Boileau en Hollande
(1929)–H.J.A.M. Stein– Auteursrecht onbekendEssai sur son influence aux XVIIe et XVIIIe siècles
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Chapitre III
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Dans nos recherches sur l'influence que la doctrine de Boileau aurait pu exercer sur le théâtre hollandais, nous n'avons pas à remonter plus haut que 1674, année de la publication de son Art Poétique. Dix ans auparavant, en 1664, Lodewyk Meyer, dans la préface de 't Ghulde Vlies, avait fait l'éloge de la pièce à grand spectacle, forme d'art qui est à mille lieues de la tragédie classique française. Pour nous en convaincre, nous n'avons qu'à comparer sa pièce avec La Toison d'or de Corneille, qui traite le même sujetGa naar voetnoot1). Le contenu de la tragédie française est excessivement simple, comparé à la féerie de Meyer. Corneille nous peint une Médée follement éprise de Jason et pleine de l'espoir de le voir un jour son époux. Quand Jason réclame comme récompense de ses exploits la toison d'or, au lieu de demander la main de Médée, celle-ci entre dans une fureur terrible, à laquelle s'ajoute une jalousie aveugle, lorsqu'elle apprend qu'elle a une rivale redoutable par sa beauté éclatante. Un instant elle est disposée à tuer l'objet de son amour, mais en vraie héroïne cornélienne elle se reprend. Sa grandeur d'âme triomphe une fois de plus de ses désirs de vengeance. Voyons maintenant la pièce de Lodewyk Meyer. Jason est amoureux de Médée, mais d'une ‘Medea ferox et invicta’, telle que la veut Horace. Médée, de son côté, le méprise et évoque l'ombre de Phryxus. Le plancher s'entr'ouvre, l'ombre se présente et reçoit l'ordre d'aller chercher Jason. Quand celui-ci est en scène, Phryxus l'invite à s'asseoir dans un fauteuil enchanté, où notre héros s'endort immédiatement. Médée va le tuer, quand Cupidon intervient. Au lieu de porter à son ennemi le coup mortel, elle l'embrasse, et les deux amants, enfin réunis, sont transportés au ciel par quelques amours. A la fin de la pièce on les voit redescendre sur | |
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la scène au milieu d'un nuage pour déjouer les projets de Mars irrité. Après bien des aventures ils réussissent à s'enfuir, emportant la toison d'or. Au bout d'un dernier entretien Junon, Pallas et Venus montent dans trois chars descendus sur la scène et sont ainsi enlevées aux yeux des spectateursGa naar voetnoot1). Une année après la publication du Ghulde Vlies Lodewyk Meyer a renoncé à la féerie et il est devenu le disciple d'Aristote, d'Horace et de Corneille. La nouvelle tragédie qu'il présente en 1668 sous le titre de Verloofde Koninksbruidt est un curieux mélange de Corneille et de Sénèque, comme le montre l'analyse détaillée de M. BauwensGa naar voetnoot2). Si l'auteur avait subi l'influence de l'Art Poétique de Boileau, il aurait certainement cherché un autre dénouement à sa tragédie plutôt que de nous montrer le tyran Grimoald mangeant la chair de son propre fils et buvant son sang. Cet élément mélodramatique est une preuve que Meyer n'avait pas compris le principe philosophique qui forme l'armature des théories du critique français. En 1679, dix ans après la fondation de Nil, dont les membres étaient plutôt des traducteurs que des créateurs littéraires, paraît une première tragédie vraiment originale composée selon la formule des ouvrages classiques français, c'est Karel, Erfprins van Spanje, de Govert Bidloo. La pièce a pour sujet la lutte de Charles, fils de Philippe II, roi d'Espagne contre la noblesse et le clergé qui le soupçonnent d'avoir des idées hérétiques, parce qu'il préférait, pour réprimer la révolte des Pays-Bas, la clémence à la sévérité. Par toutes sortes d'intrigues infâmes on réussit à convaincre le roi que son fils entretient des relations illicites avec sa bellemère, la reine Isabelle. Après bien des hésitations, Philippe se décide à faire mourir Charles, qu'il considère en effet comme coupable. Dans la salle tendue de noir on apporte au malheureux la coupe empoisonnée, qu'il vide d'un trait, croyant que la reine avait déjà été mise à mort à cause de lui. | |
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Dans un accès de fureur il débite, avant de mourir, les stances suivantes, qui font penser à Corneille: Wel aan, ik zal de dood dan drinken;
Maar waand niet, dat gy my bedriegd,
Noch dat myn moedig hart zou zinken,
Wyl 't zelf de dood in de armen vliegd.
Ik weet, dit zal een slaapdronk weezen,
Een moorddronk: nu weest niet beschaamd,
Ik zalze drinken zonder vreezen,
Gelyk 't een rustig Prins betaamd;
Een Prins, die zonder schuld moet sterven,
Omdat zyn Vaders heerschzugt, bang
Van eens de Spaansche Kroon te derven,
Verhaast zyn nood'looze ondergang
- - - - - - - - - - -
Maar 'k zie alreeds myn moord gewrooken,
En hem ten hals toe in den nood.
Hy zie, vol schrik, zyn trotze vlooten,
Verjaagd, verwonnen, en verbrand,
Op strand, en oevers, stukken stooten,
Of door een veege pest ontmand.
Hoe steeden, landen, Koningryken,
Zich schudden uit zyn slaafs gareel,
En hem voorvluchtig heen doen wyken,
In 't hof, vol manslag en krakeel.
Die wraak zal dan myn geest genieten,
En ik, ten einde kracht, en lust,
Breng, met dit mengzel in te gieten,
Myn zuiv're ziel om hoog te rust.
Bidloo a essayé de suivre l'exemple de l'auteur du Cid; il a donné à sa pièce la division classique, le nombre des personnages est restreint à treize, les entrées en scène sont annoncées d'avance, comme le montrent les passages suivants: Anna:
Mevrouw, daar hoor ik volk; wilt u van hier begeevenGa naar voetnoot1).
Rodrigo:
Daar komt Spinoza, dit blyft vastgestelt; vertrek,
Heer Hartog, eer u 't oog des Biechtvaars ook ontdek!
Met wat een grootsheid komt de ketterschrik ons nad'renGa naar voetnoot2)!
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Antonia:
Vrouw Anna, die ons in de galery zou wachten,
Komt herwaards heel verbaastGa naar voetnoot1).
Rodrigo:
Mevrouw, daar komt hy zelf, hy zal 't u best ontvouwenGa naar voetnoot2).
Rodrigo:
Maar 'k zie, ter goeder uur, Fresneda herwaarts treedenGa naar voetnoot3).
Rodrigo:
Maar daar 's uw' MinnaresGa naar voetnoot4).
Fresneda:
Daar is de Kamerheer, zyn' boodschap is ligt goedGa naar voetnoot5).
Vasques:
Zacht Heer Prins, daar komt de Graaf al aanGa naar voetnoot6).
Fresneda:
'k zie Lerma herwaarts treeden,
En Heer Spinoza ook des Graven zyd' bekleedenGa naar voetnoot7)
Manriques:
Hou dienaars, kamerwacht, men ga den Koning haalenGa naar voetnoot8).
Comme nous le constatons, l'auteur, dans plusieurs détails accessoires, a suivi les préceptes classiques, mais le sujet de la pièce est emprunté à l'histoire moderne et l'unité de lieu est mal observée, puisque la scène se passe tantôt devant, tantôt dans la chambre du prince; à la fin Bidloo fait mourir son héros sur la scène et non dans la coulisse. Dans sa conception sur l'unité de lieu, l'auteur avait suivi l'exemple donné par le Cid de Corneille; en montrant sur la scène la mort de Charles, il s'inspirait de Sénèque, qui ne reculait devant aucune horreur pour impressionner son public. Ce qui prouve, du reste, que Bidloo n'était pas un partisan absolu du classicisme français, mais un indépendant, c'est qu'en 1719 il écrivit une seconde pièce, intitulée De brand van Trojen, qui est un véritable mélodrame, ou, si l'on aime mieux, une pièce à grand spectacle. Quand Ludolf Smids publie, en 1668, Konradyn, tragédie qui a provoqué de nombreuses critiques, il s'explique dans | |
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une brochure signalée par Te WinkelGa naar voetnoot1), sur la façon dont il a appliqué les règles des théoriciens de Nil. Il admet, entre autres, les changements de décors pendant les entr'actes, ce qui est contraire à la conception française sur l'unité de lieu: Qu'en un lieu, qu'en un jour, un seul fait accompli
Tienne jusqu'à la fin le théâtre rempliGa naar voetnoot2),
et aussi au précepte suivant: Que le lieu de la scène y soit fixe et marquéGa naar voetnoot3),
Hâtons-nous de dire que la règle des trois unités n'a jamais été intégralement appliquée sur le théâtre hollandais. C'est surtout l'application complète de l'unité de lieu qui rencontre de la résistance. En général on prenait l'unité de lieu dans le sens où l'avait prise l'auteur du Cid et qui ressemble en quelque sorte au système des ‘mansions’ du théâtre du moyen âge, ou bien on permettait de changer les décors pendant les entr'actes, comme dans la pièce citée plus haut de Ludolf Smids. Le public aimait ces changements, car il appréciait les joies des yeux autant que celles des oreilles ou de l'esprit. Vers la fin du XVIIe siècle on commence à voir plus clair dans la structure de la tragédie françaiseGa naar voetnoot4). On comprend en même temps que la dignité de la scène et le respect du public demandent, même dans les genres plus légers de la comédie et de la farce, un ton digne, exempt de grossièreté. Johan Blasius n'avait-il pas, en 1671, dans la troisième édition de ses Edelmoedige Vyanden, supprimé tout ce qui avait choqué le public dans les éditions antérieures? Il serait plutôt oiseux de passer en revue toutes les pièces originales qui ont paru à la fin du XVIIe et au commencement | |
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du XVIIIe siècle. C'est une matière aride. dont rien n'a passé à la postérité et ‘het is een spinhuisstraf die stukken te moeten lezen’Ga naar voetnoot1). Les tragédies de cette époque montrent que, pour le choix de la matière on n'entend pas suivre servilement le conseil de Boileau et que ‘la fable’ est empruntée à l'histoire moderne, à la légende, au roman, au fait divers, à la chronique scandaleuse aussi bien qu'à l'histoire des Grecs et des Romains. Worp nous ditGa naar voetnoot2) qu'au commencement du XVIIIe siècle la tragédie française classique avait remporté la victoire en Hollande. Mais cette victoire est plus apparente que réelle, puisqu'elle se rapporte seulement à la forme extérieure et non au fond: ‘Wat de eerste zestig jaren der XVIIe eeuw niet hadden gebracht, is ook in de laatste veertig niet vergoed. Het Fransch classicisme, welks wezen den Nederlanders nooit in merg en bloed is overgegaan, doch dat hen slechts tot een vry zinledigen vormendienst leidde, bepaalde hun aandacht meer en meer by uiterlyke zaken, de kunstwetten betreffende, doch opende hun gemoederen niet voor diepere vraagstukken’Ga naar voetnoot3). Il ne faut pas attribuer ce fait à l'absence de génies, ou même de talents littéraires, mais pour le moins autant au goût du public, qui avait souvent une prédilection pour la tragédie romantique ou patriotique et pour la piècle à grand spectacle. Au commencement du XVIIIe siècle Lucas Rotgans a écrit deux tragédies sur le modèle français, Eneas en Turnus en 1705 et Scilla en 1709. Dans l'avant-propos de la première pièce il avoue avoir emprunté sa matière à l'Énéide de Virgile, tout en se permettant certaines libertés nécessaires pour étoffer le sujet, pour mieux lier les scènes et apporter plus de vraisemblance, selon l'exemple des auteurs tragiques français, qui excellent en cette matière. Dans la préface de | |
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Scilla il allègue de nouveau l'exemple des Français et parle de leurs lois du théâtre. Nous sommes dans les premières années du XVIIIe siècle, époque où Corneille fait loi. M. Bauwens nous a dit qu'avant 1705 on avait déjà traduit quatorze de ses tragédies et qu'au XVIIIe siècle les traductions ont été très nombreusesGa naar voetnoot1). Ne nous étonnons donc point que les tragédies parues à cette époque soient tout à fait pénétrées de l'esprit et de l'héroïsme cornéliens. Seulement, les surhommes ont beau faire un bel effet sur la scène, ils restent des surhommes et par conséquent des êtres qui ne sont pas conformes à la nature. Il y a un côté par où Rotgans se rapproche de Boileau, c'est par l'emploi continuel, pour ne pas dire l'abus, qu'il fait de la mythologie païenne. En voici quelques exemples, empruntés tous au premier acte d'Eneas en Turnus; 't Gedenkt u noch dat wy gekranste schapen slachtten,
Ter eere van den boom, aan Febus dienst gewydt.
Wat zag men wonderen by 't offer in dien tydt!
Toen ik een schorre stem, geborsten uit den grondt,
En dit Orakel hoorde uit vader Faunus mondt:
Lavinia zal nooit met uw Latynen trouwen.
Gy, die hier boven heerscht, als koningin der Goon,
O Juno, die myn wensch begunstigt op uw troon,
Gy, die den gloedt van haat ontsteekt in myn gedachten,
Ach, mogt ik met de byl den Trooischen balling slagten.
Ik zag een Vloekgodin, ten afgrondt uitgebroken,
In 't midden van den slaap langs myne kamer spooken,
Zy zwaaide een zwarte toorts met haar verbleekte handt,
En slingerde de vlam langs 't purper ledekant
Dit hatelyk verbondt wil Juno wederstreeven.
Zy vloekte 't magtig Troje en Priaams kroon en staf
En afkomst, sint zyn zoon 't ooft aan Venus gaf.
En veinzende dat my des Wyngodts geest beving,
Liep in 't gewyde kleedt met myn ontsnoerde haaren,
En spookte langs den weg met uitgelaate schaaren.
Daar gilde ik Evohé, met een verwoeden zin,
In 't Laurentynsche woudt, als Bachus priesterin.
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En 1710, un autre poète, jeune mais doué, Lucas Schermer, publie Meleager en Atalante, tragédie, qui pour les éléments extérieurs, est tout ce qu'il y a de plus classique, mais dont le sujet est purement mélodramatique. On y voit une scène de folie, des tueries; on y entend un grand nombre de vers bas et ridicules, dont voici quelques specimens: Waar vinde ik den Baarbaar met zyne Jachtgodinne,
Opdat ik hun het hart afsteeke met myn staalGa naar voetnoot1).
Neen, 'k zal noch, eer Apol neerstruikelt in de zee,
Myn' hoopelooze min den Prins te kennen geevenGa naar voetnoot2).
Zo slurpe hy de doot vry uit het kristalyn,
En breng het zyn Prinses, op dat zy, van den wyn
Te samen drinkende, ook te samen barsten moogenGa naar voetnoot3).
Kom wreeken w'ons, 'k eisch wraak, doe Meleager sterven.
Wyl ik zyn fiere Nimf zal in de leden kervenGa naar voetnoot4).
Wat dootverft uwe kaaken
Bedroefde Licidas?
O vrees'lyk Schouwtooneel!
Ach Majesteiten, ach! vergunt my, dat ik deel
In uwe droefheit, neem. Laat nu vergramde Goden
Vry brullen op uw kroon, en vee, en menschen dooden;
Zy staapelen nu vry puinbergen van uw ryk,
Want al uw hoop, uw heil leit neder in het slykGa naar voetnoot5).
Zal ik den sabel der Gerechtigheit doen zwaaijen
Door zyn verharden nek; ik moet de schimmen paajen
Van mynen broeder, en de koninglyke BruitGa naar voetnoot6).
Remarquons l'anachronisme qu'il y a dans le terme ‘échafaud’ du vers suivant: Als hy 't schavot optreet met aarselende schreedenGa naar voetnoot7).
La note comique n'y manque pas non plus. On la trouve | |
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dans le premier acte où Schermer nous montre le vieil et respectable Nestor dans une position vraiment curieuse: En Nestor hadt misschien
Den blyden uitslag van dees' zege nooit gezien,
Zo hy niet, smytende zyn' speer en schilt ter zyden,
Was op den naasten boom geklautert, daar hy 't stryden
In veiligheit kon zienGa naar voetnoot1).
Comme Boileau se serait indigné s'il avait vu cette altération du caractère du vénérable Nestor! Est-il besoin de parler d'auteurs médiocres comme Boon, van der Hoeven, Bruin, et autres, poètes, dont les noms seraient oubliés depuis longtemps, si Sybrand Feitama ne les avait introduits dans son adaptation de la deuxième Satire de Boileau, pour les livrer ainsi à la postérité? Si ces poètes avaient en effet étudié les leçons du théoricien français, ils auraient écrit de meilleures pièces, ou bien ils se seraient tus. Boon, l'auteur de Leiden verlost (1711), de Mirra (1714), de Dido (1732), déclarait que dans l'imitation des classiques français il était ‘plus roialiste que le roi’. Il s'est surtout efforcé à bannir de la scène toute action, même la plus insignifiante, en sorte que ses tragédies ne sont que des dialogues ou des monologues ennuyeux et monotones. Bruin, qui a écrit entre autres De Grootmoedigheid van Epaminondas (1720), négligeait à dessein les unités, probablement parce qu'il manquait du talent nécessaire pour ‘plaire selon les règles’. Dans une de ses pièces, De Dood van Willem den Eersten, Prins van Oranje, le prince est tué sur la scène d'un coup de pistolet. Une tragédie ou entre un élément mélodramatique pareil pèche contre les préceptes de la tragédie classique, ce qui n'a pas empêché le public, qui assistait à la représentation, d'applaudir à tout rompre, parce que, malgré toutes les leçons de Boileau, les Hollandais avaient un faible pour le genre romantique. Quant à Van der Hoeven, non seulement il n'observait pas | |
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les règles classiques, mais il se vantait publiquement de ne pas suivre docilement l'exemple des Français. S'il avait pris à coeur les leçons de Boileau, sa langue aurait été moins grossière et Feitama ne l'aurait pas livré à la risée de ses contemporains. Sa principale pièce - car on ne saurait parler d'un chefd'oeuvre - est De Dood van Sultan Selim, Turksen keizer (1717). Dans un avant à propos l'auteur nous avertit que son héros ‘pronkt met geen Fransche, of andere veeren op zyn Tulband’. Pendant tout le XVIIIe siècle la tragédie en Hollande est fondée sur l'imitation des classiques français, du moins pour la forme. Pour ce qui est du fond, les pièces hollandaises diffèrent considérablement des tragédies françaises: on observe mal les unités et on admet sur la scène le meurtre et le suicide, continuant ainsi une tradition du théâtre hollandais du commencement du XVIIe siècle, ou bien on empruntait à Euripide ou à Sénèque le droit de satisfaire le goût du public pour les actions violentes. Du reste, les ouvrages de tous ces auteurs médiocres sont tellement dépourvus d'intérêt artistique qu'il ne vaut pas la peine de s'y arrêter longtemps: ouvrages et auteurs sont morts et enterrés et personne n'aura envie de les ressusciter. Il faut relever plutôt quelques écrivains du commencement du XVIIIe siècle qui ont subi d'une manière plus sensible et plus directe l'influence de Boileau, quoiqu'ils ne le reconnaissent pas non plus, eux, comme leur maître unique. C'est le moment de nommer Coenraet Droste, Balthazar Huydecoper et Sybrand Feitama. Droste a écrit un grand nombre de tragédies, comme Agiatis (1707), Themistocles (1707), Arsinoë (1707), Althea (1710), Vrouw Jacoba van Beyeren (1710), Floris de Vyfde, et quelques comédies, comme De Neuswys et de Haegsche kermis. Dans ses premières tragédies il suit les leçons d'Horace, et il copie même un fragment de l'Epître aux Pisons qu'il ajoute comme préface à Themistocles. Peu à peu il va vers Boileau, pour qui il gardera toute sa vie une grande admiration. | |
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La tragédie Vrouw Jacoba van Beyeren, Gravin van Hollandt, que Droste a publiée avec d'autres pièces de théâtre dans un volume intitulé De Haegsche Schouburg gestoffeert (1710), est précédée d'un traité en vers sur la tragédie. Ces ‘Wetten voor het Treurspel, vertaelt uyt de Dightkunst van de Heer Boisleau des Preaux’ sont la traduction des 159 premiers vers du Troisième Chant de l'Art Poétique. Cette traduction rimée justifie pleinement les jugements défavorables portés sur l'oeuvre poétique de Droste par les critiques du temps. En voici quelques fragments: Ick lag een Speelder uyt, die my lang wagten doet,
Nog aenstonts onderregt, van dat ick weeten moet;
Die de verwarde knoop niet klaerlyck kan ontbinden,
En in plaets van vermaek, my steets doet hooftsweer vindenGa naar voetnoot1).
La formule si concise de la règle des trois unités devient sous la plume de son traducteur: Maer die regsinniglyck wil, naer de regels schryven,
Sal in beknopter Perck syn handeling doen blyven.
En toonen maer alleen, van een geschiedenis,
Wat tusschen nagt en dag, in een plaets doenlyck is.
Le passage bien connu sur l'histoire de la tragédie est rendu de la manière suivante par Droste: De Schouburg was tot schrick aen ons Voorouders geest;
Des is dat tydt verdryf lang onbekent geweest.
Men sag 't eerst tot Parys op het Tooneel verschynen:
Een trop van Pellegroms, ontsloot daer de Gordynen;
Wiens sotte eenvoudigheydt, uyt yver, heeft gewaegt,
Te speelen Heyligen, Godt en de Moeder Maeght.
Remarquons encore le caractère prosaïque des vers que voici: Van ider hertstogt syn de woorden onderscheyden.
De gramschap buldert uyt, en neemt een hoogen toon;
Daer de neerslagtigheyt te kruypen is gewoon.
Wanneer een mensch begint hoogdraevende te kermen,
Sal, over syn Elendt, geen ander sig ontfermenGa naar voetnoot2).
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L'avant-propos rimé de Droste a évidemment pour but de mettre sa tragédie sous l'égide de l'Art Poétique. Pourtant il y a une chose curieuse à constater dans la pièce, c'est que, malgré le conseil de Boileau, la matière est empruntée non à l'histoire des anciens, mais à celle des modernes. Dans le même volume De Haegsche Schouburg gestoffeert se trouve la comédie intitulée De Neuswys. La préface de cet ouvrage contient entre autres la traduction rimée des vers 335 jusqu'à la fin, du Troisième Chant de l'Art Poétique, traitant de la comédie. Droste s'exprime en ces termes: ‘Maer alsoo daer groot onderscheyt is tusschen een Treur- en een Blyspel, heb ick de lessen die Boileau aen het laetste heeft voorgeschreeven in syn uytmuntende Digtkunst, getragt in Nederduytsche vaerzen te verkleeden, tot onderregting van myne Lantsluyden, die de Fransche tael niet verstaen; en dezelve soo veel naergevolgt als my mogelyck is geweest. In 't Frans gaet voor af de herkomst van het Blyspel en de hervorming van het selve; waer mede ick oock een aenvang gemaekt heb, om tot de grondtregelen te komen; en heb veel moite gehadt, om de Fransche woorden, die natuerlyck de saecken uytdrucken, verstaenbaer te maecken, mits deselve by ons nog niet gangbaer syn, sonder de sin van dit Geleerde gedigt te verliezen. Het welck ick aldus naergestaemelt heb’. Suit la traduction du fragment indiqué, traduction qui, au point de vue littéraire et artistique, vaut celle du passage sur la tragédie, comme le montrent les exemples suivants: Het ouwerwets gebruyck van schimpen raeckten af:
De Digters wierden wys, de Schouwburgh vreesde straf,
Deedt lachen, sonder gal op iemant uyt te storten;
En dorst noyt, in haer eer, persoonen meer verkorten.
Menander bragt het jock tot een leersaeme saeck;
En, sonder angel, gaf op het Tooneel vermaeckGa naar voetnoot1).
Gy Digters, soo gy wilt, in Bly-spel syn gepreesen,
Laet de natuer alleen u onderwyster weesen.
Die 's menschen aerdt wel kent, de gronden van elk hert
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Kan peylen, en verstaedt wat daer besloten wert:
Die weet wat is een wreck, een kwist-gelt, pannelicker,
Een eerlyck man, een kwast, een kwiebes, een verklicker
Kan tot genoegen, haer, vertoonen op 't TonneelGa naar voetnoot1).
Hoe wel het Bly-spel haet de traenen en geklag,
En, uyt de spreeckers mondt, geen treur-toon vloeyen mag,
Behoort hy daerom niet, door ongeschickte trecken,
Aen het gemeene volck, het lachen te verweckenGa naar voetnoot2).
Et les derniers vers sont rendus ainsi: Ik schep genoegen in een aerdigh kamerist,
Die wel syn Rol beseft, en selden daer in mist,
Soo hy door ernst en jock, d'aenschouwers kan behaegen,
Maer blaeuwe poetsen kan ick van hem niet verdraegen,
Ick walgh indien hij niet als vuyle woorden braeckt,
En de regtsinnigheyt te kort doet en versaeckt.
Ick acht syn kwacken dan min als van Janpotage,
Die 't graeuw doet schaeteren, vergaert om syn stellageGa naar voetnoot3).
Une autre comédie de Droste, intitulée De Haegsche kermis et insérée dans le même volume, est précédée d'un avantpropos rimé, adressé ‘Aen de liefhebbers der Poëzy’. C'est la traduction en vers du Premier Chant de l'Art Poétique de Boileau, à partir du vers 103, dont voici le début: Een Digt is maetgesang, en kwetst de Leesers ooren,
Soo hardheydt hem belet den regten toon te hooren.
Als midden in het Vaers de sin een weynig rust,
En hy daer adem loost, geeft hem de klank meer lust.
Een letter van geluyt laet geen vokael ontmoeten,
Of smelt haer beyde in een; dat kan de klanck versoeten.
Soeckt woorden, die met een verwecken soet geluyt,
Uyt welckers saemen-vloet geen tegenstryt en spruyt.
De snyding moet uw Vaers soo niet in stucken breecken,
Of het geen voeten had, en maeteloos wou spreecken.
Laet aen te korte maet geen overspringent woort,
Dat tot de sin en 't rym van 't volgent vaers behoort.
Die hobbelige trant van snyding kan 't vermincken,
Als of gy Pegasus wout, onder u, doen hincken.
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Le traducteur a encore ajouté d'autres fragments empruntés, en partie, aux Satires, en partie, au Quatrième Chant de l'Art Poétique, en sorte que l'ensemble devient une espèce de rhapsodie des divers conseils et instructions que Boileau a donnés pour l'utilité des poètes. Ick heb hem nae gestaemelt,
dit notre poète, En tot uw onderregt, Liefhebbers, het versaemelt.
Schoon syn oorspronckelyck rym myn na-boots overtreft,
Ick ben genoeg voldaen, heb ick de Sin getreft.
Un autre ouvrage de Coenraet Droste, paru sous le titre de Harderskouten, commence par une traduction en vers de la première partie du Deuxième Chant de l'Art Poétique, sur l'idylle. Droste la termine par les vers suivants: Die lessen geeft Boileau, of in myn Landgedichten,
Ick naer die styl en trant my selver weet te richten,
Daer laet ick Heer en Vrient, aen U het oordeel van.
Ces différents avant-propos de Droste montrent suffisamment la grande influence que l'Art Poétique de Boileau a exercée sur lui. Aussi il se dit à plusieurs reprises un fervent admirateur du poète français. Cette admiration ne l'a pourtant pas empêché d'écrire plusieurs tragédies d'inspiration nationale. C'est qu'il fallait être pratique et ne pas négliger la recette. Droste, en sa qualité d'ancien directeur de théâtre, ne savait que trop bien que les spectateurs aimaient ce genre de représentations et qu'il était dangereux de ne pas tenir compte du goût du public. D'ailleurs, Boileau lui-même n'avait-il pas vu dans l'approbation commune une garantie pour les qualités de la pièce? Ce que tout le monde approuve doit être conforme au bon goût, à la raison, à la nature. Il aurait bien pu ajouter qu'il serait utile et même nécessaire de faire d'abord l'éducation du goût public, avant de l'accepter comme arbitre souverain de la valeur esthétique d'une oeuvre d'art. Balthazar Huydecoper, nommé par Te Winkel le meilleur | |
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auteur tragique du XVIIIe siècleGa naar voetnoot1), avait, comme la plupart de ses contemporains, une grande admiration pour la tragédie française. Il en a écrit quatre: De triompheerende Standvastigheid of Verydelde Wraakzucht (1717), pièce cornélienne à dénouement héroïque; Achilles (1719); Arzasas of Edelmoedig Verraad (1722), où nous voyons que Varanes, roi des Parthes, se tue sous les yeux des spectateurs; et Oedipus (1720), qui n'est qu'une traduction de la tragédie de Corneille. La seconde pièce, Achilles, trahit plus ou moins l'influence de Boileau. Ainsi l'auteur introduit le personnage de Brizéis pour avoir l'occasion de montrer son héros amoureux, conformément au conseil du poète français: Peignez donc, j'y consens, les héros amoureuxGa naar voetnoot2).
Cet élément nouveau distingue son Achille de celui d'Homère et le rapproche de la conception française. Dans cette pièce Huydecoper observe scrupuleusement la règle des trois unités; son style est plus élevé, plus soigné que dans sa première tragédie et il écarte la nymphe Thétis dont parle Homère, parce qu'un élément merveilleux pareil est contraire à la nature et au bon sens. L'Achille de Huydecoper est débordant dans sa colère, tendre dans son amitié pour Patrocle, mais froid en amour. Le poète justifie ce caractère par le vers suivant de Boileau: Qu'Achille aime autrement que Thyrsis ou PhilèneGa naar voetnoot3).
Si Achille se décide à prendre de nouveau part au combat, ce n'est pas par tendresse pour Brizéis, mais uniquement à cause de la mort de Patrocle qu'il veut venger. A propos du caractère d'Agamemnon Huydecoper dit: ‘Ik denk ook niet, dat men mij ten laste zal leggen, dat ik het karakter van Agamemnon vernietigd, en in den wind geslagen hebbe, om dat ik hem so nederig doe spreeken. De puik- | |
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dichter Boileau, Art Poétique, III, v. 110, zegt: Qu'Agamemnon soit fier, superbe, intéressé’. Huydecoper fait parler Agamemnon d'un ton humble. C'est que, malgré son orgueil naturel, il veut ménager Achille dont il a besoin, selon l'oracle, pour hâter la chute de Troie. Son humilité est faite de patriotisme et d'ambition. Dans les préfaces de ses pièces originales le poète renvoie fréquemment aux trois Discours de Corneille et à l'Art Poétique de Boileau. Dans la pratique il se sent toujours plus ou moins gêné par la règle des unités, ce qui trahit qu'il est plutôt de l'école de Corneille que de celle de Boileau. Il tombe dans les mêmes travers que son modèle et s'en excuse en alléguant l'exemple de l'auteur du Cid, qui n'a appliqué intégralement l'unité de lieu que dans trois de ses pièces, Horace, Polyeucte et Pompée. Dans les autres tragédies il se contentait d'un lieu indiqué vaguement, ou bien la scène représentait plusieurs endroits à la fois, comme c'est le cas dans le Cid. Les préfaces de Huydecoper sont très longues et remplies de citations, empruntées à Andries Pels tout aussi bien qu'à Corneille et à Boileau. Se rappelant le précepte: Ce qu'on ne doit point voir, qu'un récit nous l'exposeGa naar voetnoot1),
il écrit des tragédies d'où l'action extérieure est exclue et qui sont toutes en raisonnements à perte de vue. On voit qu'il a étudié à fond la théorie du genre; malheureusement la pratique n'est pas toujours d'accord avec les idées développées dans la préface. A la fin de l'avant-propos d'Achilles, Huydecoper se plaint qu'il y ait tant de mauvais poètes écrivant dans une langue ‘daer noch schikking, noch spelling, noch waarneming van geslachten, ja zelfs daar dikwils geen zin in te vinden is’. Et de nouveau, pour nous montrer où trouver notre maître et notre guide, il cite un passage emprunté au Premier Chant de l'Art Poétique: | |
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Surtout qu'en vos écrits la Langue révérée,
Dans vos plus grands excès, vous soit toujours sacrée.
En vain vous me frappez d'un son mélodieux,
Si le terme est impropre, ou le tour vicieux.
Mon esprit n'admet point un pompeux barbarisme,
Ni d'un vers ampoulé l'orgueilleux solécisme.
Sans la langue, en un mot, l'Auteur le plus divin
Est toujours, quoi qu'il fasse, un méchant EcrivainGa naar voetnoot1).
Dans le premier volume de sa Proeve van Taal- en Dichtkunde, où Huydecoper étudie la versification, il renvoie de nouveau à Boileau, qu'il nomme en même temps qu'un autre poète oublié en France depuis longtemps, Pierre Ronsard. Après avoir établi ce qu'on entend par pied, césure, repos, il se réclame de l'autorité des deux principaux poètes de leur temps qui ont écrit sur la versification, savoir Ronsard et BoileauGa naar voetnoot2), et demande que la règle de l'Abrégé de l'Art poétique du chef de la Pléiade: ‘Et ont toujours leur Repos sur la sixiesme syllabe, comme les vers communs sur la quatriesme’, de même que le précepte de Boileau: Que toujours dans vos vers, le sens coupant les mots,
Suspende l'hémistiche, en marque le reposGa naar voetnoot3),
soient également appliqués par les poètes hollandais. Est-ce trop dire que de conclure que Huydecoper a été un des poètes hollandais qui ont le plus fortement subi l'influence de Boileau? Pourtant même chez lui, l'exemple du grand Corneille a été plus fort que les leçons théoriques de Boileau. Il me reste à parler de l'influence que l'oeuvre de celui-ci aurait exercée sur Sybrand Feitama, le traducteur de la Deuxième Satire de Boileau, dont il sera parlé plus loin dans le VIe Chapitre. Est-ce l'excellente manière dont il a traduit cette oeuvre qui a fait voir en lui un des principaux disciples | |
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hollandais du poète français? On serait tenté de le croire, car, si Feitama allègue de temps en temps l'autorité de Boileau, il n'en est pas moins vrai que, dans la pratique, il s'écarte fréquemment des préceptes de l'Art Poétique, pour suivre l'exemple de Corneille. Ses pièces de théâtre sont des traductions. Il commence par rendre Tite et Bérénice de Corneille, sous le titre de Titus Vespasianus (1735). Il n'y apporte que quelques changements qu'il signale dans l'avant-propos. Ensuite il passe à la traduction de Pertharite (1756), qui paraît sans préface. A côté de ces deux pièces de Pierre Corneille, il traduit Stilico de Thomas Corneille (1735), Romulus de la Motte (1722) et même le Pyrrhus de Crébillon (1735). Plus tard Feitama traduira encore Alzire ou les Américains de Voltaire, publiée seulement en 1764 dans les Nagelaten Dichtwerken, par son ami Frans van Steenwyk. Feitama est sans aucun doute un des principaux représentants de l'esprit français en Hollande, mais on aurait tort d'en faire un disciple de Boileau, en excluant d'autres influences littéraires. Il est vrai que Feitama doit beaucoup aux préceptes de Boileau et qu'il en parle souvent dans les avant-propos de ses ouvrages poétiques. Ainsi, dans la préface de Henrik de Groote, traduction de la Henriade de Voltaire, il cite les vers 73 et ss. du Deuxième Chant de l'Art Poétique, commençant par les mots: ‘Loin ces rimeurs craintifs’, et en donne une traduction libre en vers. Pour excuser les libertés qu'il se permet par rapport à l'ordre chronologique des faits historiques, Feitama se réclame de nouveau de l'autorité de Boileau, qui préférait la vérité logique à la vérité des faits historiques. Pour l'emploi des ornements mythologiques et pour leur valeur dans un poème, il renvoie encore à Boileau, ‘den grooten Meester in de Dichtkunde’. Malgré toutes ces marques de respect, Feitama a pourtant évité autant que possible de mettre dans son poème les ornements mythologiques qu'il admet en théorie. Pour le reste, il demande, avec Boileau, un style naturel | |
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et il considère la clarté et la simplicité comme les deux principales qualités de la bonne poésie. Dans ses Nagelaten Dichtwerken on trouve de nombreux poèmes de circonstance: éloges, épitaphes, panégyriques en l'honneur de poètes contemporains, que, dans un style ampoulé, il compare à des représentants illustres de la poésie. Hoogvliet y est comparé à Virgile, à Vondel, Wellekens à Théocrite, W. van der Pot à Pindare et à Anacréon, Dirk Smits devient l'émule de Vondel, et Pieter Langendyk surpasse Ménandre et Virgile. Si Feitama avait été avant tout un admirateur et un disciple de Boileau, il aurait certainement établi dans ses poésies de circonstance des comparaisons avec le poète français, comme il le faisait avec Virgile, Théocrite, Vondel et autres. Mais non, Feitama ne le nomme nulle part, pas même pour chanter la gloire de son ancien maître et conseiller poétique Charles Sebille, qui pourtant se vantait d'être nourri des idées de Boileau. Voici comment il s'exprime sur lui: Meceen Sebille, die, met Pindus geest bezield,
Het eelst dat Gauler, Brit en Nederlander schreven,
Verzamende in Uw brein, 't geheim my niet onthield,
Waardoor men elk tafreel de houding geeft en 't leven,
Indien myn tyd en vlyt niet ydel zyn besteed
In 't wigtig Heldenstuk, op uwen raad begonnen;
Aan U zy daarvoor dank! wien eenigzins voldeed
Dat my geen eigenliefde en ongeduld verwonnenGa naar voetnoot1).
Ainsi Feitama le dit nourri des Anglais, des Hollandais, autant que des Français. Mais s'il en est ainsi, pourquoi faudrait-il attribuer à Boileau une influence prépondérante sur l'oeuvre de Sebille? Qu'on nous permette une dernière observation. Pieter Langendyk, auteur d'un ouvrage intitulé Lof der Dichtkunst (1721), fait défiler sous nos yeux toute une série de poètes | |
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dont il fait l'éloge. En voici la liste: Homère, Hésiode, Arion, Pindare, Théocrite, Virgile, Lucain, Claudien, Juvénal, Martial, le Tasse, Sannazar, Guarini, Corneille, Racine, Molière. N'est-il pas très curieux de constater que le nom de Boileau manque à côté de ceux de ses illustres contemporains? Je n'ignore pas que tous ces arguments contre l'autorité personnelle de Boileau sont négatifs, mais toutes les fois que j'ai entrepris la recherche d'arguments positifs plaidant pour l'influence directe de Boileau sur les poètes hollandais, je suis arrivé au même résultat. Un pareil résultat est décourageant. Ne resterait-il ainsi qu'à conclure que toute cette tradition d'une influence prépondérante de Boileau en Hollande n'est qu'une légende? Pourquoi Te Winkel parle-t-il de la ‘overdreven beschavingszucht, waaraan Boileau in de achttiende eeuw de heerschappy had weten te verzekeren, niet alleen in ons land, maar allereerst in Frankryk zelf en ook verder in geheel Europa’Ga naar voetnoot1)? L'historien de la propagation des idées esthétiques françaises en Europe devra certainement faire sa part à Boileau, mais il sera en même temps obligé de constater que, au théâtre, l'influence de Corneille au XVIIe siècle, celle de Voltaire au XVIIIe, ont été plus importantes et plus générales que celle du Législateur du Parnasse français, comme il constaterait que l'exemple donné par l'auteur du Télémaque et par celui de la Henriade a plutôt déterminé l'évolution de la poésie épique en Hollande que le traité sur l'épopée que nous trouvons au Troisième Chant de l'Art Poétique. |
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