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Le Déluge.
Déja les flots vengeurs inondent les campagnes
Et vont ensevelir les tours et les montagnes.
Seul et dernier abri pour quelques malheureux,
S'élève, au sein des eaux, un rocher sourcilleux:
Les uns, avec effort, veulent gravir sa cime;
Les autres, succombant, retombent dans l'abîme.
Sous mille aspects divers la mort est sur les flots,
Et frappe les humains de sa terrible faux.
Là, le fils expirant cherche à sauver son père;
Ici, la fille en pleurs périt avec sa mère!....
Accablé de fatigue, abattu de douleur,
Sur l'aride sommet du rocher protecteur,
Sémin, rempli d'amour, de force et de courage,
Arrache son amante à cet affreux ravage.
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Tout meurt! ils restent seuls! ô spectacle d'horreur!
Cette effroyable scène épouvante leur coeur.
L'onde à leurs pieds mugit; la foudre est leur tête.
Les flots, chargés de morts, à travers la tempête,
Sur les flancs du rocher se brisent à leurs yeux.
Le jour fuit; et la nuit se répand autour d'eux.
Sur son coeur agité, Sémire défaillante
Presse son tendre amant; et, d'une voix mourante,
Lui dit: ‘mon cher Sémin, plus de salut pour nous,
Plus d'asile! ô malheur! l'Éternel en courroux
A maudit les humains. Cette mer en furie
Va bientôt pour jamais nous priver de la vie.
O Sémin, soutiens-moi, soutiens-moi dans tes bras!
Regarde! vois ce flot précurseur du trépas!
Nous mourons!’ Elle dit; et tombe inanimée.
Son amant sur son sein reçoit sa bien-aimée.
Ces horribles tableaux, l'univers englouti
Cessent d'épouvanter Sémin anéanti;
Sémin n'aperçoit plus que sa tendre Sémire:
Hélas! à chaque instant il craint qu'elle n'expire.
Il l'appelle en pleurant: ‘Sémire, éveille-toi.
Sémire! que ton oeil se tourne encor vers moi.
N'entends-tu pas ma voix? Que ta bouche chérie,
Avant qu'à mon amour le trépas t'ait ravie,
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Me répète un aveu naguère, hélas! si doux,
Que ton coeur est à moi, que je suis ton époux!’
Elle l'entend, et jette un regard de tendresse
Sur l'amant généreux qu'elle aime avec ivresse.
Tout-à-coup, s'approchant des flots avec effroi,
Elle s'écrie: ‘ô Dieu! malheur! malheur à moi!
Enfin, j'ai tout perdu! Que d'heures fortunées,
Sémin, devaient peut-être embellir nos années!
Il n'est donc plus d'espoir: c'en est fait pour toujours.
J'ai vu, j'ai vu la fin de l'auteur de mes jours;
Oui, là, non loin de moi, sur les eaux mugissantes,
Il invoquait son Dieu de ses mains suppliantes;
Pour la dernière fois il voulut me bénir,
Mais au milieu des flots mes yeux l'ont vu périr.
Hélas! tous ont péri sur cette triste terre!
Et pourtant.... ô Sémin, le monde solitaire,
Heureuse près de toi, possédant ton amour,
Serait pour ta Sémire un fortuné séjour!.....
Dieu, pardonne les pleurs d'une faible mortelle!
Je ne redoute pas ta justice éternelle;
Mais mon coeur trop séduit par un espoir flatteur,
Du moins pour ma jeunesse attendait le bonheur.
Je sais qu'il faut mourir; et mon ame innocente,
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O mon juge! ô mon Dieu! devant toi se présenten.’
- ‘Chère et tendre Sémire! oui, le monde périt;
Oui, tout être vivant à jamais est détruit;
Nous seuls nous respirons: mais la mort qui s'avance
Saura bien nous ravir un reste d'espérance.
Elle vient! je la vois!... Sémire, tu f'rémis!
Ranime ton courage et calme tes esprits.
Pour la tant regretter, qu'est-ce donc que la vie?
Ah! Sémire, quittons cette terre ennemie:
La demeure du juste est au-delà des cieux.
C'est là, là seulement, que nous serons heureux.
Bénissons notre sort.... O moitié de moi-même,
Ne crois-tu pas toucher à cette heure suprême
Où notre ame vers Dieu va prendre son essor?...
Mais ce dernier instant n'arrive point encor.
Sémire, embrasse-moi.. Maintenant, noirs abîmes,
Ouvrez, ouvrez vos flots, voici d'autres victimes.
Oui, je sens un courage au-dessus d'un mortel:
Le bonheur nous attend aux pieds de l'Éternel.’
Il finit; et Sémire à l'espoir est rendue.
Sur ses traits plus sereins la joie est répandue.
Puis élevant ses mains: ‘mon Dieu, quel changement
Opère dans mon coeur la voix de mon amant!
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La mort n'a plus pour moi cet aspect si terrible;
Ma frayeur se dissipe; et mon ame paisible
Déjà ne ressent plus les maux que j'ai soufferts.
Nous allons donc revoir ceux qui nous étaient chers!
Le ciel s'ouvre pour nous; le Très-Haut nous appelle
Et nous allons jouir de sa gloire éternelle.
Abîme, flots affreux, qui me faisiez frémir,
Non, je ne vous crains plus; venez nous engloutir...
Mon bien-aimé! vois-tu cette vague effrayante?
C'est la mort!.. Elle approche, horrible, dévorante.
Elle vient... cher époux, ne m'abandonne pas.
Elle vient... la voilà! serre-moi dans tes bras!
Embrasse-moi, Sémin! Sémin! L'onde m'entraîne’!
- ‘Je t'embrasse, dit-il’! et, respirant à peine,
Il veut la soulever, il succombe; et tous deux
Retombent dans les flots qui se ferment sur eux.
Mortels! reconnaissez la céleste vengeance:
Le monde entier n'est plus qu'un Océan immense.
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