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Ursin et Valentin.
Conte.
Au retour du printemps, quand les filles de Flore,
Au souffle des Zéphyrs vont s'empresser d'éclore,
On célèbre à l'envi le jour de Valentin.
L'aube à peine entr'ouvrait les portes du matin,
Et le prince des Francs, sorti des murs de Renne,
Sur un ardent coursier foulait au loin la plaine.
Aux plaisirs de Diane, escorté de sa cour,
Il veut avec éclat cousacrer ce beau jour.
Bientôt, dans la forêt, un cri part, l'airain sonne:
Son cortége royal le suit et l'environne;
Et tandis qu'au travers des taillis ténébreux,
Ils guident, à grand bruit, leur vol impétueux,
Un enfant, qui paraît à sa première aurore,
S'offre sur le gazon qu'un doux rayon colore.
La pourpre enveloppait ses membres délicats.
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Les chasseurs étonnés, précipitant leurs pas,
Interrogent des bois l'épaisseur solitaire:
Ils appellent en vain, ils cherchent... point de mère!
De l'enfant qui sourit le Roi s'est approché:
‘Tendre orphelin, dit-il, que mon coeur est touché!
Sans doute un noble flanc t'a donné la naissance.
Oui, le ciel sous ma garde a mis ton innocence.
Aimable enfant, peut-être es-tu le fils d'un roi:
Eh bien! que mon palais s'ouvre à l'instant pour toi;
En l'honneur de ce jour, dans l'antique chapelle,
Du nom de Valentin je veux que l'on t'appelle.
Allez; empressez-vous; que par les plus doux soins,
Une mère étrangère apaise ses besoins;
Que l'on n'épargne rien, et qu'en prince on le traite.’
Déjà le jeune enfant joue au sein qui l'allaite;
Et, sous les yeux du Roi, par les plus tendres soins,
Une mère étrangère a prévu ses besoins.
De la cour adoré, sous un heureux présage,
Valentin grandissait et devançait son âge.
Son regard était vif, son port majestueux;
La franchise éclatait dans ses traits gracieux.
Son air était affable, et la plus noble flamme,
De vertus et d'honneur alimentait son ame.
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Plein de fierté, mais doux, courageux, mais prudent,
Il réglait à son gré les voeux d'un coeur ardent,
Et son naissant amour pour les jeux de Bellone,
Promettait à son Prince un ferme appui du trône.
Il sortait de l'enfance; et, d'un duvet léger,
Son menton commençait à peine à s'ombrager,
Que déjà Valentin, respirant la victoire,
Du nom de chevalier veut mériter la gloire.
‘O Prince! une faveur, dit-il! une faveur!
Que le premier danger signale ma valeur.’
- ‘Tu combles mes désirs, dit Pépin, avec joie,
Et qu'au premier danger ta valeur se déploie. ’
Quelques jours avaient fui, lorsque trois pèlerins,
Élevant vers le ciel leurs suppliantes mains,
Entrent dans le palais. Encor pleins d'épouvante,
Ils guident vers le Roi leur démarche tremblante:
‘Bon Prince, disent-ils, ayez pitié de nous!’
Et tous trois de Pépin embrassaient les genoux.
‘Ah! voyez ces lambeaux qui nous couvrent à peine!
Nous sortons, demi-morts, de la forêt prochaine.
Dans ces bois, se cachant à la clarté des cieux,
Vit, au milieu des ours, un sauvage hideux.
Le repaire d'un ours est sa demeure horrible;
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Sa taille est gigantesque et sa force invincible;
Il chasse avec les ours et s'abreuve de sang.
Sa poitrine est velue, et son énorme flanc
Résiste aux coups du fer. Malgré notre courage,
Un de nous est tombé victime de sa rage;
Et nous, si de la mort nous sommes préservés,
De ce péril certain un Dieu nous a sauvés!’
A ces mots, Valentin que ce récit enflamme,
Se lève, et, souriant au danger qu'il réclame,
Se dispose au combat. ‘Va, mon fils, dit Pépin;
Accomplis, j'y consens, ton glorieux dessein.’
Unblanc coursier frémit sous le mors qui leguide.
Tout fier de son armure, et, d'un vol intrépide,
Aussi prompt que les vents, Valentin disparaît
Et plonge ses regards au sein de la forêt.
Le sauvage, rongeant les restes de sa proie,
Rassasiait de chairs son homicide joie.
Le sang de ses deux yeux bordait l'affreux contour;
Ses ongles ressemblaient aux serres du voutour.
A l'aspect du héros, il roule un oeil farouche;
Un long mugissement est sorti de sa bouche.
Le tronc noueux d'un chêne arme son bras nerveux.
Tel, pressé par la faim, un tigre audacieux
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Attaque uu voyageur et prélude au carnage;
Ainsi sur Valentin vient fondre le sauvage.
Il brandit sa massue et frappe le guerrier
Qui repousse le choc de son tranchant acier.
Le sauvage fléchit sous le fer qui l'accable.
Un second coup l'abat et l'étend sur le sable;
Mais l'homme des forêts; d'un bond impétueux,
Se relève, roidit ses muscles vigoureux,
Ressaisit sa massue, et, bouillant de colère,
Assiége de nouveau son terrible adversaire.
Il s'élance, il s'approche, il tourne sans repos.
Valentin, avec art, évite ces assauts.
La massue, en tombant, a touché son armure:
L'air en a retenti, la forêt en murmure.
La lance du héros se rompt, vole en éclats.
A pied, et disputant le terrain pas à pas,
Le hardi chevalier le presse, le harcèle;
Sous ses coups redoublés son épée étincelle.
Son ennemi s'irrite; et, prompt comme l'éclair,
Tout près d'être frappé, se jette sur le fer;
Trois fois il se saisit de la lame acérée,
Et trois fois elle échappe à sa main déchirée.
L'écho des bois répond à ses cris furieux.
Un déluge d'éclairs s'échappe de ses yeux.
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Comme l'arc, dont le trait est lancé dans l'espace
Tout son corps est tremblant et de rage et d'audace.
Par un saut imprévu revenant sur ses pas,
Il surprend Valentin, le serre dans ses bras,
Et tel qu'un lourd rocher de tout son poidsl'entraîne:
Ils tombent tous les deux sur la sanglante arène.
Valentin s'en détache, et, redoublant d'efforts,
Recommence l'attaque. Ils luttent corps à corps.
Mais Valentin triomphe; et son bras téméraire,
Au compagnon des ours fait mordre la poussière,
Enchaîne par vingt noeuds le sauvage écumant,
Derrière son coursier l'attache fortement,
Et l'entraîne au palais. Parmi la foule immense,
Valentin vers le Roi modestement s'avance,
S'agenouille, et pour prix d'un courage indompté,
Lui présente un butin chèrement acheté.
Pépin, avec amour, l'embrasse et le relève.
Il prend sa chaîne d'or, en pare son élève,
Et lui donne un emblême où le burin adroit
Se plut à retracer cet immortel exploit:
‘O mon fils! si j'en crois le transport que j'éprouve,
Tu m'appartiens, dit-il; ton courage le prouve.’
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Par le sang qu'il perdait le vaincu s'affaiblit,
Et, dégagé de fers, lentement s'assoupit.
Son courroux se calma; ses fureurs s'apaisèrent,
Et, dignes l'un de l'autre, enfin ils s'embrassèrent.
Le séjour du sauvage au milieu des forêts,
Lui fit donner un nom qui doit vivre à jamais.
Depuis lors, illustré par d'éclatans faits d'armes,
Valentin savourait un destin plein de charmes.
Son casque, surmonté d'an cerf majestueux,
Jamais des ennemis n'avait frappé les yeux,
Sans jeter dans leurs rangs l'alarme et l'épouvante.
Son nom, que précédait une gloire éclatante,
Était l'appui dn faible et l'effroi des méchans.
La tendresse du Prince et ses soins si touchans,
Le respect de sa cour, les pompes triomphales
Que prodiguaient pour lui les largesses royales,
Tout ce qui d'un héros peut flatter le grand coeur,
Comblait le chevalier de joie et de bonheur.
Mais combien près des grands le souffle de l'envie
Aisément d'un guerrier empoisonne la vie!
Une brillante fête où s'assemblait la cour,
Avait peuplé du Roi le magique séjour;
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Tout resplendissait d'or. La piquante saillie,
Aux mets les plus exquis se trouvait réunie.
Parmi les chevaliers la gaîté circulait,
Et la joyeuse coupe à longs traits se vidait.
Échauffé par le vin, rongé de jalousie,
L'un d'entre eux, employant la mordante ironie,
Avec un ris moqueur, reproche à Valentin
Sa douteuse naissance et son premier destin.
Cet affront du héros a blessé l'ame altière.
Il jure par l'honneur, par le jour qui l'éclaire,
De n'avoir de repos jusqu'au moment heureux
Où ses parens enfin s'offriront à ses voeux.
Il quitte donc la cour; et, fort de son courage,
Plein d'un avide espoir, commence son voyage.
Il marche: aux premiers feux de l'astre du matin,
Chaque jour, au hasard, il poursuit son chemin,
N'emportant avec lui que sa lance terrible,
Son bouclier, son casque et son glaive invincible.
Il presse son coursier tout fier de son fardeau.
La pourpre, qui jadis entoura son berceau,
Se découvrait encor sous sa brillante armure.
Ainsi ce chevalier errait à l'aventure.
Par sa tendre amitié, depuis long-temps Ursin
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Avait su s'attacher le coeur de Valentin.
Fidèles compagnons, dans leurs courses lointaines,
Ils vont, se consolant tour-à-tour de leurs peines.
Braver tantôt du jour les rayons dévorans,
Tantôt d'un ciel obscur les orageux torrens.
Déjà vingt fois le dieu qui lance la lumière,
Avait fourni pour eux sa brûlante carrière;
Déjà vingt fois la nuit, d'un crêpe ténébreux,
Avait enveloppé leurs pas infructueux:
A la fin, un château, d'un aspect magnifique,
A leurs regards charmés dessine son portique.
Un lac vaste et profond, bordé de murs épais,
De ses dormantes eaux entoure ce palais.
Son dôme étincelant domine la contrée;
Un large pont d'airain en protége l'entrée,
Et par un carillon artistement placé,
Soudain trahit au loin le pied qui l'a pressé.
A peine nos héros ont touché ses solives,
Que des sons éclatans frappent l'écho des rives.
Sur leurs gonds ont roulé les portes du château;
Un énorme géant apparaît sous l'arceau:
C'est Difurch, monstre informe, atroce, sauguinaire
Qui fit de ce séjour son horrible repaire;
Difurch, de la contrée affreux dévnstateur,
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Répandant sur ses pas la mort et la terreur.
‘Téméraire! dit-il, d'une voix formidable;
Rendez-vous à l'instant, où ce bras redoutable,
De vos corps déchirés dispersant les lambeaux,
Va livrer vos débris en pâture aux corbeaux.
Que cherchez-vous ici?’ - ‘Je ris de ta menace,
Répond le chevalier, en redoublant d'audace;
Je viens ravir ta proie à tes lâches fureurs.
Présomptueux! tu vas expier tes horreurs.’
Il pousse son coursier, fond sur lui; mais sa lance
Va se rompre en éclats sur sa poitrine immense.
Le robuste géant, immobile et debout,
Reçoit, sans s'ébranler, l'épouvantable coup.
Cependant son sang coule; et le mal qu'il endure
Commence à l'avertir de sa large blessure.
Le monstre furieux s'avance en rugissant,
Décrit de sa massue un cercle menaçant,
Vise le chevalier et va briser la pierre.
Valentin, à son tour, fond sur son adversaire,
De son glaive tranchant bat les airs ébranlés,
Et frappe sur le Celte à coups plus redoublés
Que l'ardent bûcheron sur le pin qui succombe;
Difurch, de son côté, comme l'arbre qui tombe
Renverse le passant en troublant les échos,
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Fait tomber sa massue, effleure le héros.
Un autre coup l'atteint; il pâlit, il chancèle;
De son crâne entr'ouvert le sang coule, ruisselle;
Sans force, il va rouler aux pieds de son rival.
Difurch laisse échapper un sourire infernal:
‘C'en est fait, lui dit-il; c'est ton heure dernière!’
Il allait redoubler; mais, semblable au tonnerre,
Un coup, un coup terrible, ajusté par Ursin,
A sauvé du trépas les jours de Valentin.
C'était du bras d'Ursin que partait cet orage.
Sur le marbre sanglant Difurch tombe avec rage,
Et, de son sein meurtri, le râle de la mort,
Comme un long hurlement, s'exhale avec effort.
Ses yeux semblent sortir de leur profonde orbite;
Il pousse un cri funèbre et tout son corps palpite.
L'inexorable Ursin, dans le sang répandu,
Perce de mille coups le géant abattu,
Et, suspendant enfin sa vengeance assouvie,
Foule d'un pied vainqueur sa victime sans vie.
Il vole à son ami par ses soins relevé;
Sou sang, à gros bouillons, inondait le pavé.
Il l'appelle: à sa voix Valentin se ranime.
Ils pénètrent tous deux dans cet antre du crime,
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Parcourent de ses murs les vastes profondeurs,
Et marchent entourés de muettes horreurs:
Là des lambeaux de chairs, des entrailles fumantes,
Sur le sable mouvant encore palpitantes;
Ici, des ossemens que le temps a blanchis,
Et des crânes brisés, effroyables débris!
Partout le sang, la mort et des armures vides,
Lugubres ornemens de ces lieux homicides!
Quels accens, tout-à-coup, ont glacé leurs esprits?
D'un gouffre caverneux ils entendent des cris.
Qui les a prononcés? quelle est cette victime?
Ils volent au degré qui conduit à l'abîme.
Ils descendent: les cris redoublent pas à pas.
Au fond d'un souterrain, noir cachot du trépas,
Succombe lentement une femme inconnue.
La noble majesté sur ses traits répandue,
Son maintien imposant, ses yeux noyés de pleurs,
Tout en elle attestait son rang et ses malheurs.
A sa maigreur livide, à son front triste et pâle,
On eût dit qu'échappée à la nuit infernale,
Avec de longs soupirs, dans ce séjour de deuil,
Une ombre lamentable entr'ouvrait son cercueil,
On arrache à ses fers la victime étonnée.
Valentin veut savoir de cette infortuné,
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Quel est son nom, son rang, et quel bras furieux,
Vivante, la plongea dans ces funestes lieux.
- ‘Ah! dit-elle, en versant une larme brûlante;
Quel Dieu guide vos pas à ma voix gémissante?
Épouse sans époux et mère sans enfans,
Hélas! voilà mon sort: je meurs dans les tourmens.
Jeune homme, vous voulez en savoir davantage:
De conter tant de maux aurai-je le courage?
Pourrai-je retracer ces tableaux pleins d'horreur,
Qui font rougir mon front et révoltent mon coeur?
Mais je dois ces aveux à qui brise mes chaînes:
Peut-être mon récit soulagera mes peines.’
‘Déjà depuis vingt ans, dans ce cachot cruel,
J'ai maudit mes bourreaux, le monde et l'Éternel.
Témoin d'un vil mensonge, et de crimes infâmes
Que jamais le soleil n'éclaira de ses flammes,
Je m'abreuvais de pleurs et j'appelais la mort;
Mais, espoir superflu! rien n'adoucit mon sort.
Que dis-je? je respire, et ma faible paupière,
Pour d'autres pleurs encor reverra la lumière!
Le malheur à jamais s'est fixé sur mes pas.
Soeur d'un prince adoré dans ses vastes États,
Au printemps de mes jours, vaine de sa couronne,
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D'un monarque puissant je partageai le trône.
Un mutuel amour, lien doux et charmant,
Avait uni ma vie au sort de mon amant;
Mes voeux étaient comblés. Mais à peine une année
Eût achevé pour moi sa course fortunée,
Qu'un forfait inoui changea mon avenir.
Un ministre de Dieu, (trop affreux souvenir!)
Sous le voile menteur d'une vertu sévère,
Du plus vil des humains cachait l'ame adultère,
Et, d'un maître abusé, flatteur respectueux,
Avait gagné le coeur et fasciné les yeux.
Un saint jour, à ses pieds, le repentir sincère
Avait conduit mes pas; là, dans le sanctuaire,
Où, devant les autels, le remords à genoux
D'un Dieu toujours clément vientfléchir le courroux,
Nourrissant en secret sa coupable espérance,
Il osa tendre un piége à l'aveugle innocence.
Je repoussai ce monstre; et, tremblante d'effroi,
Je voulus qu'à jamais il s'éloignât de moi.
L'hypocrite aussitôt, dépouillant son audace,
M'implore, s'agenouille et réclame sa grâce.
Il rampe, il me supplie, en se frappant le sein,
De cacher à la cour son horrible dessein,
Et, dupe de ses pleurs, étouffant ma vengeance,
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Je garde sur son crime un généreux silence.
Que je l'ai payé cher ce funeste pardon!
Pour prix de mes bienfaits, j'obtins cette prison.
Dans son ressentiment, sa noire hypocrisie
Au coeur de mon époux souffla la jalousie,
Et par d'affreux soupçons, reproduits chaque jour,
De celui que j'aimais sut m'arracher l'amour.
Un esclave, à prix d'or, caché dans ma retraite,
Seconda ses projets et sa haine secrète.
La nuit prêtait son voile à ses lâches noirceurs:
C'est là qu'il préparait ma honte et mes malheurs,
Là que, devant ma cour, par ce fourbe abusée,
D'un odieux forfait je me vis accusée.
Mon époux, emporté par son premier transport,
Commande qu'à l'instant on me traîne à la mort:
Son honneur outragé repousse ma défense,
Et par mon trépas seul veut laver son offense.
Cependant (je portais le fruit de nos amours.)
Touché de mon état, il fait grâce à mes jours.
Aux tourmens de l'exil à jamais condamnée,
Comme épouse infidelle et reine infortunée,
Je pars, je fuis la cour, et, sous d'autres climats,
Vers un frère puissant je dirige mes pas.
Déjà j'avais franchi, sous le poids de mes peines,
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Des fleuves, des forêts et de brûlantes plaines,
Lorsqu'au milieu d'un bois, à l'approche du soir,
Je perdis tout-à-coup et ma route et l'espoir.
Là, de l'enfantement les douleurs me saisissent;
Je tombe: de mes cris les échos retentissent.
Là, seule, sans secours, au comble de mes maux,
J'achève dans les pleurs ces pénibles travaux,
Et deux fils (ils étaient l'image de leur père!)
Apaisent mes tourmens, consolent ma misère:
L'un, du lis argenté surpassait la blancheur,
L'autre offrait d'un poil noir la sauvage épaisseur.
Écoutez! c'est ici que le coeur d'une mère
Des profondes douleurs sentit la plus amère!
De mon voile, mes soins enveloppaient l'aîné,
Quand l'autre, sous mes yeux, par un ours entraîné,
Disparaît tout-à-coup sous sa griffe affamée.
Que n'ose pas l'amour d'une mère alarmée?
Je vole sur les pas du cruel ravisseur;
Et, les sens égarés, méconnaissant la peur,
Je m'élance vers lui; mais ma force affaiblie
Trahit mon désespoir.... Je tombe évanouie;
Et là, j'attends la mort! - Le terme de mes jours
N'était pas arrivé... Je m'éveille; je cours;
Je cherche mon enfant... O malheureuse mère!
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Tout avait disparu! Pleurante, solitaire,
Je traînais au hasard ma peine et mon effroi,
Quand ce géant terrible apparut devant moi.
Soit que sa barbarie eut pitié de mes larmes,
Soit que le sort voulut prolonger mes alarmes,
Il me chargea de fers; et, dans ce noir tombeau,
J'ai maudit de mes jours le pénible fardeau,
Jusqu'à l'heure où le ciel, désarmant sa colère,
A la douce clarté rend enfin ma misère!’
A ce touchant récit, Valentin éperdu
Rappelle ses pensers dans son esprit ému.
Puis, laissant éclater sa voix encor tremblante:
‘Quoi! vous seriez, dit-il, la noble Bélisante?
Reine de l'Orient! et la soeur de Pépin!
Oui, je n'en puis douter; c'est vous-même! ô destin!
Votre frère m'apprit l'infâme perfidie
De ce lâche imposteur qui flétrit votre vie.
Ah! mes yeux bien souvent en ont versé des pleurs!
Il n'est plus; et sa bouche avoua ses horreurs.
La colère divine a frappé le coupable!
Aux criminels aveux de ce vil misérable,
D'un époux détrompé peignez-vous la fureur,
Et les cruels regrets qui déchiraient son coeur!
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L'univers retentit du bruit de sa tristesse.
Avec quels soins amers sa royale tendresse
Cherchait à découvrir la trace de vos pas!
Vain espoir! d'une épouse il pleure le trépas.’
- ‘Grand Dieu! je reverrais ce prince que j'adore!’
- ‘Oui, sans doute; vos bras le presseront encore;
L'enfer s'est apaisé: le bonheur vous attend....
Mais quel trouble s'élève en mon sein palpitant!
Mon coeur metrompe-t-il? non, non; tout se dévoile.
Vous souvient-il encor de ce précieux voile
Dont jadis votre amour entoura votre fils?’
Il se jette à ses pieds; et, les sens interdits,
Découvre le tissu que cachait son armure.
O rapides transports! ô tendresse! ô nature!
Bélisante, à l'aspect de ce gage chéri,
Tombe sur Valentin, en poussant un long cri.
Mais bientôt, respirant une nouvelle vie:
‘Étranger, quel es-tu? parle; je t'en supplie.’
Elle entend le récit que dévore son coeur,
Fixe sur Valentin un regard scrutateur,
Et s'écrie: ‘oui, voilà l'image de son père!
O mon fils! mon cher fils! viens embrasser ta mère!
Mais quel est près de toi cet ami généreux,
Qui de ton noble front porte les traits heureux?
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D'un monstre des forêts ton frère fut la proie;
Peut-être... je me perds dans l'excès de ma joie...
Peut-être, nés tous deux de mon malheureux flanc..
Oui, vous êtes mes fils; oui, vous êtes mon sang!
Laissez-moi reconnaître une marque assurée:
Vous portiez sur le coeur une rose pourprée.’
- ‘Princesse! le voilà, cet indice certain!
Les pleurs de votre fils arrosent votre main;
Nous sommes vos enfans!...’ Et cette tendre mère,
Après tant de chagrins doux et juste salaire,
Presse ses deux enfans, verse un torrent de pleurs
Et perd le souvenir de ses longues douleurs.
Jour à jamais heureux! Sur son coursier docile,
Valentin a placé sa mère encor débile,
Et vers des lieux chéris, d'un pas précipité,
S'avance, le coeur plein d'une sombre gaîté.
A l'aspect d'une soeur que pleura sa tendresse,
Qui peindra de Pépin les transports d'allégresse?
Qui peindra d'un époux le délire enchanteur,
Lorsque, rouvrant son ame à l'espoir du bonheur,
Un semblable récit vient frapper son oreille?
Il croit sortir d'un songe; il doute encor s'il veille.
Des nobles de sa cour qu'honore sa faveur,
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Pour un si beau voyage il rassemble la fleur.
Tout s'empresse; l'on part; et ce fortuné père
Revoit, près de ses fils, cette épouse si chère,
Objet de tant d'amour, victime des méchans,
Et que son triste coeur regretta si long-temps!
Le plus touchant accord unit leur destinée.
De l'auteur de ses jours quand l'heure fut sonnée,
Au trône d'Orient, de son peuple adoré,
Ursin vint remplacer un monarque pleuré,
Tandis que Valentin, la gloire de la France,
D'un prince généreux partagea la puissance.
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