| |
| |
| |
Werther a Charlotte.
O Toi, qui m'as coûté tant de pleurs dans la vie,
Toi, que j'appelle encor du tendre nom d'amie,
Charlotte, ne crains rien; ma voix, ma faible voix
Se fait entendre, hélas! pour la dernière fois.
Voici cet instrument qui va briser mes chaînes:
Je l'ai reçu de toi pour finir tant de peines.
Adieu, Charlotte; adieu!... Mais avant que la mort
Ait fixé pour jamais le terme de mon sort,
Avant quel'heure sonne, ah! permets que mon ame
Puisse exhaler enfin tout l'amour qui m'enflamme.
Albert, pardonne-moi: j'ai causé ta douleur;
Mais bientôt mon trépas te rendra le bonheur.
Oui, Charlotte, il le faut!.. Un charme irrésistible
A nourri, malgré moi, ce penchant invincible.
| |
| |
Werther est innocent: et la nuit et le jour,
Je tâche d'étouffer ce criminel amour.
Inutiles efforts! partout tu m'es présente.
Oui, c'est toi, je te vois et je te parle absente.
Si j'avais pu te fuir, au bout de l'univers,
Werther eût habité quelques sombres déserts,
Où ton aspect si doux, source de tant de larmes,
N'eût plus rempli ce coeur et d'ivresse et d'alarmes.
Mais que dis-je? te voir est un besoin pour moi.
Eh! comment fuir l'objet que l'on porte avec soi?
Vainement j'essayai, dans les plaisirs du monde,
D'oublier un moment ma tristesse profonde;
Pour dissiper mes maux, pour calmer mes esprits,
Je me suis combattu, j'ai cherché des amis;
Je me suis trouvé seul au milieu de la foule;
Ou plutôt, près de toi!.. Non, le temps qui s'écoule
Ne détruira jamais l'unique sentiment
Qui remplit tout mon être et qui fait mon tourment.
Moi-même, sous mes pas, j'ai creusé cet abîme:
Ah! pleure, infortuné! pleure, triste victime!
Va! le courroux des cieux a bien su me punir!
Charlotte, je n'ai plus la force de souffrir,
Et mon coeur épuisé par ma douleur amère,
Gémit comme l'enfant qu'on arrache à sa mère!
| |
| |
O que ne suis-je encor sur tes rochers affreux,
Wahlheim! lorsque l'hiver dévastait ces beaux lieux,
Naguère si rians sous un ciel sans nuages,
Et n'offrant aujourd'hui que débris, que ravages!
Quel spectacle! je vois, sur des rocs écumans,
S'élancer, se briser les vagues des torrens,
Et, dans leur cours rapide, abattre, avec furie,
Ces bosquets que ma main planta pour mon amie.
La tempête s'accroît; pour comble de terreur,
La nuit, la sombre nuit redouble sa noirceur.
Au loin la foudre gronde, et la lune voilée
Ne semble qu'à regret éclairer la vallée.
Ah! Charlotte! combien ces lugubres tableaux
Venaient me retracer mes tourmens et mes maux!
Oui, là, plus d'une fois, égaré sur la cime,
Je voulus me plonger dans cet horrible abîme,
Et l'affreux désespoir irritant ma douleur,
Dans les bras de la mort me montra le bonheur.
Alors, le souvenir d'un passé plein de charmes
Calmait mes sens; alors, je répandais des larmes.
Tour à tour agité par l'amour et l'effroi:
J'étais là, me disais-je; et Charlotte avec moi!
Malheureux! et je vis! et j'avais du courage!
Ah! je n'en rougis pas, j'en saurai faire usage.
| |
| |
Le moment n'est pas loin; et Werther, sans frémir,
Quand l'heure aura sonné, verra la mort venir.
Quel vide dans mon sein! quel tourment me dévore!
Ne puis-je la presser sur ce coeur qui l'adore?
Vain espoir! et demain, Werther inanimé!...
O Charlotte! Charlotte! ô doux objet aimé!
Où suis-je? dans l'excès du chagrin qui me tue,
Si j'accuse le ciel, c'est de t'avoir connue.
Ah! pardonne... à mes sens je crois rendre la paix;
Mais Werther, malgré lui, veut te fuir à jamais:
Un seul jour sans te voir est un affreux supplice;
Je reproche au destin sa barbare injustice;
Je te cherche partout, j'erre, j'ai tout perdu,
Et quand je te revois le bonheur m'est rendu.
Rappelle-toi ce soir où ma main défaillante
Contre mon sein ému pressait ta main tremblante,
Ce soir où je voulais qu'un paisible trépas
A jamais endormît ton amant dans tes bras:
Oh! combien d'Ossian la voix mélancolique
Attendrissait nos coeurs sur sa harpe héroïque!
Écoute, sans effroi, ces sons mélodieux,
Ces mots qui ressemblaient à mes derniers adieux.
Ah! leur impression ne s'est point effacée;
| |
| |
Charlotte, ils sont toujours présens à ma pensée:
‘Haleine du printemps, pourquoi m'éveilles-tu?
Laisse mourir un lis par le vent abattu,
Il languit saus couleur, et sa vie épuisée
Ne peut se ranimer à la tendre rosée.
Le fatal vent du nord m'a flétri sous ses coups,
Et je reste insensible à ton souffle si doux.
Hélas! viendra bientôt, errant sur la bruyère,
Celui qui m'a connue en ma beauté première;
Il viendra m'appeler.... ses cris seront perdus....
Il cherchera.... Ses yeux ne me trouveront plus!’
Du moins, si dans mes maux un rayon d'espérance
Apaisait quelquefois ma trop longue souffrance,
Peut-être le bonheur.... ô penser trop amer!
Le bonheur! en est-il pour le coeur de Werther?
Je déteste la vie; et, dans mon trouble extrême,
Je ne me connais plus, je veux me fuir moi-même,
J'entrevois, à toute heure, un horrible avenir,
Et du temps qui n'est plus je hais le souvenir.
J'écoutai follement ma téméraire ivresse;
De deux époux chéris je troublai la tendresse.
Malheur! malheur à moi! j'ai mérité mon sort.
Ah! pleure, infortuné! pleure et trouve la mort.
| |
| |
L'heure approche... Je sens s'affermir mon courage.
Un calme bienfaisant a remplacé l'orage.
Mes yeux vont se fermer. Nature, prends le deuil;
C'est ton fils, ton ami qui descend au cercueil.
De ses voiles épais la nuit couvre la terre,
Et l'astre, au front d'argent, promène sa lumière.
O nuit délicieuse! à mes derniers soupirs,
Pourquoi me rappeler mes plus chers souvenirs?
Ah! c'est en vain. J'expire et mon amour succombe.
Charlotte, tes beaux yeux pleureront sur ma tombe!
Adieu, Charlotte; adieu. Mon destin est rempli.
Par de longues douleurs Werther est affaibli.
Dans un autre séjour... consolante espérance!
Oui! je te reverrai près d'un Dieu de clémence.
Mon ombre habitera ces bois, ces sombres lieux
Où nous portions souvent nos pas silencieux:
Tu viendras y gémir. Ma cendre refroidie
Sera sensible encore aux pleurs de mon amie.
Charlotte, tu viendras... C'est là mon dernier voeu.
C'en est fait: minuit sonne! ô ma Charlotte! adieu!
|
|