Oeuvres complètes. Tome IX. Correspondance 1685-1690
(1901)–Christiaan Huygens– Auteursrecht onbekendNo 2640.
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particule de matiere Etherée, estoit fort necessaire pour expliquer la refraction et demonstrer la proportion des sinus qu'elle observe: car la raison de Mr. Descartes dans sa Dioptrique ne m'a jamais satisfait, et les consequences curieuses que fournit vostre Hypothese pour prouver que la refraction ne se fait pas simplement à la superficie mais qu'elle cause vne courbure continuelle dans les rayons qui s'espendent dans l'airGa naar voetnoot3): ces consequences, disje, estoient aussi fort necessaires pour expliquer les differentes refractions des rayons qui demeurent dans l'air sans passer dans vn autre milieu. J'ay aussi admiré, Mons.r, combien vostre Hypothese pour la double refraction du cristall d'Islande satisfait parfaitement à tant de phaenomenes que Vous avez observez avec tant de curiosité et de subtilité, tant dans les superficies naturelles du cristall que dans les coupes faittes à dessein par d'autres plans. J'avoue pourtant que j'ay de la peine à concevoir comment cette Hypothese peut estre veritable: car enfin vos demonstrations pour la refraction en general supposent vne parfaitte homogeneité dans le milieu ou se fait la refraction en sorte que toutes ses parties soient de nature a rallentir egalement la propagation de la lumiere: mais il me semble que le cristall d'Islande tel que Vous le representez ne sçauroit avoir cette homogeneité: car 1o. pour expliquer la refraction reguliere il faut se representer ce cristall comme vne portion d'Ether ou il ij a quelques parties cristallines entremeslées qui ij retardent le mouvement de la lumiere mais la composition interieure de ce cristal, telle que Vous la representez dans la suitte nous donne lieu de croire que ces parties cristallines ne sont pas distribuées comme il faut pour faire egalement de resistance dans toutes les parties de ce corps: car ces petits sphaeroides si egaux et arrangez si regulierement les vns sur les autres doivent, ce semble, resister beaucoup plus aux parties donde de lumiere qui passent proche de leur centre, qu'à celles qui passent vers leur circumference ou ils ont moins d'espaisseur: à moins de les supposer plus petits que le moindre point de lumiere sensible: et non obstant cela il sembleroit tousjours que la facilité qu'ils ont à laisser passer la lumiere plus viste vers vn sens que vers l'autre, devroit produire son effect dans la refraction reguliere et rendre aussi ses ondes spheroides: 2o. je trouve aussi vne difficulté à l'egard de la refraction irreguliere, c'est que cette propagation de lumiere se faisant dans les parties cristallines qui sont de nature à rallentir le mouvement, comm'il paroist par la refraction reguliere, il semble que lad.e propagation devroit donc estre encor plus lente que la reguliere, et cependant c'est tout le contraire: puis qu'elle remplit tout le spheroide tandis que la refraction reguliere n'emplit que la sphaere qui y est inscritte. Je ne vois pas bien comment | |
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on pourroit expliquer cela; mais cependant, Monsieur, il faut avouer que la conformité de tant de phaenomenes avec la Theorie c'est quelque chose de bien fort pour persuader la verité des Hypotheses, et pour faire croire qu'il ij aura moien d'oster les difficultez qui ij paroissent dabord, aussi bien que pour expliquer l'experience surprenante que Vous rapportez pag. 80Ga naar voetnoot4). Vostre maniere pour trouver les figures qui servent à la reflexion et refraction m'a paru extremement commode. Pour venir à present à la cause de la dureté je Vous avoue, Monsieur que je ne puis encor entrer dans vostre sentiment: Je gouste fort les raisons que Vous apportez contre Monsieur Descartes pour prouver que si la matiere à essentiellement quelque dureté cette dureté doibt estre invincible: mais je ne puis croire qu'on puisse, sans s'eloigner des principes naturels, luy attribuer la dureté aussi essentielle que l'estendue: car enfin je luy attribue l'estendue comme essentielle: parce qu'en effet il m'est impossible de concevoir la matiere sans estendue; mais il n'en est pas de mesme de la dureté: car non seulement je puis la concevoir liquide; mais encor la distinction reelle que je conçois clairement entre des parties qui sont tout à fait les vnes hors des autres, semble inferer necessairement vne separation facile à moins que quelque cause exterieure l'empesche: n'ij ayant aucune necessité que le mouvement qui convient à l'une doive aussi convenir à l'autre: et encor vn coup, il me semble que de poser vne telle necessité c'est poser vn principe qui n'est pas naturel. J'avoue pourtant, Monsieur, que l'experience fait voir qu'il ij a de la dureté dans le monde, et quil est difficile d'expliquer cette dureté à moins de supposer quelque dureté premiere qui soit la cause des autres: mais je ne crois pour- | |
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tant pas que cela soit impossible: supposant, par exemple le mesme corps que Vous m'avez proposé, fait des deux parties A, B et environné d'vne liqueur qui le presse en tout sens, je dis que si on pousse la partie A vers C il faudra que la partie B soit aussi affectée par cette nouvelle impression: ce qui est vne marque de leur vnion.
Pour prouver cela, M.r, je Vous supplie de considerer que A et B ne sont pas dans vn repos absolu; mais ils sont continuellement dans le mesme estat que s'ils se chocquoient avec vne certain vitesse: car si tout d'un coup on ostoit B, par exemple, avec la liqueur qui le presse de F vers G, au mesme instant la partie A iroit vers F et ij parviendroit dans le temps 1″, par exemple, tout aussi bien que si dans la 1″ precedente il fust venu de G en A: je dis de mesme que B iroit vers G si on ostoit A. Ces parties donc si pressees comme nous les supposons sont au mesme estat qu'elles seroient dans l'instant du choc si l'une venoit de F en B et l'autre de G en A avec egale vitesse, et qu'elles n'eussent point d'elasticité pour causer aucune reflexion. Il faut donc voir a present ce qui arriveroit si, dans ce mesme instant du choc, quelqu'autre force dont la vitesse seroit AH, par exemple, venoit pousser la partie A vers C. il est clair que dans cet instant la direction ny la vitesse de A ne seroit plus AF, mais ce seroit la diagonale du rectangle BI supposant FI égale à AH. ou du moins ce seroit vne ligne parallele et egale à BI. Or il est clair que le resultat d'un tel choc ne sera point que A prenne sa direction vers C en glissant par le plan DE, mais comme il aura sa direction vers I avec plus de force que B ne luy fait de resistance il faudra necessairement que B change du moins de situation pour le laisser passer: et ces deux parties ensemble feront quelque conversion comme il arrive quand on pousse vn corps par vne ligne qui ne passe pas par son centre de gravité: mais il ne s'ensuivra pas qu'apres cette conversion ces deux parties doivent encor se separer: car en mesme temps que la conversion commence la pression de la liqueur ou ils sont continue tousjours de les presser l'vne vers l'autre ce qui fait qu'á chaque instant elles sont au mesme estat que si elles se chocquoient suivant la nouvelle situation quelles acquierent et ainsi cet effort continuel qu'elles font l'une vers l'autre, fait que la force HA qui tend a faire glisser A par le plan DE ne sçauroit en venir à bout a moins que la force HA surpassast la force FA en sorte que B ne pust suivre le mouvement de A: car alors A glisseroit en effet et se separeroit de B; mais ce ne seroit tousjours point sans changer vn peu la situation de B. Voila, Mons.r, comment il me sembla qu'on peut expliquer la dureté par la pression extérieure des liqueurs qui environnent, sans qu'il soit besoing d'avoir recours a vne dureté essentielle: je Vous supplie d'avoir la bonté de me donner encor quelque eclaircissement sur cela. Vn peu avant que d'avoir receu l'honneur de vostre derniere, ces M.rs de | |
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Lipsik m'avoient envoyé les Acta ou j'avois veu dans le mois de May vn ecrit de Mons.r Leibnits contre moyGa naar voetnoot5), que Vous aurez sans doute remarqué: Vostre livre, Monsieur, et vostre derniere lettre m'ont esté fort vtiles pour ij faire responseGa naar voetnoot6): j'ay par ce moien prevenu les railleries que Vous m'avertissez fort bien que Ms.rs Leibnits ou Bernoulli auroient pu faire sur le trop grand effect que j'ay attribué à la machine de Monsieur PerraultGa naar voetnoot7): et le tour que je donne à cette affaire sera sans doute trouvé bien meilleur venant ainsi de moy mesme que si je n'ij avois eu recours qu'apres ij estre contraint par les objections qu'on m'auroit faittes. Je respons aussi dans la mesme piece à l'autre objection, que Vous avez daigné me faire et que j'avois preveue, sur l'equilibre qui se trouveroit si la balle D pesoit 200 livresGa naar voetnoot8): mais je ne grossiray pas à present ce pacquet en ij joignant cet ecrit: car je m'ausseure que ces M.rs de Leipsik l'insereront bien tost dans les ActaGa naar voetnoot9) s'ils ne l'ont desjá fait, et qu'ainsi Vous le verrez lá plus commodement. Je Vous supplie tres humblement, Monsieur, d'avoir la bonté de me dire ce que Vous en pensez: et si je n'ay pas eu raison de dire que Mons.r Leibnits (pag. 231. Act. Erud. An. 1690) donne vn argument qui est manifestement refuté dans la page 145 de vostre livreGa naar voetnoot10). | |
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Je m'estimerois bien heureux, Monsieur, si je pouvois aller recevoir les instructions de vostre propre bouche sans Vous donner la peine d'ecrire: et je ne desespere pas de le faire non obstant la guerre: car quoyque les temps miserables soient fort contraires aux Muses, ils ne le sont pourtant pas aux ouvriers comme moy qui ont beaucoup travaillé pour remedier à la misere, et pour tirer des aliments sains et agreables de choses qu'on rejette d'ordinaire comme inutiles. Vous pouvez, s'il Vous plaist, voir ce que j'ay ecrit sur cela depuis la 1.e jusques à la 12.e page du traitté angloisGa naar voetnoot11) que j'eus l'honneur de Vous presenter en passant à la HayeGa naar voetnoot12): je me suis encor depuis ce temps perfectionné sur cette matiere aussi bien que sur la conservation des fruits dans le vuide: de sorte qui si j'estois dans vne grande ville et que les Magistrats voulussent seulement authoriser ce que je proposerois, je ne doute point que je feisse bien mes affaires en servant fort vtilement le Public. D'autre costé l'Academie a agi avec moy d'une maniere à faire voir clairement qu'ils voudroient me reduire à dependre de la misericorde de mes collegues, ce qui est bien different de ce qu'on m'avoit ecrit à Londres: j'ay donc eu recours à S.A.S. et je ne scay pas quelle satisfaction je pourray obtenir tant à cause qu'effectivement je suis icy fort peu vtile, comme je Vous l'ay autre fois mandéGa naar voetnoot13) que parce que plusieurs de M.rs nos Professeurs ont de proches parents et alliez dans le conseil. Ainsi je vois grande apparence que cela reussira à me faire sortir d'icij: je le feray pourtant de la meilleure grace qu'il me sera possible: mais je ne vois point de si bon moien pour cela que si j'avois quelque vocation pour vne Academie ou pour quelque ville maritime: dans ce dernier cas on pourroit prendre le pretexte d'une nouvelle invention que j'ay pour vivre soubs l'eau et dont on voudroit tascher de tirer advantage, ce qui ne se peut faire dans le pays de Hesse: ainsi je pourrois | |
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sortir d'icij dvne maniere qui seroit honorable pour tout le monde: et je ne demanderois rien à ceux qui m'auroient appellé sinon qu'ils daignassent authoriser ce que j'entreprendrois pour l'utilité publique. Je prens donc la liberté, Monsieur, de Vous supplier tres humblement de voir si la chose est faisable, et en ce cas d'avoir la bonté de me le faire sçavoir: parce que j'attens bien tost response du Prince et suivant cette response il faudra que je prenne mes mesures. Au reste, Monsieur, ce que je dis de la maniere de vivre soubs l'eau n'est pas vne chymere controuvée exprès: car, outre ce que j'ay publié dans les Acta de l'annee derniereGa naar voetnoot14) touchant la maniere de conserver la flame soubs l'eau, j'entreprendrois au peril de ma vie de faire le vaisseau de DrebellGa naar voetnoot15) de si bon service qu'on pourroit s'en servir pour les plus longues navigations avec plus de vitesse et moins de danger que d'un vaisseau ordinaire: et on pourroit entrer dans les ports ennemis sans estre apperceu, et ij couler à fonds tous les vaisseaux qui ij seroient. Je sçay que fort souvent en faisant de semblables propositions on s'expose à passer pour ignorant ou pour fourbe: mais je me mets à l'abry de cela en choisissant vn introducteur aussi eclairé que Vous sur ces sortes de matieres, et de qui la reputation est si bien etablie par tout: et enfin tout ce que je demande à present ne sçauroit faire que du bien à ceux qui me feroient l'honneur de m'appeller: puisque du moins ils augmenteroient le nombre de leur sujets sans rien debourcer: si ce n'est que dans la suitte estant eclairez de vos lumieres ils jugeassent à propos de me faire travailler à quelque chose pour leur propre service et vtilité. J'espere donc, Monsieur, que l'honneur de vostre bienveillance qui m'a autrefois si heureusement introduit dans le mondeGa naar voetnoot16) m'ij pourra encor soutenir dans le pas glissant ou je me vois. c'est dont je Vous supplie tres humblement estant avec vn tres profond respect,
Monsieur
Votre treshumble et tresobeissant serviteur D. Papin.
de Marbourg ce 26e v.s. Novemb. 1690. |
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