Oeuvres complètes. Tome VI. Correspondance 1666-1669

N^o 1640.
Christiaan Huygens à [Constantyn Huygens, frère].
1 Juin 1668.

La lettre et la copie se trouvent à Leiden, coll. Huygens.
Elle est la réponse aux lettres du 18 et du 24 mai 1668¹⁾.

Paris ce 1 Iuin 1668.

I'ay receu a la fois vos deux lettres du 18^e et 24^e May. Dans la premiere vous me mandez les effects de vostre lunette pour la distinction, qui peut bien vous pa-

1) Nous n'avons pas trouvé ces lettres dans nos collections.

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roitre parfaite quoyque moindre que celle de la vraye Campanine, car la difference ne s'en connoist qu'en les comparant l'une aupres de l'autre.

Ie crois pourtant que vos verres sont aussi bien travaillez que les siens, et peut estre vostre matiere ne cede non plus a la siene, mais il est certain, et feu Menard²⁾ l'avouoit que la distinction de la Campanine estoit extraordinaire, et ne croioit pas que de plusieurs verres Campani en eust peu fournir un de pareille bontè.

Que je scache s'il vous plait le prix du tour³⁾ et de tous les outils y appartenans, et s'il n'est pas trop grand je vous prieray d'en faire marchè pour moy.

Je ne vous scaurois dire encore ce que je juge du succes de ma nouuelle maniere de lunette⁴⁾ n'ayant pas eu le loisir de faire l'essay avec le demi verre que vous m'avez envoiè. Cependant je ne laisse pas de faire quelque fondement sur vostre experience, et les objections que vous faites ne diminuent en rien l'opinion que j'en ay, car il faut que vous sachiez que ce n'est pas seulement jusqu'a 30 fois que je puis faire multiplier la lunette de 2 pieds, mais tant que je veux en donnant seulement d'autres proportions pour l'oculaire, pourveu que l'objectif soit d'assez grande ouverture pour donner de la clartè autant qu'il en faut. C'est pourquoy je vous prie de faire encore un petit verre entier dont vous avez desia les formes a fin que nous voyons si la distinction est parfaite non obstant la grande ouverture que vous donnez a vostre objectif. le quel je souhaiterois qu'il fut encore plus grand. Ie ne comprens pas comment vous pouvez juger cette multiplication de 30 n'estre pas plus grande que celle de vostre Campanine qui n'est que de 18 au plus.

Vostre microscope est a peu pres de la forme de ceux qu'on fait en Angleterre, sinon que la proportion des verres est encore un peu differente, car ils font l'oculaire encore plus convexe, si je m'en souuiens bien, et vous le pouuez voir dans celuy que mon Pere y a achetè, qui au reste n'estoit nullement bon a cause de son obscuritè. Mais si vous n'appercevez plus des points dans le vostre je ne serois point d'avis d'y mettre un oculaire plus convexe, parce que cela augmente beaucoup l'obscuritè.

Dites moy s'il vous plait quel est le revers de vos medailles, car c'est a cela que les connoisseurs regardent principalement, et dont ils m'ont priè de m'informer.

A propos de quoy j'ay a vous dire qu'a la fin j'ay estè voir⁵⁾ les desseins de Monsieur Jabach, qui m'avoit priè a disner avec 3 ou 4 de mes amis et quelques autres bons connoisseurs. Nous avions examinè auparavant avec luy chez Monsieur Colbert une grande quantitè de desseins qu'un gentilhomme de Flandre⁶⁾ a portè icy, et qu'il offre a vendre au Roy. Vous auriez un plaisir nompareil a

2) Sur Mesnard, père, voir la Lettre N^o. 1617, note 1.

3) Consultez la Lettre N^o. 1638.

4) Consultez les Lettres N^os. 1635, 1638.

5) Consultez la Lettre N^o. 1603.

6) De Valcourt. Consultez la Lettre N^o. 1619, note 7.

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voir comme Jabach determine sur l'authenticitè de ces pieces avec une suffisance magistrale; concluant en fin que de 300 desseins qu'on donnoit pour des Raphaels il n'y en avoit que 2 d'originaux. Je donnerois quelque chose de bon pour le voir censurer les vostres et que vous fussiez derriere la tapisserie. Quand nous fusmes chez luy, il ne manqua pas d'y avoir aussi des controlleurs, dont j'estois des moindres, qui luy contestoient quelques fois des pieces qu'il donnoit pour veritables Julio Romano⁷⁾ et Raphael dont il se mettoit dans une colere a nous faire rire tous, tellement qu'il n'y a point de comedie qui vaille un pareille conference.

La veritè est pourtant qu'il a une infinitè de tres belles choses, dont nous ne pusmes voir la sixieme partie, mais ce furent des plus belles.

Quelque jour nous verrons tout cela au Roy et icy dedans, si l'on peut luy donner la moindre curiositè pour ces sortes de choses. Adieu.

Je n'escris pas au frere Louis cette fois n'ayant point de temps, et aussi parce que je n'ay pas encore fait l'essay de ma cariole, dont j'espere luy rendre compte⁸⁾ la semaine prochaine.

7) Giulio Pippi, dit Julio Romano (Jules Romain), naquit en 1592 à Rome, où il mourut le 1^er novembre 1646. Elève chéri de Raphael, il acheva plusieurs des grands tableaux de son maître. Sur une accusation du Pape, il dut s'enfuir de Rome et fut accueilli par Frederic II de Gonzague, duc de Mantoue, qui le combla de bienfaits. Celui-ci étant mort en 1640, Pippi alla à Bologne; son voyage subséquent à Rome fut interrompu par sa mort.

8) Consultez la Lettre N^o. 1644, du 22 juin 1668.