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L'Hymen.
Je ne veux pas, foulant leur sol mystérieux,
M'égarer aujourd'hui dans les champs fabuleux,
Ni de l'antiquité vantant les rêveries,
Sonder le sens caché de ses allégories,
Ni rouvir aux regards ses fastes éclatans;
Dans un style pompeux, de l'abîme des temps,
Hymen, doux noeud tissu par une main divine,
Je ne rappelle pas ta céleste origine;
Ma Muse ne veut pas t'exalter dans mes vers,
Ni raconter ton culte en cent climats divers;
Non: qu'un autre, occupé d'une étude profonde,
Interrogeant les moeurs, les usages du monde,
Des siècles décédés soulève le rideau,
Et dans ses doctes chants remonte à ton berceau:
Mon coeur seul va parler, c'est lui seul qui m'inspire;
Sous ma brûlante main il accorde ma Lyre:
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Hymen, lien sacré, je chante tes bienfaits;
Et si ma voix ne rend que des sons imparfaits,
Si le feu créateur qui circule en mon ame,
Ne remplit pas mes vers de ses torrens de flamme,
Faible Lyre, silence! art stérile, tais-toi!
Votre impuissant secours est indigne de moi.
Toi qui, seul et chargé du fardeau de toi-même,
Accuses le destin; ta démence est extrême.
Assiégé de dégoûts, trompé par ton erreur,
Dans ton morne séjour tu rêves le bonheur?
En effet, ah! pour toi le bonheur n'est qu'un songe,
Et partout, en secret, un noir souci te ronge.
Le bonheur n'est pas fait pour un coeur engourdi,
Qui par l'isolement à jamais refroidi,
Dans un pesant sommeil use son existence;
Il veut un coeur brûlant, qui, dans la jouissance,
Ivre de sentiment, transporté de plaisir,
Sente encor les frissons de l'avide désir.
Oui, le bonheur pour toi n'est rien qu'une chimère.
Crois-tu donc le goûter quand triste et solitaire,
Dans ton aveuglement, tu te plais à tarir
La source qui devait à grands flots te l'offrir?
Crois-tu donc le goûter quand le fiel de la haine
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T'abreuve d'amertume et te nourrit de peine?
Insensé! ne viens plus me parler de bonheur;
Tu ne connaîtras pas sa magique douceur:
Le sauvage désert où ton ennui s'égare,
Des biens dignes d'envie à jamais te sépare.
Il fuit d'un sang glacé la mortelle froideur:
Le bonheur de l'amour, voilà le vrai bonheur!
O que je plains celui de qui l'ame inflexible
Au doux plaisir d'aimer peut rester insensible!
Malheur, malheur à lui! Dans le bruit des plaisirs,
S'échappent de son sein de pénibles soupirs;
Son coeur indifférent, étranger à la joie,
D'une sombre langueur devient bientôt la proie.
Les plus nobles vertus sur lui sont sans pouvoir:
Sans consolation, sans amis, sans espoir,
Le bonheur ne vient pas remplir ses yeux de larmes;
Pour lui le doux printemps est dépouillé de charmes;
La nature embellie au réveil d'un beau jour,
Ne brûle pas pour lui des feux d'un pur amour.
Comme un plomb le malheur vient peser sur sa tête,
Et lorsque des chagrins il a touché le faîte,
Nul baume de ses maux ne calme la rigueur,
Nul sourire touchant n'apaise sa douleur!
Hélas! il ne sait pas, dans son malheur extrême,
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Qu'il est doux de pleurer près d'un autre soi-même,
De verser ses chagrins dans un coeur généreux
Qui, partageant nos maux, nous les rend précieux.
Tel que le voyageur qui s'égare dans l'ombre,
Chaque pas lui révèle un avenir plus sombre.
Il voit dans le lointain le bonheur qu'il a fui,
Et traîne, avec effort, son incurable ennui.
Heureux, heureux encor s'il gardait l'espérance!
Sa vie est un enfer de peine, de souffrance;
Rien ne peut dissiper son malaise mortel:
Dans les bras d'une épouse il eût trouvé le ciel!
Ineffable plaisir! c'est ton charme invincible
Qui sur ce triste globe attache un coeur sensible:
C'est par toi seulement que la vie a du prix;
Il n'est d'êtres parfaits que ceux que tu remplis.
Sublime sentiment qu'épure l'innocence,
Tu sers le but sacré de l'Être par essence.
Ce feu des passions dont l'homme est tourmenté,
Cette intrépide ardeur, cet élan indompté,
Qui, dans le choc fougueux d'impressions soudaines,
Fait bouillonner le sang dans ses brûlantes veines,
Devait trouver un frein qui pût, avec succès,
D'un aveugle délire apaiser les excès:
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Et ce mélange heureux de grâce enchanteresse,
De douceur, de bonté, de crainte, de tendresse,
Cet être ravissant qui, pour vaincre les coeurs,
Ne sait rien que rougir, trembler, verser des pleurs,
Devait trouver une ame et plus forte et plus fière,
Qui fût pour sa faiblesse un appui tutélaire:
Leur amour entretient leur bonheur mutuel,
Et, leur chaîne accomplit l'oeuvre de l'Éternel.
Couple heureux, qui nagez dans une pure ivresse,
Aux noeuds que vous formez, oui, le ciel s'intéresse,
Quand tous deux, à genoux, sur les sacrés parvis,
Aux pieds des saints autels tendrement recueillis,
Vous allez réunir, par une même flamme,
Votre sort, vos pensers, votre vie et votre ame;
Quand l'époux adoré, tout fier de son destin,
A l'épouse tremblante a présenté sa main,
Et dans l'effusion d'un coeur tendre et fidèle,
Lui jure, avec transport, une ardeur éternelle;
Quand pour suivre l'objet de ses plus chers désirs,
La jeune et chaste épouse, étouffant ses soupirs,
Au mortel qui l'adore attache tout son être,
Et quitte sans regret le toit qui la vit naître;
Quand célébrant tous deux un mémorable jour,
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Dans le premier baiser du plus ardent amour,
Pleins du feu dévorant que son souffle alimente,
L'excès de vos plaisirs confond votre ame aimante,
Vous élève, éperdus, au comble du bonheur,
Et dans vos seins brûlans ne fait battre qu'un coeur!
Couple chéri des cieux, que la route fleurie
Où vous acheverez le songe de la vie,
Soit pour vous l'univers! Marchez, ne craignez pas
Que la ronce funeste ensanglante vos pas.
Quel que soit le sentier où le destin vous guide,
Dieu suspend sur vos fronts son éternelle égide:
Avec corabien d'amour sa suprême bonté
Embellit ici-bas votre félicité!
Pour vous sous quel aspect l'avenir se dévoile!
A la douce lueur d'une propice étoile,
Sur le fleuve du Temps votre esquif élancé,
Vole, par les Zéphyrs mollement balancé,
Et si parfois les vents amoncèlent l'orage,
Le bonheur qui vous suit vous sauve du naufrage.
Dans le fond de votre ame il fait luire l'espoir;
L'horizon s'éclaircit; un magique pouvoir,
Sous vos yeux rassurés fend les vagues amères,
Et chasse devant vous les ombres passagères.
Chaque jour qui se lève, au gré de vos désirs,
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Verse dans votre coeur l'ivresse des plaisirs,
Et le plus pur amour, sous ses tendres auspices,
Vous offre l'avant-goût des célestes délices!
Toi qui, des sens grossiers écoutant la fureur,
Prétends que de l'amour le délire enchanteur,
Dans les noeuds de l'Hymen s'assoupit et se glace;
Ta vile passion n'est qu'une aveugle audace
Qui couvre tes désirs du masque de l'amour.
Une fièvre fatale, et la nuit et le jour,
Te brûle, te consume; une ivresse éphémère,
Te prodigue un moment sa douceur mensongère;
Mais les tristes dégoûts remplacent, dans ton coeur,
D'un rapide plaisir l'attrait empoisonneur.
Non, tu ne connais pas cette atteinte profonde,
Ce véritable amour, flamme pure et féconde,
Qui des sens captivés nourrit l'enchantement,
Pour qui la jouissance est même un aliment,
Et qui, jusqu'au tombeau, dans notre ame ravie,
Comme un torrent de feu fait circuler la vie.
C'est ce durable amour qui méconnaît les pleurs,
Qui dans chaque saison nous présente des fleurs,
Qui, désintéressé, content de son empire,
Ne met pas son bonheur à tromper, à séduire.
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Sa chaîne est un bienfait; vainqueur des jeux du sort,
Il oppose un front calme à la faux de la mort:
Quand nos illusions s'envolent comme une ombre,
C'est lui qui rend encor notre avenir moins sombre;
C'est lui qui de la vie égayant le chemin,
Nous ouvre, en souriant, un asile en son sein,
Embellit les vertus, referme nos blessures,
Et de l'ingratitude efface les injures.
Parlez, heureux époux, et confirmez mes chants:
C'est à vous d'applaudir à mes tableaux touchans.
Profondément émus, pleins d'un tendre délire,
Unissez votre voix aux accens de ma Lyre.
La vérité l'exige: un destin si flatteur
Ici-bas a doublé votre part de bonheur;
Et si l'adversité, d'une main importune,
Venait peser sur vous; unis dans l'infortune,
Consolés l'un par l'autre, et forts de votre amour,
On vous verrait encore échanger, tour à tour,
Vos pensers, vos désirs, vos chagrins et vos peines,
Mépriser le fardeau des misères humaines,
Et, d'un commun accord, vers les cieux attendris,
Élever vos soupirs et vos voeux réunis.
C'est ainsi que tous deux, au banquet de la vie,
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De la coupe des maux vous partagez la lie,
Et savez adoucir, par le soin le plus cher,
Les funestes poisons de son breuvage amer.
Quel que soit votre sort, chaque instant vous révèle
Qu'à jouir du bonheur un Dieu bon vous appelle:
Telle est sa volonté, tel est son but divin.
Époux! reconnaissez sa bienfaisante main
Qui sur vous, en tous lieux, s'étend avec tendresse,
Et, d'un coeur plein d'amour, adorez sa sagesse.
Oui! le plus grand bonheur est destiné pour vous!...
Trésors, dont l'insensé se montre si jaloux,
Fantôme de l'honneur, vains rêves de la gloire,
Impatient désir d'occuper la mémoire,
Vos charmes séduisans, vos perfides attraits
Ne sauraient égaler des plaisirs si parfaits.
En vain l'infortuné qu'a surpris votre piége,
Se débat sous le poids de l'ennui qui l'assiége;
L'ame, que l'Éternel dota si richement,
Repousse, malgré nous, ces faux bien d'un moment,
Compare leur éclat à cette ombre légère
Qui promène à nos yeux sa vapeur passagère,
Regarde, avec pitié, ces trônes chancelans,
Périssable jouet dos destins incoustans,
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Et, loin du fier orgueil, à l'abri de l'envie,
Enrichit de vrais biens le sentier de la vie!
Non, le flot agité par le souffle des vents,
Qui roule et disparaît dans les gouffres mouvans,
La frêle et tendre fleur qu'un instant voit éclore,
Qu'à peine voit briller une seconde aurore,
Ne sera pas pour vous l'image du bonheur.
Dans votre ame à jamais briûle un feu créateur;
Et quand des passions la turbulente ivresse
Assoupit, par degré, sa fièvre enchanteresse,
A la fougue des sens, à des jours orageux,
Dans vos coeurs fatigués succède un calme heureux.
Les plus doux souvenirs, comme un présent céleste,
De vos ans fortunés viennent charmer le reste:
C'est un paisible soir après un beau matin.
La nature est tranquille; un ciel pur et serein
Découvre à vos regards l'horizon sans nuage,
Et vous éclaire encore au terme du voyage.
L'été ne règne plus; une aimable fraîcheur
Remplace du midi la dévorante ardeur;
A de nouveaux plaisirs le repos vous convie,
Et votre destinée est enfin accomplie.
Est-il un seul penser au fond de votre coeur,
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Qui ne respire pas le mutuel bonheur?
Vous n'avez qu'un seulvoeu, votre espoirest le même;
Heureux, heureux ensemble est votre but suprême!
Mêmes goûts, même joie et même sentiment
Composent chaque jour votre destin charmant.
C'est en vous, en vous seuls, que votre ame attendrie
Trouve les vrais trésors d'une union chérie.
L'amour, le seul amour charme tous vos loisirs
Et se plaît à combler vos plus secrets désirs:
Avec lui, tout est bien pour vous dans la nature;
Sans lui l'onde n'a plus son caressant murmure,
L'oiseau ne chante plus, et les riantes fleurs
Dépouillent à vos yeux leurs brillantes couleurs.
C'est lui qui vient remplir d'un céleste breuvage
La coupe qu'en riant le bonheur vous partage;
Et, dans la douce ivresse où vos sens enchantés
Savourent, à longs traits, de pures voluptés,
Tous deux, riches des biens que la sagesse envie,
Vous achevez contens le cercle de la vie.
La généreuse main qui s'étendit sur vous,
Va de ses dons chéris vous verser les plus doux.
Guide fidèle et sûr de votre destinée,
Elle a béni pour vous la couche d'Hyménée.
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Ravissement suprême! ô bonheur accompli!
Délicieux moment par la joie embelli,
Que n'ont pu retracer ni tout l'art du poète,
Ni du peintre inspiré la féconde palette,
Tout autre sentiment disparaît devant vous!
Tendres penchans du coeur, il vous surpasse tous!
O femme! le sens-tu ce bonheur d'être mère?
Époux, ton coeur bat-il de l'orgueil d'être père?
Jamais, jamais de Dieu le souverain pouvoir
Avec autant d'amour n'a rempli votre espoir.
Oui, couple fortuné que le ciel favorise,
Votre voeu le plus cher enfin se réalise!
O mère! quel plaisir, après tant de douleur,
Lorsque ton oeil, ravi d'un spectacle enchanteur,
Pour la première fois, se fixe, plein d'ivresse,
Sur l'enfant qu'un époux embrasseavec tendresse!
Quand ce doux rejeton, déposé dans tes bras,
T'imprime un sentiment que tu ne connais pas,
Entoure son berceau d'inexprimables charmes,
Et de tes yeux émus fait tomber quelques larmes;
Quand vos regards, tournés vers cet être chéri,
Font battre, à coups pressś, votre sein attendri,
Se rencontrent soudain et tels qu'un trait de flamme,
Dans un ardent baiser ont échangé votre ame,
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Assuré pour toujours votre félicité,
Et fait couler pour vous des flots de volupté!
C'en est fait: tant d'amour a confondu leurs vies,
Dans une autre existence à jamais réunies.
Célestes sentimens! ineffables faveurs!
Pour la seconde fois ils unissent leurs coeurs.
Pour eux vient de briller une nouvelle aurore:
Tous deux dans cet enfant se retrouvent encore;
Un seul, un seul amour les brûle de ses feux,
S'empare de leurs sens, resserre leurs doux noeuds,
Et scelle leur hymen du sceau de la nature.
Époux, soyez donc fiers d'un bonheur sans mesure!
Déjà ce faible enfant où s'attachent vos yeux,
Dans un rang sans égal vous a placés tous deux.
Au comble de vos voeux élevés l'un et l'autre,
Quel trésor ici-bas est préférable au vôtre?
Ah! le mortel privé de ce bienfait des cieux,
Ne connaît pas le prix de ce don précieux:
De l'Arbitre éternel la pitié protectrice
Voulut qu'il ignorât ce suprême délice.
Approchez-vous, parens qui goûtez ce bonheur:
Dites-nous quels transports agitent votre coeur,
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Lorsque de votre enfant le caressant sourire
Vous plonge tous les deux dans un tendre délire,
Et que, tous deux ravis, vous cherchez, tour-à-tour,
A revoir sur ses traits l'objet de votre amour!
Dites-nous quels plaisirs et quels torrens de joie
Viennent doubler l'ivresse où votre ame se noie,
Quand pressant dans vos bras ce gage désiré,
Vous levez vers les cieux un regard inspiré,
Et tout brûlans d'amour et de reconnaissance,
Vous appelez sur lui l'oeil de la Providence!
Oui, dans ce cher objet de vos plus tendres soins,
Dont l'amour maternel devine les besoins,
Vous voyez votre appui, vous voyez votre gloire:
Ses efforts, ses succès, sa première victoire,
A vos yeux enchantés déjà viennent s'offfrir,
Comme un rêve flatteur qui nous peint l'avenir;
Déjà sur le sentier de l'austère sagesse,
Aux plus nobles vertus vous formez sa jeunesse.
Doux espoir! ô combien tu caresses mes voeux!
Que j'aime à me plonger dans tes songes heureux!
Que mon coeur, embrassant tes fortunés présages,
Se plaît à se créer de riantes images!
O grand Dieu, de mes jours embellissant le soir,
Daigne, dans mon enfant, couronner cet espoir!
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Ce brillant avenir qui fait couler mes larmes,
Double d'un noeud chéri les indicibles charmes.
Source féconde et pure, oui, tes flots bienfaiteurs
Dans les ronces du monde entremêlent des fleurs;
C'est toi, lorsque l'orage embrase l'atmosphère,
Qui viens nous rafraîchir d'une onde salutaire.
Saint Hymen! aux clartés de ton brûlant flambeau,
C'est toi qui, de la vie allégeant le fardeau,
Dans les adversités soutiens notre constance,
Et des maux passagers calmes la violence.
Délicieux destin! ô momens enchanteurs!
Quel revers troublerait vos paisibles douceurs?
Que faut-il pour braver la fortune jalouse?
Le souris d'un enfant, le baiser d'une épouse.
Leurs consolations, ce talisman divin,
Écartent de nos fronts les ombres du chagrin;
La paix, à leurs côtés, nous ouvre un doux asile;
C'est-là qu'est le bonheur!... ailleurs tout est stérile!
C'est-là que, sans effroi, dans leurs bras caressans,
Nous voyons s'envoler nos rêves menaçans.
Leur aspect nous ranime; et ce frivole monde
Où nous passons au bruit de la foudre qui gronde,
Avec tous ses honneurs s'éclipse devant nous;
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Ses richesses, son or, qui font tant de jaloux,
Ne sauraient nous tromper; et sa gloire apparente
Veut en vain nous cacher, sa misère opulente.
L'orage a fui; le ciel plus tranquille et plus pur,
Étend sur notre tête une voûte d'azur.
Au sein de nos foyers où l'allégresse brille,
Protecteurs adorés d'une heureuse famille,
Nous savourons long-temps, dans le calme du port,
Des plaisirs sans regrets et des biens sans remord.
C'est-là, là seulement que s'offre notre route;
Là que Dieu nous chérit, nous entend, nous écoute;
C'est-là qu'est notre but, là qu'est notre avenir,
Là que les plus beaux fruits s'empressent de mûrir,
Là, lorsque nous touchons au bout de la carrière,
Que la main de l'amour ferme notre paupière,
Et qu'au lugubre instant du funèbre sommeil,
Nous sourions au jour de l'éternel réveil!
Hymen, lien sacré qui rêunis les ames,
Partout le vrai bonheur naît de tes nobles flammes:
L'éclat de la beauté passe comme un beau jour;
L'àge vient affaiblir le flambeau de l'amour,
Le corps s'use et s'éteint; mais tes bienfaits durables
Se gravent dans nos coeurs en traits ineffaçables,
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Et l'homme, sous tes lois, aux portes du trépas,
Voudrait long-temps encor voyager ici-bas.
L'infatigable dieu qui se plaît à détruire,
Dans sa marche rapide affermit ton empire:
Tes trésors renaissans, une fois répandus,
S'échappent de leur source et ne s'épuisent plus;
La coupe des plaisirs que tes mains ont remplie,
Enivre encor notre ame au déclin de la vie.
Tes feux ont embrasé notre midi brûlant;
Notre soir voit encor leur rayon consolant
Doucement ranimer, sur leur tige fanée,
Les roses qui paraient ta chaîne fortunée.
C'est toi, lorsque l'hiver fait chanceler nos pas,
Qui viens de quelques fleurs égayer ses frimas.
Ferme appui du vieillard qui descend dans la tombe,
Tu le soutiens encor quand sa force succombe,
Et dans ses yeux tournés vers un autre séjour,
Tu fais briller encore une larme d'amour.
Riche de souvenirs dont il goûte les charmes,
Dans l'adieu sans retour confondant leurs alarmes,
Ce couple que la mort va bientôt séparer,
Sur la fin de la route, au moment d'expirer,
Regrette, en longs sanglots, le noeud qui se délie,
Et voudrait remonter le fleuve de la vie!
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Le passé vient encor, sous d'aimables couleurs,
Rappeler à l'époux ces momens enchanteurs,
Où son premier enfant vint s'offrir à sa vue,
Et fit battre son coeur d'une joie inconnue;
Ces jours où, transporté, de ses bras amoureux,
Il pressa sur son sein l'objet de tous ses feux,
Et d'un premier baiser goûtant la douce ivresse,
Puisa dans ses regards sa brûlante tendresse!
Jusqu'au dernier soupir, jusqu'au fatal instant
Où sur leurs yeux éteints la pâle mort s'étend,
Même serment d'amour s'échappe de leur bouche;
Jusqu'au dernier sommeil qui plane sur leur couche,
Leur souvenir encor, dans des songes flatteurs,
Vient sepeindre à leur ame et trompe leurs douleurs.
Leur esprit, fatigué des misères humaines,
Plus libre, s'affranchit de ses terrestres chaînes,
Et laissant à ce monde un éternel adieu,
Retourne triomphant dans le sein de son Dieu.
A ce départ terrible, à cette heure suprême,
Heureux qui le premier quitte alors ce qu'il aime!
Sur sa couche de mort, insensible aux sanglots,
Il dort paisiblement et ne sent pas les maux
De l'être qui se meurt de regrets et d'alarmes,
Jusqu'au jour du revoir qui doit tarir ses larmes.
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Nulle plainte, nul cri ne sort plus de son coeur:
Pour lui seul désormais luit un autre bonheur.
S'il a versé des pleurs, une main généreuse
Prit soin d'en détourner la source douloureuse:
Endormi le premier dans la nuit des tombeaux,
Il ignore à quel prix il goûte le repos.
Trop sensible Evadné! quel coup brisa ton ame,
Quand des jours d'un époux le ciel coupant la trame,
Te rendit, dans Argos, ses restes adorés
Que les traits de la foudre avaient défigurés!
Ton coeur ne put survivre à sa perte fatale;
Et renouant les noeuds que la Parque infernale
Avait déjà tranchés de ses cruels ciseaux,
Tu n'as point, de tes cris fatigant les échos,
Traîné d'un deuil profond le chagrin solitaire;
Mais un habit de mort, un crêpe funéraire,
Près de tristes débris arrosés de tes pleurs,
Signala ton amour et voila tes douleurs.
Ne la consolez pas, vierges au doux langage!
Qu'espérez-vous? Ses maux surpassent son courage.
Non, ne l'arrêtez pas; cachez-lui vos regrets;
Laissez-la consommer ses douloureux projets:
Elle va retrouver, dans la tombe fidèle,
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Celui que vainement ici sa voix appelle.
Le noir bucher s'allume; en rapides éclairs,
La flamme dévorante a sillonné les airs.
D'nn pas ferme et tranquille, elle approche, s'élance
Et s'ouvre l'avenir que son amour devance.
Rien ne peut étouffer ses sublimes transports:
Au corps de son époux elle attache son corps;
Intrépide au milieu des tourbillons de flamme,
Elle presse l'objet qui possédait son ame,
Et, dans les flots mouvans d'un déluge de feux,
Trouve enfin cette mort qui va combler ses voeux.
O mon Dieu! tu le sais, des biens de cette vie,
Deux seuls, dès ma jeunesse, ont flatté mon envie,
Le repos et la paix: j'ai goûté leurs douceurs!
Je n'ai point désiré de stériles honneurs;
Non: mais beaucoup d'amour dans une ame sincère;
Et l'amour le plus tendre exauça ma prière.
Grand Être! c'est à toi que je dois mon bonheur!
Ah! périsse l'ingrat dont la coupable erreur
Ne trouve pas dans toi, dans ta haute sagesse,
La source de nos biens et de notre allégresse!
Mais hélas! j'ai tremblé, lorsque j'ai vu le sort
Séparer, tout-à-coup, par le bras de la mort,
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Des êtres dont l'amour remplissait la carrière,
Et de la tombe entre eux poser la froide pierre!
J'ai tremblé quand j'ai vu, de quels affreux tourmens,
Ils avaient acheté quelques heureux momens!
C'est alors que le monde et ses perfides songes
Ne sont plus à nos yeux que de tristes mensonges;
La nature pour nous est un vaste tombeau,
La vie une mort lente et l'espoir un bourreau.
Dieu! détourne de moi ces coups de la fortune!
Ce n'est point pour traîner ma vieillesse importune,
Que ma voix te demande un plus long avenir;
Mais près d'un coeur aimant laisse-moi m'endormir,
Et permets, puisqu'un jour le trépas nous rassemble,
Que nos derniers soupirs soient exhalés ensemble!
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