Boileau en Hollande
(1929)–H.J.A.M. Stein– Auteursrecht onbekendEssai sur son influence aux XVIIe et XVIIIe siècles
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Chapitre VII
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Guarini, et ses compatriotes Rapin et Bouhours n'avaient guère été plus tendres pour les auteurs de la Péninsule. En 1680 Menzini pare, dans son Arte poetica, les critiques de Boileau; la même année, le Florentin Anton Maria Salvini traduit, du moins en partie, l'Art Poétique du poète français. Les éditions françaises des oeuvres de Boileau, publiées en Italie sont peu nombreuses; il n'y en a eu que deux des oeuvres complètes (1814 et 1867), deux de l'Art Poétique (1823 et 1884) et une des Réflexions sur Longin (1733). Faisons remarquer que toutes ces éditions sont, à l'exception de la dernière de Longin, du XIXe siècle, donc bien postérieures à la période que nous étudions et qui va de 1680 à 1750. M. Maugain nous donne (p. 53) la liste suivante des versions italiennes de Boileau: quatre traductions différentes du Discours au Roi; cinq des douze Satires; trois de Satires isolées; quatre des douze Epîtres; deux de l'Art Poétique; cinq du Lutrin; une des Vers à mettre sous le buste du Roi; une de l'Ode sur la prise de Namur. Presque toutes ces traductions, dont le nombre est assez considérable, ont été faites entre 1772 en 1863. M. Maugain n'a trouvé que deux traductions de l'Art Poétique, une de la main d'Anton Maria Salvini, version incomplète et sans date qui n'a jamais été publiéeGa naar voetnoot1); l'autre de Antonio Buttura, date de 1806, et est donc aussi du XIXe siècle. Les attaques auxquelles les auteurs italiens avaient été en butte à la fin du XVIIe siècle n'étaient pas restées inconnues en Italie. Au commencement du XVIIIe siècle Orsi et Muratori ripostèrent aux griefs de Boileau; le premier croyait que le critique français avait voulu plaisanter seulement, le second attribuait ses attaques à un mouvement de jalousie à l'égard de poètes qui surpassaient les Français de toute la hauteur de leur génie. L'abbé Antonio Conti et Paolo Beni reprochaient à Boileau d'avoir condamné le Tasse pour | |
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quelques petites taches disséminées dans ses poèmes. L'abbé Antonini croyait à son tour à une mesquine jalousie et Giuseppe Baretti à un préjugé. Tous reconnaissaient d'un commun accord qu'on avait tort de juger l'ensemble des poètes de la Péninsule d'après Marino et son école. Les Italiens ne se contentèrent pas de protester contre le mal que Boileau leur avait fait; ils s'attaquèrent à leur tour à ses doctrines. Muratori trouvait absurde le culte de Boileau pour les anciens; à son avis, cette admiration aveugle et excessive nuisait aux propres compatriotes. Orsi, Pierjacopo Martello, Algarotti, Zanotti défendaient Ronsard contre Boileau. Du reste Ronsard n'était-il pas presque Italien luimême dans sa qualité de chef de l'école italianisante? Les commentaires qui accompagnent l'éloge de Ronsard en Italie, expliquent assez pourquoi une sympathie vive et constante se tournait vers lui dans le premier tiers du settecento. Son nom figurait sur la dure liste française de proscription où se lisaient ceux de Pétrarque, de l'Arioste, du Tasse. Sa cause était donc celle des Italiens. Il passait pour le plus illustre représentant français de la seule culture jugée, en Italie, vraiment légitime et classique: culture dont les maîtres s'appellent, par exemple, Pindare et Horace d'une part, Pétrarque et Chiabrera de l'autre, ces deux derniers d'ailleurs, étant considérés simplement comme les plus habiles imitateurs des anciens, - culture dont les Français, disait-on alors en Italie, ont perdu le vrai sens. On eût mieux fait de noter qu'ils ne la concevaient pas comme les ItaliensGa naar voetnoot1). On défendait également Crébillon et Quinault, qui représentaient le genre si éminemment italien de l'Opéra. On ne défendait donc pas seulement des Italiens contre Boileau, mais même les victimes françaises. En même temps on contestait plusieurs points de sa doctrine: Manzoni critique la règle des trois unités, Antonio Conti rompt dans le passage | |
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suivant une lance pour le merveilleux chrétien: ‘Si j'ai le talent de représenter Dieu, les Anges et les Démons, avec leur dignité, comme ont fait le Tasse, et Milton; n'est-il pas vrai que je pourrai me moquer de toutes les critiques des Iconoclastes? Les catholiques les plus zélez et les protestans les plus fiers ont adopté les anges et les démons dans leurs poésies. Les Conciles et les papes ne les ont jamais excomuniez. Laissez-les donc en repos et n'ayez pas peur de profaner la Religion en les emploiantGa naar voetnoot1)’. Algarotti et l'abbé Aurelio Bertola critiquaient la dixième Satire, écrite contre les femmes. Quant au Lutrin, on lui préférait toujours soit la Secchia rapita de Tassoni, soit The Rape of the Lock de Pope, soit le Giorno de Parini. L'Art Poétique de Boileau était en général traité avec considération. M. Maugain n'a trouvé qu'un seul Italien qui en parlât avec dédain, c'est Ugo Foscolo, qui embrassait dans un commun mépris tous ceux qui se posaient en arbitres des ouvrages d'autrui. Cesare Cantu reprochait à Boileau de manquer de sentiment et d'émotion. Si, comme nous venons de le voir, notre poète français a eu ses détracteurs en Italie, il y a eu aussi ses admirateurs. Selon Orsi, sa satire surpassait celle d'Horace, de Perse et de Juvénal; Muratori le considérait comme l'émule d'Horace. Martello et Quadrio faisaient à l'Art Poétique un accueil favorable; Buttura le traduisait en italien et le nommait le monument littéraire peut-être le plus parfait que vante la France; Manzoni, malgré ses attaques contre les trois unités, qui fournirent des armes à Victor Hugo, proposait d'en introduire la traduction italienne dans tous les lycées. Alfredo Galletti était d'avis que les idées de Boileau n'étaient pas tout à fait originales, mais qu'il avait trouvé la formule saisissante qui les gravait dans les esprits: ‘Egli ha scritto i versi dorati della critica classica’Ga naar voetnoot2). | |
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Les Italiens ont plus d'une fois reconnu la valeur artistique de Boileau, tout en le critiquant sur des points de détail. C'est la critique française du dernier tiers du XVIIe siècle qui a mis l'alarme au camp chez eux. Les Italiens, poussés par une espèce de patriotisme littéraire, fondèrent entre autres le Giornale de letterati d'Italia pour la défense des ouvrages italiens. Malgré le conseil de Menzini de ne pas recourir à la direction de Boileau, on lit l'Art Poétique en français. Quand on veut prononcer un arrêt contre le merveilleux chrétien, le roman doucereux, les infractions à la règle des unités, c'est à Boileau qu'on en demande la formule, ce qui prouve qu'on le connaît et que son nom est capable d'impressionner l'adversaire. M. Maugain a signalé dans Muratori, Quadrio, Bisso des emprunts faits au Discours sur l'Ode et aux Réflexions sur Longin. Muratori dans sa Perfetta Poesia songeait presque toujours à l'Art Poétique de Boileau. Il hésite seulement dans la question du merveilleux chrétien qu'il n'ose pas tout à fait condamner. Il exalte le bon sens, veut la règle des trois unités et condamne les pointes, en nommant Boileau le modèle à suivreGa naar voetnoot1). On peut voir dans la Perfetta Poesia de Muratori un équivalent italien de l'Art Poétique de Boileau. Gian-Vincenzo Gravina paraît avoir été lui aussi un disciple de Boileau, dont il partage les idées sur la souveraineté de la raison, idée qui du reste était commune à tous les cartésiens. Mais il va plus loin que le critique français, admet entre autres au théâtre des sujets sacrésGa naar voetnoot2), et préfère aux expositions savantes du poète français des expositions partielles, successives. Il veut plus de réalisme au théâtre et y donne une place secondaire à l'amour. Ce que Gravina et Muratori ont encore de commun avec Boileau, c'est qu'ils mêlent à leurs préceptes des critiques à l'adresse d'auteurs contemporains et vivants. | |
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Bettinelli déclare devoir à Boileau sa façon de ‘piquer sans déchirer’. L'idéal des auteurs tragiques du XVIIIe siècle en Italie paraît avoir été à peu près celui de Boileau. Pour cette partie de son étude M. Maugain renvoie au livre de Bertana Il teatro tragico italiano del sec XVIII. Pourtant il sera toujours difficile de savoir à quel point les auteurs tragiques ont puisé dans l'Art Poétique d'autant plus qu'ils trouvèrent toute la doctrine française réalisée dans les pièces de Corneille, de Racine et de Voltaire. M. Maugain arrive donc à la même conclusion que M. Lanson dans son Boileau, à savoir que l'influence qu'on lui attribue est plutôt la victoire d'une école tout entière, celle du goût français, dont il fut le porte-drapeau. La popularité de Boileau en Italie a été le plus grande à la fin du XVIIIe et dans la première moitié du XIXe siècle, lorsque le poète français était déjà oublié chez nous. Son rôle s'est manifesté d'une façon indirecte: ses critiques ont réveillé les Italiens de la torpeur où les avaient plongés Marino et son école. Voici en quels termes M. Maugain termine son étude sur l'influence de Boileau en Italie: ‘Sans doute, on ne peut prétendre que la fortune de Boileau en Italie ait été éclatante, même à l'époque où on en trouve le plus de traces, même au XVIIIe siècle. On ne saurait la comparer à celle de Corneille, Racine, Fénelon, Bossuet, Voltaire, dont certaines oeuvres, de bonne heure traduites en italien, furent jadis - et, pour Fénelon, on peut dire sont encore - constamment lues, méditées, imitées, discutées, admirées dans la Péninsule. Une histoire des lettres françaises en Italie ferait donc à Boileau une place plus modeste qu'à ces cinq écrivains; elle ne devrait pas moins lui consacrer un important chapitre. Puissionsnous en avoir fourni les principaux éléments’Ga naar voetnoot1). Si nous dressons le bilan des recherches faites par M. Maugain, il faut bien reconnaître que Boileau est loin d'avoir exercé en Italie une influence prépondérante et générale; elle y est plutôt indécise et indirecte. | |
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En Hollande nous voyons la même chose: l'influence d'un roman, d'une tragédie, d'une comédie y est plus grande que celle d'un traité théorique, qui n'intéresse qu'un petit groupe de lecteurs, savoir ceux qui ont besoin d'étayer leurs propres idées sur l'autorité d'un maître. M. Bauwens nous a montré dans sa thèseGa naar voetnoot1) que Corneille a été plus influent que Boileau; on peut en dire autant de Racine qui a partagé la popularité de Corneille; l'influence de Fénelon en Hollande a été étudiée par M. MartinGa naar voetnoot2); depuis la parution de son livre nous connaissons la grande vogue dont a joui chez nous le Télémaque. Le rôle que les oeuvres de Voltaire ont joué en Hollande a fait le sujet de travaux intéressantsGa naar voetnoot3). On n'admire pas seulement les coryphées de la littérature française, on aime tout aussi bien les moindres dieux du Parnasse français, et on peut se demander avec M.K.R. GallasGa naar voetnoot4) pourquoi beaucoup de Hollandais ont eu de tout temps cette admiration des choses françaises. ‘C'est peut-être plus fort que nous, dit-il, cet engouement. Le coeur a ses raisons.... Il en est de même des admirations et des affections entre les peuples. Instinctivement nous allons souvent aux Français, parce que nous trouvons en eux un complément et un contrepoids à notre moi national....’ Les nombreuses données bibliographiques que nous fournit l'article de M. Gallas montrent avec une grande évidence qu'à partir du moyen âge la Hollande n'a pas cessé de subir les influences françaises. Mais pourquoi réduire l'influence de l'esprit français à celle d'un seul auteur? | |
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En Espagne l'influence de Boileau ne paraît pas avoir été beaucoup plus grande qu'en Italie. Menendez y Pelayo, dans son Historia de las ideas estéticas en EspañaGa naar voetnoot1) nous apprend que c'est en 1770 seulement que parut une première traduction espagnole du Traité du Sublime de Longin. La traduction, qui passait pour très médiocre, portait le nom de Perez Valderrabano, professeur à Palence, mais il est très probable que le véritable auteur était D. Domingo Largo, chanoine à Palence, un homme qui prenait la liberté d'emprunter de temps en temps le nom de Valderrabano, qui était un de ses amis, pour publier entre autres son affreux poème Angelomaquia ó caida de Luzbel. L'ouvrage de Largo n'a pas été fait d'après l'original, mais il s'est servi de la traduction française de Boileau. Du reste Largo reconnaît lui-même ne pas avoir vu le texte grec avant d'avoir achevé sa tâche. Plus tard il dit avoir revu et remanié sa traduction en se servant du texte original. Cette assertion est sujette à caution, s'il est vrai que les deux traductions, c.-à-d. celle de Largo et celle de Boileau, se ressemblent à tel point qu'on y retrouve jusqu'aux mêmes erreurs. En 1803 D. Augustín García de Arrieta traduit à son tour le Traité du Sublime de Boileau. Sa traduction, qui fourmille de barbarismes, paraît avoir été encore plus insignifiante que celle de Largo, dont il emprunte plusieurs vers. Le Traité du Sublime de Boileau a encore trouvé un troisième traducteur espagnol dans P. Bogiero, qui a publié en 1782 son Tratado de lo sublime que compuso el filósofo Longino, secretario de Zenóbia, reyna de Palmira. Dans le cinquième volume de son histoire littéraire Menendez y Pelayo parle (p. 149-155) du fameux Diario de los Literatos de España, revue trimestrielle de critique littéraire, fondée en 1737 par plusieurs auteurs, parmi lesquels D. José Gerardo de Hervás y Cobo de la Torre, docteur en droit canonique, un homme fortement influencé par la culture | |
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française. Il écrivait ses articles sous un des pseudonymes Jorge Pitillas ou Don Hugo Herrera de Jospedos et était l'auteur d'une Satira contra los malos escritores de su tiempo, un poème où, sans nommer Boileau, il le prenait pour son modèle, comme le faisait déjà présumer le titre de sa satire. Selon Cueto, les vers du poète espagnol étaient fortement influencés par Boileau et tout à fait du même genre. Il est curieux que malgré cette ressemblance l'Espagnol n'ait cité aucun texte français, mais seulement plusieurs passages latins, et de préférence ceux qui se trouvaient dans les éditions critiques des oeuvres de Boileau au bas des pages. Dans son Paralelo de las lenguas castellana y francesa (tome Ier, du Theatro Critico) le père Feijóo s'oppose au purisme affecté tout aussi bien qu'aux idées régnantes sur la ‘nobleza’ du style, et demande qu'on s'exprime d'une manière plus naturelle. Pour lui la différenciation entre le style bas et le style élevé est arbitraire et capricieuse et ne repose sur aucun argument solide. Il s'attaque aux aristarques qui veulent bannir d'un ouvrage sérieux tous les mots et expressions en usage parmi le peuple, à cause de leur origine roturière. Un certain Mayáns ayant attribué le beau style de D. Diego Saavedra au fait qu'il rejetait de son oeuvre les mots vulgaires qui déparaient le Cuento de Cuentos de Quevedo, Feijóo répondit que le style de Saavedra aurait gagné en élégance et en force. si l'auteur avait employé quelques-unes des expressions populaires que condamnait Mayáns. L'Aragonnais Ignacio de Luzán Claraman de Suelves y Gurrea (1702-1754), qui publie en 1728 en italien sa poétique sous le titre de Ragionamenti sopra la Poesia, cite l'Art Poétique de Boileau comme une des sources auxquelles il a puisé. En 1737 il donne de son ouvrage une édition refaite sous le titre La Poetica o Reglas de la Poesia en general, y de sus principales especies. Un des plus fervents adorateurs de Boileau en Espagne, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, était D. Nicolas Fernandez de Moratin. Il jurait par l'autorité du poète français et essayait d'appliquer ses théories dans des | |
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pièces de théâtre. Mais ses contemporains n'appréciaient guère ses tragédies médiocres, la salle de théâtre restait vide et la postérité a oublié l'auteur et son oeuvre. Menendez y Pelayo ne cite pas moins de trois traductions rimées de l'Art Poétique de Boileau, et il n'est pas sûr qu'il n'y en ait pas d'autres, du moins en manuscrit. La première en date, celle de D. Juan Bautista Madramany y Carbonell, de 1787, est accompagnée de notes sur la littérature espagnoleGa naar voetnoot1). Le même auteur a fait aussi une traduction inédite du Lutrin. Vers la même époque le Jésuite mexicain Francisco Xavier Alegre, historien et théologien renommé, qui, pendant le règne de Charles III, s'était réfugié en Espagne, préparait une nouvelle traduction de l'Art Poétique, qu'il n'a pas tout de suite publiée. La publication n'en a eu lieu qu'en 1889, lorsque l'historien mexicain D. Joaquin Garcia Icazbaleeta a fait paraître les Opusculos ineditos latinos y castellanos del P. Francisco Javier Alegre. La traduction du père Alegre est tout à fait adaptée à l'Espagne; il a supprimé tout ce qui se rapporte plus spécialement à la langue, à la versification françaises, de même que toutes les allusions satiriques aux auteurs français, inconnus en Espagne, et il les a remplacés par des exemples espagnols. Il fait l'éloge des poètes de son temps et de son pays et défend vigoureusement Lope de Vega contre Boileau. La troisième traduction de l'Art Poétique, et la plus connue, est celle que le célèbre poète D. Juan Bautista Arriaza a faite pour le Seminario de Nobles à Madrid. Cependant les forts tirages de cette traduction paraissent s'expliquer par la réputation du poète plutôt que par les mérites réels de son ouvrage. En 1791 le plus grand poète lyrique espagnol du XVIIIe siècle, Quintana, publie un poème en tercets sur les Reglas del Drama, où il répète les leçons apprises dans BoileauGa naar voetnoot2). | |
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L'ouvrage a été attaqué par D. José María Blanco, dans une lettre adressée aux éditeurs des Variedades, périodique rédigé par Quintana. Dans cette critique Blanco détermine nettement les limites de l'autorité de Boileau. En 1829 D. Manuel Norberto Pérez del Camino fit imprimer à Burdeos une Poética en six chants, pour laquelle il dit avoir consulté avec fruit Aristote, Horace et d'autres critiques, mais il aurait mieux fait d'ajouter que sa principale source a été Boileau, qu'en maint endroit il traduit textuellement et dont il répète entre autres, en les exagérant, les attaques contre le théâtre espagnol. Cette Poética est restée sans influence, parce qu'on ne la lisait presque pas en Espagne. En 1827 il y a encore eu une Poética de la main de Martinez de la Rosa, un auteur qui se montre également partisan des théories de BoileauGa naar voetnoot1). Voilà à peu près tout ce qu'on trouve mentionné dans Menendez y Pelayo sur l'influence de Boileau en Espagne. Rien sur les satires du poète français, ni sur ses épîtres. Comme nous le voyons, ce n'est pas grand'chose; d'ailleurs c'est à peine si on peut parler d'une prépondérance des idées françaises dans la péninsule ibérienne. Constatons là, comme en Italie, la date tardive des traductions de l'Art Poétique de Boileau. La première est de 1787, époque où, dans les pays du nord, son influence avait déjà fait son temps. Comme nous le voyons, le résultat des recherches dans les pays du midi est plutôt pauvre. Passons maintenant aux pays du nord, à commencer par l'AngleterreGa naar voetnoot2).
Dans ce pays, comme chez nous, les théories littéraires de Boileau ont trouvé moins d'imitateurs que ses oeuvres satiriques. Il y a en Boileau deux hommes, un moraliste et un théoricien littéraire, tous deux doublés d'un satirique. Ce | |
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qu'on appréciait surtout en Hollande, c'était le moraliste, tandis qu'en Angleterre on se sentait en premier lieu attiré par le côté satirique de l'oeuvre du poète français. Ses satires morales n'y étaient pas inconnues, mais elles n'avaient pas la popularité d'un poème comme le Lutrin. Au commencement du XVIIIe siècle les traités théoriques sur des questions de littérature commençaient à s'y répandre; il est donc de toute évidence qu'on aura également pris connaissance de l'Art Poétique de Boileau sans négliger pour cela les traités d'Horace, de Corneille et d'autres. En Angleterre l'autorité littéraire de Boileau n'est pas considérée comme l'arbitre souverain des produits artistiques, comme nous allons le voir. Dans ce pays son ouvrage le plus en vogue et le plus souvent traduit, ce n'est pas l'Art Poétique, mais Le Lutrin, poème qui était pour ainsi dire inconnu en Hollande. Plus loin nous en verrons la cause, pour le moment il suffit de constater qu'il n'y a pas eu moins de cinq traductions différentes de ce poème héorï-comique en Angleterre. Il faut que le sujet ait eu un grand succès d'actualité, puisqu'on y voyait des allusions aux événements contemporains et aux luttes religieuses comme aux questions morales. En Hollande on a traduit les Satires II, IV, V, VII, VIII, X, XI et XII; c'étaient pour la plupart des satires morales; en Angleterre le nombre de ces traductions est moins grand, on n'y a traduit que les Satires II, IV, V et VIII, et en outre la Satire III, sur le repas d'un homme grossier et ridicule. La dernière, qui était inconnue en Hollande, est justement celle qui était le plus populaire en Angleterre. Ce fait s'explique par le genre de satire qu'on cultivait alors dans ce pays; par son caractère réaliste la Satire III était conforme à l'humour anglais. Avec un peu d'exagération on peut dire qu'il y avait dans cette satire du Fallstaff, qu'on y retrouvait les truculentes descriptions shakespeariennes des grandes beuveries gargantuesques. Ici comme pour Le Lutrin le succès s'explique par la conformité du sujet avec le goût des Anglais. En Hollande le succès des satires morales s'explique égale- | |
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ment par la conformité de ces satires avec le goût des protestants qu'une satire comme celle sur le repas ridicule n'intéressait guère. On peut dire que dans ce pays aussi bien qu'en Angleterre les idées et les maximes de Boileau qui ne s'accordaient pas avec les conceptions régnantes restaient inconnues. Comme il y a une différence assez grande entre la mentalité des Hollandais et celle des Anglais, il est tout naturel qu'il y ait dans l'oeuvre de Boileau des parties qui avaient le plus grand succès chez nous, tandis que les Anglais les ignoraient, et inversement. Voyons, en nous servant du beau livre de M. Clark, quel a été le mouvement de l'influence de Boileau en Angleterre. Le savant professeur de l'Université de Victoria nous expliquera en même temps pourquoi tel ouvrage de notre poète a eu plus de succès que tel autre. M. Clark fait remonter ses recherches à 1660 et constate qu'au XVIIe siècle ce sont surtout Oldham et Dryden qui ont subi l'influence de Boileau, que ce dernier cite ‘amongst the French the greatest of this age’Ga naar voetnoot1). Ils admirent la partie satirique de son oeuvre et comblent d'éloges Le Lutrin, ce qui ne les empêche pas de différer d'avis avec Boileau sur bien des questions de détail, notamment sur celle du merveilleux chrétien. L'admiration pour le poète n'impliquait donc pas une soumission aveugle à ses préceptes esthétiques. Du reste il suffit d'être Anglais pour trouver toujours un autre Anglais qui vaille tous les Français: ‘Whatever giant Boileau may be in his own country, he seems little more than a man of straw with my lord Rochester’, dit RymerGa naar voetnoot2), qui pourtant a lui même subi le charme du Lutrin. Ce poème a vraiment été porté aux nues par les Anglais: on le compare au fameux Rape of the Lock de Pope et on en fait le modèle de poèmes analogues. La cause de ce succès, c'est l'applicabilité du Lutrin à l'état social, aux événements politiques et surtout aux luttes religieuses du temps. La popularité du Lutrin est donc | |
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due à l'actualité plutôt qu'au goût littéraire anglais. Ce qui attirait dans ce poème héroï-comique, que Boileau avait nommé un simple jeu d'esprit, c'était, d'une part, la satire du clergé et de l'autre, le réalisme des détails. Ce réalisme, on l'imitait à l'envi dans les adaptations anglaises, tout en exagérant les scènes de gloutonnerie des chanoines. Les traducteurs anglais ne faisaient grâce au lecteur d'aucun détail, même le plus grossier, et parmi ces traductions il y en avait, comme celle de John Crowne qui étaient dégoûtantes. Tout ce qui restait du jeu d'esprit français, c'était une satire mordante et grossière. Un poème qui a eu un si grand retentissement et qui a été traduit et adapté jusqu'à cinq fois, a dû exercer naturellement une grande influence sur l'introduction du genre héroïcomique en Angleterre. En effet, c'est là une des conquêtes de Boileau. M. Clark nous apprend qu'au XVIIIe siècle il y a eu en Angleterre toute une floraison de poèmes héroïcomiques composés sur le modèle du Lutrin. Pendant la période de Pope (1688-1744) l'autorité de Boileau comme poète satirique et héroï-comique paraît établie en Angleterre. On n'aime ni ses odes, ni ses panégyriques à l'adresse de Louis XIV. En 1711 on rencontre une première traduction complète de ses oeuvres par Ozell, qui avait traduit déjà Le Lutrin. En Hollande on lisait Boileau dans le texte; les Anglais, qui ne savaient pas aussi souvent le français que nos aïeux, avaient recours à des traductions. Celle d'Ozell a eu un très grand succès. Boileau a toujours eu à côté de ses admirateurs un grand nombre de détracteurs, comme Swift, Defoe, e.a. On peut dire que dans la question du merveilleux, les Anglais n'ont jamais été de son avis. Il en est de même pour la majorité des Hollandais, qui, en cette matière, préféraient généralement le merveilleux chrétien, comme le montre le grand nombre d'épopées bibliques parues en Hollande au XVIIIe siècleGa naar voetnoot1). | |
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Vers 1750 la gloire de Boileau se ternit tout à fait en Angleterre, l'idéal esthétique y étant devenu autre. Kames attaque même Le Lutrin, au nom du bon goût: ‘Boileau the poet is shown to be, after all, not an infaillible follower of Boileau the criticGa naar voetnoot1)’. Gibbon reproche à Boileau sa froideur, sa sécheresse; Shenston lui en veut de sa grandiloquence; Vicesimus Knox préfère Pope à tous les Boileau; Stockdale, plus acharné que personne, défie tout le monde de lui montrer dix vers de Boileau qu'on lise avec une véritable émotion; Pinkerton enfin le traite de singe des Anciens. On voit que la critique de cette période n'a pas été très tendre pour lui et que l'admiration qu'on lui témoignait provenait moins de la valeur de ses théories littéraires que du fait que quelques-unes de ses poésies pouvaient s'adapter aux événements et aux personnes en Angleterre. Pendant la même période, c'est-à-dire la seconde moitié du XVIIIe siècle, il y a eu aussi un courant favorable à Boileau. Johnson lui-même le nomme ‘the famous French satirist’; comme on voit, on loue toujours le satirique plutôt que le théoricien littéraire. Après avoir passé en revue les périodes de Dryden, de Pope, de Johnson, M. Clark se pose la question suivante: Peut-on parler d'une influence générale de Boileau en Angleterre? A-t-il ouvert de nouvelles voies à la poésie, au style, à la métrique? Peut-on parler d'une école française fondée par Boileau en Angleterre? La réponse à toutes ces questions est un peu vague. M. Clark accepte une influence indistincte, inconsciente, se manifestant plutôt dans la masse, l'ensemble des faits. Il reconnaît aussi qu'il y a des domaines littéraires, comme celui du merveilleux, où on n'a jamais souscrit aux idées de Boileau. Ce savant se pose encore une autre question non moins importante, savoir: Quelle est la part de l'influence de Boileau sur la critique et sur la théorie littéraires en Angleterre? De nouveau la réponse est plus ou moins incertaine. En Angleterre, | |
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comme en France et dans la plupart des pays environnants, on parle de nature, de raison, de bon sens, mais Horace en avait déjà fait tout autant avant le commencement du XVIIe siècle, et Descartes n'enseignait pas d'autre doctrine. Ce qui est certain, c'est que depuis la publication de l'Art Poétique de Boileau, il y a eu en Angleterre plusieurs traités savants sur la poétique. Il en a été de même en Hollande. Seulement nous avons vu que, malgré l'admiration qu'on avait pour Boileau, on se laissait, dans la pratique, plutôt inspirer par les idées de Corneille et d'Horace. Ce que des poètes anglais comme Dryden et Pope, et des auteurs hollandais comme Van Effen et Feitama ont encore emprunté à Boileau, c'est sa haine d'un sot livre et d'un auteur froid et ennuyeux: ‘Die Kritik der Langeweile, nach Voltaire die letztentscheidende, hat Boileau eingeführt’Ga naar voetnoot1). Boileau a imposé aux Anglais la forme de sa satire, forme que la plupart des poètes de la fin du XVIIe siècle ont imitée. La satire de Juvénal était surtout mordante, celle de Boileau est d'une ironie fine et moqueuse. Au commencement du XVIIe siècle la satire des pamphlétaires anglais était grossière et insultante. A mesure que l'influence de Boileau grandissait en Angleterre, la satire y devenait plus spirituelle et plus courtoise. La grossièreté avait fait son temps: dorénavant ‘the nicest and most delicate touches of satire consist in fine raillery’Ga naar voetnoot2). L'influence de Boileau en Angleterre s'est donc fait sentir, selon M. Clark, dans deux domaines seulement, celui de l'héroï-comique et celui de la satire. Le Lutrin, qui en Hollande a passé inaperçu, avait paru à une époque de grande excitation politique et religieuse en Angleterre; les Anglais y ont vu une chose que Boileau n'a pas voulu y mettre, à savoir, la satire du clergé, et c'est justement cette chose-là (que Boileau aurait problablement | |
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désavouée) qui a fait la fortune du poème en Angleterre. La satire de Boileau est un mélange de la ‘saeva indignatio’ de Juvénal et de l'extrême politesse d'Horace. Les Anglais, qui cherchaient depuis longtemps une meilleure forme pour leurs satires, ont été frappés par ce mélange curieux de Juvénal et d'Horace et ils ont imité Boileau avec d'autant plus d'empressement que le poète français avait, selon le mot de Sainte-Beuve, mis encore d'autres qualités dans ses satires, à savoir ‘ce sentiment plus vif, ce mouvement net et prompt, cette impétuosité de jugement qui ressemble presque à une ardeur de coeur’Ga naar voetnoot1). Nous avons vu plus haut qu'on se sentait surtout attiré en Hollande par le côté moral de l'oeuvre de Boileau. Ce fait n'a rien d'étonnant. M. Fernand Baldensperger nous en donne l'explication dans l'introduction de son Goethe en France: ‘Il est bien certain qu'une époque littéraire, lorsqu'elle découvre et qu'elle annexe des idées ou des formes exotiques, ne goûte et ne retient vraiment que les éléments dont elle porte, par suite de sa propre évolution organique, l'intuition et le désir en elle-même. Les influences étrangères, à qui l'on fait une gloire ou un crime, suivant les points de vue, de libérer ou de dévoyer une littérature, n'agissent jamais que dans une direction conforme aux tendances de celle-ci’Ga naar voetnoot2).
En Allemagne l'influence de Boileau s'est fait sentir comme dans les autres pays. Victor Rossel, dans son Histoire des relations littéraires entre la France et l'AllemagneGa naar voetnoot3), divise l'histoire littéraire dans ce pays au XVIIe siècle en trois périodes: la Première Ecole Silésienne, le temps d'Opitz surnommé quelquefois le Malherbe allemand; la Seconde Ecole Silésienne, où on imite le marinisme italien. Les chefs de cette Ecole, Hoffmannswaldau et Hohenstein, s'inspirant | |
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de l'Hôtel de Rambouillet, introduisent la préciosité en Allemagne; on traduit l'Astrée et sur le modèle de ce livre on fonde l'Académie des parfaits amants. Cependant le ‘hohensteinscher Schwulst’ a bientôt fait son temps. La troisième période littéraire est celle de Caniz, qui affranchit l'Allemagne de l'influence italienne et la rapproche des Français. ‘Caniz, écrit Ch. JoretGa naar voetnoot1), le disciple de Boileau, devint le chef d'une école dont la sagesse poétique et la froide raison contrastèrent singulièrement avec l'exagération et l'enflure des poètes qui avaient précédé.’ C'est lui qui le premier a osé s'attaquer aux puissants princes du Parnasse allemand, Hoffmannswaldau et Hohenstein. Sa Troisième Satire est un véritable mélange d'emprunts faits aux Satires et à l'Art Poétique de BoileauGa naar voetnoot2). Il paraît que Caniz a connu le poète français de très bonne heure. En 1676 il parle dans une lettre de l'Art Poétique; il traduit la Cinquième Satire et dans une autre lettre, écrite en 1689 il cite des fragments empruntés à une des Epîtres. Pourtant l'influence que Boileau a eue sur lui, paraît avoir été plutôt théorique que pratiqueGa naar voetnoot3). Caniz a été, selon LutzGa naar voetnoot4), un des premiers poètes allemands qui ait élevé sa voix en faveur d'un meilleur goût. Il se détourne de la préciosité et de l'emphase; avec Boileau il accepte comme principes d'art la raison et la nature, et ces principes il les a à son tour enseignés à d'autres. Caniz a fait école parmi les poètes de cour. Lui et Besser ont vu surtout dans les préceptes de Boileau des règles pour la littérature de cour. Pour eux l'épopée n'était qu'un poème en l'honneur du prince, et les poètes de cour sont les représentants du goût français en Allemagne. Le poème de Boileau qu'on a le plus | |
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souvent traduit en allemand, c'est le Discours au Roi. Depuis Caniz les traductions de ce Discours se multiplient et on traduit également bon nombre de Satires. Il en est en Allemagne comme en Hollande; à tout moment on rencontre le nom de Boileau ou des fragments de ses ouvrages, comme si à l'étranger on l'exploitait pour rehausser un peu son propre style. Ainsi les préceptes de Boileau, dans leur forme nette et claire, deviennent des ornements littéraires au lieu de servir de règles à suivre. En Allemagne comme chez nous tout le monde parle du poète français, mais il y a peu d'auteurs qui marchent sur ses pas. ‘Aber gerade dieses wahllose, häufige Verschwenden des Namens Boileau zeigt die unklare Auffassung, die kritische Unfähigkeit solcher Geschmacksrichter’Ga naar voetnoot1). Caniz avait été un précurseur du classicisme français. A côté de lui on peut nommer Christian Günther comme représentant des idées esthétiques nouvelles établies sur la raison et la nature. Seulement il est trop lyrique pour se contenter de la théorie aride. Malgré une ressemblance assez grande entre lui et Boileau, il n'a pas pu établir en Allemagne une suite d'idées théoriques nettement déterminables. Pourtant il s'y manifeste une tendance à plus de clarté, comme le montrent les poètes de cour Neukirch, König et l'épigrammatiste Wernigke. Voici l'opinion de Dorn sur le premier de ces trois poètes: ‘Er stellt durch seine doppelte Tätigkeit als Hofpoet und Satiriker Boileaus Tätigkeit am besten in Deutschland da. Sein Übergang zur Caniz-Besserschen Schule bezeichnet den Übergang der Führerschaft in der deutschen Literatur von den Schlesiern an die Preussen, und von ihnen, da Neukirch das Ideal Gottsched's wurde, an die Leipziger’Ga naar voetnoot2). Dès 1695 Neukirch s'oriente dans la nouvelle direction, sous l'influence de Caniz, de Besser et de la cour de Berlin. Comme Boileau il écrit des satires et des épîtres; il est partisan des anciens contre | |
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les modernes, il s'attaque à l'emphase, au faux goût, au burlesque, au roman scandaleux, immoral. Avec lui nous voyons la réalisation d'une première tentative pour appliquer l'esthétique française à ce qui existe et se développe en Allemagne. D'une façon plus évidente encore Wernigke imite Boileau. Non seulement il se fonde, dans l'avant-propos de ses poésies, sur des critiques français, il donne aussi des préceptes précis qu'il leur a empruntés. Dans sa jeunesse il avait appartenu à la Seconde Ecole Silésienne, mais il en avait reconnu les défauts et s'en était détourné. Ce changement d'opinion fait penser à notre Lodewyk Meyer, qui, comme nous l'avons vu plus haut, avait également brûlé les dieux qu'il avait adorés d'abord, fût-ce pour un autre motif que celuide Wernigke. Celui-ci ne se contente pas de connaître les critiques français, il étudie aussi des Anglais, dont l'influence finira par supplanter celle de Boileau. Il parle à tout propos de raison et de bon sens. ‘Niemand schreibet wohl, écrit-il dans l'avantpropos de Hans Sachs, der nicht fühlet was er schreibet.’ Il suit les préceptes de Boileau pour la pastorale, la tragédie, la comédie et préfère les anciens aux modernes. König, comme Wernigke, a été d'abord partisan de la Seconde Ecole Silésienne. Plus tard, sous l'influence des poètes de cour, il change d'avis. Il s'essaie à composer une épopée August im Lager. Conformément aux conseils de Boileau il bourre son poème d'allégories, mais il hésite à appliquer le merveilleux païen. C'est qu'il subit à un même degré l'influence anglaise que celle des Français, en sorte qu'il n'a pas de théorie déterminée et qu'il flotte un peu à tous les vents. Il doit en partie ses idées sur le bon goût à Shaftesbury, et c'est également l'influence anglaise qui lui fait préférer l'épopée chrétienne à celle que demande Boileau. Au commencement du XVIIIe siècle on reconnaît en Allemagne l'autorité de Boileau, du moins en théorie, mais là, comme dans notre pays, les écrivains de talent font défaut à l'époque que nous étudions. Le passage suivant, emprunté à la monographie de Backers, est applicable à la Hollande tout aussi bienqu'à l'Alle- | |
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magne: ‘Wir haben Dichter, die sich theoretisch dazu bekennen und praktisch weit davon abweichen (c'est du classicisme français que l'auteur parle) und in den alten Geleisen fahren. Wir haben auch Theoretiker die Boileau als Brecher der Tyrannei des verderbten Geschmackes verehren, und doch in ihrer Unfähigkeit wie kaum von ihm berührt erscheinen. Das kann aber nicht an der Tatsache rütteln, das Boileaus Art Poétique der unangreifbare Canon der Dichtkunst geworden ist. Trotzdem haben wir keinen Dichter, der eigentlich auf seinen Schultern steht’Ga naar voetnoot1). Comme chez nous la plupart des poètes et des dramaturges allemands étaient des copistes maladroits. Parmi les meilleurs représentants du goût français il faut compter Gottsched, le chef de l'Ecole LeipsigoiseGa naar voetnoot2). La Poétique de Gottsched est, comme celle de Boileau, fondée sur la raison, le bon goût, mais avec cette différence que pour lui il n'y a pas de bon goût absolu, mais un bon goût tout à fait individuel. Sur bien des points il s'écarte de Boileau; ainsi il admet l'emploi du vers blanc dans la tragédie comme dans l'épopée. Pour lui c'est l'étude plutôt que l'inspiration qui fait le poète, en sorte qu'il considère la poésie comme un métier et non comme un don, et que ses règles sont des recettes de fabrication plutôt que des préceptes esthétiques. Il fonde une espèce d'Académie, la Deutsche Gesellschaft pour la propagation de la bonne langue nationale. Tant que les Allemands n'auront pas d'auteurs capables de produire des oeuvres originales, il recommande de traduire des pièces françaises. Est-ce qu'en Hollande les membres de Nil n'avaient pas recommandé d'en faire autant? L'influence de Gottsched n'a pas été de longue durée. Les idées anglaises commençaient à se répandre de plus en plus en Allemagne. Du reste, la Poétique de Gottsched était trop | |
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pleine de doctrines étrangères pour pouvoir constituer un code durable d'esthétique allemande. Dès 1742 le théoricien a vieilli. La ville de Halle fut pendant la premiere moitié du XVIIIe siècle un foyer de réaction contre l'Ecole Leipsigoise: Pyra, Baumgarten, Lange, Meier défendaient avec acharnement Klopstock contre les attaques de Gottsched. Les Zuricois Bodmer et Breitinger et le Bernois Haller achevèrent la démolition de son système, basé sur l'imitation française. Vers 1750 les influences françaises ne jouaient plus qu'un rôle secondaire et les voies étaient ouvertes à Lessing, ennemi déclaré du classicisme français. Comme nous le voyons, le rôle que la doctrine de Boileau a joué en Allemagne est modeste, et les points de ressemblance avec le sort de Boileau en Hollande sont nombreux. Ajoutons que dans les deux pays se constate le phénomène curieux que le commencement du XVIIIe siècle a été pauvre en hommes de talent, en sorte que l'imitation remplace l'inspiration. Pour pouvoir juger de l'esthétique d'un auteur il faut qu'il nous donne des oeuvres originales, mais l'Allemagne et la Hollande n'en produisaient presque pas. Les livres écrits sous l'inspiration directe et indéniable de Boileau sont difficiles à trouver, et si, avec beaucoup de bonne volonté on réussit à en découvrir quelques-uns, est-ce que cela nous autorise à considérer le Législateur du Parnasse français comme le grandmaître d'un Parnasse européen?
Sur l'influence de Boileau en Suède nous trouvons quelques détails dans l'Aperçu de l'influence de la littérature française sur la littérature suédoise de M.E. WrangelGa naar voetnoot1). L'article succinct, qui compte à peine douze pages, où le professeur de Lund parcourt à vol d'oiseau tout le domaine de la littérature, ne donne que peu de chose sur le sujet qui nous intéresse plus | |
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spécialement. L'impression qui s'en dégage, c'est que le rôle joué par Boileau en Suède est insignifiant, et que l'influence de ses victimes françaises y a été plus grande que la sienne. En Suède comme partout ailleurs régnait le goût français, mais on n'y jurait pas par Boileau. La philosophie française était devenue prédominante en Suède; le premier philosophe suédois, Andreas Rydelius, fondait ses principes sur le cartésianisme. C'est vers le milieu du XVIIe siècle que la cour et la bonne société commençaient à lire les auteurs français et à parler français elles-mêmes. Au XVIIIe siècle toute l'éducation aristocratique était française. Du reste, la reine Christine (1644-1654) avait une prédilection pour les Français, elle s'intéressait aux études de Pascal et de Gassendi; elle appelait auprès d'elle plusieurs Français parmi lesquels on trouve Bochart, Naudée, Bourdelot, Saumaise et Descartes; elle était en relation directe avec des beaux esprits et des poètes français comme Scarron, Benserade, Balzac, Saint-Evremond, Godeau, Ménage, George et Madeleine de Scudéry, qui dans le Grand Cyrus a fait son portrait sous le nom de Cléobuline. George de Scudéry chantait les vertus de Christine dans Alaric. Un des rêves de la reine était de fonder en Suède une Académie sur le modèle de l'Académie française. Si ce beau projet ne s'est pas réalisé, c'est que Grotius, Saumaise et d'autres quittèrent son service et que Descartes mourut à Stockholm. L'affaire Monaldeschi mit fin aux relations de Christine avec la France. D'ailleurs, les rapports de cette reine avec les gens de lettres français sont, selon M. Wrangel, restés sans grande influence sur la littérature suédoise. Il y a quelques auteurs qu'on imite, mais ce sont d'autres maîtres que Boileau. Ainsi, les poètes huguenots Théodore de Bèze et du Bartas ont été populaires, à côté du prosateur du Plessis-Mornay. Après les auteurs huguenots on a imité les précieux. Voiture, Benserade et Mme Deshoulières ont servi de modèle à quelques auteurs suédois de la fin du XVIIe siècle et du commencement du XVIIIe. Le premier grand roman suédois, les Aventures d'Alaric | |
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et de Gothilde, écrit par J.H. Mrk et A. Trngren, était inspiré par le Télémaque, un livre qui a été longtemps le roman le plus populaire en Suède.
Le théâtre classique français eut toujours beaucoup de peine à prendre pied chez les Suédois, malgré le fait que Charles XII (1697-1718) entretenait une troupe de comédiens français. Ce n'est que vers 1730 qu'on a commencé en Suède à écrire des tragédies et des comédies sur le modèle de Corneille et de Racine. M. Wrangel nous dit, sans fournir de preuves à l'appui, que c'est à Boileau que revient l'honneur d'avoir facilité en Suède l'introduction du style classique. Boileau aurait eu plusieurs traducteurs et imitateurs suédois. Le précurseur du mouvement français fut Samuel Triewald, surnommé le Boileau suédois. Il était le premier à formuler les exigences d'une critique littéraire et préparait ainsi ses compatriotes à comprendre Boileau, dont l'Art Poétique, traduit par Duben, paraît en Suède en 1721. Avec Triewald, Jean Gabriel Verving et Charles Gustave Cederhielm tâchent de répandre les idées nouvelles. On voulait appliquer à la littérature suédoise les principes de l'Art Poétique de Boileau, mais faute de talent, on se contentait de quelques exercices de rhétorique. Entre 1720 et 1730 on traduit la plupart des oeuvres de Boileau: l'Art Poétique, le Lutrin, les Satirès, les EpîtresGa naar voetnoot1). Du reste, pour les questions de goût on préférait à Boileau le Père Bouhours, dont la Manière de bien penser sur les ouvrages de l'esprit fut adaptée à la poésie suédoise par Sahlstedt. Pour la prose on se modelait sur J.-L. Guez de Balzac, La Rochefoucauld et La Bruyère; Jean Oxenstierna est un fervent admirateur de Fontenelle et il écrit en français des Pensées dans le genre de celles de La Rochefoucauld. Avec Olof Dalin (1708-1763), le précepteur du jeune prince Gustave, l'influence française commençait de plus en | |
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plus à se répandre. Son épopée Svenska Friheten (1742), sa tragédie Brynhilda (1738), sa comédie Den afundsjuke (1738) étaient composées d'après le modèle français. Il a écrit aussi plusieurs satires à la manière de Boileau. Du reste, il n'avait pas seulement subi l'influence française, mais à un même degré celle des auteurs anglais Dryden, Addison, Locke, Pope, Young et Ossian, ce qui avait naturellement contribué à former son esthétique. Après lui l'esprit français était représenté par les comtes Creutz et Gyllenborg et surtout par Hedwig Charlotta Nordenflycht, la ‘bergère du nord’, qui a été de 1750-1763 la figure principale de la littérature suédoise. Elle était le centre des Tankebyggare (architectes de la pensée), une espèce d'école rationaliste à tendances françaises. C'est surtout sous le règne de Gustave III (1771-1792) que les idées rationalistes françaises se répandaient, alors qu'en Allemagne on commençait déjà à s'y opposer. Gustave III encouragea la littérature nationale et fonda un théâtre suédois pour remplacer le théâtre français de Charles XII. Sous son règne le goût français était représenté par Rosenstein et ses amis, Kellgren et Leopold, et surtout par Anna-Maria Lenngren, qui composa des idylles et des satires sociales qu'elle faisait paraître dans les Stockholmsposten. Le poète Kellgren (1751-1795) est considéré quelquefois comme le meilleur élève de l'école française. Il écrivit des poèmes lyriques et des tragédies et fut en outre un critique et un esthéticien très influent. Son périodique Stockholmsposten passa pour le tribunal suprême du goût en Suède, où l'on redoutait surtout ses satires mordantes. Voilà tout ce que j'ai pu trouver sur le rôle que Boileau a joué en Suède et sur les rapprochements qu'on pourrait faire entre ses oeuvres et celles des SuédoisGa naar voetnoot1). Si nous comparons | |
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la Suède à la Hollande, nous voyons de nouveau certains points de ressemblance: dans les deux pays plusieurs victimes de Boileau jouissaient d'une popularité égale à celle de l'auteur de l'Art Poétique; Du Bartas était lu et connu chez nous comme en SuèdeGa naar voetnoot1), ce qui n'étonnera personne, vu le caractère calviniste des deux pays; la préciosité qui a fleuri en Suède à la fin du XVIIe siècle trouvait un équivalent dans notre Muyderkring; le Télémaque de Fénelon a été ici comme là-bas un des livres français les plus populairesGa naar voetnoot2); tout comme en Suède on imite chez nous les pièces de Corneille et de Racine. Tous ces faits montrent qu'en effet le goût français a été prédominant dans tous les pays que nous venons d'étudier, quoique, dans chacun de ces pays, on n'empruntât aux Français que ce qui pouvait servir à mieux défendre les idées régnant dans la littérature nationale ou féconder l'esprit national.
En Italie on recourait à Boileau pour définir plus nettement les règles de l'art, mais ce sont les auteurs tragiques et les romanciers qui fournissaient les modèles à imiter; en Espagne on copiait l'Art Poétique tout en ayant l'air d'écrire un ouvrage original, comme si l'on ne connaissait pas du tout le poète français; en Angleterre on demandait à Boileau une forme plus fine pour la satire et le poème héroï-comique; pourtant les recherches les plus minutieuses de M. Clark n'arrivent qu'à montrer une influence vague, indistincte et partielle; en Allemagne on comprenait mal Boileau et, faute de talent, on l'imitait d'une façon maladroite; ce qu'en Suède on empruntait surtout à la France, c'était la préciosité, la littérature huguenote et le rationalisme, mais où était la part de Boileau dans tout cela? N'a-t-on pas le droit de conclure de ce qui précède que l'étude de l'influence de Boileau à l'étranger, ailleurs qu'en | |
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Hollande, ne fait que confirmer le résultat des recherches que nous avons faites sur lui dans notre pays, et que son rôle n'a pas été plus grand que celui des autres représentants du classicisme français, qui tous ensemble et chacun pour sa part ont contribué à former le goût esthétique en Europe à la fin du XVIIe et au commencement du XVIIIe siècle? |
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