| |
| |
| |
Orgueil et Infortune.
Que j'aime à me soustraire au fracas de la ville!
Partons; déjà Phébus s'ouvre l'onde tranquille;
Gravissons ces rochers qui dorainent les mers:
Ici l'écho répond au bruit des flots amers;
Là, de tristes oiseaux, par leurs accens funèbres,
Annoncent sourdement l'approche des ténèbres;
Et la brise du soir, d'un souffle caressant,
Trouble du fond des bois le silence imposant:
Tout porte dans mon coeur cette mélancolie,
Ce secret sentiment, doux charme de la vie!
Sur un coteau stérile, à mes regards surpris,
S'offrent d'un vieux château les gothiques débris;
Plus loin, une cabane, asile solitaire,
Semble de l'indigent protéger la misère.
L'éclat de l'opulence est pour moi sans appas:
| |
| |
Vers ce simple réduit je dirige mes pas.
J'arrive. Dieu! que vois-je? une chaumière obscure,
Un vieillard dont les pleurs sillonnent la figure.
Les chagrins sur son front ont gravé le malheur.
- ‘Étranger, qui t'amène en ces lieux de douleur,
Me dit-il, tout ému? Fuis ma sombre retraite.
Hélas! il n'est ici nul charme qui t'arrête.’
- ‘Eh quoi! le vrai plaisir d'un mortel généreux
N'est-il pas d'alléger les maux des malheureux?
Tu pleures, bon vieillard!’ - ‘La céleste justice
Par de longues douleurs a marqué mon supplice.
Que ne puis-je, ignoré, finir ici mes jours!’
-‘Qu'entends-je? tu voudrais repousser mes secours!
Quel affreux désespoir, quel projet téméraire
Vient désoler ton ame au bout de ta carrière?’
- ‘Le ciel n'a pas reçu le voeu que j'ai formé:
Dix ans de repentir ne l'ont pas désarmé.
Je vois qu'à son courroux il faut une victime,
Et la mort lentement me traîne dans l'abîme!’
- ‘Dieu n'approuvera pas ton barbare dessein;
Il tend déjà vers toi son invisible main.
Conte-moi tes malheurs; parle, je t'en conjure.’
- ‘O Dieu! faut-il rouvrir ma profonde blessure?
Tu le veux: j'y consens. Peut-être, avec effroi,
| |
| |
Le bruit de mes revers est venu jusqu'à toi.
Autrefois je vivais au sein de l'opulence:
J'ai tout perdu! l'orgueil creusa ce gouffre immense!
Que l'aveugle fortune, en ses jeux incertains,
Sait bien anéantir les fragiles humains!
Tourne ici tes regards: tu vois, sur ces collines,
Ces traces de grandeur, ces débris, ces ruines?
Sous des lambris dorés c'est là que j'ai vécu.
Hélas! le vrai bonheur je ne l'ai pas connu.
J'avais perdu mon fils, l'espoir de ma familie;
Sa mère le suivit. J'allais mourir; ma fille
Répandit sur mes jours flétris par les douleurs,
D'un tendre attachement les soins consolateurs.
D'un plus doux avenir j'osai goûter les charmes,
Et ma chère Amélie enfin sécha mes larmes.
Cette félicité ne dura pas long-temps:
Le sort me réservait de plus cruels tourmens.
L'amour lança ses traits dans le coeur d'Amélie:
Un instant décida du reste de sa vie.
Des titres de noblesse étaient tout à mes yeux,
Et mon orgueil blessé désapprouva ses voeux.
Dès-lors, n'écoutant plus l'autorité d'un père,
Elle perdit bientôt son heureux caractère,
Suivit avec ardeur ce fatal sentiment,
| |
| |
Et n'eut plus de pensers que pour son seul amant.
Plus d'abandon, de soins: on fuyait ma présence;
Le soupçon remplaçait la tendre confiance.
Irrité, furieux...... Je ne sais quel démon,
En me rendant barbare, égarait ma raison......
J'étouffai la tendresse en mon ame aveuglée.
Au-delà de ces mers Amélie exilée
Alla cacher sa honte et pleurer son amour.
Je restai seul. Hélas! dans mon triste séjour,
Donnant quelques regrets aux malheurs d'Amélie,
Je passais à gémir ma déplorable vie.
D'hypocrites flatteurs, sous le faux nom d'amis,
Cherchaient, avec adresse, à calmer mes esprits:
Les traîtres! leurs discours, leur lâche complaisance
N'avaient que trop aigri ma sévère vengeance!
A la fin, la pitié condamnant ma rigueur,
Fit entendre sa voix dans le fond de mon coeur.
L'espoir qui m'avait fui vint charmer ma tristesse,
Et je trouvai peut-être un moment d'allégresse.
Un nouveau jour parut à mes yeux détrompés.
Mais, ô perfide erreur! dans mes esprits frappés,
Le désespoir rentra plus affreux, plus terrible:
Comme moi, l'Éternel voulut être inflexible.
Ma fille succomba sous le poids des chagrins,
| |
| |
Et la mort mit un terme à ses cruels destins.
Désormais seul au monde, inconsolable père,
Je crus avoir du ciel épuisé la colère;
Ce n'était point assez. Le bras d'un Dieu vengeur
Devait sans doute au crime égaler le malheur.
Je n'attendais plus rien de la bonté divine:
Un revers de fortune acheva ma ruine.
Soudain, grandeurs, amis, tout me fuit sans retour!
L'implacable remords, invisible vautour,
En déchirant mon sein, sans cesse me rappelle
Le néant de l'orgueil et ma faute éternelle.
Je l'ai bien mérité cet arrêt rigoureux!
Dix ans se sont passés: depuis ce temps affreux,
Le fardeau de la vie est tout ce qui me reste.
Étranger, tu sais tout: ah! plains mon sort funeste;
Mais laisse-moi ces maux. Je veux encor souffrir:
Où cessent les tourmens, finit le repentir.’
Que ce touchant récit m'attendrit et m'enflamme,
Et combien la pitié pénètre dans mon ame!
Oui, souvent j'irai voir cet être infortuné.
Dieu puissant, fais qu'il vive et meure pardonné!
Tel est des vains mortels la destinée amère:
Aujourd'hui l'opulence et demain la misère.
| |
| |
O médiocrité, délices des bons coeurs,
Heureux qui te préfère aux trompeuses grandeurs
Il voit venir sa fin dans une paix profonde,
Et doucement s'endort sans regretter le monde.
|
|