Le théâtre villageois en Flandre. Deel 1
(1881)–Edmond Vander Straeten– Auteursrechtvrij
[pagina 37]
| |
III
| |
[pagina 38]
| |
‘Les habitants de cette riche et fertile contrée, dit-il, sont ostensiblement d'une humeur très-joviale, et s'occupent de la rhétorique et de la musique. C'est une vraie terre promise, dun aspect magnifique, produisant le laitage le plus exquis, comptant maints villages d'une importance plus grande que plusieurs de nos villes.’ De inwoonders van dien maect de vruchtbaerheyt rijcke,
Oock ple ghen zy publijcke zeer blygheestigh te zyne,
Occuperende de consten rhetorica en musijcke,
Die therte verheughen doen tot allen thermyne.
Tes een landt van beloften, seer schoone van beschyne,
Vloeijende vul melc en zuvele, van smake seer zoet,
Daer durpen in staen, veel steden en zijn niet zo goet.
Dans certaines solennités autres que les concours de tir et les ommegangen, l'appui des associations dramatiques rurales aura été invoqué, particulièrement aux réunions des états de province et de district; du moins les chambres littéraires des villes ont honoré maintes fois de leur présence nos grandes diètes nationales. A la première des trois importantes assemblées générales du pays tenues à Malines, en 1494, nous voyons figurer, à côté de gildes nombreuses du Brabant, les sociétés de rhétorique de Courtrai, d'Audenarde et de Termonde, qui s'étaient fait une fête sans doute d'accompagner leurs députés à ces réunions solennellesGa naar voetnoot(1). Certaines représentations se poursuivirent durant trois jours consécutifs, comme celle du Pèlerin, qui ent lieu à Grammont, en 1545, à l'occasion de la PentecôteGa naar voetnoot(2). | |
[pagina 39]
| |
En cette même ville de Grammont, au xve siècle, les rhétoriciens donnèrent des représentations à cheval, coutume que nous verrons se renouveler, dans certains villages, deux siècles plus tardGa naar voetnoot(1). A Meulebeke, on produisit des chameaux sur la scène, et on eut recours à l'eau naturelle pour rendre au vif le déluge. Michiels, dans son Histoire de la peinture flamandeGa naar voetnoot(2), résumé le récit que fait Jacques De Jonghe, le biographe de Charles Van Mander, des représentations données à Meulebeke sous l'impulsion du célèbre peintre.aant. Nous en reproduisons les principaux passages, comme traits de moeurs: ‘La grande joie de Van Mander était de composer des pièces de théâtre que ses frères, ses soeurs, ses voisins déclamaient ensuite chez son père. Dans ces sortes de représentations, il était à la fois l'auteur, le directeur et le décorateur. Il montrait, en ces diverses qualités, du talent et un génie inventif... Jeunes et vieux accoururent, lorsque Van Mander annonça une pièce où l'on verrait le déluge. L'enthousiasme fut immense, et l'on ne se plaignit point de ce qu'un grand nombre de spectateurs, qui se trouvaient près de la scène, eussent été mouillés jusqu'aux os. ‘En effet, pour quel'illusion fût complète, l'auteur avait placé dans un bâtiment voisin des pompes bien approvi- | |
[pagina 40]
| |
sionnées d'eau, qui jouèrent au moment convenable et inondèrent littéralement le théâtre. Noé avait d'abord paru, prêchant le repentir à ses contemporains vicieux, puis bâtissant l'arche et y entrant avec sa famille. Toutes les bêtes les y avaient suivis deux à deux. Bientôt l'arche flotta sur l'onde immense, le corbeau s'envola, et, après lui, la colombe. Une grande toile, où Van Mander avait peint des hommes qui se noient, fut tendue en travers du théâtre et représentait si énergiquement la destruction des impies, que nombre de spectateurs fondirent en larmes: Ils ne pouvaient se remettre de leur attendrissement et de leur effroi... ‘Beaucoup de pièces suivirent celle-là, toutes écrites par Van Mander: l'histoire de Nabucodonosor, le jugement de Salomon, divers récits bibliques lui en fournirent les sujets. Le plus brillant de tous ces drames montra aux spectateurs la reine de Saba visitant le roi des Juifs. On le mit en scène durant la Pentecôte. Des chamcaux, différentes bêtes et einquante acteurs y parurentGa naar voetnoot(1). Le concours du peuple fut immense. Il venait par troupes de Bruges, de Gand et des autres villes prochaines (notamment de Courtrai et d'Audenarde). La gloire de l'auteur se répandit au loin...’ Pendant un certain temps, les associations urbaines ont vécu de leur vie propre, ou du moins n'ont eu que de rares communications avec les associations rurales, notamment dans les concours publics. Faut-il y voir l'indice d'une trop grande infériorité de talent pour les associations rurales? Le fait est que les gildes des villes ont longtemps uni | |
[pagina 41]
| |
à un caractère tout militaire, une certaine affectation de fierté qui les empêchait de se mêler aux divertissements des glides rurales; et, quoique les tirs et les luttes scéniques fussent des sortes de tournois de la classe inférieure, bien distincts de ceux de la grande bourgeoisie, le sentiment exagéré de leur dignité se manifestait jusque dans ces amusements si éminemment expansifs. Vêtues d'écarlate et de velours, elles dédaignaient de se mêler aux campagnards, dont les confréries étaient souvent exclues de leurs concours. On peut lire, dans la lettre d'invitation qui fut adressée, en 1408, par les arbalétriers d'Audenarde à toutes les glides d'arbalétriers convoquées à une fête de tir solennelle: ‘Et aussy est assavoir que nulz hammeaulz, villes champestres ou chasteaulx, supposé qu'ils eussent confrairie ou compaignie de serment, ne peuvent jouer ou dit jeu, ou gaignier auchun des pris ou joyaulx dessus diz.’ L'appel était adressé exclusivement aux ‘cités, bonnes villes fremées (fermées) ou privilégiées,’ et le jeu de tir devait être rehaussé ‘délicieusement par un bon et délicieux esbattement, sans vilonnieGa naar voetnoot(1).’ Notons, en passant, que Jean sans Peur, comte de Flandre, assista à ce concours comme membre de la gilde organisatrice. Il était décoré des couleurs de la confrérie. Quarante-cinq villes s'y trouvèrent réunies. La lutte dura plus de trois semaines. Insensiblement il s'opérait, au sein de toutes ces sociétés littéraires et théâtrales, et des innombrables éléments quelles renfermaient: familles, professions, | |
[pagina 42]
| |
classes, opinions, un travail de rapprochement et de concentration qui eût fini par réunir à la longue toutes ces associations dans des associations plus étendues, incessamment affectueuses, moralement et matériellement bienfaisantes, si de graves événements politiques n'en eussent brisé les liens et détruit les tendances. Après avoir débordé les ecclésiastiques, après les avoir privés de l'un des plus puissants moyens de répandre leur culte, les laïcs se mirent au service des opinions qui, dès le commencement du xvie siècle, commencèrent à se heurter dans l'ordre politique et dans l'ordre religieux, et, pareils à l'Hercule de la fable, ils se servirent du théâtre comme d'une massue pour fronder le gouvernement et le Saint-Office. Au lieu de cultiver le drame chevaleresque, ils se complurent dans les moralités, dans les facéties burlesques, et s'enhardirent jusqu'à mettre en action des thèses théologiques. Nous allons les voir à l'oeuvre au célèbre landjuweel de Gand, en 1539. Auparavant, quelques éclaircissements sur l'organisation des anciennes gildes de rhétorique villageoises ne seront pas inopportuns ici. Les ténèbres qui les enveloppaient, avant le xvie siècle, se dissipent. Non-seulement nous connaissons leurs actes, mais le mécanisme de leurs institutions se dévoile. Les chambres de rhétorique villageoises, comme celles des villes, se divisaient en deux catégories: les franches et les non-franches. Pour obtenir la franchise, il fallait deux octrois, l'un de l'autorité du lieu, qui, de ce chef, s'engageait à fournir des subsides, l'autre de la chambre supérieure, hoofdkamer, ainsi que s'intitulaient, entre autres, l'Alpha en Oméga, d'Ypres, et la Fonteyne, de Gand. Par ce dernier octroi, on acquérait le droit de se présenter dans les concoursGa naar voetnoot(1). | |
[pagina 43]
| |
Voici ce que dit M. Diegerick de la société-mère d'Ypres, Alpha en OmégaGa naar voetnoot(1): ‘Dès le commencement du xvie siècle, cette chambre de rhétorique, connue sous la devise: Spiritus flat ubi vult, et placée sous l'invocation de la Sainte-Trinité, se prétendait la plus ancienne de la Flandre; elle existait de temps immémorial, et jouissait du privilége de pouvoir, seule, accorder des octrois d'institutions aux sociétés de la West-Flandre ou du West-Quartier. Nulle société ne pouvait s'établir sans son autorisation: elle approuvait les statuts, les devises, les blasons; elle nommait les chefs-hommes, prenait connaissance de tout dissentiment entre confrères et entre confréries, et prononçait. des peines, des amendes, des suspensions, etc.; enfin elle exerçait une véritable juridiction sur toutes les sociétés de la West-Flandre. Ces droits ne lui ont jamais été contestés; au contraire, depuis le premier quart du xvie siècle (1516), époque à laquelle remontent ses plus anciennes archives, nous voyons toutes les sociétés s'adresser à elle pour l'obtention de leurs octrois, l'approbation de leurs règlements, etc.’ En fait de sociétés rurales qui demandèrent leur droit d'existence, au xvie siècle, à la société Alpha en Oméga, d'Ypres, on en compte de nombreuses. En voici quelquesunes: Van herten reyn, de Mannekensvere, en 1518; Blyde van sinnen, de Nieuwkerke, et l'association de Handzaeme, en 1520; celle de Loo, en 1523; Altoos doende, de Leffinghe, en 1529; Scamele in de buerse, d'Alveringhem, en 1534; Lichtbekeerde magdalenisten, d'Oostvleteren, en 1541; Troostlusters, de Beveren près de Furnes, en 1544; Onnoozele, de Staden, en 1549; Reyne | |
[pagina 44]
| |
van herten, de Reninghe, en 1559; Troostverwachters, de Stavele, en 1589Ga naar voetnoot(1). Les chambres non-franches naissaient et renaissaient, pour ainsi dire, à chaque printemps. Il a dû s'en produire des milliers de ce genre, en Flandre. De même qu'on nommait landjuweel (joyau du pays) le concours entre les sociétés des villes, ou plutôt l'entrée triomphale de ces sociétés, de même on donnait le nom de haegspel (jeu de la haie) à l'entrée solennelle dans un village ou dans une ville, pour la clôture d'un joyau du pays. En ce dernier cas, le haegspel était réservé aux sociétés du plat pays et à celles des villes qui n'avaient pas pris part au landjuweel. L'étymologie du mot haegspel permet de supposer qu'il fut originairement institué pour des confréries de villages ou de petites villes non ferméesGa naar voetnoot(2). | |
[pagina 45]
| |
Dans les documents que M. Ed. Van Even a publiés sur le landjuweel et l'haegspel des Violieren à Anvers, en 1561, nous remarquons un passage qui atteste le soin que les organisateurs du concours prirent pour éviter toute promiscuité déshonorante avec les sociétés rurales, ce qui nous prouve que l'exemple de 1408, produit plus haut pour la Flandre, était encore suivi, au milieu du xve siècle, par les chambres brabançonnes: ‘De par le prince, hoofdman (chef-homme) et doyen, il est ordonné aux messagers de la chambre, de veiller scrupuleusement à ce que tous les villages n'amènent que des associations honnêtes, ou, pour le moins, de ne délivrer de chartes d'invitation qu'à l'écoutète, au maire ou à quelqu'un des autorités localesGa naar voetnoot(1).’ Comme dans les villes, les membres d'une chambre étaient divisés en chefs, hoofden, et en simples membres, kameristen ou kamerbroeders. Les chefs s'appelaient prince, empereur, doyen, hoofdman, facteur. Il y avait un fiscal pour maintenir l'ordre, un porte-étendard et un fou. Dans les sociétés peu nombreuses, certaines fonctions étaient cumulées. Le fou a été trop décrit pour que nous nous arrêtions à l'esquisser encore. Nous ne pouvons pourtant résister au désir de dire un mot des figures de bouffons qui accompa- | |
[pagina 46]
| |
gnent les lettrines des comptes communaux de Grammont de la fin du xve siècle et du commencement du xvie. Le scribe a réussi à stéréotyper le fou de la localité d'une façon à la fois simple et accentuée. Ce n'est point le fou grimacier, railleur, sarcastique qu'il retrace; ce n'est point non plus le fou turbulent, facétieux et burlesque qu'il a voulu dépeindre; c'est le fou tranquille, flegmatique, rangé, personnage fort populaire en Flandre, et qu'une locution du temps a très-bien caractérisé en l'appelant drooghen jonkher, littéralement: ‘le gentilhomme sec.’ Ces têtes sont variées de cent façons. Leurs poses ont du naturel et de l'expression. Il en est qui frisent la stupidité et l'idiotisme. Or, l'on sait que l'on préférait, pour jouer le rôle de bouffons, les êtres les plus contrefaits. En eux, laideur était beauté. Quelques-unes portent un bonnet à grelotsGa naar voetnoot(1). D'autres sont flanquées d'un poisson ressemblant au hareng, et qui pourrait bien être l'emblème du personnage; du moins hareng see et drooghen jonkher vont très-bien ensembleGa naar voetnoot(2). Il en est encore qui ont le bonnet phrygien, le capuchon de Momus, la mitre épiscopale trifoliée, le diadème perlé. Les quatre premiers | |
[pagina t.o. 46]
| |
BOUFFONS FLAMANDS DU XVe SIÈCLE
| |
[pagina 47]
| |
que nous reproduisons en regard, sont de l'année 1480; les deux autres datent de 1482. Sur certaines banderoles, qui couronnent les lettrines, on lit: Patoulet et Gilson, puis Patoulet à Gilson, enfin Patoulet Gilson scripsit. Est-ce le nom du scribe? Il faut le croire, d'après la dernière légende. Pourtant le nom même de Patoulet et la manière irrégulière dont il est accolé au nom de Gilson, laissent subsister un doute. Quoi qu'il en soit, il a fallu que ees drôleries fussent empreintes vivement dans les moeurs, pour qu'elles eussent pu se produire sur des documents officiels, dont un double devait être offert à la cour. Mais les commissaires, chargés de vérifier annuellement les comptes communaux, donnaient eux-mêmes l'exemple de ces étranges fantaisies, en se faisant escorter de fous gagés par eux. Alors, il était naturel que le secrétaire, chargé de dresser le bilan des finances de la ville, cherchât à leur plaire, en ornant ses registres de figures de leur prédilection. Souvent ces fous, qui accompagnaient les magistrats, avaient des noms bizarres, et on pourrait dresser une liste fort piquante de ceux que les anciens registres de la comptabilité communale nous ont transmis. Bornonsnous aux fous que mentionnent les archives d'Audenarde, dans la deuxième moitié du xve siècle: Hannekin le bon fou, Pieterkin Vanden Uphove (1451); Licke, bouffon du seigneur d'Ayshove, qui contrefait la sirène (1456); le drooghe jonckher et le fou aux grelots (1457); Jonckher de Cotry ou Coppin, de Gand, venu avec les commissaires préposés à l'audition des comptes communaux (1460); Hannekin, fou de Schoorisse (1462); Vernis, fou de Jean de Luxembourg (1470); Waline (1474); Monsieur le Glorieux, bouffon de Marie de Bourgogne (1480); Arekin (1484); Gillen (1497). Le ‘gentilhomme de Cotry’ était | |
[pagina 48]
| |
accompagné, en 1463, d'un page, le même sans doute qui, sous le nom de Plumierkin, se piquait de faire des poésies en l'honneur du magistrat de FurnesGa naar voetnoot(1). Cette abondance de personnages facétieux n'aura pas peu contribué à l'adoption de la devise des Barbaristes de Courtrai: God voedt veel zotten (Dieu nourrit force fous). Quelques-uns étaient musiciens, comme Malin Van Steenbeke, de Gand, qui vint en 1530, jouer de la musette à Audenarde, à la procession du Saint-Sacrement. Actuellement encore, la veille d'un tir, le fifre, le tambour et le fou, en costume, vont saluer les membres de la confrérie. Le fou danse un menuet devant leur demeure et leur offre un petit blason gravé et enluminé, que supporte une plume d'oie et que le tireur attache soigneusement à sa boutonnière. Pendant la solennité du tir, le fou rôde devant l'enclos ménagé autour de la perche, et quand il aperçoit un promeneur qui dirige ses pas de ce côté, il s'élance vers lui, en gambadant de son mieux, et, la pirouette finale terminée, il lui présente un blason. D'ordinaire, le flaneur lui donne quelques centimes de gratification. Cet usage, qui doit paraître bien ridicule aux étrangers, remonte à cinq siècles au moins. Le plus ancien extrait que nous ayons pu rencontrer, à ce sujet, dans les archives, date de 1533Ga naar voetnoot(2). Le fou circule encore aux tirs de Bever, Eyne, Etichove, Leupeghem et autres villages des environs d'Audenarde. En cette dernière commune, il distribue, aux | |
[pagina 49]
| |
membres de la société de Saint-Arnoud, le petit blason cicontre qui est modelé exactement sur ceux dont se servent les bouffons des gildes audenardaises: Saint-George, Saint-Sébastien et Saint-Hermès. Ils ressemblent d'ailleurs étonnamment aux vieux blasons de nos sociétés de rhétorique. Chaque côté du losange mesure sept centimètres et demi. La gravure est tintée de vert pâle et de jaune. Aux trois coins supérieurs, sont attachés des fragments d'oripeau. Saint Arnoud à la mitre et à la crosse, que l'on voit à l'avers de la gravure, est représenté de la même manière au revers, à l'aide d'une planche différente. La plume qui supporte le blason, est collée entre les deux losanges. Nous n'en donnons que la partie supérieure. Quant aux bouffons de notre planche, nous les croyons identiques à ceux que le magistrat de Grammont avait à son service, et il n'y aurait aucune témérité à avancer qu'ils avaient un rôle très-important dans les farces qui s'exécutaient pendant la procession du Saint-Sacrement. Ceux de la campagne étaient évidemment modelés là-dessusGa naar voetnoot(1). | |
[pagina 50]
| |
Chaque chambre portait généralement le nom d'une fleur. En tout temps, notre nation a eu une prédilection pour la botanique champêtre. Les oeuvres littéraires du moyen âge, les miniatures de nos manuscrits, et les productions de notre ancienne école de peinture, le témoignent assez. Plusieurs locaux de nos sociétés dramatiques reçurent des appellations de fleurs. Les rhétoriciens empruntèrent aussi indistinctement leurs noms aux maisons où ils tenaient leurs réunions, comme le Schaerke, d'Eyne, etc. Cet amour de la botanique nous vient peut-être des jeux floraux de Toulouse, qui durent leur nom, paraît-il, aux fleurs d'argent qu'on donnait en prix aux meilleures pièces de poésie. Pourtant, il faut bien que les fleurs aient été instinctivement adoptées par les populations de la Flandre, puisque les administrations communales les firent graver sur les sceaux officiels. Chose significative, aux époques reculées, on voit partout ailleurs les marques symboliques de la protection divine et humaine représentées sur les sceaux de la magistrature. Les sceaux des communes rurales de Beveren, Grimberghen, Grimmingen, Hamme, Leupeghem, Oycke, Overboulaere, Vlierzele, Worteghem, offrent des fleurs rustiques; ceux d'Edelaere, d'Erembodegem, de Goefferdingen, d'Hermelgem, de Nederboulaere, Schoorisse, Oostcamp, Wytschaete, représentent des arbres; ceux de | |
[pagina 51]
| |
Denderhautem et d'Onkerzeele nous montrent des épis. Les devises étaient généralement empruntées aux circonstances politiques, aux dénominations des localités, aux patrons des églises paroissiales, aux métiers exercés par les membres, aux confréries pieuses, aux gildes de tir, à la morale évangélique, aux locutions proverbiales en vogue, aux luttes suscitées entre les sociétés rivales, aux traditions légendaires. Ces emblèmes et ces devises foment, en quelque sorte, le baromètre de la situation morale et matérielle de chaque société. Parfois elles renfermaient des jeux de mots, comme celles de Cluysen: Kluyzenaers zonder cappen, ermites sans capuchon; de Laerne (prononcez Leerne): Al doen leert men, la pratique enseigneGa naar voetnoot(1); de Lichtervelde: Vreedzaeme reyzigers, voyageurs paisiblesGa naar voetnoot(2); de Reninghe: Reyne van herten, purs de coeur; de Cruyshautem: Houd hem in liefde, aimez-le toujours; d'Hooghlede: Op d'hoogde groeyd den olyfboom, sur les hauteurs croît l'olivier, etc. Les cognomina n'ont pas fait défaut à certains villages, et le Langen adieu d'Édouard de Dene, rimé au xvie siècle, en contient un bon nombre qui ont une signification toute historique. Nous nommerons, parmi les localités rurales de la Flandre actuelle: les Beenhauwers (bouchers) de Maele, les Rocheters (mangeurs de raie) de Muninkereede, les Drapiers (drapiers), de Commines, les Vulders (foulons) de Caprycke, les Schipgaernemaeckers (cordiers) d'Oudenbourg, les Hovelyngen (courtisans) de Ghistelles, les Wiltjagers (chasseurs de gibier) de Maldegem, les Roobier- | |
[pagina 52]
| |
drynkers (buveurs de bière brune) d'Harlebeke, les Cappoeneters (mangeurs de chapons) de Messines, les Wynzuypers (buveurs de vin) de Hulste, les Teghelbackers (faiseurs de carreaux à paver) de Stekene, les Roometers (mangeurs de crème) de Moerbeke, les Waermoeseters (mangeurs de bette) de Coolkerke, les Hoppewinders (cultivateurs de houblon) d'Okegem, les Papeters (mangeurs de bouillie) de Dentergem, les Gansedryvers (conducteurs de cygnes) de Laerne, les Vlasbooters (batteurs de lin) de Zele, les Stiermans (pilotes) de Wenduyne, les Musseleters (mangeurs de moules) de Bouchaute, les Verzeylders (navigateurs errants) de Heyst, les Cokermaeckers (fabricants d'étuis) de Ruysselede, les Compoosteters (mangeurs de confitures) de Loo, les Toolnaers (douaniers) de RupelmondeGa naar voetnoot(1). Le savant MoneGa naar voetnoot(2) a donné encore les sobriquets: Platte gesellen (plats compagnons) de Sleydinge, Dansers (danseurs) d'Evergem, Osteliers (hôteliers) d'Ursel, Wannemakers (fabricants de vans) de Syngem, Hekeleers (séranciers) d'Hofstade. |
|