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L'Imprecation.
Conte.
Approchez-vous, et soyez tout oreille.
Vous apprendrez comme arrive un malheur,
Quand la colère une fois nous conseille:
Tout le Brabant en tremble encor de peur.
A vos enfans, ô mères imprudentes,
Gardez-vous bien d'interdire l'amour:
Des maux sans nombre et des peines cuisantes
Vous poursuivraient et la nuit et le jour.
Détrompez-vous: ni force, ni prières
N'y peuvent rien; on soupire, on gémit,
Mais on est sourd à vos sermons sévères:
Amour commande, et le coeur obéit.
Vous avez beau raconter à vos filles
Les méchans tours, la fourbe des amans,
Combien ils font le malheur des familles;
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Peine perdue! ils sont toujours charmans.
De près, de loin, leur pouvoir vous abuse,
Et tous vos soins sont dupes de leur ruse.
Sybille un jour l'apprit à ses dépens.
Sybille était la tante d'Isabelle.
Quand son bonnet n'était pas de travers,
Tout allait bien; la paix régnait chez elle.
Mais si l'humeur lui troublait la cervelle,
Vite arrivait la longue kyrielle
Des propos durs, des reproches amers:
Dans la maison, amis, nièce, ou servante,
A son aspect tout fuyait d'épouvante.
La nièce alors comptait seize printemps.
Vive, jolie et tendre quoique sage,
Chacun vantait ses charmes éclatans,
Et ses yeux noirs qui disaient davantage.
Sa douce voix, son séduisant langage,
Son teint de lis, ses regards caressans,
Tout sur ses pas attirait les amans.
Dans la saison d'une brûlante ivresse,
Son coeur novice et pur comme un matin,
N'avait jamais éprouvé de tendresse
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Que pour André, le fils de son voisin.
Ce couple heureux, en secret, vers la brune,
Quand les amans ressemblent aux voleurs,
Par la fenêtre, aux clartés de la lune,
Venait souvent se conter des douceurs.
Mais c'était peu: le coeur le plus timide,
En fait d'amour est bientôt intrépide.
André, galant, à sa belle apportait
Petits cadeaux, bien reçus d'ordinaire,
Tels que bijoux, bonbons qu'il achetait
Avec l'argent qu'il prenait à son père.
Notre amoureux se conduisit si bien,
Que, le dimanche, épuisé de largesse,
Quand le bedeau fait sa ronde à la messe,
Dans la cueillette il ne donna plus rien.
Dame Sybille était veuve et rusée:
Pareil secret fut d'abord découvert.
Tout en courroux de se voir abusée,
Elle gronda sa nièce, à coeur ouvert,
Pendant trois jours; et la pauvre petite,
Les yeux en pleurs, en fut tout interdite.
Veut-elle coudre? en ses mains aussitôt
Le fil se rompt. Prend-elle son tricot?
Comme à plaisir les points tombent par mille.
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La soupe est maigre et bonne pour la bile,
Et le cerfeuil n'est pas bien nettoyé:
Tout se fait mal, ou se fait à moitié.
‘Ma chère enfant, dit doucement la tante,
Cela ne peut long-temps aller ainsi:
Tu le vois bien. Qu'as-tu qui te tourmente?
Est-ce l'amour qui cause ton souci?
Conte moi tout: Tu sais combien je t'aime!
Quel est l'amant que ton coeur a choisi?
Parle; j'attends cet aveu de toi-même.’
- ‘Oh! si je puis le nommer devant vous,
C'est André.’ - ‘Quoi! reprend-elle, en colère,
Est-il bien vrai? petite téméraire,
Fi! c'est affreux! redoute mon courroux.
Je vais t'apprendre à tromper de la sorte.
Déshonorer à ce point ma maison!
Dès ce moment, mon amitié t'exhorte
A laisser là ce vaurien, ce fripon.
Prends-y bien garde, et retiens ma leçon:
Ne crains-tu pas que le Diable t'emporte?
Si tu ne veux écouter mes avis,
Ajoutait-elle, avec une voix forte,
Il le fera; c'est moi qui te le dis.’
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Épouvantée et gardant le silence,
L'aimable enfant fait un signe de croix,
Et, comme un trait, chez le voisin s'élance:
(Ce n'était pas par désobéissance,
Mais pour le voir une dernière fois.)
Puis, s'arrachant, à des adieux pénibles,
Revint trouver et sa chambre et son lit,
Plaignit le sort des ames trop sensibles,
Pria beaucoup, et fort tard s'endormit.
A demi-voix, tandis qu'elle sommeille,
Sa tante alors vient lui dire à l'oreille:
‘Perds, en dormant, ta vile passion;
Corrige-toi, servante du Démon.’
Minuit sonnait, et tout était paisible,
Lorsque la porte, avec un bruit horrible,
S'ébranle, s'ouvre, et l'on entend ces cris:
‘Il faut me suivre: Isabelle! Isabelle!’
De toutes deux, à cet ordre précis,
Vous peignez-vous l'épouvante mortelle?
Un noir fantôme, un spectre, à longues dents,
Les yeux ouverts et la bouche béante,
Le long des murs, avec des grincemens,
Va promenant sa marche sautillante;
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Traîne après lui des fers retentissans,
Et frappe l'air de sa queue ondoyante.
Il va d'abord droit au lit de la tante:
‘Ce n'est pas moi! non, non, ce n'est pas moi,
Seigneur Démon! dit-elle, avec effroi:
Un peu plus loin dort ma nièce Isabelle.’
L'esprit malin, refermant le rideau,
Court se saisir de notre jouvencelle
Qui, sans parler, tremblait comme un roseau.
Que faire, hélas? lutter contre le Diable?
Entre ses draps elle veut se cacher;
Mais c'est en vain: la griffe impitoyable
Du fond du lit va bientôt l'arracher.
Le Diable sort et se sauve avec elle.
On entendit tous les chats miauler,
Mais pas un mot de la tendre Isabelle:
Dans ces momens on ne sait que trembler.
Où s'en va-t-il? On devine la joie
Du téméraire et friand loup-garou:
Entre ses bras tenant sa douce proie,
Il saute, il danse, et s'enfuit, Dieu sait où!
Aux maux d'autrui toujours compatissante
Sybille pleure et tout bas se lamente.
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Il est trop tard: sa nièce a disparu!
Tout est tranquille et la nuit est profonde.
Elle regarde; et, l'esprit éperdu,
Appelle en vain: personne qui réponde!
Comme ici-bas il n'est point de secret
Si bien caché que le temps ne révèle,
Toute la ville est instruite du fait:
Connaissez-vous la tante d'Isabelle?
Eh bien! le Diable est venu l'enlever,
Elle, son livre et jusqu'à ses lunettes.
La vérité vint pourtant relever.
Les faux discours des langues indiscrètes:
C'était la nièce. On pleura de pitié.
On entendit de crédules fillettes
Qui se disaient: ‘je l'aurais parié.
On voyait bien, au feu de sa prunelle,
Qu'un pareil sort attendait Isabelle.’
Sybille est seule; elle pense au malheur
Qui pour jamais a désolé son coeur.
‘Méchant Démon, dit-elle, avec tristesse!
A peine, hélas! lui donné-je ma nièce,
Que le vilain a bientôt obéi:
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Il était sourd du temps de mon mari!’
Dans la douleur qui l'afflige et l'accable,
Elle, autrefois colère à tout propos,
Qui, pour un rien, donnait son monde au Diable,
Elle médite et gémit sur ses maux,
Maudit Satan et ses cruels caprices,
Satan, l'auteur des ténébreux complots,
Et dont le mal fait toutes les délices.
Dix mois entiers se passent en soupirs.
Sybille perd ses vieilles habitudes;
Son air est doux, ses paroles moins rudes.
Elle nourrit de tristes souvenirs,
Et si parfois sa bile encor fermente,
Elle se borne à gronder sa servante.
Un beau jeune homme un matin vient la voir,
Et se courbant poliment devant elle:
‘Calmez, dit-il, votre long désespoir;
Une autre cause aujourd'hui me rappelle:
Je viens, Madame, humblement vous offrir
D'être marraine; accueillez ma prière.’
- ‘Quoi! dit la vieille, avec un ton sévère;
De quels discours venez-vous m'étourdir?’
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-‘Plus clairement s'il faut que je le dise,
J'y consens; mais d'abord préparez-vous:
Daignez m'entendre un instant sans courroux;
Je vous promets une aimable surprise.
C'est moi qui suis ce spectre, ce Démon
Qui l'an passé vous ravit votre nièce:
Un doux hymen m'assura sa tendresse,
Et maintenant me donne un rejeton
Qui, loin d'avoir la figure du Diable,
Est beau comme elle et de tout point semblable.
‘D'un rapt cruel vous avez trop gémi;
De cet enfant le baptême s'apprête;
Votre chagrin est désormais fini,
Et l'amitié vous invite à la fête.’
L'étonnement, peut-être le plaisir
Vint alléger un malheur sans remède:
Au noir dépit l'allégresse succède.
La tante alors se laissant attendrir,
Lève les mains vers la voûte suprême:
‘Comme à présent le monde est perverti!
Hélas! partout le désordre est extrême;
Mais puisqu'enfin le ciel le veut ainsi,
Résignons-nous: le ciel en soit béni!
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Encore un peu, j'étais prise moi-même:
Pourquoi parlé-je, ô folle que j'étais!’
La renommée, avide de ces faits,
Dans le pays en sema la nouvelle.
On sut partout que le lutin subtil
Qui vint la nuit enlever Isabelle,
C'était André. ‘Demain, s'écriait-il,
On le baptise, et Sybille est marraine!’
Ami, parent, étranger et voisin,
Groupes joyeux que le plaisir amène,
De tous côtés arrivaient au festin.
Parmi le sexe on broda l'aventure:
D'un air moqueur les unes en parlaient;
Avec dépit les autres écoutaient,
Ou s'exprimaient par un léger murmure.
Une pourtant, plus franche, sans détour,
Sans se cacher sous un voile hypocrite,
Disait tout haut: ‘si pareil Diable un jour
Vient me chercher, ma foi, j'irai bien vite.’
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