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Le Divorce.
Quel que soit son délire, on ne voit pas l'amour
Brûler d'une flamme éternelle:
Du feu qui nous semblait allumé sans retour,
Lui-même étouffe l'étincelle,
Et des myrtes d'Hymen s'il flétrit les couleurs,
Ce noeud jadis si doux, arrosé de nos pleurs,
N'est plus qu'une chaîne cruelle!
Tel fut de Lorenzo le malheureux destin,
Tel fut celui de Léonore.
Condamnés à souffrir, un funeste chagrin
Au fond de l'ame les dévore.
Les roses ont pâli: dans leur coeur égaré,
Par d'incurables maux à jamais déchiré,
L'épine seule reste encore.
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Oh! s'écriait l'époux, en embrassant son fils
Qui l'écoutait l'ame attendrie;
Puisses-tu, de mon coeur écartant les soucis,
Me rendre la paix de la vie!
Quel autre mieux que toi pourrait me consoler?
Puisses-tu, cher enfant, ne jamais ressembler
A celle que j'ai trop chérie?
- ‘Ciel! disait Léonore, en pleurant de douleur,
Quand finiras-tu ma misère?
Vois ce tendre orphelin partager mon malheur:
Il n'a plus que moi sur la terre.
O mon fils! d'un ingrat tu portes tous les traits;
Mais aime-moi toujours, et n'imite jamais
Les vices d'un coupable père.’
Ainsi ces deux époux, par la haine excités,
Gémissaient au sein des alarmes;
Ainsi, tous deux aigris, dans des noeuds détestés,
Aiguisaient de cruelles armes,
Et, lassés de leurs fers, sous un joug rigoureux,
Importuns l'un à l'autre, irrités, malheureux,
Se nourrissaient d'amères larmes.
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‘Viens, lui dit Lorenzo; le juge est là-bas; viens!
Que dans l'instant sa main déchire
L'écrit qui m'engagea dans ces fatals liens.
Viens, qu'il finisse mon martyre.’
- ‘Je te suis, répond-elle, en essuyant ses yeux;
Perfide, je te suis; tu combles tous mes voeux:
C'est le seul bonheur où j'aspire.’
- ‘Après sept ans de peine, ô juge! nous voici,
Traînant une existence affreuse.
Tout est changé pour nous. Calmez, calmez ici
Notre blessure douloureuse;
Ici, par vous jadis nos coeurs furent unis;
Ah! de grâce, rompez des noeuds mal assortis:
Notre chaîne est trop odieuse!’
- ‘Je dépose l'anneau, témoin de notre hymen,
Je lui rends ce funeste gage,
Qu'ici même il reçut de ma tremblante main,
Et qui scella notre esclavage.
Hâtez-vous; allégez le poids de nos tourmens.
Et toi, cruel époux, reprends tes faux sermens:
Tous mes malheurs sont ton ouvrage.’
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- ‘Vous l'entendez, ô juge! elle y consent. Eh bien!
Prononcez dans votre sagesse.
Ma prière est la sienne, et son voeu c'est le mien.
Dégagez-moi de ma promesse.
Nous partagerons tout, et nos biens et notre or;
Mais mon fils est à moi; mon fils est le trésor
Que réclame ici ma tendresse.’
- ‘O ciel! dit Léonore, en tombant à genoux;
Quelle loi, quel juge barbare
Oserait prononcer en faveur de l'époux?
Moi! de mon fils qu'on me sépare!
Ah! devais-je m'attendre à ces tourmens nouveaux?
Fuis, et garde tes biens; fais-moi grâce des maux
Que ton offre ici me prépare.’
- ‘O juge! non, le ciel ne le permettra pas;
Il n'arrachera point mon enfant de mes bras.
Lorsque sa débile paupière
S'ouvrit, avec effort, à la clarté du jour,
Il reçut mon baiser: que son pieux amour
Console mon heure dernière!’
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- ‘O juge! vous voyez ma profonde douleur.
Si mon destin vous intéresse,
Aux plus sauvages lieux, reléguez mon malheur;
Mais que je puisse, avec ivresse,
Serrer contre mon coeur l'objet de mes désirs.
Qu'il vive pour m'aimer; que mes derniers soupirs
Soient recueillis par sa tendresse!’
- ‘Cruelle! je jurai, j'en appelle à ton coeur,
Lorsque mon fils vit la lumière,
De guider sa jeunesse au sentier de l'honneur.
Devant Dieu, dans ce sanctuaire,
Je le répète encor ce serment solennel
Qu'entendit, que reçut, que confirma le ciel:
Mon fils ne suivra que son père.’
- ‘Non! ne l'écoutez pas, dit-elle, en frémissant;
Dieu punirait cette injustice.
De la tendre pitié n'étouffez pas l'accent;
Mon enfant est sous votre auspice;
Mon enfant est mon bien, ma joie et mon appui.
Hélas! à mon amour qu'on le rende aujourd'hui;
Ou je succombe à ce supplice.’
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- ‘O juge! éclairez-la de vos sages avis.
Quelle que soit sa plainte amère,
J'ai des droits plus sacrés pour réclamer mon fils:
La fille appartient à la mère,
Je ne l'ignore pas, c'est le voeu de la loi;
Mais mon fils m'appartient, mais mon fils est à moi;
Rien ne peut le priver d'un père.’
- ‘O Ciel! qu'ai-je entendu? l'enfant que j'ai nourri,
Qui dans mon flanc a pris naissance,
Lui, que j'ai réchauffé sur mon sein attendri,
Lui, mon trésor, mon espérance!
C'est mon fils, c'est mon sang. Voyez mon désespoir!
J'embrasse vos genoux..... Oh! que votre pouvoir
Ne prolonge plus ma souffrance!’
Le juge, tout en pleurs, essayant quelques mots,
Veut en vain rompre le silence,
Lorsqu'un aimable enfant, suffoqué de sanglots,
Devant son tribunal s'avance.
Il se traîne à genoux, s'efforce de parler;
Mais, timide et craintif, la frayeur vient troubler
Sa naïve et tendre éloquence.
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‘C'est à vous, dit le juge, à prononcer entre eux;
Enfant, le choix est nécessaire:
Vous ne pouvez les suivre ou les quitter tous deux.
Chéri d'un père et d'une mère,
Lequel aimez-vous mieux? comblé de leurs faveurs,
Qui voulez-vous quitter?.... Mais essuyez ces pleurs
Qui roulent dans votre paupière.’
- ‘O juge! dit l'enfant, je n'ai recours qu'à vous;
J'implore ici votre justice.
De leurs coeurs aveuglés désarmez le courroux;
Par pitié soyez-moi propice.
Ne les écoutez pas; ils se trompent tous deux.
O juge! à leur amour, à leurs bras, à leurs voeux,
Ne souffrez pas qu'on me ravisse!’
- ‘Choisissez, dit le juge, en élevant la voix;
Et terminons cette querelle.
Ou sur elle, ou sur lui doit tomber votre choix:
Parlez!’ - ‘Ni sur lui, ni sur elle!,’
Répond-il, en pleurant; et ses tremblantes mains
Se joignaient et semblaient rapprocher les destins
Du couple interdit qui chancèle.
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Il s'élance, il saisit sa mère par la main,
Avec lui doucement l'entraîne
Vers son père irrité par un amer chagrin;
L'un près de l'autre il les amène,
Les rapproche encor plus; d'un regard suppliant,
A faire un dernier pas les force en souriant,
Et de ses deux bras les enchaîne.
Il prend alors leurs mains, les joint ingénument,
Les couvre de baisers, les presse;
Verse en leurs coeurs l'oubli de leur ressentiment,
Des yeux tour-à-tour les caresse,
Se tourne vers le juge en invoquant les cieux,
Et tâche d'écarter de leurs fronts soucieux
La cruelle et sombre tristesse.
Étouffant leurs soupirs, ils étaient là tous deux;
Et tous deux, la tête baissée,
D'un oblique regard, mornes, silencieux,
Cherchaient à lire leur pensée.
Lorenzo, tout ému, se retourne; et soudain,
Dans les bras de l'époux qu'elle retrouve enfin,
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‘Oui, oui, s'écrie alors Lorenzo transporté,
Qui goûtait une ivresse pure;
Notre enfant est à nous, et mon coeur agité
Cède à la voix de la nature!
Toi, qui lui donnas l'être avec tant de douleur,
Sois à moi pour jamais; viens goûter le bonheur
Que ce doux moment nous assure.’
Il lui rend son anneau, ce gage d'un serment
Qu'avec ardeur il réitère.
Léonore, à son tour, l'embrasse tendrement,
Et verse une larme sincère.
Lorenzo prend son fils, l'emporte avec amour,
Marche tout triomphant vers leur commun séjour,
Et sur son coeur presse la mère!
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