Le théâtre villageois en Flandre. Deel 1
(1881)–Edmond Vander Straeten– Auteursrechtvrij
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IV
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deuxième, le genre bouffon, int sotte; la troisième, le genre érotique, int amoureuse. Dix-neuf sociétés prirent part à la lutte. Dans le nombre, on en comptait cinq qui appartenaient à des localités rurales de la Flandre. C'étaient: Leffinghe, Altyts doende; Messines, Met pynen duer de werelt; Loo, Ik verryke de roye; Nieuwkerke, près d'Ypres, Goetwillich in 't herte; Axel, Got ontcommer elcx herte; Caprycke, 's Es al in 't herte. La plupart d'entre elles étaient déjà gagnées au calvinisme. Or, le calvinisme est démocratique, et les communes mécontentes des absorptions faites à leur détriment, sous la maison de Bourgogne, craignaient non sans raison le despotisme naissant de Charles-Quint. Elles se ressouvenaient du vieux dicton flamand: Die geen knecht is,
Doet wat regt is,
Slaet wat slecht is.
‘Qui n'est point valet, fait ce qu'il doit faire et abhorre l'injustice.’ Loo imagina, pour le jeu de moralité, la solution: ‘Jésus-Christ, avocat et garant de Dieu le PèreGa naar voetnoot(1),’ et remporta le quatrième prix. Il consistait en trois hanaps (canettes) d'argent, du poids de trois marcs de Troie. La pièce avait trois personnages allégoriques: la force de l'esprit, l'homme mourant, la parole évangéliqueGa naar voetnoot(2). Les subtilités mystiques dont elle fourmille, nous font renoncer à en donner une interprétation analytique. La solution de Leffinghe était: ‘L'espoir des faveurs du ChristGa naar voetnoot(3).’ La moralité avait pour personnages: l'homme, | |
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l'espoir des faveurs et la consolation évangéliqueGa naar voetnoot(1). Messines proposa: ‘La confiance dans la miséricorde de Dieu, avec repentir des péchésGa naar voetnoot(2),’ symbolisée dans l'homme, l'Église chrétienne, la miséricorde, le témoignage de l'espritGa naar voetnoot(3). Nieuwkerke avait imaginé: ‘Mourir et ressusciter en Dieu; croire cela par la démonstration de l'espritGa naar voetnoot(4).’ La thèse était développée par: l'homme désolé, le disciple évangélique, la consolation de l'Écriture, la foi alliée à la charitéGa naar voetnoot(5). Enfin, Caprycke apporta, comme solution, ‘la miséricorde de Dieu, moyennant espoirGa naar voetnoot(6),’ et ses personnages emblématiques étaient: la jeunesse imbécile, l'homme, la nourriture des péchés, l'instruction salutaire, le désir brûlant, la foi, la conscience, la raison, l'espéranceGa naar voetnoot(7). Toutes ces pièces ont vu le jour à Gand, chez Josse LambrechtGa naar voetnoot(8). La première des trois solutions mises au concours pour le prix du refrain, fut abordée à la fois par les cinq loca- | |
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lités rurales précitées. La deuxième ne suscita que trois compétiteurs, qui étaient: Nieuwkerke, Caprycke et Loo. De la troisième nous ne savons rien, et pour cause, car ces thèses ont dû ne paraître rien moins que téméraires. On répondit presque unanimemerit à la première question: ‘Quel est l'animal au monde qui acquiert le plus de force?’ par l'humanité du Christ ou l'animal raisonnable (l'homme). Pourtant certaines chambres, comme Messines, Caprycke, Loo, Nieuwkerke, attribuèrent à la femme la supériorité de la force. On chante, dans le refrain de Messines, à la dernière strophe, les louanges de la sainte Vierge, qui écrasa le serpent infernal, et celles des Trois Rois, qui, peu de temps auparavant, en 1529, avaient rétabli, par le traité de Cambrai, la paix en Europe. Les réponses dans le genre facétieux, à la question ainsi formulée: ‘Quelle est au monde la nation qui montre le plus de folie’ roulèrent presque toutes sur les moines et les prêtres. Axel proposa les ivrognes; Caprycke et Nieuwkerke vantèrent les amoureux; Menin donna la préférence aux présomptueux. Rien d'étonnant si le débit de ces refrains turbulents fut prohibé, à l'arrivée du duc d'Albe. Plus que les moralités, elles renferment les doctrines hardies de la Réforme, quant aux institutions du culte catholique, et leur effet a dû être d'autant plus incisif, que l'ironie et le sarcasme s'y mêlaient généralement. Thielt et Loo s'attaquèrent aux pèlerinages, en ces termes: De sulke nu in peregrinaghe loopen,
Al een hondert mylkens uut haren lande,
't Huis latende wyf en kinderen by hoopen,
Die gheen gelt hebben om broot te koopen;
Men heeft er wyser geleit te bande.
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So 't heidensch volck te Rome knielen gaet
Naer't capitolium, in benautheit snel,
Tot d'afgoden, niet om der zielen raet,
Maer tegen tanden, oogen of hielen quaet,
Clieren, builen of spaensche crankte fel,
Of die van Gode hebben faute el,
Om ryke te werden, ook dat de koyen vet
Souden melck geven in de vaute wel,
Ende dat de vruchten souden groeyen bet.
Sulck synen afgod siet men moyen net,
Die plage der beesten voor oogen vreest;
Dus siet elc, dier op met vermoyen let,
Dat d'afgodisten sotheit toogen meest.
‘Ceux-là vont maintenant en pèlerinage, à cent lieues de leur pays, laissant chez eux femmes et enfants, en grand nombre, sans le moindre argent pour acheter du pain. On en a enfermé de plus sages. Pareils aux païens de Rome qui, dans la détresse, vont s'agenouiller au Capitole devant les idoles, ils cheminent, non pour le bien de leur âme, mais pour guérir le mal de dents, d'yeux, de talons; pour être délivré des glandes, tumeurs, syphilis et autres maux; pour devenir riches, pour avoir de bonnes vaches laitières et des fruits abondants; pour conjurer l'épizootie. Tel est ce culte de l'idolâtrie. Maintenant, les idolâtres ne sont-ils point les plus grands fous de la terre?’ Leffinghe et Axel blâmèrent les moeurs du clergé. Entre autres passages de leur philippique, voici ceux que nous croyons devoir reproduire: Qualyc kent men een priester, op strate vry,
Voor een weerlyke; so moet hy gecleet gaen:
Een huicxken aen 't lyf, cort van baten, fy!
't Mes aen de side hangt daer gereet aen;
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Van hooghen prelaten dient niet geseit hoe
Dat se sotheit tooghen den gemeenen loop;
't Sot bedryf geven sy haer digniteit toe,
Dat syt doen mogen voor den cleenen hoop;
Dus leggen si den simpelen aen de beenen den knoop,
Daer si over vallen, 't dient niet verswegen.
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In 't toogen van sulcx noit en was ghehoort,
Als dolende geleerde stellen voort;
Sy ons soberheit onderwysen,
En sy drinken daghelycx al versmoort,
Leerende paeys, en maken selfs discoort.
Oock seggen sy: schout 's overspels afgrysen,
Nochtans sy selve loopen en bysen
Met vrouwen, alsoo men dagelycs siet;
Sy leeren ons den armen spysen,
Selve en gheven sy een myte niet.
‘A peine distingue-t-on dans les rues un prêtre d'un laïc; tel est son costume: un petit justaucorps médiocrement rectifié; fi donc! le poignard, tout aiguisé, pend au côté... Des hauts prélats, il ne convient point de raconter les folies habituelles. Ils s'imaginent que la folie constitue un privilége de leur état et qu'ils peuvent l'exercer en petit comité. En conséquence, ils jettent le lacet aux pieds des simples et les culbutent. Ceci mérite divulgation... Pareils actes sont inouïs. Ils taxent d'erreur ceux qui savent quelque chose. Ils nous enseignent la sobriété, et ils s'adonnent journellement aux libations copieuses. Ils prêchent la paix et fomentent la discorde. Ils disent aussi: fuyez l'adultère, et ils courent avec des femmes, au vu et au su de tout le monde. Ils veulent que nous secourions les pauvres, et eux-mêmes ne donnent pas une mite.’ Messines et Nieuwkerke prirent pour objectif les indulgences, les anniversaires et les obits. Les vers suivants, empruntés à la pièce des Messinois, méritent d'être signalés: Ic wilde coopen, maer ic en hebbe niet
Daer ic mede soude doen payment.
Ware 't rycdom van haven in mi present,
So mocht ic brieven van pardoenen coopen,
Uutvaerden, jaergetyden stichten by hoopen,
Om daer dore te sine uut purgacie.
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‘Je veux acheter de quoi m'absoudre, mais je ne possède rien. Si je possédais des richesses, je pourrais me procurer des lettres de pardon; je ferais faire des anniversaires, des obits en masse, pour être délivré du purgatoire.’ La sortie des confrères de Nieuwkerke ne fut pas moins violente: Och, lieve vriendt, wilt noch ontbinden;
Sal ick dan ter werelt, in gheenen hoecken,
Pardoenen, noch aflaet van sonden soeken,
Dan alleen in Christum, en nieuwers el?
‘Ah! cher ami, daignez me délier. Chercherai-je icibas, dans des coins, la rémission de mes péchés, ou faut-il la demander à Dieu seul, à l'exclusion de tout autre intermédiaire?’ Au point de vue littéraire, ces refrains n'ont, à la vérité, qu'une minime importance, mais ils nous initient profondément aux opinions du peuple et nous montrent les modifications que subissaient, dans son esprit, les croyances religieuses, modifications qui préparèrent lentement les événements sanglants, les luttes héroïques de la Réforme. Ces refrains, de même que les moralités, ont été imprimés avec les blasons des dix-neuf chambres qui ont participé à la fète de 1539Ga naar voetnoot(1). On verra plus loin, à leur place respective, ceux qui se rapportent aux sociétés rurales. | |
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Ces satires, où l'ironie se mélait aux plus hardies argumentations du libre examen, rendirent aux réformateurs les mêmes services que la chanson et le pamphlet. Elles éveillèrent la soupçonneuse inquiétude de Philippe II. Un édit de 1559 établit régulièrement la censure et défendit de jouer publiquement la comédie sans la permission de l'autorité. Déjà la censure avait atteint, entre autres, une société du village de Burst, au pays d'Alost, qui avait joué, au mois de juin 1543, une pièce composée par un patricien de Gand, nommé Jean Van Uutenhove. L'ouvrage fut déclaré ‘erronieux’ ou ‘sentant la nouvelle secte,’ d'après une requête pressante du frère de l'écrivain adressée au Conseil de Flandre, Nicolas Van Uutenhove, licencié en droits; et l'auteur fut banni et privé de tous ses fiefsGa naar voetnoot(1). Au milieu de cette époque de suspicions et de rigueurs, une exception eut lieu en faveur de la ville de Courtrai, qui fut autorisée à donner, en 1560, une fête rhétoricale à laquelle prirent successivement part les sociétés de Wervick, Audenarde, Roulers, Menin, Ypres, Bailleul, Warneton, Gand, Poperinghe, StadenGa naar voetnoot(2), Steenwercke, NieuwkerkeGa naar voetnoot(3) et HalewynGa naar voetnoot(4). Mais, veut-on connaître le répertoire dramatique des braves amateurs courtraisiens, à | |
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l'année précitée? Qu'on lise, ci-dessous, la nomenclature inédite des pièces qui furent jouées pendant l'octave de la Fête-Dieu; on y verra à quel prix l'autorisation d'une scène publique leur fut octroyéeGa naar voetnoot(1). Pour la première fois, apparemment, des associations dramatiques du plat pays paraissaient à une fête gantoise, car, en 1497, aucune, que nous sachions, n'a répondu à l'invitation qui fut adressée à toutes les gildes de la Flandre, pour le tir solennel organisé par la société de Saint-George à Gand. La charte de convocation se sert, à cette occasion, d'un terme qui confirme ce que nous disions plus haut, touchant l'embarras qu'éprouvaient les sociétés des villes à se trouver en contact avec les gildes rurales. Aucune grossièreté honteuse, dorpenheitGa naar voetnoot(2) n'entachera, dit-elle, les | |
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ébattements que donneront les campagnards au roi de la gilde de Saint-George. Les représentations villageoises avaient donc un cachet particulier, que parfois le goût et la morale réprouvaient, mais qui formait une originalité sui generis, dont il convient de tenir compte. Le xvie siècle porta un coup mortel aux sociétés de rhétorique, et précipita la décadence des cités industrielles. Le caractère national surtout reçut de notables atteintes. ‘Albert et Isabelle, dit de Reiffenberg, eurent la mission d'énerver, d'abâtardir, d'aplatir la Belgique. On extirpa tout doucement ses habitudes démocratiques. Les archiducs couvrirent le pays d'anoblis, de moines et de religieuses. Le commerce s'anéantit peu à peu, et la propriété foncière se vengea en sournoise des humiliations que lui avait fait longtemps essuyer l'opulence mercantile.’ L'industrie qui fuyait les villes, se rejeta dans les campagnes, et, grâce à l'extension que prit, comme par enchantement, le commerce des dentelles et surtout des toiles en Flandre, les campagnes ne présentèrent bientôt qu'un immense réseau de métiers en activité. ‘Ce qui doit nous confondre, remarque M. Briavoine, c'est qu'en observant séparément les campagnes et les villes, le raisonnement nous indiquerait que, de toutes ces invasions, de tous ces grands conflits, les campagnes durent avoir beaucoup plus à souffrir que les villes; mais les faits nous apprennent que la dépopulation, dans les temps des plus grands revers, pesa plutôt sur les villes; que la prospérité, lorsqu'elle commença à renaître, reparut d'abord dans les campagnes. Sous le règne de Marie-Thérèse, le fait est manifeste: ce sont surtout les habitants des campagnes qui furent heureux.’ | |
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Cette assertion est confirmée, en ce qui concerne le pays flamand, par de Saint-Martin, auteur d'un Voyage en Flandre, publié en 1661: ‘On peut dire, écrit-il, que la Flandre n'est qu'une grande ville... Les villages y sont fort fréquents et si peuplez, qu'ils semblent estre des villes.’ C'est presque mot par mot le jugement porté par Van Vaernewyck, un siècle et demi plus tôt. Notez qu'une sanglante révolution avait surgi entre ces deux appréciations élogieuses. Malgré l'expatriation d'un grand nombre de rhétoriciens, la plupart réfugiés en Hollande, le théâtre se releva peu à peu, mais en modifiant son caractère. Et si l'autorité se relâcha de ses rigueurs envers les sociétés de rhétorique, ce ne fut qu'en remettant entre les mains du clergé ce redoutable instrument de son ancienne influence. Les représentations dramatiques devinrent particulières aux maisons d'éducation dirigées par des ecclésiastiques. Pas une ville qui ne possédât un collége de jésuites, d'oratoriens, d'augustins, et conséquemment un théâtre permanent où leurs élèves se livraient à des exercices déclamatoires qui comprenaient toute une action dramatique, avec costumes, décors et autres accessoires, voire même avec des ballets allégoriques, à l'instar des théâtres municipaux. Entre ces diverses corporations enseignantes, une lutte d'intérêt s'établit. Des programmes ronflants où apparaissaient les blasons pompeux de leurs protecteurs respectifs, circulaient en masse dans le public. Ils s'adressaient surtout aux families aisées, dont il importait principalement de captiver la bienveillance. Dans ces représentations, on le devine, les sujets mythologiques usurpaient une part plus importante que les glorieux souvenirs de notre histoire. Les pieux auteurs recou- | |
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raient au Deus ex machinâ, en le faisant intervenir d'une manière tout à fait burlesque. On lit, entre autres, sur le programme d'une Fête du Parnasse célébrée à l'honneur de Mgr François de Vaulabelle, évêque de Saint-Omer, par les écoliers de la Compagnie de Jésus, en 1700 onze, cette annonce incroyable: ‘Lange de l'église de Saint-Omer dansera des ballets.’ Et l'ange de l'église de Saint-Omer de gambader à la fin de chaque partie du drame symbolique, comme un vrai fils de Terpsichore. Ce qui se passait à Saint-Omer avait cours partout. Au lieu de se complaire dans de grotesques exhibitions, quelle mine inépuisable n'eût-on pas rencontrée dans les annales guerrières et artistiques du pays? La peinture des sanglantes catastrophes qui affligèrent nos contrées, offrait, pour le drame, des épisodes du genre le plus attachant. La comédie anecdotique, on l'eût puisée dans la vie de nos différentes illustrations artistiques, source de péripéties aussi originales que piquantes. Puis nos fêtes champêtres, nos pittoresques kermesses, nos fabliaux, nos revenants, nos géants, nos dragons merveilleux offraient mille ressources variées à la verve et à l'imagination des auteurs. Enfin, nos travers, nos manies, notre vie domestique et notre vie du dehors formaient des éléments précieux dont un peintre de moeurs habile eût su tirer le meilleur parti, en les mettant en opposition avec ceux des autres nations. Ce programme, on s'obstinait à ne point vouloir le suivre, et tout ce qui se débitait sur les scènes de collége, portait un caractère de faiblesse et de mauvais goût qu'on s'étonne de rencontrer dans des établissements où l'étude | |
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des anciens maîtres était en vigueur. Ce n'était plus qu'un pâle reflet des vieilles sociétés flamingantes. Dans les localités rurales les plus obscures, la loi avait fait un devoir au clergé de pourvoir à l'instruction des classes inférieures. Le théâtre s'y releva de ses ruines, en prenant un caractère exclusivement religieux et en se soumettant aux plus rigides règlements. Pour mieux parvenir à discipliner les campagnards, le clergé s'ingénia à fondre les confréries pieuses dans les gildes rhétoricales. Les associations placées sous l'invocation du Saint-Sacrement, de Notre-Dame du Rosaire, de Notre-Dame des Sept Douleurs, etc., admirent dans leur sein les débris des anciennes institutions littéraires, et, en faisant cause commune avec ces nouveaux adeptes, elles les tinrent plus facilement en bride. C'est ainsi que, en 1698, le village de Houthem près de Furnes, et, en 1699, ceux de Wulveringhem et de Rousbrugge-Haringhe, reçurent leur existence légale, c'est-à-dire l'octroi de leur règlementGa naar voetnoot(1). Alveringhem redonne signe de vie en 1673. Elversele reparait en 1611, et Waesmunster en 1614. Oostdunkerke, Steenkerke, Avecapelle, Wulpen, Bulscamp et Adinkerke, sont représentés en 1620, et plusieurs années suivantes, à la procession de FurnesGa naar voetnoot(2), soit par des sociétés de rhétorique, soit par des gildes de tir, souvent par les deux ensemble. Wetteren qui excellait, paraît-il, dans l'art de la rhétorique, et qui a possédé, dès le xvie siècle, une société florissante que les comptes de l'église mentionnent notamment en 1592, donne, lors de la sortie de son cortége, en 1664, diverses pièces défrayées en partie par l'autorité communale. Annuellement, cette société concourait à | |
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embellir la procession locale du Saint-SacrementGa naar voetnoot(1). Eggewaerscappelle voit reconstituer solennellement sa gilde littéraire en 1680Ga naar voetnoot(2). Aelbeke célèbre, par une pièce ad hoc, le rétablissement de la paix signée à Ryswyck en 1698. L'année suivante, Isenberghe et Oostvleteren se livrent à de joyeux ébats scéniques. Voilà les seules dates que nous ayons pu exhumer sur cette époque néfaste. Quelle différence avec les bourgades hollandaises, qui, vers la fin du xviie siècle, se livraient sur tous les points du pays, avec une extrême ardeur, à la culture des belleslettres, comme l'atteste le poëte Pels, auteur d'une poétique néerlandaise, publiée en 1677! Partout, dit-il, en parlant de la manie particulière aux rhétoriciens néerlandais de faire de petites pièces farcies de jeux de mots puérils et justement eondamnés par le législateur du Parnasse flamand, Casteleyn, partout les campagnards s'adonnent vaillamment à ce genre de versification et se provoquent à des concours publics. Citons: In wier verscheidenheid bestond het groost sieraad,
Als retrograden en balladen intrikaat,
Met rikkerakken, en sonnetten, en simpletten,
Ook bagenauwen, en kreefdichten, en doebletten,
En kokerullen, daar de boeren nu ter tyd
Zich hier in 't land sterk in oeffenen om stryd.
Tout n'était pas pourtant sujet d'admiration chez eux, et bien des désordres signalèrent leurs représentations. En 1661, le village de Lier exhiba, pendant la kermesse, des pièces où la morale et le culte furent indignement foulés aux pieds, et qui amenèrent des excès de tout genre, au grand scandale des honnêtes gens de la localité. Peu de temps après, à Schipluiden, autre village hol- | |
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landais, les représentations furent prohibées par l'autorité, de peur que les mêmes abus ne se renouvelassent. Partout il fut résolu qu'aux moindres plaintes qui parviendraient aux baillis des communes rurales, où des exhibitions théâtrales avaient lieu, ceux-ci auraient le droit de dissoudre immédiatement la société. Ces précautions eurent un heureux résultat. On possède les réponses de treize chambres villageoises, publiées par la Laurierspruit d'Hondsholredyk, en 1671. Sept chambres envoyèrent leur solution au Pynappelboom de Pynacker, en 1676. Autant d'associations firent leur entrée solennelle, quatre ansplus tard, à Katwyk près du Rhin, sur l'invitation des Korenairen de cette commune. En 1684, la dubbel Hofbloem de Bleiswyk, lança une question dont les solutions ont vu le jour. Enfin, en la même année, la Rosemaryn répondit à l'appel que lui adressèrent les rhétoriciens de SchipluidenGa naar voetnoot(1). Le 16 mai 1601, un édit sévère des archiducs avait été promulgué, portant interdiction de toutes les pièces dramatiques et poétiques relatives à la religionGa naar voetnoot(2). Les pièces revêtues de l'approbation ecclésiastique et civile, étaient les seules qui échappassent au décret. Un arbitraire incroyable régnait dans l'octroi des permissions. Nous avons publié, dans l'EendrachtGa naar voetnoot(3), une charte inédite de la chambre du Saint-Esprit à Bruges, adressée à toutes | |
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les associations rhétoricales du pays, à l'occasion du deuxcentième anniversaire de sa fondation, et les conviant, le 22 juillet 1628, à un grand landjuweel. Rien de plus innocent, au fond, que cette convocation fraternelle. Aussi la sanction du clergé et du magistrat de Bruges ne se fit-elle point attendre. Il n'en fut point ainsi en haut lieu, et, d'une part, l'archevêque de Malines trouva le landjuweel ‘extrêmement mauvais et dangereux,’ et, d'autre part, le souverain le jugea ‘de très-mauvaise édification, mesme en cette conjoncture de temps.’ A quelle conjoncture est-il fait allusion? Un peu plus de clarté n'eût pas nui sans doute à l'intelligence de cet incroyable manifeste. Dans ce landjuweel, les communes rurales ne furent point oubliées, témoin l'extrait suivant de la charte: Tweewerf acht in 't getal elc camer wesen moet;
Maer om te wesen meer, wilt neerstigheyt bewysen.
Wie hier in vooren gaet sal winnen schoone prysen,
Soo hier geteeckent staen. Ons meyninghe versint:
Een dorp dat overtreft een stadt, den besten wint.
Le découragement fut le résultat de ces rigueurs excessives. Aux rares associations, citées plus haut, ajoutons celle de Lebbeke qui organisa, dans la première moitié du xvie siècle, des représentations à cheval, outre celles qui avaient lieu sur la scène: ‘Opwyck avoisine Lebbeke, dont les habitants tiennent association de rhétorique. Annuellement, ils donnent diverses représentations à cheval ou sur un tréteau, au grand amusement des auditeurs. Les pièces sont en versGa naar voetnoot(1).’ | |
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Moestertius parle de ces représentations, comme étant particulières à la localité. Il décrit plus de vingt villages, et c'est à Lebbeke seul qu'il constate ce goût des exhibitions dramatiques. Il est vraisemblable que s'il eût vu le même fait se reproduire ailleurs, il n'eût pas manqué de le signaler. Moestertius écrivit son livre vers 1646. Ce qu'il faut admirer dans ces exercices si futiles au point de vue littéraire, c'est qu'au moment où l'esprit français se faisait jour sur tous les points du pays, et que les continuelles occupations de nos contrées par les armées de France propageaient la langue de ce pays parmi les classes moyennes, la langue flamande, en véritable gardienne du caractère national, se réfugia dans les cercles dramatiques, et conserva, bien que défigurée par un mélange disparate d'idiomes et de dialectes, son antique prépondérance dans le peuple de Flandre, si difficile à séduire par les nouveautés. Le clergé favorisa ces tendances. M. Diegerick résume ainsi, d'après les registres de la société-mère Alpha en Oméga d'Ypres, les alternatives de succès et de revers que les chambres de la West-Flandre éprouvèrent, à la suite des rigueurs exercées contre elles, pendant les événements du xvie siècle: ‘Les chambres furent surveillées par l'autorité, et, en 1559, la représentation des moralités fut défendue, à moins que les pièces n'eussent été au préalable examinées et approuvées par le clergé et les magistrats de la ville ou de la localité où la représentation devait avoir lieu. En 1566, ces sociétés chômèrent entièrement par suite des circonstances, et enfin, après l'arrivée du duc d'Albe, elles furent entièrement suppriméesGa naar voetnoot(1). | |
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Vers l'an 1593, les chambres de la West-Flandre semblèrent vouloir reprendre leurs travaux. Le gouvernement en prit ombrage et écrivit à l'évêque d'Ypres qu'il n'entendait en aucune façon permettre l'introduction de ces sociétés dans son diocèse, mais qu'au contraire, il le requérait de tenir une main ferme pour y mettre empêchement; de faire cesser celles qui avaient repris leurs travaux, et de faire punir exemplairement ceux qui contreviendraient à cette défense. Il s'adressa en même temps aux échevins d'Ypres pour leur faire les mêmes recommandations, et leur ordonner de prêter, au besoin, la main à l'évêque pour empêcher de semblables exercices. Ces défenses furent renouvelées en 1597 et en 1601; mais en 1616, la société-mère d'Ypres se reconstitua, et commença un nouveau registre de délibérations. Elle ne fit que languir jusqu'en 1624, époque à laquelle elle cessa de nouveau ses travaux pour ne les reprendre qu'en 1660. Il est probable que les diverses sociétés du West-Quartier éprouvèrent les mêmes vicissitudes que la société-mère, car nous n'avons trouvé aucun renseignement, aucune requête concernant ces sociétés pendant les années de stagnation. Ce fut done le 16 juin 1660 que la société Alpha en Oméga reprit ses travaux. Trois ans plus tard, la confrérie de StrazeeleGa naar voetnoot(1) demanda et obtint des lettres d'installation; elle avait eu soin, conformément à l'ordonnance de 1559, dont nous avons parlé plus haut, de joindre à sa requête un certificat des autorités de ce village, et affirma en outre que depuis plus d'un siècle une société de rhétorique avait existé à Strazeele. Elle portait sur son blason: Notre-Dame | |
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d'Halsemberghe, et avait pris pour devise: Cleendaedig bescheet. La reprise des travaux d'Alpha en Oméga ne dura que quatre ans. En 1664, ils sont de nouveau suspendus jusqu'en 1691. Le 23 mars de cette année, elle cherche à se réorganiser, mais ne se réunit qu'une seule fois dans cette année et une seule fois dans le courant de l'année 1692; puis elle s'endort jusqu'en 1698. Le 23 mars 1698, elle se réveille, accorde quelques diplômes, mais ne nous fournit aucun renseignement concernant les chambres de la Flandre maritime; elle végète ainsi jusqu'en 1704 et tombe de nouveau pour ne se relever qu'en 1714. On le voit, ce n'est plus cette société-mère qui donne la vie et le mouvement à tout ce qui l'entoure, qui exerce une surveillance active sur ses enfants, qui les guide, qui les maintient dans la bonne voie. C'est un corps usé qui ne donne plus signe de vie que par quelques mouvements convulsifs. Mais lorsqu'en 1714, à la suite de la convention de Rastadt, la ville d'Ypres fut replacée sous le sceptre de Marie-Thérèse, la chambre yproise se redressa, reprit une partie de son ancienne vigueur et continua à marcher jusqu'en 1751Ga naar voetnoot(1).’ Il en fut de même dans les autres parties de la Flandre. Le mouvement devient général au xviiie siècle. Abordonsle en détail, sous toutes ses faces, en commençant par l'imprésario nomade, qui en est l'âme et la figure la plus caractéristique. |
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