Boileau en Hollande
(1929)–H.J.A.M. Stein– Auteursrecht onbekendEssai sur son influence aux XVIIe et XVIIIe siècles
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Chapitre V
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Poétique, à commencer par la plus ancienne, celle de LabareGa naar voetnoot1), qui se trouve à la Bibliothèque de Bruges dans un livre très remarquable portant le titre de Rymdichten van Jan Antoine LabareGa naar voetnoot2). La traduction est annoncée sous le titre de De Konste der Poezye, suivi de ce quatrain: De Konst der Poezy in Nederduyts Gedicht
Verstreckt den Leerling en den Oeffenaer tot Licht,
Als oock tot Onderwys voor hun, die willen weten
Al d'eyghendommen en de plichten der Poeten.
Dans la dédicace à Jean-Charles Peellaert, Schepen en voor de vierde mael Burgh-meester, nous lisons cette observation sur ce qu'il se propose de faire: ‘Aengeport door de ghenegentheydt tot de Rym- en Reden-Konste, hebbe ick somtydts de ledighe Uren die de dagelyckxsche Besigheydt my toeliet, wel willen besteden, in het opstellen van de volghende verssen, behelsende de Konste der Poezye; trachtende naer het voorbeeld van Horatius, en Despréaux, de Konst-minners van myne Geboorte-stad Brugge, en alle Nederlandsche Tael-genoten daermede dienst te doen: Aengesien tot nu | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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toe geen dusdanighe Onder-richtinghe in de Nederduytsche Taele is aan den dag gekomen. Immers, gelyck alle Eerstelingen selden in d'uytterste volmaecktheydt te voorschyn komen, soo kan het geschieden dat dweersdryvende Geesten hier in oock wat sullen te beknabbelen vinden. Tegen de welcke ick mynen toevlucht neme onder de Bescherminge van U.E. als wesende Hooft-man van de Oud-Vermaerde en Wyd-beroemde vrye Reden-Gilde der Weerde Drie Santinnen, van de welcke ick my bevinde
U Edelheytd mede Konst-Genot J. Labare.’
Cette traduction de l'Art Poétique de Boileau n'est pas trop mal faite. Pour la plus grande partie elle est littérale; Labare se permet de temps en temps seulement une petite digression sur le terrain de la poésie hollandaise ou flamande. Il intercale aussi une quinzaine de vers empruntés à la IXe S atire de Boileau. Il n'y a presque pas de notes ou de commentaires, et à la fin de l'ouvrage, on lit l'evulgetur suivant, qui montre que Labare a été membre du clergé: Vidit et approbavit X J. Verslype, Archidiac. Burg. Lib. Censor. Labare est loin d'être toujours de l'opinion de Boileau et ne se gêne pas pour préférer Vondel et Cats à tous les poètes français. Dans le Premier Chant de l'Art Poétique Boileau signale les réformes de Malherbe et constate que depuis ce réformateur de la poésie française, le vers sur le vers n'osa plus enjamber. Labare, traduisant ce vers par: En 't overhaspelen wierd t'eenmael afgelegd,
ajoute dans une note qu'il est, lui-même d'un tout autre avis: Den Vlaming moet hier aen sich niet te vél vergaepen,
En onverstandig 't fransch van stip tot stip naer-aepen;
Men overhaspelt met bescheyd op Vondels trant,
En Cats singt franschen swier in 't hert van Nederland.
Sult-ge om dat dese twee verscheyden wit betreffen
Den eenen laecken en den anderen verheffen?
Héft allen schilder, die door s weirelds uytstrek praelt
Op een gelyken swier de bélden afgemaeld?
Dus wilt gy sonder nyd van onse Digters spreken,
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Wét, dat in beyde slag schoone eygendommen steken:
Dus is der franschen roem by nederlanders kleyn,
Wy hebben Vondel voor, en Cats met hun gemeyn.
Il est bien curieux de constater à nouveau l'admiration presque générale que les Hollandais et les Flamands montraient au XVIIIe siècle pour l'oeuvre de CatsGa naar voetnoot1), qui est considéré comme l'émule de Vondel et que Labare met au niveau des grands poètes français du siècle de Louis XIV. Dans le Deuxième Chant, Boileau conseille aux poètes d'imiter Théocrite et Virgile; Labare, en bon Flamand remplace ces Anciens par Vondel et DebrandtGa naar voetnoot2). Il évite également de traduire le passage où Boileau fait l'éloge de Louis XIV, et remplace le Roi-Soleil par un personnage qui est mieux en état de flatter la vanité de son coeur flamand: au lieu de nous montrer Louis faisant fléchir l'Escaut sous le joug, ce qui aurait été plutôt désagréable pour le patriotisme flamand, Labare écrit: Of laeten Prins Eugen de turksche magt vernielen,
En sege-praelen op vierhonderd-duysend sielen,
Belgrado winnen voor den duytschen Adelaer,
En saemen 't Christendom verlossen uyt gevaar.
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Le prince Eugène n'avait-il pas commandé les armées autrichiennes contre les Turcs et les Français réunis, et plus tard, en 1709, n'avait-il pas remporté sur les Français les éclatantes victoires d'Oudenarde et de Malplaquet? La sentence bien connue de Boileau sur le sonnet: Un sonnet sans défaut vaut seul un long poèmeGa naar voetnoot1)
excite la verve caustique de Labare qui écrit en marge: ‘Syn franschen niet gekken? Volgens hun een klink-digt van acht réken is een Helden-stuk weird; ook men héft nog geen volmaekt gevonden, niet meer als een Eer-gesang, Treur-gesang, Helden-Gesang, Tooneel-stuk, ens. Hunne meesters hebben het niet konnen doen; wat willen sy dan? het onmogelyk? dat is schimp’. Les vers de Boileau sur Juvénal, Régnier et le genre satiriqueGa naar voetnoot2) ont été en partie supprimés, en partie adoucis, sans doute pour ne pas choquer les lecteurs. Labare ne parle ni de la luxure latine qui faisait Messaline se vendre aux portefaix de Rome, ni des lieux mal famés que fréquentait Régnier. Dans le Deuxième Chant, Labare introduit entre les passages sur la satire et le vaudeville, un fragment de 18 vers sur Rabelais et son influence pernicieuse, ce qui lui fournit en même temps l'occasion de faire la critique des auteurs hollandais trop licencieux: ‘Naer hem (Régnier) volgt Rabelais, die met een franschen swier,
Gelyk als onversaegd uytbraekte vlam en vier.
Verscheyde schryvers in de Nederduytsche taele
Syn ook besmet gewést met diergelyke kwaele.
TenhagelGa naar voetnoot3), Breederoode, en andere, is 't niet heel
Al hun werken door, ten minsten in een deel.
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Het waer te wenschen, dat hunne al te stoute woorden
En dertelheden nooyt geen suyvere oor verstoorden;
Die schriften schaedelyk aen seden, kerk en staet,
Syn als het schuym der konst van iedereen versmaed,
Syn by vrygeesten selfs als stink-kruyd, gifte-bloemen.
Nog vind men rymers, die op sulke schriften roemen,
Soo sekren Salomon van RustingGa naar voetnoot1) heeft gedaen,
Die ongetwyfeld sich héft laeten vooren staen
Te mogen, als hy maer gerymde-tael kon maeken,
Als eenen niemandsvriend syn swarte gal uytbraeken,
Met schyn van aerdigheyd; wiens knippel-reym, in een
Gedrongen, hard en swaer vloeyt als een molen-steen.’
Faisons remarquer en passant la grave erreur que commettait Labare en faisant de Mathurin Régnier un précurseur de Rabelais, qui était mort depuis vingt ans, quand Régnier naquit. A propos de la règle des unités, dont parle Boileau dans le Troisième Chant, Labare observe dans une note qu'il n'est pas du tout de l'avis de son modèle et qu'il préfère laisser au dramaturge sa liberté. D'autre part le poète flamand doit avoir partagé l'ignorance de Boileau quant à la littérature du moyen âge; s'il en avait su plus long, il n'aurait pas manqué de faire la critique d'un passage comme: Chez nos dévots aïeux, le théâtre abhorré
Fut longtemps dans la France un plaisir ignoréGa naar voetnoot2).
Non seulement Labare laisse passer ces vers sans critique, mais il ajoute même à la France d'autres pays où il croit, à tort, retrouver un état analogue à celui signalé par Boileau: In Duyts-land, Vrankeryk en Nérland, soo men lést,
Is 't schauwburg langen tyd gansch ongekend gewést.
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Il est vrai que Labare traduit le mot théâtre par schauwburg, ce qui peut signifier autre chose que tooneel, mais est-ce qu'il aurait vraiment cru que Boileau parlait d'une salle de théâtre, en opposition aux représentations en plein air? Labare ne partage pas l'opinion de Boileau sur la matière biblique et sur le merveilleux chrétien. Sa critique est assez intéressante pour la reproduire ici. Boileau est d'avis que De la foi d'un chrétien les mystères terribles
D'ornements égayés ne sont point susceptiblesGa naar voetnoot1).
Il admet, dans une profane et riante peinture, l'emploi de la mythologie ancienne comme ornement poétique, et préfère les sujets païens aux sujets chrétiens. Labare en est tellement indigné qu'il en devient presque éloquent: Boileau, gy, die verrukt door uw verheve toonen,
Verschil ik van gedacht met u, wil my verschoonen;
Acht gy de weirdigheyd van ons geloof soo groot,
Dat gy 't verheugende, schoon mogelyk, verstoot
Uyt de geschriften, als: van heyligen en englen,
Hoe dan afgodery by 't evangelie menglen?
Boileau, gy waert nog jong, toen gy dien misslag schreef,
En 't menschelyk verstand so groot gebrek aanvreef,
Als of het Hémelhoog in 't heylig niet kon stygen,
Maer sonder Mars en Pan in dommigheyd moest swygen.
Als men met weirdigheyd van 't waere godsdom schryft,
Alsdan 't afgodendom met réden onderblyft.
Het treffelyk heet gy swaermoedige gedachten
Door fransche logtheyd of verdigtsels te versachten.
Ik niet: den BoetgesantGa naar voetnoot2) werkt meer op myn gemoed,
Als al het sout, 'tgén men in den Lutrin ontmoet;
En Tassos praelryk werk waer hooger nog te schatten,
Had hy 't betooverd wauwd en 's eylands herssen-ratten
In een soo ernstig werk met hemelvrucht beplant,
Door and're schoonighén vergoed, gesteld te kant
Als poppe-spel, allén van kindren te verwondren.
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Ces derniers vers devaient servir à réfuter l'opinion de Boileau selon laquelle le Tasse aurait eu moins de succès, Si son sage héros, toujours en oraison,
N'eût fait que mettre enfin Satan à la raison,
Et si Renaud, Argant, Tancrède et sa Maîtresse
N'eussent de son sujet égayé la tristesseGa naar voetnoot1).
Ce n'est pas à tort et à travers que Labare condamne le merveilleux païen, mais il ne l'admet pas dans une matière empruntée à la religion chrétienne; il le tolère comme ornement allégorique, dans les autres genres: Boileau, waerom niet klaer het een van 't andre afsondren?
Waerom niet seggen: in een christelyk gedigt
Van God of heyligdom, der Grieken Godsleer swicht;
Maer in de werken, waer 't geloof is onverschillig,
Een lied, of bruyloft-digt, ik sta u toe en willig,
Dat gy my Mars aenhaelt, in Venus u behaegt,
En aen God Jupiter het hoog bestier opdraegt:
Maer singt gy: kom Apol, met uwe digter-straelen
Myn breyn doorbranden, om de deugden op te haelen
Des heyligen, door wien Messias wierd voorspeld
Aen 't heylloos menschdom nog in duysternis gesteld;
Segt gy my, dat Vulcaen, vast swoegt aen 't bliksem-wetten,
Om met Bellona's hulp der kettren heir te pletten,
Vergéfs door Plutos magt gesteund en aengevoerd,
Ik keer den rug u toe, en seg, dat is geboert,
Of door domme onkunde uyt uw eydel breyn gespogen.
Neen! neen! soo mengt men niet de waerheyd met den logen.
't Kan anders seyn, als Mars den oorloog slechts bedied,
Mars woed beteekenend den kryg woed, anders niet.
En moeten digtsels uw hoogdraevend werk versieren,
Waerom kan Michael uw krygsheir niet bestieren
Soo wel als Pallas? wilt gy meer? gy set hem vry
Geleerd door Christus woord nog Legioenen by.
Archengel Raphael kan onbekend verschynen,
U helpen op den weg, en onverwagts verdwynen,
Soo wel als Venus, als een spartsche maegd gehuld,
Aeneam licht gaf in syn nypend ongeduld.
Ce n'est pas seulement pour la religion catholique que | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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Labare condamne l'emploi du merveilleux païen, mais tout aussi bien pour les religions juive, turque, indienne, en un mot pour toutes les religions qui ne sont pas basées sur la mythologie grecque ou latine. A ses yeux, le mélange de la mythologie grecque et d'autres religions ne produisait qu'une série d'anachronismes: ‘De grieksche dolingen misstaen selfs in Jodsche, Turksche, Indiaensche en alle geschriften der volkeren, welkers Godsdienst de Grieksche goderye miskende. Den dichter moet de kennis der gelegenheyd van landen, volkeren, Godsdienst, aerdt en Seden, tyd en gebruyken magtig syn, wilt hy wel schryven, en niet gelyk eens de moeder der Machabeyen op het Tooneel verscheen, de borst met een diamanten kruys behangen, daer het kruys in dien tyd nog een teeken van schande en smaed was’Ga naar voetnoot1). On voit par là que Labare condamne moins le merveilleux chrétien, parce que De la foi d'un chrétien les mystères terribles
D'ornements égayés ne sont point susceptibles,
que parce la présence de la mythologie païenne formait un anachronisme dans un poème chrétien. Pour lui, c'était donc en partie une question de couleur locale, un point de vue d'autant plus curieux qu'on en faisait en général peu de cas au XVIIe siècle, la tragédie étant alors avant tout intérieure et psychologique. En 1636 J.-L. Guez de Balzac s'était déjà plaint de cette absence de réalisme dans les décors, les accessoires et les costumes, dans le passage suivant emprunté à son Discours sur une Tragédie de M. HeinsiusGa naar voetnoot2): ‘Quelle apparence de peindre les Turcs avec des chapeaux et les Français avec des turbans; de mettre des fleurs de lys dans leurs drapeaux et le Croissant dans les nôtres. Il faut porter respect à la coutume, et ne regarder pas simplement à contenter la raison, mais donner aussi satisfaction aux yeux, qui sont les premiers juges des choses visibles. | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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Aussi, voici la conclusion à laquelle arrive Balzac en résumant ses arguments contre les anachronismes: ‘Si, à la main des grammairiens, on veut mettre toutes ces choses sur le compte de Prolepsis, on ira loin par ce chemin, et nous pourrons à la fin asseurer sous le bon plaisir de Prolepsis, et sur la parole d'un docteur moderne, qu'Adam disoit tous les matins les Pseaumes de la pénitence de David, et que quand l'Ange visita la Vierge, il la trouva qui achevoit ses heures de Nostre-Dame’Ga naar voetnoot1). Dans la traduction du Troisième Chant. Labare se moque des deux vers bizarres de Boileau condamnant l'épopée moderne, à cause de la dureté des noms propres qu'on y trouve: D'un seul nom quelquefois le son dur ou bizarre
Rend un poème entier, ou burlesque ou barbareGa naar voetnoot2).
L'observation que fait Labare à propos de ces deux vers est tout à fait à sa place: ‘Is 't niet wat kinderachtig de Digten weirde aen te hechten door den klank der Grieksche naemen? bestaet dat geseg in waerheyt? Styx, Progne, Linx, Sphinx, Mars, Crete, Cadmus, Euterpe, Xantus, Epictetus, Castor, Pollux, Cayster, ens. Syn die soo sacht? 't is gelyk in alle taelen, daer syn sachtere en daer syn hardere woorden; men moet de saek wel kiesen en de naemen gebruyken gelyk sy syn. Sachte verstooten voor harde is het doen van gekken’. Ne nous étonnons pas que l'éloge de la fin, adressé par Boileau à Louis XIV, ait été supprimé par Labare. Tout ce qui en reste, ce sont les quatre vers suivants écrits sans enthousiasme: Verhongerde syn hier op desen tyd seer selden
Te vinden, segt Boileau, dewyl het konst-vergelden
Door Prince-mildheyd is gemeen in Vrankeryk.
Soo sprékt dien gunsteling van koning Lodewyk.
Ces quelques considérations sur De Digtkonst van N. Boileau | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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de Labare suffisent à montrer que l'ouvrage du poète flamand est tout aussi bien une critique qu'une traduction. Parfois même on serait tenté de croire que la critique forme la partie essentielle et que le traducteur trouve ses propres observations bien plus intéressantes que les opinions de son modèle. Quoi qu'il en soit, il est fort peu probable que cette traduction ait exercé une grande influence sur les idées esthétiques en Belgique. Rattachons à cette traduction de Labare l'ouvrage de VandaeleGa naar voetnoot1), qui, en 1810, a publié une nouvelle édition, revue, corrigée et annotée de l'oeuvre de son compatriote. Cette nouvelle édition est intéressante à plus d'un point de vue; d'abord, à cause des renseignements que nous donne la préface sur Labare et ses idées littéraires; en second lieu, à cause des commentaires où Vandaele critique tantôt les opinions de Labare, tantôt celles de Boileau; enfin cette traduction mérite notre attention pour la manière dont l'ouvrage a été adapté à l'état de la littérature en Hollande et en Flandre. La préface commence par nous apprendre qu'en 1721 J. Labare a fait imprimer à Bruges une traduction de l'Art Poétique: ‘Ten jaere 1721 héft den Hr J. Labare, aen my onbekend, tot Brugghe laeten drukken onder den naem van De Konst der Poesye, een vertaeling in vers van l'Art Poétique | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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van den franschen Rym-konstenaer Boileau Despréaux, een werk in alle landen bekend ende aen alle digters noodig, aen de goede om sich te versterken in het goed, aen de slechte, die alleenelyk eenen door hun selven opgeraepten faelvuldigen trant en konsteloose konst besitten, om hunne onwetendheyd te leeren kennen, ende door blokken en onderwys te soeken uyt hunne verachtelyke blindheyd en onkundigheyd tot enig aensien onder de waere konstenaers te geraeken’Ga naar voetnoot1). Ensuite Vandaele nous dit en quoi sa traduction se distingue de celle de son prédécesseur. Il a comparé le texte de Labare à celui de Boileau et il a constaté que, dans le premier il y a des lacunes et des hors-d'oeuvre qui font tort à l'ensemble et en diminuent l'utilité pratique. Vandaele se propose d'émonder l'arbre de son voisin, afin de lui faire porter plus de fruits. Pour cela il a rapproché la traduction flamande de l'original, comblant les lacunes et retranchant les parties superflues. Il ne laisse intacts que les passages où Labare a en effet corrigé son modèle. Vandaele se sert d'une espèce d'orthographe simplifiée, dont il rend compte dans un Bericht wegens de spelkonst in dese uytgaef gebruykt, placé après l'avant-propos. Dans cette orthographe soi-disant logique, chaque signe orthographique réprésente une prononciation spéciale, sans confusion possible. Une des simplifications apportées par Vandaele (mais qu'il est loin d'appliquer toujours) consiste à mettre sur les voyelles fermées l'accent aigu (sprékt, niewighéden, Homérus, bésig, énig, vél, séker, stékten, dólinge, schól); une autre c'est que le s remplace partout le z (syne, sag, sich, sé, sonder). ‘Die dése saeke dieper wilt insien, dat hy het no. 40 van het Iepersch letterkundig Tydverdryf lése, beknabbele en herknabbele, hy sal sonder voldoening daer af niet scheyden’, dit l'auteurGa naar voetnoot2). Vandaele ne souscrit pas aux tentatives de certains profes- | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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seurs de langue hollandais pour réformer et simplifier l'orthographe: ‘Het Hollandsch Lands Bestier, d'oor geleend hebbende aen sékere Heeren, welke men professoren hét, héft hunne grond-slagen aenveird, en een geset uytgesonden, dat alle amptenaeren sich daer nae moesten schikken: men had by dien middel een volwrocht werk van die geleerde mannen mógen verwagten; maer sy syn soo ver af van volmaekte en ontégensprékelyke gronden gevonden te hebben, dat men hun bynaer op iedere bladsyde of faelen kan aentónen, of slechtere spreuken met bétere vergoeden’Ga naar voetnoot1). | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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Parfois les notes de Vandaele sont d'une grande naïveté. Dans le Troisième Chant, Boileau nous met en garde contre les anachronismes dans la tragédie. Au bas de la page nous lisons la note suivante: ‘Hiertegen héft leelyk gefaeld een gedruksel van 13 wynmaend 1806, geteekend L.R. en L. in het welke van den stryd by Gabaon ten tyde van Josue staet: ‘Die stout by 't oorlogs vuur syn lyf en troon dorst wagen.’ ‘Oorlogsvuur ten tyde van Josuë!’ Evidemment Vandaele ne voit dans le mot oorlogsvuur qu'un synonyme de coups de canon ou d'arquebuse. Le Quatrième Chant commence par la comparaison d'un mauvais poète à un mauvais médecin devenu plus tard un excellent architecte. Dans les commentaires qui accompagnent ce passage, nous voyons poindre derrière le philologue le médecin. Labare, ayant traduit le vers de Boileau: Le rhume à son aspect se change en pleurésie,
par: Verkoudheyd keerde bij syne aenkomst door syn praten
In syd-wee waartoe hem vereyscht schynt ader-laeten,
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Vandaele fait l'observation suivante: ‘Hier schynt Labare te doen verstaen, dat men in sinkingen selfs met stékten in de syde niet mag ader laeten: het kan eene dólinge van synen tyd syn: tegenwoordig men genést alle bloedryke kranke met hulpe der bloedlaetingen, niet tegenstaende het geschreew der onkundigen, die dringen, dat men in catarrhen het niet bestaen mag’. Comme cette édition Labare-Vandaele datait d'une époque où l'influence de Boileau avait fait son temps, il est superflu de faire observer que cet ouvrage n'a pas joué de rôle dans l'évolution des idées littéraires en Belgique; tout au plus il a pu être le point de départ de quelques discussions sur l'orthographe employée. Passons à la Dichtkonst de J.F. CammaertGa naar voetnoot1), parue en 1754 à Bruxelles. Cet ouvrageGa naar voetnoot2) est dédié à Balthazar de Villégas | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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d'Estaimbourg, échevin de la ville princière de Bruxelles. Après un éloge pompeux en vers de la main d'un admirateur de Cammaert, après un Lofgalm-ende Gelukwensch du ‘toegenegen ende rym-minnigen vriend P.F.J.D.F.’, après un Lofgedicht, toegejont aan den Rym-minnaer ende Vertaelder par Langendonck, après un quatrième poème flatteur en latin, signé Herman van Lathem, on trouve enfin la traduction de l'Art Poétique. Disons tout de suite que c'est une traduction très faible, un vrai délayage, qui compte 352 vers de plus que l'original, divisés comme suit:
Le passage suivant peut servir d'illustration pour la façon dont Cammaert tâchait de se tirer d'affaire: il s'agit des vers 119-122 du Premier Chant de Boileau: Marot bientôt après fit fleurir les ballades,
Tourna des triolets, rima des mascarades,
A des refrains réglés asservit les rondeaux
Et montra pour rimer des chemins tout nouveaux.
Cammaert traduit ces quatre vers par les huit suivants: Weinigh daerna Marot hem volgde; hy deed staen
In bloeying rymen, die dryvoudelyck uitgaen
Op eene wys in 't eynd: en gaf een ander wezen
Aen verssen, acht in tal, wiens eerste vers, gelezen
En in het vierde wird en 't sevenste herhaelt.
Het schrift, vermomt, door hem met rym wird overstraelt.
Meer and're soorten van Gedichten hy herstelde,
En quam nieuw'wegen aan de Rymers te vermelde.
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On rencontre partout le même verbiage. Ainsi, pour rendre les deux vers du Premier Chant: Et pour finir enfin par un trait de satire:
Un sot trouve toujours un plus sot qui l'admire,
il n'en faut pas moins de cinq à Cammaert: Dog eyndelyck om te bereycken na veel vlyt
Het gewenscht eynde myns eerste Gesang in trecken
Van Schimpgedicht, een sot vind onder and're Gekken
Gestaedig eenen nog veel meerd'ren sot dan hy,
Die syne sotheyt pryst en sotte rymery.
La traduction est accompagnée de notes nombreuses, car Cammaert n'a pas seulement traduit le texte, mais aussi les commentaires qui se trouvaient dans l'édition française dont il s'est servi. Le livre se termine par une liste de souscripteurs à l'édition. Ce qui rend cette traduction tellement dure, c'est entre autres la suppression trop fréquente de syllabes. Profitant de la licence poétique qui lui permettait d'en supprimer, il n'a évidemment pas fait attention aux nombreuses cacophonies qui en ont été le résultat, et ainsi il est tombé de Charybde en Scylla. Pour le prouver je n'ai qu'à signaler des vers comme: .......... den Eenen kan verbeelde
Liefds-vlammen door den rym; den And'ren door meer weelde
I, v. 13.
Malherbe van een Held, wiens Hert in krygsgloed brand,
Kan verheffen d'ed'le daen: Racan kan Philis zingen.
I, v. 24-25.
Het klaegend Treurgedicht, lang-g'hairt, in 't rouwkleed.
I, v. 52.
En 1768 paraissent deux traductions de l'Art Poétique, l'une de J. van Zyp, l'autre, bien supérieure, de la main de A. Gobels. Nous allons les examiner successivement. La premièreGa naar voetnoot1) est dédiée au cercle artistique ‘Kunst wordt | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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door Arbeid verkreegen’. Il y a une dédicace rimée en trois strophes, dont voici la deuxième: Zy (la Poésie), weleer met fransch gewaet,
Door Boileau vol kunst omhangen,
Wenscht met een vernieuwd gelaet,
Dat ze in Neerland wordt ontfangen,
Doet ze in 't neerduitsch zich verstaen,
't Zal geenzins haer luister schaen;
't Neerduitsch is, door kracht van spreeken,
Nooit voor 't luchtig fransch bezweeken.
Après la lecture de la traduction hollandaise, on est tenté de prendre les deux derniers vers dans un sens ironique. En effet, il n'y a rien de plus abominable, comme hollandais et comme traduction, que cette Kunst der Poezy de van Zyp. Dans l'avant-propos, l'auteur-éditeur nous renseigne sur les motifs qui l'ont poussé à traduire l'oeuvre de Boileau: il ne l'a fait que pour contenter la curiosité de certains amateurs de poésie en Hollande: ‘De begeerte, welke van overlange verscheidene Beminnaeren der Dichtkunde getoond hebben, om eens de Kunst der Poezy van wylen den Heere Boileau in het Nederduitsch gewaed te zien, heeft ons genoopt om dit, by alle Geleerden hervormd werk, uit de Fransche in onze Moedertale te doen overbrengen’. Il n'y a donc pas eu de traduction hollandaise avant celle-ci, car celle de Cammaert de 1754 est flamande. Van Zyp s'est servi d'une édition de Genève (1766), annotée et corrigée par l'abbé Renaudot et par Valincour; il leur reproche d'avoir écrit leurs commentaires avec beaucoup de négligence, pour ne pas dire partialité, parce que, en quelques endroits, il y aurait des détails historiques inexacts. Voici ce que l'auteur nous dit dans l'introduction: ‘Wat hunne nauwkeurigheid aengaet, blykt, onder andere grove misslagen, aen de onbeschaemde Leugen, die zy op het einde van het vierde Gezang rakende Amsterdam hebben durven | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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te boek stellen’Ga naar voetnoot1). Dans la note qui accompagne le passage signalé, Valincour déclarait qu'après le passage du Rhin, le roi de France s'étant rendu maître de presque toute la Hollande, Amsterdam même aurait été prêt à lui rendre les clefs de la ville. Cette note est en effet inexacte, car Amsterdam avait, au contraire, résolu de se défendre jusqu'à l'extrême. C'est pourquoi on avait donné des ordres pour noyer une partie du pays, en ouvrant les écluses. Comme cette ligne de défense par l'inondation s'étendait à l'ouest d'Utrecht, les Français, une fois qu'ils avaient pénétré dans cette ville, n'avaient pas pu continuer leur marche en avant. Dans une autre note se rapportant au vers suivant du Deuxième Chant: Ou fait fléchir l'Escaut sous le joug de Louis
van Zyp reproche une nouvelle inexactitude historique à Boileau et à ses commentateurs, qui n'ont pas relevé la flatterie à l'adresse de Louis XIV: ‘Dit is een staeltje van de wanhebbelyke Fransche vleyery, waar over alle kundigen in de Geschiedenissen der volkeren hartig moeten lachen, gelyk wy den Lezer in onze voorreden gewaerschouwd hebben: dat Boileau, daer hy anderen vermaent, om de waerheid in zyne schriften te doen uitblinken, zich zelfs, maer al te veel, jammerlyk verliest’Ga naar voetnoot2). Cette fois-ci encore, le tort est du côté de Boileau et de ses commentateurs. L'Escaut n'a jamais fléchi sous le joug de Louis, qui a, il est vrai, attaqué en 1672 la ville d'Aardenbourg, mais qui a dû renoncer à l'entreprise. Van Zyp n'est pas très tendre pour les Français, et le passage suivant de l'avant-propos nous montre, en outre, qu'il déteste franchement Louis XIV: ‘Doch wie is zoo onbedreven in de waereldsche zaken, die niet weet, dat de Franschen boven alle andere volkeren met vleyery bezield zyn, welke haetelyke hoedanigheid altoos met Leugenen verzelt gaet; behalven dat, weet yder die geen vreemdeling is in het gemeenebest der | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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letteren, dat Lodewyk de XIV, zyn werk maekte om alle fraeye Vernuften door Jaerweddens aen zich te verbinden, waerdoor hy meester van hunne pennen was: van daer die buitenspoorige loftuitingen, hem door zyne huurlingen gegeven, waerdoor hy dronken van hoogmoed wierdt, van daer die ongerymde, ja ik mag zeggen, beestachtige verdedigingen zyner euveldaden, waervoor zich rechtzinnige Franschen nog tegenwoordig schamen. Dies als de Lezer iets ontmoet, dat hem tegen de borst stuit, laat hy denken, dat den Dichter en zyne Aentekenaers, troetelkinderen van Lodewyk de XIV waren en by gevolg laffe vleyers. Dat hy slechts trachte, om uit de wyze lessen van den, om zyne geleerdheid te recht beroemden Boileau, vermaek en nut te trekken’. Ce passage nous prouve que ce n'est vraiment pas par sympathie pour les Français ou pour leur roi que van Zyp a entrepris cette traduction, mais uniquement pour les sages leçons que contient le chef-d'oeuvre de Boileau. Si, malgré son aversion pour les Français, l'éditeur se résout à traduire l'Art Poétique, il faut bien qu'il s'agisse d'un ouvrage fort en vogue, et, par conséquent, d'une bonne affaire au point de vue financier, surtout pour un auteur qui est en même temps éditeur. La traduction en prose de Johannes van Zyp est tout ce qu'il y a de plus faible. C'est le travail d'un homme qui ne connaît ni sa langue maternelle, ni le français. Pour démontrer que cette opinion défavorable n'est nullement exagérée, il suffira de comparer les deux textes. J'ai constaté, il est vrai, que le Premier Chant est un peu mieux traduit que les autres, comme si le traducteur avait commencé son travail avec beaucoup d'ardeur, mais s'en était peu à peu fatigué. Ce qui est certain, c'est que la traduction devient de plus en plus faible, froide et forcée. A la fin ce n'est plus que du français dissimulé sous des termes hollandais, et encore! Quoique la traduction soit en prose, on retrouve à tout moment la construction du vers français. Quand le traducteur rencontre un vers qu'il ne comprend pas, il le supprime, ce qui ne veut pas dire qu'il ait compris tout ce qu'il a traduit. | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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Voici quelques échantillons du charabia de van Zyp. Pour faciliter la comparaison, nous mettrons en regard les deux textes:
L'auteur confond probablement la stance avec la césure. Dans le Deuxième Chant nous trouvons pour les vers de Boileau:
Traduire en prose un poème ne signifie pas lui ôter | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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toute poésie. Au milieu des ornements classiques de Boileau le consul était bien mieux à sa place que le bourgmestre de van Zyp. Et que penser de la traduction suivante:
La traduction du Troisième Chant n'est pas plus heureuse que le reste. Quelques passages suffiront de nouveau à montrer que le traducteur n'était pas à la hauteur de sa tâche. Involontairement on ne pense pas seulement aux auteurs de tragédies médiocres, mais aussi à l'auteur de cette Kunst der Poezy, quand, dans le Troisième Chant, on lit les vers suivants:
ou, selon van Zyp: Ik lach met een Schryver, die talmt om zich uit te drukken, die, van hetgeen hy straks begeert, my niet weet te onderrechten; en die kwalyk een moeyelyke knoop ontwarrende, van een vervrolyking voor my een last maakt.
Un peu plus loin, la suppression d'une négation est cause que van Zyp exprime tout juste le contraire de ce qu'il y a dans le texte de Boileau:
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Quand Boileau nomme le théâtre un champ périlleux où l'auteur est à la merci du public, et où
van Zyp donne pour toute traduction: Ydereen mag dus handelen, van den schoft tot den weetniet toe.
La traduction des vers 227 et suivants est tout simplement incompréhensible. On n'a qu'à en juger par ce qui suit:
Les vers de Boileau:
Il serait oiseux d'allonger la liste des citations. Du reste, nous voici arrivé au Quatrième Chant. J'ai dit que la traduction devenait de plus en plus négligée. Les passages suivants peuvent corroborer cette assertion:
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Ailleurs le traducteur lit conserver pour converser:
Les erreurs se multiplient. Quand Boileau, dans le vers 132, nous avertit de ne pas faire d'un art divin un métier mercenaire, le traducteur nous interdit de faire: van een godlyke kunst een baetzuchtigen ambagtsman. Terminons le relevé par quelque citations trop curieuses pour qu'on les laisse passer sous silence.
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Signalons encore la manière de rendre les vers 200-201 du Quatrième Chant, qui fournissent une dernière preuve de l'ignorance du traducteur et de l'ineptie de sa traduction:
Pour le reste, laissons là la pauvre traduction en prose de Johannes van Zyp, à laquelle on peut appliquer le vers de Boileau: Sur trop de vains objets c'est arrêter la vue.
Une chose est sûre, c'est que ce n'est pas un ouvrage pareil qui puisse révolutionner le monde des théoriciens littéraires en Hollande. Aussi, l'influence de cette traduction sur l'opinion du public lettré doit avoir été nulle. La deuxième traduction de l'Art Poétique, parue en 1768, est de la main de A. GobelsGa naar voetnoot1). Cette traduction en vers, et même en un nombre de vers égal à celui de Boileau, est de beaucoup supérieure à la précédente. C'est la meilleure que nous ayons, car cette fois-ci nous avons affaire à un poète qui comprend le texte français et qui se heurte seulement à certaines difficultés provenant surtout des termes techniques. La traduction de van Zyp était peut-être une entreprise financière, celle de Gobels est une oeuvre de piété et d'admiration pour Boileau. L'auteur ne paraît pas avoir été à proprement parler, un homme de lettres; c'est un amateur de belle poésie et un admirateur de Boileau. Il a traduit l'Art Poétique, moins pour la gloire que lui vaudrait une pareille entreprise que pour | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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rendre service à ceux parmi ses compatriotes qui n'étaient pas assez forts en français pour pouvoir lire Boileau dans le texte. L'avant-propos de l'auteur est d'un homme sans prétentions, convaincu que sa traduction restera bien au-dessous de son modèle: ‘De oorzaek waerom ik dit Dichtstuk juist in een gelyk getal van vaerzen heb overgebragt, is toe te schryven aen het vooroordeel van zekeren Heere. Deze konde zich niet verbeelden, dat men in hetzelfde getal van Nederduitsche vaerzen zoo zinryk en cierlyk konde zyn als de Heer Boileau in de Fransche vaerzen zyner Dichtkunde. En schoon ik hem betoogde, dat men zulks, zonder onbillykheid, van geenen Vertaaler eischen konde, en tevens vreesde, dat myne vaerzen door uitbreiding misschien verzwakken zouden, zo prikkelde de liefde tot myne Moedertaal my zoodanig aan, dat ik de zaak vermetelyk ondernomen, doch misschien gebreklyk ter uitvoeringe gebragt heb’. Le poète s'est donné beaucoup de mal pour trouver des équivalents hollandais aux termes français. En même temps il a appliqué à son propre ouvrage les règles de Boileau sur la rime, la césure, l'enjambement; et pour donner à sa traduction un plus grand attrait d'actualité, il a remplacé de temps en temps les noms propres français par des noms hollandais. Ainsi un vers comme: Apollon, travesti, devint un Tabarin,
I, v. 86.
est traduit par cette phrase: Apollo, zot verkleed, wierd eind'lyk een Klaas-Klomp.
Les vers de Boileau: Et changer, sans respect de l'oreille et du son
Lycidas en Pierrot et Phylis en Toinon
II, v. 23 sq.
sont rendus par: En, spyt Gehoor en Klank, durft noemen zonder schroom,
Zyn Philis Teuntje-buur, en Damon Lubbert-oom.
Un des mérites de cette traduction, c'est que Gobels a donné | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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pour tous les noms des genres poétiques le terme hollandais correspondant, au lieu de les indiquer par des définitions plus ou moins vagues. La terminologie hollandaise connaît souvent plusieurs mots pour désigner un même genre, comme le montre la liste suivante où j'ai mis en regard du terme français les traductions le plus souvent employées par les poètes du temps:
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Il va sans dire que la traduction de Gobels n'est pas toujours également heureuse. Pour rendre les vers de Boileau: Villon sut le premier, dans ces siècles grossiers
Débrouiller l'art confus de nos vieux romanciers.
I, v. 117 et 118.
il aurait certes pu mieux trouver que: Villon heeft in dien tyd de Woestheid 't eerst getart,
En d'oude Brabbelkunst der Romanciers ontward.
Il arrive aussi qu'on tombe sur un passage que le traducteur a évidemment mal compris. Le vers: Ce qu'on ne doit point voir, qu'un récit nous l'expose.
III, v. 51.
est mal traduit par 't Bericht schetze ons een zaak wiens Denkbeeld zelv' doet beeven.
Le mot abstrait ‘denkbeeld’ est tout juste le contraire de la chose concrète que Boileau condamne de montrer sur la scène. Il ne s'agit pas d'une idée, mais d'une action. Un peu plus loin. nous nous trouvons en présence d'une version inexacte. Ce qui a induit Gobels en erreur, c'est la signification du verbe ‘jouer’, que Boileau emploie dans le sens de ‘mettre sur la scène’, et le traducteur dans celui de ‘se permettre trop de liberté envers quelqu'un’. Voici les deux textes en regard:
L'épopée, selon Boileau, se soutient par la fable et vit de fiction.
III, v. 162.
Dans ce vers le mot ‘fable’ indique la mythologie des Anciens; ce passage a été rendu d'une façon très faible par: .................'t Heldendicht
Leeft door verdichtzelen, en voedt zich door 't Cieraad.
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Du reste, que la traduction exacte ait été un travail presque impossible pour Gobels et que l'harmonie des vers ait parfois eu à souffrir de la difficulté qu'il éprouvait à trouver l'équivalent des vers français sans en dépasser le nombre, personne ne s'en étonnera. Les vers 33-37 du Quatrième Chant de l'édition de la Haye de 1722, dont Gobels s'est servi: Qui dit froid écrivain dit détestable auteur,
Boyer est à Pinchêne égal pour le lecteur:
On ne lira guère plus Rampalle et Mesnardière
Que Magnon, du Souhait, Corbin et la Morlière
avaient d'abord été traduits littéralement par Gobels: Wie koelen schryver zegt, zegt kreup'len Letter-held:
Boyer word met Pinchêne in d'eigen graad gesteld,
Men acht byna zo min Rampalle en Mesnardière
Als du Souhait, Magnon, Corbin en La Morlière.
Cependant, craignant que tous ces noms d'auteurs français ne fussent inconnus aux Hollandais, il a remplacé ces vers par les suivants qui rendent le texte de Boileau tel qu'il était dans les éditions d'avant 1701: Les vers ne souffrent point de médiocre auteur
Ses écrits en tous lieux sont l'effroi du lecteur;
Contre eux dans le Palais les boutiques murmurent
Et les ais chez Bilaine à regret les endurent.
In Vaerzen word vooral geen Middelmaat geduld:
De Leezer is alom daarvoor met schrik vervuld;
Men hoort de Winkels zelfs zich van dien Last beklaagen;
En 't is met wederzin dat hen de Balken schraagen.
Comme nous le constatons, il y a, pour le fond, fort peu de différence entre ces deux manières de traduire. Dans une postface Gobels nous apprend que, pour sa traduction, il s'est servi de l'édition de la Haye (1722). L'auteur n'a ajouté que peu de commentaires à sa traduction. Tout ce qu'on trouve en note au bas des pages, c'est l'indication des sources latines de Boileau, avec par-ci, par-là un renseignement plus détaillé sur les noms propres d'auteurs. | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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L'oeuvre de Gobels mérite pleinement notre attention; c'est la seule traduction de l'Art Poétique qu'on puisse consulter avec un profit réel. L'auteur a bien saisi et habilement rendu le texte de Boileau, en sorte que son ouvrage est très instructif pour tous ceux qui veulent en savoir plus long sur les questions de critique littéraire en Hollande au XVIIIe siècle. Cette traduction aura certainement contribué à mieux faire connaître les idées de Boileau, et le soin que prend Gobels de ne pas enfreindre lui-même les règles de son modèle nous montre que nous avons affaire, non à un dilettante, mais à un disciple érudit et dévoué. A la Bibliothèque de l'Université de Gand, il y a une traduction anonyme de l'Art Poétique de BoileauGa naar voetnoot1) qui n'est autre que celle de Gobels, mais c'est en vain qu'on y cherche les initiales A.G. ou un renvoi à une édition antérieure. Est-ce encore pour induire le lecteur en erreur que dans l'édition Vander Schueren on a considérablement abrégé la préface, pour n'en garder que la partie où Gobels s'expliquait sur sa manière de traduire les termes techniques? Au XVIIIe siècle il n'y avait aucune loi pour protéger les droits d'auteur, et la propriété intellectuelle était à la merci de tout le monde. On trouve à la même Bibliothèque de Gand une autre traduction très curieuse de Boileau. C'est un manuscrit en deux gros volumes de 369 et 220 pages, contenant à peu près toutes les oeuvres poétiques de notre poète. Le texte est en français avec la traduction flamande en regard, et il porte ce titre-ci:Ga naar voetnoot2) | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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La première page porte, au crayon, la note suivante de la main du bibliographe Ferd. van der Haeghen: ‘In dicht door Rigauts, advok. te Gent’. Dans les différents Wegwyzers der Stad Gent de 1770 à 1812, on trouve en effet le nom de Rigauts parmi ceux des avocats inscrits au barreau de la ville. A partir de 1813, son nom ne revient plus dans le Guide, parce qu'il est probablement mort en 1812. Le nom de Rigauts n'est pas mentionné dans la Biographie Nationale de Belgique et la traduction de Boileau est tout ce qu'on connaît de sa main à la Bibliothèque de Gand. Les lettres D.L. sont les initiales de J.F. de Laval, né en 1774 et nommé sous-bibliothécaire à la Bibliothèque de Gand en 1820. Il a copié de sa propre main un très grand nombre de manuscrits et d'ouvrages rares. Il est impossible de déterminer quelle est au juste la part qui revient à de Laval dans la confection de cet ouvrage. A-t-il mis au net le brouillon de Rigauts? A-t-il copié le manuscrit? A-t-il copié ‘ad usum bibliothecae’ un exemplaire imprimé? Nous n'en savons rien. En ce dernier cas, l'ouvrage de Rigauts serait naturellement antérieur à 1803. | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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Le manuscrit G 15255 de la Bibliothèque de Gand est le seul exemplaire connu de la traduction de Rigauts, et la Bibliographie gantoise de F. van der Haeghen ne cite aucun autre ouvrage de cet auteurGa naar voetnoot1). Dans une note, de Laval nous apprend que Rigauts a copié et traduit l'édition d'Amsterdam de 1743, où l'on trouve également les Poésies diverses du Père de Sanlecque. Le manuscrit contient tous les poèmes de l'édition de 1743 avec les notes qui les accompagnaient. La traduction flamande est littérale, sans allusions aux auteurs belges ou hollandais. C'est, d'ailleurs, une traduction assez médiocreGa naar voetnoot2).
Pour terminer ce chapitre nous relevons encore une fois qu'il n'y a eu, en tout, que deux traductions hollandaises de | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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l'Art Poétique; toutes les autres sont flamandes. De ces deux traductions il n'y a que celle de A. Gobels qui soit sérieuse et qui ait pu contribuer à repandre les idées de Boileau dans notre pays. La traduction de van Zyp est illisible. Une seule traduction hollandaise vraiment bonne, c'est un résultat très pauvre, d'autant plus qu'il s'agit d'un poète à qui tout le monde accorde pourtant une autorité presque souveraine dans le domaine des lettres. Mais cette autorité est-elle incontestable? Si oui, où faut-il en chercher les preuves? |
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