger parmi les plus belles que nous connaissions. D'une carrure parfaite, cette mélodie renferme, dans l'espace restreint de huit mesures, deux périodes distinctes et parfaitement correspondantes. Elle est tracée sur un papier chiffonné, qui probablement a servi au violon chargé de guider la voix. Son titre est: Euphemia. Nous en concluons qu'elle a été chantée dans la pièce qui porte ce nom. Si les paroles étaient conservées, nous pourrions savoir par quel personnage et en quelle situation elle a été exécutée. Après tout, le malheur est bien petit, puisqu'elle n'a pas été faite pour la pièce même. Nous en trouvons une semblable, à quelques notes près, dans les Goddelyke Lofsanghen de Juste Harduyn, imprimés à Gand en 1620. C'est la sixième du recueil. Un an après la publication des Goddelyke Lofsanghen, parut à Amsterdam un motif similaire, dans le Friedsch-Lusthof. Ce motif est-il pris du recueil d'Harduyn, ou est-il emprunté à un air plus ancien d'où la mélodie des Goddelyke Lofsanghen elle-même dérive? Nous n'oserions tran- | |
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cher la question. Toujours est-il que l'une et l'autre ont le caractère flamand ou néerlandais, comme on voudra. Un recueil de chansons, qui vit le jour à Amsterdam, en 1627, contient la même mélodie, sauf quelques variantes, qui ne sont, à proprement parler, que des notes de passage introduites par fantaisie et qui laissent l'idée fondamentale intacte. Cette mélodie donne pour timbre: ‘'K heb 't wercken uyt myn zin gesteken.’ Enfin, notre chanson apparaît encore, mais défigurée au point qu'il est difficile de la reconnaître, dans les Oude en nieuwe liedjens, publiés par M. SnellaertGa naar voetnoot(1). La popularité a dû en être bien grande, on le voit, et si aujourd'hui quelque compositeur habile voulait l'enchâsser dans une partition d'opéra et la paraphraser comme Meyerbeer a fait du choral de Luther et Rossini du Ranz des vaches, elle serait vivement goûtée par ceux qui aiment la musique simple et expressive. Elle a été connue, cela est certain, par l'auteur de: ‘Ah! vous dirai-je maman!’ car cette chanson populaire en dérive directement, quoique écrite dans la tonalité majeure. Et, pour aller jusqu'au bout des imitations, ladite chanson se trouve reproduite, d'une manière déguisée, dans l'Orphée d'Offenbach, en forme de motif de marche servant de finaleGa naar voetnoot(2). A la tragédie de Rosalinde s'adapte, selon toute appa- | |
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rence, une bucolique que nous possédons en manuscrit et qui porte la signature de Jean-Baptiste Signor. Elle date de 1762. Musique et paroles ont-elles été détachées des nombreuses pièces que le sujet de Rosalinde a enfantées? La chose est probable. Rien n'empêche de supposer, jusqu'à preuve du contraire, que les paroles ont été composées pour le théâtre de Sulsique. Dans le but de faciliter la vérification du fait, nous reproduisons ci-après le thème et les couplets. Ces couplets ne manquent pas de mérite. L'air est bien dans le style du xviiie siècle. Il émane, à coup sûr, d'un musicien habile. La mélodie dégage quelque chose de tendrement langoureux et de doucement expressif qui fait songer à Mozart. Il y a là toutefois un cachet plutôt français qu'allemand ou flamand. Nous avons vainement cherché cet air charmant dans la Clef du caveau. En tout cas, il s'adapte on ne peut mieux aux paroles, tant pour le rhythme que pour le sens. Voici cette pastorale: Coridon en Rosalinde.
1.
Hoedanig, liefste Rosalinde,
Ben ick verheught dat ick u vinde,
Hier in dees groene claverwey d'
Daar wy soo dickwils met ons beyd'
Hebben gevoet
Ons schaepkens soet.
Hoe blaeckt myn hert door min
Tot u, myn schoonste herderin.
U wangen syn als roode roosen
Die in de weydemaend seer aerdig bloosen,
En boven dien u soet gelaet
Blinckt claerder als den daegeraet,
Die Phebus send
Uyt 't firmament,
Syn helder sonne licht
't Welck gans het aerderyck verlicht.
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2.
Wel, mynen herder uytgelesen,
Seght my, wat kan de oorsaek wesen
Van een soo lanck afwesentheyt,
Die my aendoet veel bitterheyt?
Gelyck een hert
Gedreven werd
Naer eene waeterbron,
Verlang ick naer u, Coridon.
Schoon d'ander herderinnen songen,
En of al onse schaepkens sprongen,
Veel min den blyden nachtergael,
Met het gevogelt al te mael,
Connen voorwaer,
Niet altegaer
Versneden myn gemoet,
Soo seer als u presentie doet.
3.
Laet ons dan, liefste herderinne,
Gemerckt gy my en ick u minne,
Maecken van ons kudden een,
En laeten weyden onder een
Ons schaepkens al,
Seer lief getal,
Indien gy u minnaer
Aanveirt voor uw lief wederpaer.
G'hebt nu soo lanck de liefde sien blycken,
Ende oock geensints in de liefd' afwycken
Een Coridon die uw verwin (?),
Wanneer hy in oprechten min,
U t'allen tydt
Stantvastigheyt
Toonde in elck geval,
't Welck hy altydt volherden sal.
4.
Gy syt een herder uytverkoren
Voor my, en ick voor u geboren,
'K heb nu van over langen tydt
Aenmerckt uwe getrouwigheyt,
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Daer is myn hand,
Tot onderpand,
Ick sal syn uwe vrouw,
En blyven voor altyd getrouw.
Nu sullen wy sonder verdrieten,
De soete vreught van onse min genieten,
En ick sal waer gy henen gaet,
Van u myn liefsten toeverlaet,
In vreught en pyn,
Onscheydbaer syn.
Wy beyde zyn maer een,
Ons niemant als de doodt sal scheen.
Ul. dienaer tot op een ander tydt, J.-B. Signor, in Zulsick, 1762.
On a encore chanté, sur les scènes villageoises, un noël gracieux, que reproduisent, avec quelques variantes, les Gheestelyke Liedekens et les Chansons populaires des Flamands de FranceGa naar voetnoot(1). En voici les trois premiers couplets, d'après un manuscrit du xviie siècle: Kerstliedeken.
1.
Wat sangh en clanck van d'engelsche schaeren
Quaemen de herderkens hedent verclaeren,
Van desen nacht seer lanck verwacht,
Dat van eene maghet wiert voortghebracht
Een soete kindeken uyt d'uydvercoren;
Dat van Maria nu es gheboren,
In Bethleem stal, den God van al,
Die ons quam soecken in aerme doecken.
Sy songhen Laus Deo met bly gheschal.
Rep. In Bethleem stal, enz.
2.
Dierken en Claysken, Hansken en Theuntjen,
Maeyken en Janneken, Liesken, haer soontjen;
En Anthonet, ons Lisabeth,
Quaemen naer stalleken, kuys en net.
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Theunen die spraeck, met syne botte kaecken:
Syn wy bedroghen, wat sullen wy maecken?
Leyne sy: Gauw, ô gy rabauw,
Al syn de vrauwkens licht van ghelooven,
Wilt gy niet commen, blyft op u ghetauw.
Rep. Leyne sy: Gauw, enz.
3.
Met vier van liefde hun herteken brande,
Elck om te doen syn offerande,
Van boter, saen, caes, melck en graen;
Elck was naer 't stalleken op de baen.
Pierken liep vooren met Hansken, syn broerken,
En seyde: Ras, comt vaerken en moerken.
Ieder droegh wat naer dese stat;
Sy thauden en speelden, en reutelden t'saemen,
Het vier van liefde hun herte besact.
Rep. Ieder droegh, enz.
Évidemment, le noël émane d'un poëte villageois. Certaines phrases, telles que: restez à votre métier, et: comme nos paysans, sont formelles à cet égardGa naar voetnoot(1). A la place de ce troisième couplet, le recueil de M. De Coussemaker en donne un qui commence par ces vers: G'heel het geselschap vol vreugd en vrede;
D'een had een trommel of moselken mede,
D'ander had een luyt,
D'ander een fluyt;
et qui nous indique les instruments dont on se servait, dans les villages flamands, au xviie siècle. Le dernier couplet de notre manuscrit porte aussi: Het fluytjen dat gonck,
't Lierken dat clonck;
au lieu de: 't Moezelken gonk,
't Fluytjen dat clonk.
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Le chant est expressément stipulé dans le règlement de la société rhétoricale de Stavele, promulgué en 1719. Partout, croyons-nous, la chanson était cultivée con amore. Le Jugement dernier, joué en 1769 à Ophasselt, était rehaussé de chants et de danses. La pièce du Rosaire, produite, en 1778, à Waereghem, avait pour intermèdes des chants et des ballets, entre autres un ballet infernal; le tout se terminait par un Te Deum solennel. Parfois, les divertissements musicaux avaient lieu après les représentations, comme à Asper, où l'on exhiba, en 1773, la pièce de Constantin, suivie d'exercices de musique et de déclamation. A ceux qui seraient tentés de s'étonner de cette indigence, nous pourrions opposer certaines grandes villes, comme Paris, où l'orchestre était à peu près insignifiant, et où les choeurs n'étaient rien moins que détestables. Mozart s'en plaint, à juste titre, dans ses lettres. Et Bruxelles? Au théâtre de cette cite, il n'y avait point, en 1777, de troupe chorale engagée d'une manière permanente. On se contentait de louer quelques choristes pour certaines représentations extraordinaires. On paya ainsi les musiciens particuliers qui chantèrent les choeurs de l'opéra Céphalide et de la comédie l'Amoureux de quinze ans. Le tambour tenait, dans les fêtes rhétoricales de la campagne, au siècle dernier, le même rôle que remplissaient les naquaires dans les ommegangen du moyen âge. Aussi, quel cas on en faisait! Jacques Reynoult, tambour des troupes de la châtellenie d'Ypres campées à Aire, en 1523, reçut du magistrat, lors de la célébration de ses noces, une couronne d'or valant 4 livres parisisGa naar voetnoot(1). | |
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A l'égard des timbales et des trompettes, le seul village où nous les voyons manoeuvrer, est Gentbrugge, sorte de faubourg de Gand, où, en 1759, dans la tragédie d'Arétaphile, et, en 1764, dans celle de Charles VI, empereur romain, figuraient divers ballets, dansés par un certain Jean De Klerck, ses quatre enfants et tous les acteurs de l'ouvrageGa naar voetnoot(1). A Ayghem, près d'Audenarde, on pratiquait déjà, en 1756, l'ouverture des pièces, au son de plusieurs instruments: ‘met veel instrumenten van alle soorten van spel,’ est-il dit dans l'argument de la Passion, jouée à cette date. En dehors des instruments quenous venons de nommer, et des violons qui formaient l'orchestre ordinaire des représentations théâtrales, comme l'attestent les vers suivants empruntés à l'argument de la pièce de Méza, roi de Moab, jouée en 1784: De edel maegden reyn,
Bepronkt vol prael en glans,
Vercieren Parnass' pleyn,
Met een doorvlogten dans,
Doormengd met zoet accoord
Van zang en spel van snaer,
Waer naer zal komen voort,
Den opdragt van hier naer;
on s'aidait peut-être encore, à ces représentations, des instruments que voici: orgue portatif, clavecin, psaltérion | |
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ou hakkebert, cornet, cor de chasse, vielle organisée, serpent, tambourin et rommelpotGa naar voetnoot(1). Dire le mode d'emploi de ces divers instruments, serait chose assez difficile, en l'absence de toute preuve directe. Il n'est done permis que de hasarder, à ce sujet, des conjectures. Il y a une quarantaine d'années, les couplets intercalés dans le drame de Geneviève de Brabant se chantaient, au village de Rooborst, avec accompagnement d'un violon, d'une clarinette et d'une contre-basse. La flûte remplaçait la clarinette, dans la pièce d'Euphémie, jouée à diverses reprises, en 1769, à Nukerke, sans compter quatre trompettes, qui fonctionnaient presque sans relâche: Als sy naert theatre gongen,
't Scheen dat d'hemels open sprongen,
Door het lieffelyck geluydt
Van viole, bas en fluydt.
Men sag vindels, standaert swieren,
En oock vier trompetten tieren,
Met vier maagden op dat pas,
Dat oock g'heel plaisierig wasGa naar voetnoot(2).
Le plus souvent, croyons-nous, l'aigre archet du ménétrier, le sou nasillard de la musette, le bruit mesuré des | |
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souliers ferrés et la voix glapissante d'un magister de village suffisaient pour vous annoncer de loin une ballade d'une franche et cordiale gaieté, éclose tout entière, dans un moment de bonheur suprême, du cerveau du directeur, et accompagnée, de la voix et du geste, par tout le personnel dramatique, lequel faisait résonner les planches sous ses bonds inégaux et pittoresques, et rappelait à l'observateur attentif certains groupes des tableaux de Teniers. |
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