No 2529.
Christiaan Huygens à Constantyn Huygens, frère.
30 décembre 1688.
La lettre et la copie se trouvent à Leiden, coll. Huygens.
A Hofwijck ce 30 Dec. 1688.
C'a estè une chose bien facheuse pendant vostre longue absence qu'il n'y a pas eu moyen de vous faire tenir des lettresGa naar voetnoot1), mais Dieu mercy cela ira mieux dorenavant; du moins les chemins en Angleterre ne seront plus obsedez. Vous pouvez bien vous imaginer avec quelle joye nous avons appris le grand et heureux succes des affaires par de là apres toutes les inquietudes et apprehensions depuis le commencement de cette expedition, soit pour les dangers de la mer soit pour l'evenement incertain de la guerre, car quoyque des vostre debarquement les nouvelles aient tousjours estè assez bonnes, l'on ne laissoit pas d'apprehender quelque combat tant que l'armée du Roy demeuroit sur pied, et l'on ne pouvoit pas s'imaginer un renversement si soudain comme celuy qui s'est fait depuis la bien heureuse retraite, que vous ne scaviez pas encore en escrivant vostre derniere a Mad. vostre espouse. Maintenant on attend avec impatience la nouvelle de vostre arrivée a Londres, et de la reception qu'on y aura faite a Mr. le Prince qui sera sans doute une chose admirable a voirGa naar voetnoot2). Quelle joye pour la nation et quelle gloire pour luy d'estre venu a bout de cette noble et hardie entreprise. Nous entendrons apres cela comment toutes choses seront establies et reglées, tant par de là qu'icy, qui n'est pas une petite attente. L'on ne scait pas, si vous retournerez ou si vous resterez là
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ou vous estes ce qui entre autres n'embarasse pas peu certaine dame que vous connoissez. Il y en a beaucoup qui apprehendent les menaces et grands preparatifs de la France, ce qui n'est pas sans raison, et vous deviez bien nous renvoier les troupes, a cetheure que vous n'en avez plus besoin, afin que nous ne recevions icy quelque grand affront, pendant que nous secourons nos voisins. Je crois pourtant que ces dernieres nouvelles d'Angleterre rompront en quelque sorte les mesures de Louis le Grand, et que de vostre costè on pourra faire telle diversion qu'il perdra l'envie d'attaquer la Hollande. Si vous restez là, vous verrez que vers le printemps il y aura bien des gens qui iront faire un tour en Angleterre et peut estre je seray du nombre. Je suis demeurè jusqu'icy à HofwijcGa naar voetnoot3) et pretens d'y rester pendant tout l'hyver. Il y a quelques soirees facheuses, quand il fait mauvais temps, mais je vois qu'on s'accoutume a tout. Je voudrois seulement y pouvoir rester en repos sans que Mrs. les Francois par quelque ravage, ou Mrs. les Estats par leurs frequents deux centiemes deniers m'en chassassent.
Quand est ce que nous travaillerons derechef ensemble aux grands verres? J'aurois bien envie d'en avoir un de 34 pieds, mais qui fust grand comme ceux que nous avons de 120 piedsGa naar voetnoot4), afin de luy donner une ouverture de 6 pouces, au lieu de 3, car cela feroit le mesme effet pour decouvrir les satellites Saturniens, que fait maintenant un verre de 120 pieds, l'oculaire seroit de 6 pouces. J'ay calculè tout cela et je me tiens assurè du succes. Avec le temps vous pourrez apprendre a connoitre a Londres les illustres et ceux qui s'entendent a nostre grand Art. Il y avoit un Mr. SmetwickGa naar voetnoot5) qui m'a une fois envoiè des verres de sa façon (ce n'estoient pourtant que des oculaires) et pretendoit qu'il en scavoit plus que beaucoup d'autres. Je pense que la Soc. Royale fait de grandes vacances presentement. Cependant vous pourrez avoir occasion de voir Mr. Boyle et autres des membres. Je voudrois estre a Oxford, seulement pour faire connoissance avec Mr. NewtonGa naar voetnoot6) de qui j'admire extremement les belles inventions que je trouve dans l'ouvrage qu'il m'a envoyèGa naar voetnoot7). Je pourray vous envoier une lettre pour luy, que vous trouverez facilement moyen de luy faire tenir. Ma seur vous escrira les nouvelles de la Haye. Hier au soir on attendoit Mr. l'Electeur de BrandebourgGa naar voetnoot8) avec MadameGa naar voetnoot9).
Je vous souhaite une heureuse Année. |
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voetnoot1)
- Consultez la Lettre No. 2528, note 2. L'expédition avait heureusement débarqué le 15 novembre, dans la baie nommée Torbay, près du village Braxton. Pendant la marche sur Londres, des régiments royaux s'étaient joints à l'armée du prince Willem III et plusieurs villes du royaume avaient déclaré leur adhésion à sa cause. Le 23 décembre, le prince reçut à Henley une députation de quatre aldermen et de deux officiers de la milice de Londres, chargée de l'inviter à entrer dans la capitale. L'armée y fit son entrée le 27, le prince suivit le 28.
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voetnoot2)
- Constantyn nota à ce sujet dans son journal: ‘Nous marchames le matin à neuf
heures et demie de Brandfort à Londres, ayant trouvé Gastigny en route. Le chemin est de 7 milles mais tellement embourbé que je n'ai guère vu de pire. Sur la route se trouvait une grande quantité de carosses et de cavaliers, et aussi une foule innombrable de piétons, lorsque nous fumes à environ deux milles de Londres. Nous entrames par la porte du parc de St. James, où Son Altesse entra également à 3 heures, sous de grandes clameurs du peuple, dont plusieurs portaient des noeuds de rubans oranges aux chapeaux ou des pommes d'orange sur des baguettes. Les femmes, qui en grand nombre étaient sorties de leurs maisons, portaient pour la plupart des fontanges oranges sur la tête’. Voir le Journaal van Constantijn Huygens, den zoon, van 21 October 1688 tot 2 September 1696 (Handschrift van de Koninklijke Akademie van Wetenschappen te Amsterdam) Eerste Deel. Werken van het Historisch Genootschap gevestigd te Utrecht. Nieuwe Serie No. 23. Utrecht, Kemink en Zoon, 1876.
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voetnoot7)
- Les ‘Principia’, l'ouvrage cité dans la Lettre No. 2465, note 2.
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voetnoot8)
- Friedrich III, flls du grand-électeur et de Louise Henriette, princesse d'Orange, né le 21 juillet 1657
à Königsberg, depuis 1688 électeur de Brandenbourg. Il fut l'allié de Willem III dans sa campagne contre James II, et lui envoya un corps d'armée de 6000 hommes sous le maréchal Schomberg, qui prit une part considérable à la victoire de la Boyne en Irlande. Il fut couronné comme premier roi de Prusse, sous le nom de Friedrich I, le 18 janvier 1701, et mourut le 25 février 1725.
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voetnoot9)
- Sophie Charlotte, princesse de Hannover, née le 20 octobre 1688, depuis 1684 deuxième épouse de Friedrich III, l'illustre amie de Leibniz, et mère de Friedrich Wilhelm I, second roi de Pruisse. Elle mourut le 1er février 1705.
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