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Poésies de Bilderdyk.
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Lorenzo et Délina.
Nouvelle.
Lorenzo possédait une 'épouse accomplie;
Les faveurs de l'Hymen embellissaient leur vie:
Un jeune rejeton, doux fruit de leur amour,
Leur rappelait sans cesse un mémorable jour,
Et déjà, d'un ciel pur essayant la lumière,
Un deuxième jouait sur le sein de sa mère.
Lorenzo savourait ce destin enchanteur.
Quel sceptre, quel trésor eût mieux rempli son coeur?
Sans projets, défiant la fortune jalouse,
Il doublait son bonheur dans les bras d'une épouse,
Et, libre de soucis, au comble de ses voeux,
D'un aussi beau partage il rendait grâce aux cieux.
L'aimable Délina, par ce tendre hyménée,
Avait à son amant uni sa destinée.
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Pour elle, son époux était tout l'univers.
Un premier sentiment forma des noeuds si chers.
Tout venait leur sourire; et, d'une même flamme,
Le plus ardent amour avait rempli leur ame.
Chaque jour plus épris, dans ce lien charmant,
Ils goûtaient tous les deux un long enchantement,
Et le dieu de l'hymen semblait, par mille charmes,
De leurs coeurs à jamais écarter les alarmes.
Mais le démon fatal au bonheur des époux,
Sort de son antre obscur et s'élance en courroux.
Terrible, et se plaisant au milieu des orages,
Jusqu'aux bouts de la terre il porte ses ravages.
Une morne langueur, compagne du chagrin,
Des jours de Délina vint troubler le matin.
Un sombre ennui l'assiége et nourrit sa tristesse.
De l'époux qui l'adore elle fuit la tendresse.
Plus de paix! plus de joie! elle cache ses pleurs,
Et n'ose s'avouer ses secrètes douleurs.
Lorenzo s'en étonne. Il frémit, il soupire.
L'amour sur Délina n'aurait-il plus d'empire?
Délina! pourrait-elle, oubliant son époux,
Éteindre dans son ame un sentiment si doux?
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Pourquoi ce changement, ces yeux voilés de larmes?
Pourquoi l'hynlenpour elle a-t-il perdu ses charmes?
L'amour n'estpoint aveugle: éclairé d'un flambeau,
Il voit, observe tout à travers son bandeau;
A son perçant regard aucun soupir n'échappe;
Un mot, un geste, un rien, tout l'instruit et le frappe.
Mais hélas! cet enfant qui règne sur les coeurs,
Ne peut des passions apaiser les fureurs,
Et que je plains celui que leur fougueuse ivresse
Livre aux feux dévorans d'une ardente jeunesse!...
Oui, tu peux du dieu Mars réprimer les excès,
D'un immense incendie arrêter les progrès,
Du salpêtre étouffer l'étincelle rapide,
Ou détourner le vol de la balle homicide;
Dompter les fils d'Éole et le flot courroucé;
Mais n'espère jamais, ô mortel insensé,
Lorsque des passions tu surmontes le faîte,
De maîtriser des sens la fatale tempête!
Lorenzo, qu'ont troublé mille pensers divers,
Laisse éclater enfin des reproches amers.
Délina qui l'entend garde un morne silence.
Ses larmes, sur son sein, coulent en abondance;
Mais rien n'attendrit plus l'époux qu'elle a blessé.
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Ah! l'amour est cruel quand il est offensé;
Et malheur à l'objet que poursuit sa colère!
Délina géruit, pleure et s'obstine à se taire:
La voix de Lorenzo, son maintien, son regard,
Dans son ame éperdue enfonce le poignard.
Cependant, indignée, et repoussant l'offense,
Dans soi-même, en secret, elle prend sa défense;
Et tandis que des maux qui déchirent son coeur,
Elle s'ouvre la source et prévoit son malheur,
Elle maudit le sort où l'hymen l'a réduite,
Et cherche à colorer sa bizarre conduite.
Dès-lors, les démêlés, le fiel, l'aversion,
Remplacent les douceurs d'une tendre union.
En vain le souvenir sur ses pas la ramène:
Une force invincible à sa perte l'entraîne.
Elle oublie à la fois son devoir et son Dieu,
Et le bonheur lui dit un éternel adieu.
Son ame s'endurcit: l'épouse qui naguère,
Au sein de son ménage, heureuse d'être mère,
Par ses aimables soins se plaisait à charmer
Le destin d'un mortel qui vivait pour l'aimer,
Aujourd'hui dédaigneuse, altière, insupportable,
Sous l'ascendant fatal d'un orgueil indomptable,
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Irrite son époux; et, l'oeil mouillé de pleurs,
Ose lui reprocher ses maux et ses malheurs!
Un mois s'est écoulé. La froide indifférence,
De leurs tristes débats calme la violence.
Des égards convenus, échangés tour-à-tour,
Un respect méprisant, si funeste à l'amour,
Aulieu de ces transports si doux, si pleins decharmes,
Du dieu de la tendresse irrésistibles armes,
De leurs affreux discords voilà les fruits amers!
Leurs enfans que l'amour dut leur rendre si chers,
Repoussés maintenant, sevrésde leurs tendresses,
Languissent, isolés, sans soins et sans caresses;
Et cette jeune ardeur qui brillait sur leurs traits,
Dans leurs yeux abattus s'est éteinte à jamais.
Enfans, tendres enfans, douce et vivante image
Du bonheur des époux, de la paix d'un ménage,
Combien de vos parens, avec fidélité,
Votre front ingénu peint la félicité,
Et quel destin, hélas! attend votre jeunesse,
Quand leur coeur se nourrit de fiel et de tristesse!
Où traîner, Lorenzo, ton déplorable sort?
Vivre ainsi, c'est souffrir les affres de la mort.
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Oh! qui partagera les chagrins de ton ame?
Cette ame qui brûla de la plus noble flamme,
Éprouve un vide affreux que rien ne peut remplir:
Secrets avant-coureurs d'un sinistre avenir,
De noirs pressentimens viennent glacer ses veines,
Et lui font de chaque lieure un long siècle de peines.
Cette ame abandonnée, et lasse de ses maux,
Cherche et fuit tour-à-tour le trouble et le repos,
Réclame un aliment au feu qui la dévore,
Gémit, craint d'espérer, désire et souffre encore!
Eh quoi! ne vois-tu pas qu'un funeste poison,
Comme un philtre mortel égare ta raison?
Sur les bords de l'abîme où le destin t'entraîne,
La terre qui te porte est l'objet de ta haine;
Tout fatigue tes yeux, tout pèse sur ton coeur.
Qui viendra t'arracher à la sombre douleur?
Le jeu? les vains plaisirs? le touibillon du monde?
Non, non; ce n'est point là que ton espoirse fonde;
Et tu n'as, pour nourrir ton malaise cruel,
Qu'un ennui dévorant, qu'un tourment éternel!
La touchante Amitié, sensible à tes alarmes,
T'accable de ses soins, cherche à tarir tes larmes,
Apaise de ton sein les donloureux soupirs,
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Et, malgré toi, t'entraîne au milieu des plaisirs.
Que veut-elle? arracher à tes sombres pensées,
Le triste sentiment de tes douleurs passées,
Étendre sur tes yeux un voile consolant,
Et présenter enfin à ton coeur défaillant,
Cette aimable allégresse, infaillible dictame
Que sur nos maux cuisans verse la paix de l'ame!
Inutiles secours! sur son front soucieux,
S'étend et s'épaissit un nuage orageux.
Telqu'un flambeau qui meurt aumilieu des ténèbres,
Son oeil ne lance plus que des lueurs funèbres.
Cependant, à travers ce long abattement,
Quelques pâles éclairs, de moment en moment,
Tandis qu'autour de lui son regard se promène,
D'un orbite entr'ouvert s'échappent avec peine.
Un charme attendrissant embellit sa langueur,
Et partout la pitié s'intécresse au malheur.
La belle Évélina, dans le printemps de l'âge,
Qui pour plaire et charmer reçut tout en partage,
Chaque jour empressée à calmer ses tourmens,
Prodigue à Lorenzo des soins compatissans,
L'encourage des yeux; comme une enchanteresse,
S'efforce à consoler sa profonde tristesse,
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Et ces \'panchemens, ces tendres entretiens,
De leurs cocurs aveuglś resserrent les liens.
Elle sent un besoin de le voir, de l'entendre;
Lui, d'un trouble secret veut en vain se défendre;
Il soupire en silence et verse quelques pleurs.
Évélina le voit et ressent ses douleurs.
Que ne peut-elle, hélas! même au prix de la vie,
Assoupir les tourmens de sa mélancolie!
Suspendue à son geste, attachée à ses pas,
Elle couvre de fleurs un danger plein d'appas,
Et n'ose qu'en tremblant égarer sa pensée
Vers le sombre avenir dont elle est menacée.
Malheureuse! que sert un frivole détour?
C'en est fait: ta pitié s'est changée en amour;
Une fièvre fatale en tes veines s'allume,
Et l'indomptable dieu te brûle, te consume.
Eh! que faut-il de plus, pour perdre la beauté,
Qu'éveiller sur nos maux sa touchante bonté?
Et toi, toi, Lorenzo, dont la douleur si tendre
Cherche un être adoré qui puisse te comprendre;
Pourras-tu voir ses pleurs sans te laisser toucher,
Sans que ton coeur ardent n'aspire à les sécher?
La pitié t'attendrit: vaine et trompeuse excuse!
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O ciel! que de ce mot aisément on abuse!
L'Amour se nourrit-il d'une froide pitié?
Ah! le vide profond d'un coeur sacrifié,
Le tumulte des sens? leur trouble, leur ivresse,
Et le besoin d'aimer qui nous parle sans cesse,
Tout marche au même but. Lorenzo! c'est en vain
Que tu crois échapper à l'arrêt du destin;
C'est en vain, dans l'ardeur qui dévore ton ame,
Que du nom d'amitié tu veux voiler ta flamme:
Rien ne rendra le calme à ton sein orageux,
Et l'amour qui s'ignore est le plus dangereux.
Le Printemps, couronn\' de fleurs et de verdure,
Venait rendre la vie à toute la nature,
Quand les ombres du soir, sous leur discret réseau.
Aux pieds d'Évélina surprirent Lorenzo.
Évélina! grand Dieu! qui viendra la défendre?
D'un reste de raison que pourrait-elle attendre?
Elle brûle d'un feu qu'elle ne connaît pas,
Et celui qui l'adore est tombé dans ses bras.
Elle tremble; ses yeux se remplissent de larmes;
Son sang se précipite... ô combat plein de charmes!
‘Lorenzo! sauve-moi, dit-elle; sauve-moi!’
Éperdue, elle cède avec un tendre effroi;
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Et le perfide Amour, tout fier de sa victoire.
Attache ce trophé au faîte de sa gloire.
Le voile est déchiré. Leurs transports amoureux,
Désormais, sans réserve, éclatent dans leurs yeux.
Ils s'aiment: c'en est fait: leur brûiante tendresse
A confondu leurs sens, leurs plaisirs, leur ivresse.
Ils s'aiment! les aveux s'échangent sans détour.
Mais qu'attendre, grand Dien! de ce fatal amour?
Quel but, quelle espérance a trompé leur délire?
Hélas! le malheureux qui sur sa couche expire,
Sait-il pourquoi la fièvre attachée à ses flancs,
Le livre sans relâche à des feux dévorans?
Calmez-le; rappelez sa raison défaillante;
Dites-lui que la mort va remplir son attente.
En souffrira-t-il moins? Qu'importe à sa douleur
Que la mort, de sa fièvre éteigne la fureur?
Ah! cette seule idée accroît son mal horrible;
Sans force, repoussant un avenir terrible,
D'une vie importune il maudit le fardeau,
Succombe, et disparaît dans la nuit du tombeau!
Si des sens égarés la fougue impétueuse
Peut donner le bonheur, tu fus sans doute heureuse,
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Ardente Évélina!... Sûre de son amant,
Dans le fatal excès de son aveuglement,
Pour le seul Lorenzo son coeur bat et respire.
De ce feu dévorant tout redouble l'empire:
Sous un ciel sans nuage, elle n'aperçoit pas
Le gouffre inévitable où la guident ses pas,
Et se laisse entraîner, sans trouble, sans alarmes,
Par cet enchantement, prestige plein de charmes,
Qui fascine nos yeux, caresse nos erreurs,
Nous séduit, nous endort sur nos propres malheurs,
Du destin en courroux sait braver les caprices,
Et pare nos plaisirs de trompeuses délices!
Lorenzo! cet amour suffit-il à ton coeur?
Ou déjà des regrets troublent-ils ton bonheur?
Où vas-tu? ne crois pas, après ta perfidie,
Échapper aux tourmens qui vont ronger ta vie;
Non, non; plus de repos! crois-tu qu'impunément
Tu foules à tes pieds ton devoir, ton serment?
Tu ne goûteras plus cette volupté pure
Que l'amour nous promet, que la vertu procure;
Tu ne goûteras plus ces tranquilles plaisirs
Que naguères encore appelaient tes désirs,
Lorsque ta Délina partageant ta tendresse,
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Heureuse, te rendait caresse pour caresse!
Va, poursuis, insensé, de coupables amours:
Un amer souvenir empoisonne tes jours.
Tu n'étoufferas plus, dans ton ame ulcérée,
La voix, la triste voix d'une épouse éplorée:
L'implacable remords, ce vengeur des forfaits,
Sur toi, sur tes plaisirs s'acharne pour jamais!
En proie à ses douleurs, Délina solitaire
Pense au perfide époux, auteur de sa misère,
S'abreuve de ses pleurs, son unique aliment,
Et cherche dans sa haine un vain soulagement.
Hélas! faible secours au milieu de sa peine!
Pour l'objet qu'il aima le coeur n'a point de haine.
En vain la jalousie et son cruel poison
Attisent sa colère, égarent sa raison;
Elle sent à quel point est gravé dans son ame,
Celui que vainement sa tendresse réclame,
Et qui, pour son malheur, sut allumer un jour
L'inextinguible feu de son premier amour.
Elle veut arracher le trait qui la déchire;
Mais jusqu'à sa douleur tout contrc elle conspire.
‘Quoi! dit-elle, en pleurant d'amour et de fureur;
Il est donc vrai! je perds son infidèle coeur!
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Il a donc pu trahir la plus sainte promesse?
L'ingrat! n'avait-il pas mes sermens, ma tendresse?
Qui l'eût dit! voilà donc cet horrible secret,
Ce secret qu'avec art sa froideur me cachait!
Ainsi, pour enhardir sa flamme couronnée,
J'ai passé tant de fois, épouse abandonnée,
Et le jour dans ledeuil et la nuit dans les pleurs!
Perfide! de quel oeil as-tu vu- mes douleurs?
Est-ce là cet amour que ta voix attendrie
Me jura si souvent, quand ton ame ravie,
Dans les liens sacrés qui te furent si chers,
Auprès de ton amie oubliait l'univers,
Et dans l'effusion de l'ardeur la plus tendre,
D'un doux égarement ne pouvait se défendre?
O jours, ô jours heureux, disparus pour jamais!
Ne me laisserez-vous que de sombres regrets?
Et devais-je donc voir, par une main chérie,
Ma crédule jeunesse indignement flétrie?
Est-ce là le pouvoir de ces attraits vantés
Qui naguère brillaient à ses yeux enchantés?
Sont-ils évanouis? ou son amour parjure
N'était-il qu'une lâche et profonde imposture?
Cruel! si j'ai perdu mes charmes, ma fraîcheur,
De ma beauté c'est toi qui desséchas la fleur.
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Qui m'abreuva de fiel? expirante victime,
Qui me précipita dans cet affreux abîme?
C'est toi, toi qui reçus tant de marques d'amour!
Tu me réservais donc cet infâme retour!
Dis, barbare! ce coeur que le tien sacrifie,
Ne t'adorait-il pas, lorsque ta jalousie
Épiait mes regards, s'offensait d'un coup-d'oeil,
Et changeait mon asile en un séjour de deuil?
Va, porte tes sermens, prodigue ta tendresse
A cet indigne objet qu'encense ton ivresse;
Que ses appas vainqueurs l'emportent sur les miens;
Accomplis ton forfait, brise tous nos liens;
Et, pour comble d'horreurs, immole à ma rivale
Ton épouse et les fruits d'une union fatale!
Mais tremble, malbeureux: mon amour outragé
Demande une victime et veut être vengé.
Sous le poids des tourmens ta Délina succombe;
Mais j'emporte avec moi ton repos dans la tombe,
Et près de terminer mon déplorable sort,
J'enfonce dans ton sein le poignard du remord.’
Elle dit; et des pleurs qui baignent son visage,
Son orgueil veut en vain arrêter le passage;
Hélas! leurs flots amers retombent sur son coeur!
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L'aspect de ses enfans irrite son malheur.
Elle embrasse l'aîné qui, remarquant ses larmes,
Cherche par un baiser à calmer ses alarmes;
Prend l'autre dans ses bras, et, sur son sein ému,
Le presse en détournant son regard éperdu.
‘O mes enfans! espoir et plaisir de ma vie!
Gages infortunés d'une flamme trahie,
Pourquoi mon flanc maudit vous donna-t-il le jour?
Mes enfans! chers objets de mon plus tendre amour,
Il n'est donc que trop vrai, vous n'avez plus de père,
Et les chagrins bientôt vont tuer votre mère!
Ah! pourvous, pourvous seuls le trépas m'est affreux.
Quel serait après moi votre sort douloureux?
Le malheur vous attend au matin de votre âge:
Délaissés comme moi, voilà votre partage!
Mes traits que vous portez, de vos persécuteurs,
Redoubleraient encor les cruelles fureurs.
Et je vous laisserais, orphelins sans défense,
Exposés à la haine, en butte à la vengeance!
Et celui dont les soins devaient vous secourir,
Lui-même ouvrant l'abîme où vous allez gémir,
Dépouillé de tendresse, infidèle, parjure,
Étoufferait pour vous le cri de la nature!
Ma mort à tant de maux pourrait vous exposer!
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Non, non; qui sait mourir sait aussi tout oser.
J'abhorre la lumière; et mon bras, las d'attendre,
Ne demande que meurtre et que sang à répandre.’
Son corps brûle; la flamme étincelle en ses yeux;
Son sang roule agité comme un fleuve orageux;
Son coeur bat; elle tremble; une sombre tempête
S'élève dans son sein et gronde dans sa tête.
Quoi! c'est là cette épouse, exemple de douceur,
Qui vit sans murmurer s'éclipser son bonheur!
Ah! c'est avec le temps qu'on apprend à se plaindre,
A s'irriter des maux, à ne plus se contraindre;
Et quand l'esprit aigri ne craint plus les débats,
La vengeance à nos yeux étale ses appâts,
Nous verse son poison, nous pousse, nous entraîne,
Vers l'objet abhorré sans cesse nous ramène,
Brave tout, ose tout, et, d'une main de fer,
Fait peser sur nos coeurs les tourmens de l'enfer!
Elle marche, livrée à d'affreuses tortures.
D'un poignard qui pendait à de vieilles armures,
Elle arme sa fureur, et cache, dans son sein,
L'acier qui doit servir son barbare dessein.
Elle part, fait le toit témoin de son veuvage,
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Emporte ses enfans, et, déguisant sa rage,
Vole aux lieux où l'amour, de ses songes trompeurs,
Au couple qu'elle hait prodigue les douceurs.
Elle arrive; et, d'un pas que la vengeance guide,
Se rend sous ces lambris où son époux perfide,
Épris de sa rivale, ivre de ses appas,
Pour la première fois la pressa dans ses bras.
Tranquille, et sans prévoir sa triste destinée,
Évélina reçoit l'épouse infortunée,
Qui respirait à peine, et jetait, au hasard,
Sur ces murs détestés un farouche regard.
Délina s'en approche et rompant le silence:
‘Je viens vous confier un secret d'importance,
Lui dit-elle; éloignez ces indiscrets témoins.’
Évélina fait signe, et ses funestes soins
De la fatale chambre interdisent l'entrée.
‘Bien! reprend Délina, d'une voix altérée;
Rien ne peut nous trahir: nous sommes dans ce lieu
Comme aufondd'untombeau: seules! voilà monvoeu!
Évélina! Pourquoi votre vue étonnée
De mon front tout-a\`-coup s'est-elle détournée?
Connaissez-vous mes traits, ou ceux de ces enfans
Dont l'amour d'une mère a compté les instans?...
Mon nom est Délina; c'est assez t'en apprendre;
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Car tu rougis!.. Les pleurs que tu me vois répandre,
Ne te reprochent pas ton crime et mem malheur;
Mais je viens arracher à ton infâme coeur,
Le méprisable objet de ta flamme odieuse.’
A ces mots foudroyans, d'une main furieuse,
Au sein de sa rivale elle plonge le fer.
Un lamentable cri soudain a frappé l'air,
Et la pâle victime, abaissant sa paupière,
Murmure un long soupir et tombe sur la pierre:
C'en est fait; ses beaux yeux se ferment sans retour!
Était-ce là le sort qu'attendait tant d'amour?
Malheureuse! quel prix, et quelle fin terrible
Te réservait, hélas! ton ame trop sensible!
‘Grâces au ciel!’ s'écrie, avec un rire affreux,
Délina qui de sang repaît alors ses yeux;
‘De l'ingrat Lorenzo je redeviens l'épouse!
Qui peut le dérober à ma fureur jalouse?
Je lui veux présenter cette sanglante main
Qui rompt les noeuds fatals d'uu exécrable hymen.
Mais non; je lui prépare un plus cruel supplice.
C'est l'arrêt du destin: il faut qu'il s'accomplisse!
Tu l'as voulu, barbare! et je cède au plaisir
De te rendre les maux que tu m'as fait souffrir.’
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Elle dit; et, la rage égarant sa colère,
Saisit son jeune enfant, le jette sur la terre,
Le foule sous ses pieds, le déchire en lambeaux,
Et de son corps meurtri fait craqueter les os.
Il meurt!.. A ses genoux l'autre verse des larmes.
O fureur inouie! insensible à ses charmes,
Et le traînant déjà dans le sang répandu.
Elle allait l'étrangler, quand, au bruit accouru,
Un valet effrayé monte, s'ouvre un passage,
Et recule d'horreur à l'aspect du carnage.
Une femme, un enfant, massacrés tous les deux!
Un autre dans le sang traîné par les cheveux!
Il s'élance vers elle, et vent, à sa furie,
Arracher cet enfant qui va perdre la vie.....
Vains secours! la victime avait subi son sort!
Tant de sang assouvit son féroce transport.
Par les cris appelé, Lorenzo, hors d'haleine,
Arrive palpitant..... A cette affreuse scène,
Comme atteint de la foudre, et frapp\e jusqu'au coeur,
Il veul parler, sa voix expire de terreur.
Sur son livide front ses cheveux se hérissent;
Ses bras sont étendus, ses membres se roidissent;
Ses dents font retentir de hideux grincemens;
Comme l'arbre agité par le souffle des vents,
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Son corps tremble; il succombe, et la nuit éternelle
A voilé pour jamais sa mourante prunelle!
Eh bien! es-tu contente, et tes sanglans regards
Ont-ils bien eontemplé ces cadavres épars?
Dis, ces affreux tableaux où ta rage respire,
Ont-ils rassasié ton effréné délire?
Cruelle! va chercher le prix de tes fureurs.
Elle fuit, l'oeil farouche, à travers ces horreurs;
Du plus haut des degrés s'\e'lance échevelée,
Va tomber sur le marbre à demi mutilée,
Et ses pâles débris restent sans mouvement:
De cet horrible drame horrible dénoûment!
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