Les Bataves à la Nouvelle-Zemble, poème en deux chants, suivi de poésies diverses de Tollens, de Bilderdyk et du traducteur
(1828)–Willem Bilderdijk, Aug. J.Th.A. Clavareau, Hendrik Tollens– Auteursrechtvrij
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Guillaume Tell.
Dans les fers d'un tyran Tell écumait de rage;
Mais son coeur indompté battait pour son pays.
‘O Dieu! s'écriait-il; finis mon esclavage.
La mort! et mes voeux sont remplis.
‘Non, je ne veux pour moi ni secours ni vengeance;
Mais veille sur mon fils, gage de ta bonté.
Qu'il vive! et qu'après moi son bras et sa vaillance
Rappelle ici la liberté!’
Le farouche Gesler affectant un sourire:
‘Téméraire! est-ce là le destin de ton fils?
Des superbes exploits qu'enfante ton délire,
Tu pourrais recevoir le prix,’
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Il fait signe; et l'enfant, méconnaissant la crainte,
D'un air calme et joyeux, apparaît devant lui.
Tell frémit; sur ses traits l'épouvante est empreinte;
‘O ciel, dit-il, sois son appui!’
Quel langage expressif vaut le coup-d'oeil d'un père?
Son geste suppliant, son regard attendri,
Semblent dire au tyran: désarme ta colère;
Grâce, pour un enfant chéri!
- ‘Non, non, répond Gesler; je dois punir un traître.
Vos supplices sont prêts.’ A ces terribles mots,
Tell à peine respire; et le courroux du maître
Ébranle un instant le héros.
Il sent couler ses pleurs, il frissonne, il s'écrie:
‘Que mon enfant soit libre! et moi, né pour souffrir,
A jamais exilé du sein de ma patrie,
Sur d'autres bords j'irai mourir.’
- ‘Le trépas de ton fils paîra ta perfidie;
Ou, toi, si renommé pour décocher un trait,
Par ton art aujourd'hui conserve-lui la vie,
Et je révoque mon arrêt.
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A deux fois vingt-cinq pas que ton enfant se place;
Que le fruit du pommier sur sa tête soit mis:
Si ta flèche l'abat, à tous deux je fais grâce;
Manque-le, tu n'as plus de fils!
Tu trembles! penses-tu que ton prince t'abuse?
Guerrier, c'est à ce prix que tu me fléchiras.
Un coeur faible et craintif peut employer la ruse;
Mais la force ne trompe pas.
Qu'on détache ses fers.’ Rayonnant d'allégresse,
Le fils a vu son père et vole sur son coeur.
Tell s'émeut; il répand des larmes de tendresse,
Faibles marques de sa douleur!
‘Je ne m'en défends pas: tout mon courage expire.
Le trait fatal échappe à ma tremblante main.
Si sur toi le malheur eut jamais quelque empire,
Songe à cet arrêt inhumain!.....
Mais quel rayon d'espoir à mes yeux brille encore?
J'y consens. Toutefois, pour cet exploit nouveau,
Je te demande un jour;... car d'un fils que j'adore,
Je pourrais être le bourreau.’
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- ‘Pas une heure! répond le despote insensible,
Dont le farouche orgueil n'apprit point à fléchir.
Voilà donc ce héros, ce guerrier si terrible
Que rien ne pouvait amollir!’
Tell enfin se décide; et, l'ame plus tranquille,
Il embrasse son fils en implorant les cieux,
S'éloigne, sur le but fixe un oeil immobile,
Et retient des pleurs douloureux.
L'enfant sourit: certain de l'amour de son père,
Il attend sans effroi. Tous les coeurs sont émus.
Un léger tremblement, un mouvement contraire,
Et cet aimable enfant n'est plus!
Tell a courbé son arme, et la corde est tendue.
L'arc s'ébranle.... le trait s'envole triomphant,
Et par le fer aigu la pomme est abattue:
Le père a sauvé son enfant!
O nature! ô transports! ô digne récompense!
Tell reçoit sur son coeur l'objet de tous ses voeux.
L'Arbitre qui protége et sauve l'innocence,
Guida ce coup audacieux.
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‘Sois libre! c'est le prix de ton obéissance,
Dit Gesler, qui de Tell s'est alors approché,
Mais j'attends un aveu qu'exige ma clémence:
Pourquoi ce second trait caché?’
- ‘J'ai vaincu, sous tes yeux, la fortune ennemie;
Mais apprend de ce trait quel dut être l'emploi:
Si ma main à mon fils eût arraché la vie,
Ce trait, je le gardais pour toi!’Ga naar voetnoot*
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