Oeuvres complètes. Tome V. Correspondance 1664-1665

N^o 1494.
P. Petit à Christiaan Huygens.
6 novembre 1665.

La lettre se trouve à Leiden, coll. Huygens.
Elle est la réponse au No. 1477.

A Paris le 6 Nouembre 1665.

Les Affections domestiques dans lesquelles vostre lettre me fut rendue & qui nont cessé que despuis 4 jours ne m'ont pas permis d'y respondre plustot qua present. La Mort de ma chere femme apres 18 jours de Maladie de la petite Verole fut la premiere de mes douleurs, et celle de Ma fille¹⁾ qui prit le Mal de sa Mere ne layant point voulue abandonner & layant tousjours assistee fut la seconde. Elle

1) Marianne Petit.

[p. 529]

tomba donc malade & fut arrestee au lit le mesme jour qu'on enterroit sa Mere. vous pouuez juger par la de laffliction dvn Pere & dvn Mary dont les sentiments sont assez tendres & raisonnables. Jay tousjours esté dans la crainte de perdre la fille comme la mere par cette fascheuse Maladie dont on ne peut faire aucune Pronostique certaine mesmes apres que la Verole est toute sortie tant quil y a de la fiebure comme en effect ma femme en est morte lors qu'on la croyoit bien guerie & ma fille a couru la mesme risque. mais dieu me la voulue enfin conseruer en sorte quelle est tout a fait hors de danger & despuis quatre jours elle commence a manger apres auoir este purgee trois foys. Jespere qu'elle n'en sera point ou fort peu Marquée sur le nez & jl ne luy reste aucune jncommodité qui paroisse fors quantite de frondes & galles quelle a encores sur le Corps. Voyla lestat de la famille du quel Je vous entretenois d'autant plus librement que je scay questant de mes Amys & Monsieur vostre Pere nous faisant aussi lhonneur de nous Aymer vous y voudrez bien prendre quelque Part comme font en semblables rencontres tous les veritables Amys.

Pour quitter ces tristes entretiens Je vous diray donc que Je suis bien ayse que Mon liure de la comete²⁾ vous ayt contente & satisfait du moins en quelque chose & dans la premiere partie que jay voulu rendre jntelligible a tout le monde & dans celle de la refutation de la judiciaire. en effect cela na pas despleu a beaucoup de personnes de qualite qui mont tesmoigne auoir pris le mesme plaisir a le lire qu'un Roman & qui ont dit que Mon discours estoit aussi engageant a lire comme ces sortes de liures.

Monsieur le Prince Leopold³⁾ ma fait lhonneur de men escrire, fort auantageusement. Monsieur Cassini de mesme auec force autres astronomes et philosophes des provinces de france. Pour Monsieur Hevelius il ma respondu fort ciuilement par vne lettre que Ma rendu Monsieur Bouillaud auec son Prodromus⁴⁾ mais jl se reserue a respondre ou a s'expliquer sur ce que nous luy jmputons. Monsieur Auzout la presentement auec vne fort grande que mescrivit Cassini que Jay aussi presté a Monsieur Bouillaud par la quelle jl se justifie fort contre quelque Romain⁵⁾ qui luy jmpute quelque Manquement & quelque changement en ses opinions, que Cassini tient a gloire dauoir fait, tesmoignant aussi bien que moy d'estre tousjours prest a quitter ses opinions quand jl en trouuera de meilleures ou qu'on luy en montera les deffaux.

2) Voir l'ouvrage cité dans la Lettre N^o. 1316, note 4.

3) Leopoldo de Medicis.

4) Voir l'ouvrage cité dans la Lettre N^o. 1407, note 4^a.

5) Probablement:
Carlo Antonio Manzini, noble italien, mort à Bologne en 1678, dans un âge très-avancé.
Ici, il s'agit de son ouvrage sur les comètes de 1664 et de 1665:
Le comete, discorso del Co. Carlo Antonio Manzini. In Bologna presso Gio. Battista Ferroni. 1665. in-4^o.

[p. 530]

Pour ce que vous en remarquez en la periode de 46 ans de nostre derniere Comete ce sont des Objections que Je Me suis bien fait a Moy mesme en les escriuant. Mais vous noterez que ce ne sont que des Argumens de deuination et des suppositions quon ne scauroit prouuer contre Moy que les autres cometes ou plustost la mesme que jallegue estre venue diuerses foys de 46 en 46 ans, ayt eu des mouuemens contraires. Car vous remarquerez quil ny en a point dobseruations exactes & que les Historiens qui les rapportent n'en determinent point le Cours. ainsi vous mobjectez ce que vous ne scauriez prouuer qui est que leurs mouuements n'estoient pas paralleles, ce que mesme quand vous le pourriez prouuer ne m'empescheroit pas de le maintenir auec apparence par les raisons que Jallegue. Jl n'y a donc que la contrariete des mouuements dorient en occident & doccident en orient qui pùt m'estre raisonnablement opposee si elle estoit bien certainement prouuee. ce que je ne croy pas qu'on puisse faire & quand cela seroit Je reconnoistray n'auoir pas bien deuiné sans pour cela quitter lopinion que ce sont des astres Eternels qui par consequant ont leurs mouuemens regles & certains que lexperience fera mieux connoistre a lauenir, n'ayant voulu que faire vn essay par galanterie pour exciter les autres a rechercher le passé ou a obseruer pour lauenir. Pour ce que vous m'jmputez de n'estre que demy copernicien & que vous me conuertirez tout a fait en respondant aux objections que Je fais en la page 307., Je vous diray que Je me suis donc tres mal expliqué si vous auez pu connoistre que je ne fusse que semi copernicien parce que mon jntention a este tout au contraire, mais Jay bien voulu qu'on ne connait pas a la Verite que je le fusse tout a fait & ay voulu laisser les lecteurs en doute de cela, de Crainte de passer pour fol & pour ridicule en nostre Cour & parmy la plus part des honestes gens de france qui ont seulement trouue estrange que Jadmettois le mouuement journalier de la terre sans quelle bougeast d'vne place. Jl est bien vray que Jay dit & je suis encores dans cette pensee que du mouuement de nostre Comete je ne scay comment on pourra tirer des preuues de l'annuel de la terre ny comment cela pourra leuer les principales difficultez & respondre aux principales objections que Je rapporte en 4 ou 5 lignes sans pour cela que je tesmoigne les approuuer & sans que Je les appuye pour n'estre pas satisfait des responses & des explications quon a coustume d'y faire lesquelles je scay bien toutes graces a dieu sur le bout du doigt, aussi pas vne ne m'arreste pour m'empescher destre tout a fait copernicien quoy que pour les raisons susdites Je ne m'en sois pas voulu expliquer nestant pas necessaire. mon dessein nayant esté la que de dire que je ne scay pas comment on sy prendra de le prouuer par la Comete & je seray bien ayse den voir vos sentiments. Monsieur Auzout qui auoit eu la mesme pensee & qui lauoit mesme auancée dans son ephemeride⁶⁾ en est bien reuenue aussy bien que Moy qui auoit creu la mesme chose, & mainte-

6) Voir l'ouvrage cité dans la Lettre N^o. 1397, note 1.

[p. 531]

nant jl ne croit pas ou du moins jl ne scayt pas par où on le prouuera. nous verrons vos Consequences quand jl vous plaira.

Pour Mon Calcul de la Parallaxe ou vous auez remarqué du deffault et que vous me mandez deuoir aussi auoir esté remarqué par Monsieur Auzout⁷⁾ Je ne scay quel il est que Je naye moy mesme preueu des le commencement que Je ljmaginay, je le luy fis voir & jl n'a m'en dit autre chose sinon que je deurois prendre garde comme jauois desia fait aux parties proportionelles du mouuement parallelle de la Comete soit en longitude soit en latitude a quoy Je croys auoir assez satisfait sans quil y ayt de lerreur sensible dvne ou deux minutes tout au plus de parallaxe. Car quand Jaurois supposé langle C A F⁸⁾. plus petit



quil ne fault a cause du Mouuement parallelle de la Comete qui en six heures auroit auancé de quelques minutes, cela est si peu considerable que cela ne varie pas sensiblement langle ACF qui est le fondement de tout mon Calcul. Car pour les costez je ne croy pas quil y ayt rien a dire & les parties proportionelles, que Jadjouste ou que Je diminue aux Costez AF & CF, satisfont a ce quon peut desirer. Jl ny a donc que langle A qui recoiue quelque difficulte a cause que Je le suppose de 90 puisque ljnterualle du temps de 6 heures me le determine sans m'estre arresté sur ce que la Comete pouuoit nestre pas precisement dans ce Cercle meridien mais lauoit outrepasse de quelques minutes, ce que Je vous aduoue quil eut este plus a propos de faire pour vne derniere precision si Jeusse voulu en jnferer vne parallaxe entierement exacte. mais comme je le dis tresexpressement que nos obseruations sont trop peu seures et faites sur des jnstruments trop petits pour en conclure des precisions & consequences de cette jmportance, Jay creu que cela suffisoit. Si cest quelque autre chose que vous ayez remarqué dans mon explication de la Parallaxe vous mobligerez jnfiniment de m'en auertir par escrit. Car je doute fort auec tous vos amys de ces Cartiers, que vous acceptiez les offres⁹⁾ qui vous sont faites de pardeca Jls ne peuuent s'jmaginer qu'vne Personne de vostre naissance, libre & viuant dans vn Pays ou elle est consideree, & ou rien ne luy manque et ne la chagrine veulle quitter tous ces auantages pour vn autre, ou tout cela ne se trouue pas & ou il ny a rien de stable & de permanent. Vous pouuez croire auec quelle joye nous vous y verrons mais encores vne foys nous ne pensons pas que la raison, le bon sens & le bon Conseil de vos Amys de dela nous accorde cette satisfaction. si nous sommes trompez a la bonne heure. Pour nous, nous profiterons

7) Consultez la Lettre N^o. 1493.

8) La figure a été copiée de la dissertation sur la Nature des Comètes, page 284.

9) Petit fait allusion au projet d'appeler Chr. Huygens à Paris.

[p. 532]

dautant de lhonneur de vostre Conuersation. Si au contraire quelques raisons vous empeschent daccepter les offres que lon vous fait & que vostre santé ou la consideration de Monsieur vostre Pere ou dautres jnterests de famille vous retiennent je vous demande tousjours sil vous plait lhonneur de vostre entretien & la continuation de vostre amitié estant de tout mon Coeur & de toute mon affection attache a vos jnterests & treshumble seruiteur a Monsieur vostre Pere & a toute vostre famille a laquelle je vous prie de rendre mes Respects & les asseurer de mes treshumbles seruices, me rejouissant fort de lheureux retour de Monsieur vostre pere dans sa belle maison & aupres des siens apres vne si longue absence que vous auez raison de lappeler vne espece de resurrection.

Pour ce que vous me mandez de ses lunettes de Riues¹⁰⁾ d'Angleterre, Je suis de vostre sentiment quelles nont point d'exces en bonte & que Jen ay de petites aussi bonnes. Jen ay mesme fait faire despuis quelques temps deux douzaines de microscopes parmy lesquels Jen ay trouué sept ou 8 d'exellents mais Monsieur de Zulichem a cela quil estime toutes choses bonnes par sa bonte, comme jl faisoit la lunette de Campani¹¹⁾ de Monsieur l'abbé Charles quoy quelle n'eut rien d'extraordinaire & que Jen aye veu de mesme longeur et de ma facon qui la surpasse de beaucoup.

Mais a propos de lunettes Monsieur Buratien¹²⁾ a escrit¹³⁾ de Pologne vne grande lettre a Monsieur Bouillaud que nous auons veüe Monsieur Auzout & moy ou jl fait force difficultez & demandes comme vn homme qui commence a trauailler en dioptrique. Jl a fait faire des moulles ou formes de 3 pieds de diametre qui pesera 4 & 500 ℔ & jl y trauaille des verres de 9 pouces de diametre. mais vous scauez peut estre tout cela aussi bien que nous pouuant lauoir escrit en hollande.

Quant a lombre dvn des Satellites du ♃ que vous me mandez auoir obserué Je lay communiqué a Monsieur Auzout qui ma dit¹³⁾ qu'il croyoit que vous estiez trompé & quil ne lauoit pas veu de mesme le mesme jour quil lauoit aussi obserué. Pour Moy Je n'en eus pas la commodité mais vne autre occasion sen presentera. Je trauaille encores apres des lunettes de 38 a 40 pieds sur diuers verres que nous tachons d'auoir deca & dela, celuy de Lyon ny celuy de nos ouuriers nayant rien encores produit d'excellent.

Adieu Je commence a me lasser descrire non pas de vous entretenir. aymez moy tousjours sil vous plait & me maintenez dans les bonnes Graces de Monsieur vostre Pere, que je salue encores comme aussi Monsieur vostre frere. & si vous voyez

10) Sur les lunettes de Reeves, voir la Lettre N^o. 1273.

11) Consultez, sur cette lunette, la Lettre N^o. 1078.

12) Sur T.L. Burattini, voir la Lettre N^o. 758, note 12.

13) Consultez la Lettre N^o. 1493.

13) Consultez la Lettre N^o. 1493.

[p. 533]

Monsieur Vossius vous mobligerez de luy dire que Jattends lhonneur de sa Response sil a receu Mon liure de

Vostre treshumble seruiteur P. Petit.

A Monsieur Monsieur Christian Huggens de Zulichom. A la Haye.

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