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Les Bataves
a la
Nouvelle-Zemble,
poème en deux chants.
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Les Bataves
a la
Nouvelle-Zemble.
Chant premier.
L'odieux Despotisme, au bras ensanglanté,
Osait lutter encor contre la liberté;
L'Espagnol, altéré de meurtre et de carnage,
De nos aïeux encor ravageait l'héritage;
La guerre sur la Flandre agitait ses flambeaux,
Et le dieu de l'Amstel gémissait de nos maux.
Cependant le Batave, au char de la victoire,
Attachait sa fortune et se couvrait de gloire.
Maurice triomphait: les Castillans vaincus,
A l'aspect du héros reculaient éperdus.
Nos pavillons chargés des trésors des deux-mondes,
Voguaient en conquérans sur l'empire des ondes;
Et l'Europe admirait, au bruit de leur valeur,
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Des enfans de Batton la naissante grandeur!
Houtman, nouveau Gama, dans son heureuse audace,
Du hardi portugais avait suivi la trace;
De la riche Bantam qui leur ouvrait ses ports,
Ses mâts victorieux avaient touché les bords,
Et Van Noord, achevant sa course triomphale,
Venait de saluer la rive orientale.
Mais d'un plus grand projet Heemskerk est occupé:
Dans ses pensers profonds sans cesse enveloppé,
Il veut, perçant les flots que la nuit voile encore,
Unir le char de l'Ourse au berceau de l'Aurore.
Ses avides regards interrogent les mers:
De la Nouvelle-Zemble il parcourt les déserts;
Il vole vers la Chine; il découvre le Sinde,
Dont l'urne va s'épandre au sein des mers de l'Inde,
Et, dans ces champs couverts de glaçons éternels,
S'il existe un passage accessible aux mortels,
Il veut, accomplissant sa haute destinée,
L'apprendre le premier à l'Europe étonnée.
Le magnanime Ryp, jaloux de tant d'honneur,
Réclame des périls dignes de sa valeur.
Deux vaisseaux ont reçu l'élite de nos braves.
Tout est prêt; et Barendz, la gloire des Bataves,
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Calme dans le danger, cher au dieu du trident,
Intrépide au combat, inébranlable, ardent,
Jeune encor de vigueur et vieux d'expérience,
Alliant la sagesse aux fruits de la science,
Barendz veut partager un si noble travail,
Et du vaisseau d'Heemskerk saisit le gouvernail.
Il compte les instans; son audace inspirée
N'attend plus désormais que l'heure désirée:
Elle sonne! La mer, dans son bruyant reflux,
Soulève du Texel les flots irrésolus;
Déjà, de toutes parts, on arrive, on s'empresse;
La plage retentit des accens d'allégresse;
Tout se meut; mille esquifs voltigent sur les eaux,
Au bruit des longs adieux, aux cris des matelots.
Vers le ciel protecteur la Patrie orgueilleuse
Adresse, pour ses fils, sa prière pieuse,
Et voit, avec transport, ces valeureux guerriers,
A sa noble couronne ajouter des lauriers.
O mémorable jour! ce grand projet commence:
Impatient du port, le navire balance;
On lève l'ancre, on part; dans ses replis mouvans,
La voile frémissante emprisonne les vents,
Et le bronze enflammé, fier rival du tonnerre,
De son bruit formidable a salué la terre.
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O Muse! inspire-moi; viens chanter ces héros.
Suis nos lions de mer sur l'abîme des flots;
Raconte dignement ce célèbre voyage;
Redis à l'univers leur immortel courage:
Que nos derniers neveux touchés de leurs malheurs,
Pour prix de tes accens leur accordent des pleurs.
Comme si la nature, à leur dessein contraire,
Eût voulu leur donner un avis salutaire,
Le vent, vers leur patrie, a repoussé leurs mâts.
Ce présage fatal ne les alarme pas:
Dès long-temps, dédaigneux d'un stérile murmure,
Le Batave imposa des lois à la nature.
Ils choisissent l'instant où le flux orageux
A soulevé des mers les gouffres écumeux,
Et, d'un bras indompté, s'ouvrent le flot qui gronde.
O succès imprévu! l'audace les seconde.
On s'approche, on se serre; et, d'un commun effort,
On vogue vers Hitland, on suit l'astre du Nord.
Tels qu'un rapide trait élancé dans l'espace,
Leurs vaisseaux emportés ne laissent point de trace.
Hélas! où courez-vous? imprudens! retournez,
Retournez vers les bords que vous abandonnez.
C'est là que vous attend une tombe paisible!
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Ah! cessez de braver le destin inflexible.
Voyez ce pavillon déployé dans les airs:
Il vous montre les lieux, à vos grands coeurs si chers,
Les lieux où vos amis, vos parens vous appellent.
Comme des monts roulans les vagues s'amoncèlent.
Malheureux! évitez un combat inégal.
Le Nord impétueux a donné le signal:
Tous les vents contre vous mugissent et conspirent;
Vos mâts sont ébranlés; vos voiles se déchirent;
Le gouvernail échappe aux mains des matelots,
Et l'onde furieuse assiége vos vaisseaux!
Insensés! retournez aux rives maternelles.
Voyez l'affreuse mort, sur ses funèbres ailes,
Comme un spectre hideux planer autour de vous!
Elle entr'ouvre la tombe où vous périrez tous.....
Inutiles conseils: leur sublime courage
Des élémens rivaux a maîtrisé la rage:
Malgré les vents, les flots, ils avancent vainqueurs.
Mais soudain l'ouragan redouble ses fureurs:
Il entoure, il attaque, il saisit ses victimes,
Entraîne leurs vaisseaux dans de vastes abîmes,
Les fouette, les relève, et, pour comble de maux,
Les disperse, égarés sur les gouffres des eaux!....
Où sont-ils? Où voguer dans cette nuit profonde?
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Infortunés! vos cris sont étouffés dans l'onde.
Courez les mers, tremblez pour vos amis perdus;
Tant de soins, de travaux, hélas! sont superflus,
Et votre oeil n'aperçoit, à travers ces ravages,
Que l'écume des flots et le vol des nuages.
Pour la première fois, Ryp, saisi de terreur,
S'écrie: ‘Ah! c'en est fait: ô destin! ô douleur!
Heemskerk n'est plus! tu perds tes braves, ô Patrie!
Ils ne descendront plus sur ta rive chérie.
Que leur dernier adieu te coûte de regrets!
Tes superbes lauriers se changent en cyprès.
Compagnons de malheur, là bas, sur ce rivage,
Réparons, s'il se peut, les pertes du naufrage.
Dans ce commun désastre, amis, n'exposons pas
Les fils de la patrie échappés au trépas.’
Il dit; et de ses yeux sentant couler des larmes,
Renferme dans son coeur ses mortelles alarmes.
Heemskerk, pâle d'effroi, d'un oeil épouvanté,
Des gouffres de Thétis parcourt l'immensité,
Et, des siens entouré, rompt ainsi le silence:
‘Malheureux compagnons, il n'est plus d'espérance;
Nos frères sont perdus...... Nul mât, nul pavillon
Ne s'offre à mes regards; un épais tourbillon
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Nous les a dérobés, et la mer courroucée
Engloutit sans retour leur poupe fracassée.
Pleurez; n'étouffez pas vos douloureux sanglots:
Pleurez; ces nobles pleurs sont dignes d'un héros.
Mais au sein du malheur, au fort de la tempête,
Sachons braver le sort et relever la tête.
Voyez où nous jeta l'ouragan furieux!
Déjà le cap du Nord se découvre à nos yeux.
Des glaçons arrachés à ces Alpes flottantes,
Entrechoquent déjà les vagues mugissantes.
Voyez! nous sommes près de sentiers inconnus.
Avançons à travers ces rochers suspendus;
Léguons à l'avenir notre immortel voyage;
La victoire est à nous: braves amis, courage!’
Son intrépide voix enflamme tous les coeurs.
De ces terribles lieux ils bravent les horreurs.
Sur la vergue allongée on déroule les voiles.
L'abîme s'obscurcit; le ciel est sans étoiles;
Des globules glacés viennent fondre sur eux;
La neige tourbillonne en flocons nébuleux;
Un immense brouillard a voilé l'atmosphère.
Rien ne peut ébranler leur mâle caractère.
Le givre, le verglas roidit leurs vêtemens,
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S'attache, sur le pont, à leurs pieds chancelans;
Le gouvernail s'arrête; et la glace immobile
A fixé des agrès le rouage indocile.
Ils voguent en luttant. En butte à mille morts,
Ces habiles nochers rivalisent d'efforts;
Tantôt, des flots glacés ils atteignent la cime,
Tantôt, précipités, retombent dans l'abîme.
Comme un voile de plomb le ciel pèse sur eux.
Tout est désert, muet, inanimé, hideux.
La nature est en deuil; ses vêtemens funèbres
Des noirs gouffres de l'onde accroissent les ténèbres.
Un seul oiseau de mer, avec des cris perçans,
Dans son vol affamé rase les flots grondans.
Sur l'aride sommet d'une roche noircie,
S'élève un vieux sapin sans feuillage et sans vie.
Tout-à-coup, une masse, à travers les glacons,
S'avance, l'onde s'enfle, agite ses bouillons,
Et sur le vaisseau même, avec force élancée,
Dans ses bonds écumans retombe courroucée.
Un formidable bruit prolongé sur les eaux,
A frappé quatre fois les sinistres échos.
Le monstre redouté montre son corps difforme;
Un double rang d'ivoire arme sa gueule énorme.
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De surprise et d'effroi l'équipage frémit.
Il s'approche en brisant la vague qui mugit:
Au sein tumultueux des ondes menaçantes,
On entend vaciller ses écailles bruyantes.
Dans les flots épaissis il trace des sillons,
Et creuse, en se mouvant, d'immenses tourbillons.
Tous, comme s'ils touchaient à leur heure dernière,
Déjà font à genoux leur tremblante prière:
Sur les flancs du navire il roule avec fracas,
De la quille ébranlée arrache des éclats,
Précipite son cours dans la sombre étendue,
Et, couvert de brouillards, disparaît à la vue.
Cependant les glaçons, avec un bruit affreux,
Dans leurs chocs opposés s'élancent jusqu'aux cieux.
Sous l'écorce des eaux le vaisseau s'embarrasse;
Sa poupe s'engloutit dans des gouffres de glace;
Il se brise, s'entr'ouvre, et ses flancs éclatés
Autour des matelots tombent de tous côtés.
On saisit au hasard les cordages rebelles;
On se sépare, on fuit; la peur donne des ailes.
Sur un cristal neigeux, que nuls pas n'ont foulé,
Sans dessein, sans espoir, chacun vole isolé:
Ils ignorent les lieux où la frayeur les chasse.
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D'un trépas assuré lorsque tout les menace,
Quel aspect tout-à-coup vient changer leur destin?
O secours! ô bonheur! dans le vague lointain,
Apparaît un asile...... Une langue de terre
Offre à ces malheureux sa rive solitaire.
Échappés de la mort qui s'attache à leurs pas,
Ils courent à travers la neige, les frimas,
Et poussent vers le ciel d'éclatans cris de joie.
Le long des rocs glissans ils s'ouvrent une voie,
Gravissent, éperdus, leurs glaçons éternels,
Et la Nouvelle-Zemble a porté des mortels!
C'est ici que l'Hiver, sur son trône de neige,
Rassemble autour de lui son orageux cortége.
Ici, point de printemps; et quand le Dieu du jour,
De ses pâles rayons effleure ce séjour,
A peine, sans chaleur, une avare lumière
Vient-elle de ces lieux colorer l'atmosphère.
Nul mortel n'y peut vivre; aucun peuple du nord
N'est jamais descendu sur ce funeste bord.
Un sol de glace, ici, s'oppose à la culture;
Tout y languit, y meurt; nulle part la nature
Ne refusa ses dons avec tant de rigueur.
Toujours l'Hiver, toujours le trépas destructeur!
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Partout d'affreux tableaux, d'épouvantables masses
De neiges, de frimas, d'inaccessibles glaces,
Des antres de la mort que les flots ont creusés,
Et des rochers épars que les vents ont brisés!
Voilà donc ce désert, cette stérile plage
Dont l'intrépide Heemskerk a foulé le rivage,
La terre infréquentée où, les mains vers le ciel,
Il bénit, à genoux, les lois de l'Éternel!
Il prie, il se relève, il embrasse ses frères,
Promène un long regard sur ces bords de misères,
Et garde le silence!...... A l'aspect de ces lieux,
Tout frémit d'épouvante. Un crèpe ténébreux
Descend du haut des airs; déjà la nuit plus sombre
Enveloppe les cieux et rembrunit son ombre.
Ils cherchent un abri; mais, ô soin superflu!
Pas un tronc dépouillé! Le sol aride et nu,
Que dessèche le vent, qu'un froid mortel resserre,
A leurs corps épuisés n' offre qu'un lit de pierre!
L'obscurité redouble et la peur les poursuit.
Sous ses voiles épais, une profonde nuit
Dérobe les objets à leur vue inquiète.
Où se refugier? Dans leur terreur muette,
Leurs genoux défaillans se dérobent sous eux;
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Ils tombent; le sommeil, douce faveur des cieux,
Les délivre à la fin d'une longue insomnie:
Ils dorment étendus sous la neige épaissie.
Mais, ô fatal repos! dans l'espoir du butin,
L'ours a fui sa tanière; et, poussé par la faim,
Il s'approche; il aspire, il découvre sa proie,
La saisit endormie, et, rugissant de joie,
L'emporte au sein de l'ombre!... Effroyable réveil!
Qui vient les arracher au néant du sommeil?
Ciel! d'où partent ces cris, ce soupir lamentable?
Phébé ne règne plus: dans l'ombre impénétrable,
Ils quittent, en sursaut, leur couche de verglas.
On s'assemble: à l'appel un d'eux ne répond pas!
Debout, sur les glaçons, ils veillent en silence.
Que le jour va tarder à leur impatience!
Immobile de crainte et de froid engourdi,
Comme un marbre glacé tout leur corps s'est roidi.
O supplice cruel! sur ces bords sans ressource,
Le temps semble pour eux interrompre sa course.
Mais les premiers rayons, précurseurs du matin,
Ont jeté sur les flots un éclat incertain;
De reflets lumineux l'horizon se colore,
L'ombre décroît, s'efface, et le jour vient d'éclore.
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Sur la neige rougie, une trace de sang
A frappé leurs regards!... Leur compagnon absent;
Le sol ensanglanté!..... Quel sinistre présage!
L'épouvante les presse; ils gagnent le rivage,
Demandant à la mer leur navire en éclats.
Ah! comment échapper aux horreurs du trépas?
Comment fuir? d'un côté, les flots innavigables;
De l'autre, des glaçons, des rocs inabordables!
Le sombre désespoir peut seul finir leurs maux.
Mais Barendz reste calme et leur parle en ces mots:
‘Oui, braves compagnons, notre sortest horrible.
Plus de retour! ici, la fuite est impossible.
Chaque instant qui s'envole accroît notre malheur.
Déjà le noir hiver redouble de rigueur;
L'aquilon, plus fougueux, escorté des tempêtes,
Dans ces déserts glacés va fondre sur nos têtes.
Mais l'oeil de l'Éternel veille encore sur nous.
Les momens sont comptés; amis, qu'attendez-vous?
Venez tous; rassemblons, dans ce triste ravage,
Nos restes d'alimens échappés au naufrage:
Fasse le juste ciel que ce faible secours
A des maux plus affreux puisse arracher nos jours!
Retirons notre esquif des gouffres de Neptune,
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Notre esquif! seul espoir, après tant d'infortune!
Nos armes, le salpêtre, en ces pressans besoins,
Tout appelle vos bras, tout réclame vos soins.
Amis, n'hésitons plus; sauvez tout! De nos voiles,
Détachez sans retard les précieuses toiles,
Et du vaisseau brisé, notre libérateur,
Hâtons-nous de construire un abri protecteur.
Votre vie en dépend: compagnons, à l'ouvrage!’
La neige, dans les airs, comme un épais nuage,
Mêle au givre piquant ses mouvans tourbillons.
Percés de froid, couverts de frimas, de glaçons,
Ils affrontent des vents les bruyantes haleines.
Souvent le désespoir vient aggraver leurs peines.
Mais leur coeur a parlé: leur femme, leurs enfans
Raniment tout-à-coup leurs efforts languissans.
Après un court repos, d'une ardeur sans égale,
Leur courage héroïque à l'envi se signale.
Les vivres, les agrès, les restes du vaisseau,
Tout est sauvé. Les uns, lancés sur un traîneau,
Vont au loin recueillir, épars sur le rivage,
Des troncs, des mâts rompus, des débris de naufrage!
Les autres, sur les lieux témoins de leurs revers,
A d'utiles apprêts donnent des soins divers.
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Mais la nuit importune interrompt leur ouvrage.
Inquiets, tour à tour, ils veillent sur la plage;
Et quand les premiers feux de l'orient vermeil,
A leur impatience annoncent le soleil,
On ressaisit la hache, on travaille, on s'empresse;
On dispute de zèle et de force et d'adresse.
Ainsi dans les travaux s'écoule chaque jour!
Tout est prêt: d'un asile on décrit le contour:
Les pieux sont apportés; on les dresse, on les place,
Et d'énormes moutons les plongent dans la glace.
De leurs coups redoublés la rive retentit;
Le chêne cède au coin; l'acier coupe et frémit;
Et l'habile ciseau, sous leurs mains diligentes,
Assortit, avec art, les solives pesantes.
Le Nord a redoublé ses âpres sifflemens:
Le fracas des marteaux se mêle au bruit des vents.
Du vaisseau démembré le pont sert de toiture;
La gomme du sapin, repoussant la froidure,
Couvre de leur abri les solides parois.
Tous les bras occupés se meuvent à la fois.
La vapeur du foyer, en épaisse colonne,
Par un tonneau sans fonds s'échappe et tourbillonne;
Des débris de la voile on tapisse les ais.
De si rudes labeurs sont payés de succès:
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Leur asile achevé domine au loin la plage,
Et le vaisseau n'est plus qu'une hutte sauvage.
fin du chant premier.
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