Boileau en Hollande
(1929)–H.J.A.M. Stein– Auteursrecht onbekendEssai sur son influence aux XVIIe et XVIIIe siècles
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Chapitre II
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sible (p. 11). Meyer ne veut pas d'imitation servile. Les Anciens aimaient les longs monologues, les scènes à deux ou trois personnages, ils voulaient une action très simple et peu d'acteurs. Nous autres Hollandais, nous voulons le contraire, et nous constatons que nos pièces plaisent autant que les tragédies françaises, italiennes et espagnoles (p. 13 et 14). Comme nous le voyons, cette préface aurait tout aussi bien pu annoncer telle tragédie de Jan Vos ou n'importe quel autre mélodrame. La préface de Verloofde Koninksbruidt ne s'accorde pas tout à fait avec le contenu de la pièce. C'est que cette tragédie, entreprise déjà en 1653, avait été publiée en 1668, à un moment où l'auteur commençait à changer d'avis sur les questions littéraires et esthétiques. Malgré les changements qu'il a apportés à sa tragédie pour la conformer à ses idées nouvelles, on y trouve réunies les deux tendances opposées. Verloofde Koninksbruidt est l'histoire de Rodogune, déjà connue par la tragédie de Corneille. Il y a unité d'action et l'auteur a réduit le nombre de vers de 2400 à 1800 pour se conformer à Aristote et à ses commentateurs. Il admet également les unités de temps et de lieu, tout en se permettant de s'en écarter quand, dans la pratique, l'application en serait trop invraisemblable. Pour l'unité de temps il permet une durée de quelques jours, de quelques semaines, mais il ne faut pas qu'elle embrasse des années. Quant à l'unité de lieu, il demande qu'on s'y soumette ‘le plus possible’, ce qui est très vague. Tout ce qui est atroce, horrible, trop rude ou trop violent doit être banni de la scène; pourtant Meyer y admet l'homicide. Qu'on tue quelqu'un sur la scène ou dans la coulisse, cela revient au même: dans les deux cas le public sait que l'effusion de sang n'est pas sérieuse. Les différents préceptes empruntés à la préface de Verloofde Koninksbruidt nous montrent que cette fois-ci Meyer s'est surtout inspiré d'Aristote, d'Horace et de Corneille, et qu'il s'est détourné des pièces à grand spectacle. Cependant il y a encore loin de Lodewijk Meyer à Boileau. Les traités théoriques d'Andries Pels sont plus nombreux | |||||
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et plus importants que ceux de Meyer. La première en date est une adaptation de l'Art poétique d'Horace, Horatius Flaccus' Dichtkunst, op onze tyden en zeden toegepast, paru en 1677, et réimprimé en 1681, 1694, 1705 et 1718. En 1681 paraît un nouvel ouvrage de Pels, Gebruik en Misbruik des Tooneels, dont les principes, selon Te WinkelGa naar voetnoot1), étaient tellement d'accord avec l'esprit du temps qu'ils ont triomphé de toutes les résistances. Disons tout de suite que les adversaires de Nil ont été nombreux. L'ostentation des membres du cénacle et le ton pédantesque et autoritaire de leurs écrits étaient bien faits pour irriter les adhérents à la tradition nationale. Parmi leurs ennemis les plus influents et les plus acharnés il faut citer H. de Graaf, dont la tragédie Den Dullen Admiraal avait été critiquée par Nil; Antonides van der Goes, ancien membre du cénacle, transformé en ennemi mortel, depuis que son poème De Ystroom avait subi le même sort que la tragédie de de Graaf; Pieter Langendyk, d'abord un ami de Nil, plus tard son ennemi déclaré et surtout Johan Blasius, qui, en 1669, avait remplacé Lodewyk Meyer comme régent du Théâtre d'Amsterdam. Blasius lui aussi s'indignait des critiques insupportables des membres de Nil. ‘Het was nog te verdragen’, écrit-il sous le pseudonyme de Ebiska ‘zoo deze windbrekers niet en hinkten aan dat zelfde zeer, en te meer, alzoo zy van 't hoofd tot de ooren, zelfs niet dan met sweeren en stinkende etter-buylen bezet zyn, zoodat er niets gezondts aan 't heele lichaam kan gezien worden’Ga naar voetnoot2). Parmi les adversaires il faut compter encore, du moins jusqu'en 1672, les régents du Théâtre amsterdamois et les régents des Hospices. Lors de la réouverture du Théâtre en 1677 il y a sur six régents trois membres de Nil, savoir Meyer, Pels et Bouwmeester. Dès lors leur influence s'accroît, | |||||
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quoiqu'ils aient toujours à compter avec l'opposition des régents des Hospices, qui préféraient les anciennes pièces aux modernes. Ce sont surtout les intrigues de ces régents qui ont amené en 1681 la démission des trois représentants de Nil comme membres de la direction du Théâtre. Gebruik en Misbruik des Tooneels n'est qu'une amplification, une paraphrase de Horatius Flaccus' Dichtkunst. Il y a des critiques littéraires qui ont vu dans l'oeuvre de Pels un simple décalque de l'Art Poétique de Boileau. Il n'en est rien pourtant. L'auteur hollandais est plus d'une fois d'accord avec Boileau, notamment quand celui-ci cite ou traduit Horace, ce qui lui arrive assez souvent lorsqu'il s'agit de définir les règles techniques du métier dramatique. Mais on trouve, en outre, dans Pels des idées que Boileau n'aurait jamais approuvées, ainsi celle-ci que la traduction vaut mieux que l'imitation, ou bien que la pièce à grand spectacle est digne d'occuper une place au répertoire dramatique. Selon Pels il n'y a qu'un seul poète latin qui mérite d'être imité, c'est TérenceGa naar voetnoot1). Il fait l'éloge du théâtre français et vante en premier lieu les mérites du cardinal de Richelieu, le protecteur éclairé des hommes de talent, le mécène qui, par ses largesses, encourageait les poètes et récompensait ceux qui avaient mérité du Parnasse: En och! wat zou men noch van Schouwtooneelkunst weeten,
Had Vrankryk zich hier in niet dapperer gekweeten,
Sints dat de Kardinaal van Richelieu zyn' gunst
Zo mild'lyk toonde den liefhebberen der kunstGa naar voetnoot2).
Boileau, dans ses conseils aux auteurs dramatiques, leur avait recommandé l'étude des Anciens; Pels ajoute celle des Italiens, des Français et des Hollandais et brise une lance pour le théâtre national: Wat zou 't aan Neerland ook een glans, een luister geven,
Dat iemand, wykend van der Ouden daaden af,
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Zich aan 't vermaaren van ons Vaderland begaf,
Met onze Helden en hunn' dappere oorlogsdaaden
Te kroonen, op het Duitsch Tooneel, met LauwrebladenGa naar voetnoot1).
Il veut fonder la poésie sur la philosophie et la science, qui facilitent l'expression poétique: De bron en grond van wel te schryven is het weeten.
De Filozoofen moet gy opslaan, o Poeeten,
Want als gy u, naar eisch, van Zaaken hebt voorzien
By die geletterde, en die doorgeleerde liên,
Zoo hoeft ge u weinig om de woorden te bemoeyen,
Zy zullen u van zelfs uit brein en veder vloeyenGa naar voetnoot2).
Dans le passage suivant sur l'histoire de la tragédie, l'imitation de Boileau est irrécusable. Om n'a qu'à comparer les deux textes: Boileau: Thespis fut le premier qui, barbouillé de lie,
Promena par les bourgs cette heureuse folie,
Et d'acteurs mal ornés chargeant un tombereau,
Amusa les passants d'un spectacle nouveau.
Eschyle dans le choeur jeta les personnages,
D'un masque plus honnête habilla les visages,
Sur les ais d'un théâtre en public exhaussé
Fit paraître l'acteur d'un brodequin chausséGa naar voetnoot3).
Pels: Men zegt, dat Thespis, de eerste een slach van Treurdicht vond,
Toen onbekend, dat hy door 't land op wagens zondt,
Met speelers, wien 't gelaat met wynmoer wierdt bestreeken,
En dien hy 't voor den volke opzingen deede, en spreeken.
Naa hem vondt Aeschylus de mom, en 't voeg'lyk kleed,
En bouwde op balkjens een verheeven grond, en kweet
Zich zelve, om niet alleen te speelen voor de boeren;
Maar hooger styl, en wyz' van spreeken in te voerenGa naar voetnoot4).
Nous avons dit plus haut que Gebruik en Misbruik n'est qu'une amplification de Horatius Flaccus' Dichtkunst. Voici sous quelle | |||||
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forme on y retrouve le passage cité plus haut sur l'histoire de la tragédie: Men zegt van Thespis, dat hy de eerste, een zeker slag
Van Treurdicht, onbekend voorheen, op wagens plag
In alle plekken van zyn Landstreek om te voeren;
En, zynen Speeleren 't gelaat met roode moeren
Van wyn vermommende, zyn vaerzen zingen deê,
En spreeken. Aeschylus bouwde eene vaste steê
Op lichte balkjens, en was Vinder van Tooneelen,
Van gryns, en kleeding, en hoogdraavenheid in 't speelen;
Op welke voet de hooggeschoeide Sophocles,
En nevens hem de net bespraakte Euripides
Het Schouwspel zulk een lof, en luister deê verkrygen,
Tot zulk een hooge trap van eere, en aanzien stygen,
Dat by den ouden Griek een' welgeboor'ne ziel
Dier mannen les, voor wet, en spreuk, voor Godspraak hielGa naar voetnoot1).
Que ce seul passage suffise à montrer la curieuse correspondance intime qui existe entre les deux traités théoriques de Pels. Malgré les emprunts que l'auteur a faits à Boileau, ses principales sources sont pourtant Horace et Corneille. Une observation comme celle-ci: Doch in een groot werk mag men zich wel eens vergissenGa naar voetnoot2)
aurait certainement été désavouée par Boileau au nom de son idéal du beau absolu: Mais, dans l'art dangereux de rime et d'écrire,
Il n'est point de degrés du médiocre au pireGa naar voetnoot3).
Lui ne connaît pas de chef-d'oeuvre imparfait, de là le conseil bien connu qu'il nous donne au Premier Chant de l'Art Poétique: Hâtez-vous lentement, et, sans perdre courage,
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage.
Polissez-le sans cesse, et le repolissez;
Ajoutez quelquefois, et souvent effacezGa naar voetnoot4).
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Dans l'avant-propos de Gebruik en Misbruik des Tooneels Pels nomme Boileau un des théoriciens qui, par leurs écrits, ont illustré la littérature française. Cependant il partage cet honneur avec DéamerGa naar voetnoot1), La Ménardière, Scudéry, Ménage, Malherbe, Voiture, Scarron, Pierre et Thomas Corneille, Jean Racine et l'abbé d'Aubignac, ce qui nous rend un peu sceptique sur le rôle que l'Art Poétique de Boileau aurait joué dans la composition du traité hollandais. Pels déconseille de prendre des sujets trop récents et fait sienne l'opinion de Boileau sur la matière biblique: Op Bybelstoffen, of op Zaaken, die omtrent
Onze eeuw geschied zijn, is 't niet raadzaam zich te leggenGa naar voetnoot2),
et ailleurs: Tot die verhand'ling heeft alleen de Leeraar lastGa naar voetnoot3).
L'auteur de Gebruik en Misbruik des Tooneels nous recommande de prendre les auteurs français comme modèles: Laat de Franschen ons tot een voorbeeld zyn.
Hoe net zyn die van taal? hoe zedenryk? hoe fyn
In kunst van schikking, in hartstogten, en gedachten?Ga naar voetnoot4).
Le meilleur exemple à suivre est Corneille qui, par ses pièces, a démontré d'une façon irrécusable la valeur de ses théories. Cependant Pels ne se contente pas des seuls théoriciens français. Il estime au même degré les Espagnols et les Anglais, dont le théâtre différait pourtant considérablement de la conception classique française. Il va jusqu'à préférer le théâtre romantique des Anglais à toutes les pièces françaises: En wil men eens een spel van de Engelschen ontleenen,
Hunn' zwier navolgen, en de nette kunst met eenen
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Waarneemen, licht'lyk, dat het zich in top verheff',
En alle vindingen der Franschen overtreff'Ga naar voetnoot1).
Ailleurs il dit encore une fois: En wat verscheelt het of men die (stof) uit schouwspelboeken,
Geschiedenissen, of vertellingen gaa zoeken;
't Zy dat men die uit Grieksche of Roomsche Dichters heeft,
't Zy ze ons een Franschman of een Nederlander geeftGa naar voetnoot2).
D'accord avec Boileau il se méfie des pièces qui traitent d'une matière trop récente: Weg dan van 't schouwspel met die beklemde stof:
Weg met de Moord te LuikGa naar voetnoot3), met Spanjens ErfprinsGa naar voetnoot4), of
Parysche BruiloftGa naar voetnoot5), ze is gevaarlyk slechts te schetsen;
Hoe netter gy ze ontwerpt, hoe feller zy zal kwetsenGa naar voetnoot6).
Pels, comme Boileau, condamne la fantaisie comme source d'inspiration et nous met en garde contre l'imagination qui fait composer à l'écrivain des mélodrames dans le genre des pièces de Jan Vos ou de Govert Bidloo. Ici, comme dans Horatius Flaccus' Dichtkunst, il parle de la comédie, et les préceptes qu'il en donne rappellent de nouveau l'Art Poétique de Boileau. Celui-ci demande que la comédie ait un caractère général, qu'on n'en fasse pas une attaque personnelle et qu'on n'imite pas les mordantes comédies politiques des Grecs: Là (à Athènes), le Grec, né moqueur, par mille jeux plaisants,
Distilla le venin de ses traits médisants.
Aux accès insolents d'une bouffonne joie,
La sagesse, l'esprit, l'honneur furent en proie.
On vit par le public un poète avoué
S'enrichir aux dépens du mérite joué.
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Et Socrate par lui, dans un choeur de Nuées
D'un vil amas de peuple attirer les huéesGa naar voetnoot1).
Bientôt cependant le magistrat mit bon ordre à ces abus, Le théâtre perdit son antique fureur.
La comédie apprit à rire sans aigreurGa naar voetnoot2).
Pels doit s'être rappelé ce passage en écrivant: .......... Zo moet men zich wel wachten
Tot schimp der feilen van byzond'ren zyn gedachten
Te laaten gaan. Men toon' het kwaad in 't algemeen,
Belach', bestraff' het, maar tree niemand op de teenGa naar voetnoot3).
Boileau et Pels répètent l'un et l'autre le précepte d'Horace qui veut que tout ouvrage littéraire ait un but moral. Pour le montrer nous n'avons qu'à mettre en regard les deux textes: Boileau: Qu'en savantes leçons votre muse fertile
Partout joigne au plaisant le solide et l'utileGa naar voetnoot4).
Pels: Want alzo wel in Bly-, als Treurspel, ja in Kluchten,
Is 't aangenaamer, dat de deugd daar word geleerd,
Dan dat daar de ondeugd, of de zonde in triomfeertGa naar voetnoot5).
Des conseils comme: Maak voorts, dat ge elk persoon zyn recht karakter geeftGa naar voetnoot6)
ou bien: Sier dan met hevige hartstogten zo de Spelen,
Dat lange redens zelfs de Aanschouw'ren niet verveelenGa naar voetnoot7)
concordent absolument avec les préceptes de Boileau: | |||||
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Conservez à chacun son propre caractèreGa naar voetnoot1)
et Que dans tous vos discours la passion émue,
Aille chercher le coeur, l'échauffe, et le remueGa naar voetnoot2).
A plusieurs reprises Pels parle des pièces à grand spectacle: ...... verre van dat wy versierselen versmaaden,
Wy lyden, dat een Spel voorzien zy met sieraaden,
Van allerley slag, met kleed'ren, toestel, pracht
Van Schouwtooneelen, ja machienen zelfGa naar voetnoot3).
Il les admet à condition qu'elles n'exagèrent pas trop l'élément mélodramatique, ce qui est contraire à la doctrine de Boileau, qui veut que, même dans la comédie, l'action soit plutôt fondée sur le conflit des caractères que sur des événements extérieurs ou des coups de théâtre. La principale raison d'être des pièces à grand spectacle, c'est, selon Pels, le fait que le public en demande et qu'elles rapportent de l'argent au profit des pauvres, mais ce sont là des arguments d'ordre matériel plutôt que d'ordre esthétique: Het oogmerk was alleen met ongeziene dingen,
Met aaperyen, en met veel veranderingen,
Waardoor men de oogen der nieuwsgierigen verrukt,
Den Armen dienst te doen, gelyk 't ook is geluktGa naar voetnoot4).
Il préfère avec Boileau la comédie de caractère aux autres genres, ce qui demande du courage à une époque où les comédies d'intrigue et les farces licencieuses pullulaient et jouissaient de la faveur du publicGa naar voetnoot5). Il veut que la farce même soit convenable, édifiante et qu'elle respecte les bienséances. Aussi il | |||||
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comdamne sans restriction le langage ordurier et le style boursoufléGa naar voetnoot1). Le but de l'art doit être de donner agréablement des leçons utiles; tout le reste, la recette du buraliste y comprise, est de moindre importance, ce qui est très beau comme théorie, mais parfois très difficile à appliquer dans la pratique. Pels s'attend à ce que les membres de Nil donnent un nouvel essor au théâtre hollandais. A ses yeux rien n'est parfait comme les traductions, les imitations arrangées, adaptées, perfectionnées par les confrères de ce docte cénacle: Een Spel, hoe fraay gemaakt, deugt langer niet met allen,
Of 't moet Nil Arduum Volentibus gevallenGa naar voetnoot2).
Dans le choix des pièces à traduire se laissait-on guider par Boileau? Nullement. A côté des oeuvres de ses amis on traduisait celles de ses victimes. Les traductions de Boursault, Quinault, Scarron, Campistron, Crébillon, de Pradon même ont, tout aussi bien que les tragédies des grands classiques françaisGa naar voetnoot3), attiré le public et rempli la caisse des pauvres. En 1765 paraît Nauwkeurig Onderwys in de Tooneelpoezy, une des dernières publications de NilGa naar voetnoot4). Boileau est mort depuis une cinquantaine d'années et son influence est allée en diminuant. Le Nauwkeurig Onderwys est une espèce de résumé des différentes doctrines qui, pendant la première moitié du XVIIIe siècle, ont trouvé leur application dans les pièces de théâtre. Il est donc évident que cet ouvrage contient les idées d'un grand nombre de théoriciens divers. Dans l'introduction (p. 24) nous en trouvons l'énumération suivante | |||||
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Scaliger, Vossius, d'Aubignac, Corneille, Racine. Quant à Boileau, il n'est même pas nommé. D'ailleurs, les idées développées dans cet ouvrage ne diffèrent guère de celles de Gebruik en Misbruik des Tooneels de Pels; nous pouvons les résumer ainsi: le but de la poésie est l'utile dulci horatien (p. 26), comparable au précepte de Boileau: Qu'en savantes leçons votre muse fertile
Partout joigne au plaisant le solide et l'utileGa naar voetnoot1).
Dans le second chapitre, intitulé Of de Natuur, dan of de Kunst, een Dichter maakt, le traité hollandais arrive à la conclusion suivante: ‘Zo dat die beiden te zaamen koomenden, een volmaakt Dichter kunnen uitmaaken, die evenwel aan de Natuur het meesten en 't voornaamsten schuldig blyft, als door de welke hy van alle Schryveren word onderscheiden (p. 34).’ Cette opinion concorde assez bien avec le début bien connu de l'Art Poétique: C'est en vain qu'au Parnasse un téméraire auteur
Pense de l'art des vers atteindre la hauteur;
S'il ne sent point du Ciel l'influence secrète,
Si son astre en naissant ne l'a formé poète.
Le Nauwkeurig Onderwys veut comme sujet un épisode peu commun et pourtant vraisemblable, comme l'amour d'un roi pour une bergère (p. 94). Faisons remarquer qu'une pareille donnée est plus romanesque que vraisemblable. Il faut une intrigue compliquée et un dénouement complet, qui ne laisse plus d'énigmes (p. 98). Cette intrigue compliquée ferait plutôt l'affaire de Corneille que de Boileau, qui donne ce conseil: N'offrez point un sujet d'incidents trop chargéGa naar voetnoot2).
Pour ce qui est des unités, les préceptes du Nauwkeurig Onderwys sont moins formels que ceux de Boileau. Ainsi on permet les changements de décors entre les actes (p. 159), | |||||
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parce que le public les demande. Il faut seulement que les différents lieux représentés ne soient pas trop éloignés l'un de l'autre. Quant à l'unité de temps, on permet vingt-quatre heures ou un peu plus. Le mieux serait de prendre le temps naturel de la représentation (p. 161)Ga naar voetnoot1). Pour plaire aux spectateurs, il faut commencer par les attrister, pour les faire passer ensuite à la joie (chap. XXIX). C'est donc une recommandation du genre tragi-comique, inspirée surtout par la grande admiration des membres de Nil pour le Cid de Corneille. Le Nauwkeurig Onderwys est de nouveau d'accord avec Boileau, quand il condamne les termes bas et le style boursouflé (p. 35). Il y a encore une curieuse ressemblance entre les vers de Boileau: L'esprit ne se sent point plus vivement frappé
Que lorsqu'en un sujet d'intrigue enveloppé,
D'un secret tout-à-coup la vérité connue
Change tout, donne à tout une face imprévueGa naar voetnoot2)
et le chap. XIII du traité hollandais, où nous lisons que parmi les meilleurs dénouements il faut compter les changements d'état, les reconnaissances, qui peuvent être amenés soit par des confessions inattendues, soit par des signes extérieurs (p. 113-118). Au chap. XVII, Van het Karacter of de Zeden der Persoonazien, le traité hollandais demande des caractères logiquement composés. Un vieillard ne doit ni parler ni agir comme un jeune homme; un paysan se conduit autrement qu'un roi; un Indien est une autre personne qu'un Norvégien (p. 143 et 147). Boileau nous avait donné les mêmes conseils dans les vers si souvent cités: | |||||
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Qu'Achille aime autrement que Tyrsis et Philène.
N'allez pas d'un Cyrus nous faire un ArtamèneGa naar voetnoot1).
Le passage suivant du poète français: Qui sait bien ce que c'est qu'un prodigue, un avare,
Un honnête homme, un fat, un jaloux, un bizarre,
Sur une scène heureuse il peut les étaler,
Et les faire à nos yeux vivre, agir et parlerGa naar voetnoot2)
peut fort bien avoir inspiré le sixième chapitre hollandais, où l'auteur recommande ‘het afschilderen van allerhande Staaten van menschen, Koning, Onderzaat, Heer, Knecht, Edelman, Oud, Jong, Man, Vrouw, Dronken enz.’Ga naar voetnoot3). Le chapitre XXII intitulé Van de Daaden der Persoonazien op het Tooneel, pourrait être une paraphrase des vers de Boileau: Ce qu'on ne doit point voir, qu'un récit nous l'expose:
Les yeux, en le voyant, saisiraient mieux la chose;
Mais il est des objets que l'art judicieux
Doit offrir à l'oreille et reculer des yeuxGa naar voetnoot4).
L'auteur du chapitre, Anthonius van Coppenol, reconnaît avec Boileau qu'il y a des choses qu'on ne doit point montrer sur la scène. En ce cas on remplace l'action par le récit. Il faut éviter également de mettre sur la scène des fantômes, des esprits, des diables ou des anges, à moins que ce ne soient des Dei ex MachinaGa naar voetnoot5). Le Nauwkeurig Onderwys s'écarte assez souvent des opinions de Boileau, notamment quand celui-ci condamne les pièces à grand spectacle, que le traité hollandais admetGa naar voetnoot6) à condition qu'elles ne montrent que des choses possibles, et qu'elles ne changent pas par exemple un homme en un animal ou en un arbre, ce qui serait ridicule. Comme on le voit, la préface du Ghulde Vlies n'était toujours pas oubliée. | |||||
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Les autorités citées dans l'ouvrage hollandais sont Aristote, Horace et Corneille; dans tout le traité on ne rencontre pas une seule fois le nom de Boileau. L'ensemble des préceptes hollandais est loin d'être conforme aux doctrines de l'Art Poétique, malgré certaines ressemblances quand il s'agit de questions où Boileau avait imité Horace. Le Nauwkeurig Onderwys traite des règles du métier plutôt que du principe philosophique servant de base à l'esthétique. Dans l'ouvrage hollandais le désir de plaire au public et de faire recette tient lieu de principe; ainsi il admet une plus grande liberté par rapport à l'unité de lieu, uniquement ‘dewyl veele of de meeste Aanschouwers behaagen scheppen in verscheidene Tooneelen’Ga naar voetnoot1). Est-il besoin de parler ici des quarante-deux règles de la poésie de théâtre que Fredrik Duim a insérées dans l'avantpropos de sa tragédie Menalippe, où il répète les leçons que Corneille nous a données dans ses trois Discours et dans ses examens? Voici en quels termes l'auteur nous annonce le contenu de ses Twee en veertig Regels der Toneelpoezy: Onder alle de kunst-kenners, die Regelen der Toneelpoezye hebben opgegeven, achtte ik geen van den minste te zyn, de beroemde Corneille. Hier om hebbe ik lust gehad, alle zyne Regelen beknopt by een te zamelen, om myne Menalippe, naar deeze Regelen te toetzen, en te zien, ofze van deze Regelen afwykt, en daarom verworpen is, dan ofze met die Regelen overeenstemt, ook, om den Lezer met eenen opslag, de voornaamste Regelen der Toneelpoezye te doen zienGa naar voetnoot2). Dans le choix de la matière, dans la division de la pièce en actes et en scènes, dans la question de la vérité historique, dans l'application de la règle des trois unités, Duim est de l'avis de Corneille. Comme lui il admet une certaine élasticité, toutes les fois que l'application trop rigoureuse des règles ferait tort au développement naturel de la tragédie. Duim ne | |||||
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s'est donc pas plus que les autres modelé sur Boileau; ici, comme dans les traités dont il a été parlé plus haut, c'est à Corneille et non à l'auteur de l'Art Poétique qu'on a demandé la route à suivre. Est-ce que Michiel de SwaenGa naar voetnoot1) s'est inspiré de Boileau en composant sa Nederduitsche Digtkonde of Rym-konst, dont parle G. Kalff dans sa Geschiedenis der Nederlandsche LetterkundeGa naar voetnoot2)? Le rôle que de Swaen a joué dans l'évolution de la critique littéraire en Flandre a été des plus importants, vu qu'il y était considéré comme le plus grand poète du XVIIe siècle. Il doit son surnom de Boileau flamand au fait qu'il a été le principal représentant de la critique littéraire dans son pays. La Nederduitsche Digtkonde a joui en Flandre de la même popularité que l'Art Poétique de Boileau en France, ce qui ne veut pas dire que de Swaen se soit modelé sur le poète français. Au contraire, Boileau a fort peu contribué à la formation esthétique de de Swaen, dont les maîtres ont été Vondel et surtout Aristote. L'auteur de l'Art Poétique est peu cité dans la Digtkonde, où son nom ne paraît que sept fois. De Swaen le nomme avec Cats, Vondel, Corneille, Racine et Molière parmi les plus grands poètes du XVIIe siècle et loue la clarté de son style et l'élévation de ses pensées. Ailleurs il relève l'opinion de Boileau sur l'enjambement et la césure, exprimée dans les vers suivants: Et le vers sur le vers n'osa plus enjamber.
Que toujours dans vos vers, le sens coupant les mots,
Suspende l'hémistiche, en marque le repos.
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Sans se déclarer partisan de ces préceptes, il est pourtant d'avis que pour les Flamands la prosodie française est préférable à celle des Anciens: ‘De reden schynt te vereyschen, dat wy ons meer moeten voegen naer de Fransche schryvers, als naer de Grieken en Latynen.
Pourtant il ne reste pas aveugle aux objections qu'on pourrait faire contre une conception pareille: ‘Men kan hier tegen werpen, dat, dies niet tegenstaende, onse rymen meer gelykenis hebben met grieksche en latynsche verssen, dan met fransche, om dat wy gelyk d'eerste de maet der lettergrepen over al moeten waernemen: terwyl de leste daer aen niet onderworpen syn: Want het is genoeg, als sy de sesde, twelfde, en derthiende lettergreep op hunne maet doen staen. Sy passen weinig of d'andere over hands kort, of lank syn by voorbeeld C'est en vain qu'au Parnasse un téméraire auteur
Pense de l'art des vers atteindre la hauteur,
soo begint Despréaux synen poetischen sang; doch wy sullen dit hiernaer breeder verhandelen’Ga naar voetnoot2). Plus loin de Swaen critique les règles françaises pour la rime et la mesure. Il dit avoir trouvé des fautes contre le rythme dans tous les auteurs français, y compris les meilleurs. La rime seule, sans la cadence des pieds, fait sur lui une impression désagréable et peu harmonieuse. Parlant de la césure, il cite une dernière fois l'Art Poétique de Boileau, pour expliquer la raison d'être de la coupe de l'alexandrin en deux hémistiches égaux. | |||||
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Pour le reste la poétique du poète français est passée sous silence, car pour les principes d'art de Swaen s'en rapporte presque uniquement à Aristote. Avions-nous tort de désigner l'influence de Boileau sur de Swaen comme très insignifiante? L'admiration que le critique flamand ressent pour Vondel est quelquefois accompagnée de blâmeGa naar voetnoot1), mais la soumission de de Swaen à Aristote est absolue. L'opinion de G. Kalff que l'auteur de la Digtkonde aurait surtout suivi les idées et les préceptes de Vondel, n'est donc pas tout à fait exacte. Ses oeuvres complètes seront publiées en six volumes, dont les deux premiers ont paru. Dans le deuxième se trouve la Nederduitsche Digtkonde of Rym-konst, ouvrage qui n'a pas été composé avant 1700Ga naar voetnoot2). Il existe cinq manuscrits de ses oeuvres, dont quatre de la main du critique et une copie. Celle-ci, qui se trouve à la Bibliothèque de l'Université de Gand, contient la Nederduitsche DigtkondeGa naar voetnoot3). Le copiste maladroit ayant modifié l'orthographe de de Swaen, on peut donc se demander aussi s'il a modifié ses idées. L'auteur nous dit expressément dans l'introduction que sa source principale est Aristote: ‘Het is met dit insicht, en in dese verwachting dat dit kort begryp van haere regelen (voornamentlyk getrokken uyt Aristoteles dichtkunde) is tsaemen gestelt, en gepast op de hedendaegsche oeffening der Nederduytsche taele; een werk weerdig door menige geleerder pen verbetert en volmaekt te worden’Ga naar voetnoot4). La Nederduitsche Digtkonde se compose de deux parties, dont la première traite de la poésie en général, la deuxième des divers genres, où il examine successivement la tragédie, la comédie, l'épopée, la satire, la pastorale, l'ode et l'épigramme. Il termine son ouvrage par un petit traité sur les passions. | |||||
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Comme Aristote il distingue dans la tragédie six parties, dont les trois premières, la fable, les moeurs et le raisonnement forment les parties essentielles, tandis que les trois dernières, la diction, les choeurs et les ornements ne sont que des accessoiresGa naar voetnoot1). De Swaen regrette la disparition des choeurs et déteste l'opéra, où l'on prononce parfois des arrêts de mort en chantant. Il demande l'unité d'action et celle de temps qui implique celle de lieu et compare une tragédie à un tableau, où l'on ne peut pas montrer à la fois César vainquant Vercingétorix en France et assassiné à Rome. Pour la division des tragédies en deux groupes, la tragédie à intrigue simple et la tragédie à intrigue complexe, il suit de nouveau les idées d'AristoteGa naar voetnoot2). Les personnages doivent | |||||
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être nommés ou annoncés sur la scène, et se faire connaître le plus tôt possible. Le but de la tragédie est de corriger les passions par la peur et la pitié; celui de la comédie de corriger les moeurs. L'épopée, qui primitivement servait à chanter la gloire du Seigneur comme le montre l'exemple des Prophètes et des Patriarches, a servi plus tard à des sujets plus profanes, où pourtant l'élément religieux et merveilleux conservait sa valeur. Pour le reste de Swaen ne parle ni du merveilleux chrétien, ni du merveilleux païen, puisqu'Aristote n'en parle pas non plus. Quant à l'ode il est d'avis qu'il faut en chercher les prototypes dans l'Eglise, dans les Psaumes de David. Ces quelques considérations sur la Nederduitsche Digtkonde suffiront pour montrer la grande différence qu'il y a entre l'Art Poétique de Boileau et le traité de de Swaen. Aussi la conclusion à laquelle on arrive, après avoir pris connaissance de cette poétique est que le poète flamand a certainement connu la doctrine de Boileau, mais que son maître a été Aristote. Après ces considérations sur les traités littéraires ayant un caractère général, passons en revue quelques ouvrages qui traitent d'un sujet spécial. Le cercle littéraire Nil Volentibus Arduum, le grand propagateur, comme nous l'avons vu, de l'école française en Hollande, a fait le sujet d'une thèse de A.J. Kronenberg (1875). L'auteur y a exposé comment les membres de Nil se vantaient d'imiter surtout la forme extérieure des tragédies françaises: ‘Wij volgen de Fransche modellen na, wij hebben onze regels en wetten, waarvan we niet afwijken, wij hebben een geraamte waarin een tooneelspel moet passen, en wie durft zeggen dat onze toneelstukken niet uitstekend zijn’?Ga naar voetnoot1) | |||||
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Les traités de Meyer, de Pels, les Discours et les Examens de Corneille, le Nauwkeurig Onderwys sont là pour nous renseigner sur ce que c'est que ces règles. Kronenberg reconnaît que dans les ouvrages de Nil on ne trouve aucune preuve directe en faveur d'une influence spéciale de Boileau sur les membres de ce groupe, mais qu'on en trouve un grand nombre en faveur de Corneille, de Racine et de Molière, qui ont prêché d'exemple par leurs pièces de théâtre. Puis, Nil ne représentait pas tous les courants littéraires qu'il y a eu aux XVIIe et XVIIIe siècles. A côté de l'école française existait et florissait la littérature romantique et nationale qui, surtout au théâtre, a remporté parfois de véritables triomphes. Comme nous le voyons, aucun des traités théoriques dont nous avons parlé jusqu'ici n'est assez fortement imprégné des idées de Boileau pour que nous puissions croire à une influence prépondérante du poète français. En 1731 paraît, sur le modèle des périodiques anglais le Tatler et le Guardian, le Hollandsche Spectator, sous la rédaction de Justus van EffenGa naar voetnoot1). Dans les premiers numéros du SpectatorGa naar voetnoot2) l'auteur se déclare le champion de l'épuration de la langue, moins par goût du purisme que par aversion de tout ce qui manque de naturelGa naar voetnoot3). Il agit donc, comme Boileau, au nom de la nature | |||||
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et du bon sens et a en horreur tout ce qui est affecté et ridicule. Est-il besoin de dire qu'il est rationaliste comme la plupart de ses contemporainsGa naar voetnoot1)? Pour le style, le raisonnement serré et logique, l'ironie fine, il doit beaucoup aux Français, et surtout à La Bruyère. Pour s'en convaincre on n'a qu'à lire les numéros sur la conversationGa naar voetnoot2), sur la modeGa naar voetnoot3), sur la coquetterieGa naar voetnoot4). Les portraits de Van Effen ressemblent à s'y tromper à ceux de l'auteur des Caractères, non seulement par le réalisme de la peinture, mais aussi par le choix des types diversGa naar voetnoot5). Van Effen n'approuve nullement l'abus du français qu'on trouve dans certains milieux hollandais. Il s'attaque aux moeurs trop légères des Français au nom de l'ancienne austérité hollandaiseGa naar voetnoot6). Il admire les produits littéraires des Français, tout en leur préférant quelquefois les ouvrages des auteurs anglais, qu'il trouve moins conventionnelsGa naar voetnoot7). Sur le genre du roman doucereux, Van Effen est de l'opinion de Boileau. Il le condamne au nom du bon goûtGa naar voetnoot8). ‘Laat Holland zich niet meer verwonderen’ écrit-il dans le numéro du 7 mai, 1734, ‘hoe het moogelyk zy dat de Franschen zo zeer op de verdichte geschiedenissen zyn verslingerd, datze, aan de geleerde Astrea niet genoeg hebbende, met open armen omhelzen en verwellekomen alles wat de drukpers van die soort uitleeverd: Laat het niet meer spreeken van die vruchtbaare geesten, die in een eng tydperk Honderd nieuwe Nieuwigheden belooven: Laat het zwygen van Boekzaalen voor de Hovelingen, van Sprookjes in achttien dagen op het Land vertelt, van jonge Alcidianes, Osmans, en diergelyke traktaaten, | |||||
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daar men een gallery, zo groot als de geweerkamer op het Stadhuis, mee zou kunnen beslaan: dit zyn maar kleinigheden. Een zyner Inboorlingen, een zyner verstandigste Burgers draaft wel een toontje hooger, steekt die allen naar den kroon, en zal de winkels verryken met een tweeden Faramond, een anderen Cyrus, een nieuwe Cleopatra. O onvergelykelyke Boileau! nooit volprezen Dichter! schrandere Bestraffer van de zotheden uwer eeuw! wierdt uw yzeren slaap eens gestoord: mogt gy het gelauwerd hoofd eens uit het graf beuren: wat plaats zoudt gy in uw uitmuntende Samenspraak over de Helden der Romans aan den Spectator niet inruimen’Ga naar voetnoot1). Avec Boileau, Van Effen a le plus grand respect pour la raison. Pourtant ses idées religieuses ne sont pas exclusivement rationalistes, car à côté de la raison il reconnaît la valeur de la Révélation. Du reste, pour lui il n'y a pas de désaccord entre la raison et la Révélation. Au contraire, la raison nous sert à mieux comprendre les Livres Saints. Il a consacré à ce sujet tout le numéro du 25 fevrier 1732Ga naar voetnoot2). On peut voir dans Van Effen un porte-parole de Boileau toutes les fois qu'au nom de la nature et de la raison il s'attaque à la préciosité et à l'exagération sentimentale, mais il est assez indépendant pour s'écarter souvent de lui, notamment dans la question religieuse et dans celle de la mythologie païenne. Pour les habitants de l'Olympe Van Effen n'a que du dédain, comme nous lisons dans le numéro du 24 octobre, 1732Ga naar voetnoot3), où il proteste contre l'opinion défavorable de Boileau sur l'opéra. Il y cite le fameux passage qui se trouve dans la Dixième Satire, et en donne une traduction rimée. L'auteur du Spectator s'en rapporte plusieurs fois à Boileau, et c'est tout naturel: le poète français n'est-il pas par excellence le représentant du bon sens? Pourtant les points de différence entre les deux auteurs sont trop nombreux pour que nous puissions parler d'une | |||||
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influence directe. Les deux registres très étendus qui accompagnent les six volumes mentionnent à peine le nom de Boileau. Oubli ou indifférence? Il existe encore un traité théorique où l'on retrouve bien des idées qui avaient déjà été développées dans l'Art Poétique du poète français, c'est le Oeffenschets over 't Vereisch der dichtkunst (1724) de Lambert-H. Ten KateGa naar voetnoot1). Cet ouvrage se trouve dans le premier des quatre volumes d'un manuscrit contenant plusieurs traités de cet auteurGa naar voetnoot2). Le Oeffenschets est divisé en quatre chapitres, dont nous retrouvons le texte complet dans la thèse citée en note de A. van der Hoeven. Le premier chapitre, traitant du poète et de la poésie en général, est le plus fortement inspiré par Boileau, comme nous allons le voir. Les trois autres chapitres, traitant de la versification, de la rime, de l'accent et de l'hémistiche contiennent un ensemble de règles pour la technique du vers. Pour montrer la grande ressemblance qui existe entre le premier chapitre de Ten Kate et le Premier Chant de l'Art Poétique de Boileau, il suffit de mettre en regard certains passages des deux textes. Ten Kate: ‘Rechte Poeeten zyn, (myns oordeels) dezulken, die de kracht te saamen voegen met klaarheid, eenvoudigheid en ook zuiverheid van taal, denkbeelden en zaaken die schilderen met natuurlyke, zachte en niet met schreeuwende verwen; die den Vorst geen linnen kieltje, en den slaaf geen purperen rok omhangen: want groot spreeken en bravade maaken doet een Rymer geen Poëet worden, maar, dat slechter is, een Poëet | |||||
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schier een Rymer: hoewel zy die daaraan vast zyn, door veelen tans met dien naam gekroond worden’Ga naar voetnoot1). Boileau: Enfin Malherbe vint.........
Marchez donc sur ses pas, aimez sa pureté,
Et de son tour heureux imitez la clartéGa naar voetnoot2).
Soyez simple avec art,
Sublime sans orgueil, agréable sans fardGa naar voetnoot3).
Selon que notre idée est plus ou moins obscure,
L'expression la suit ou moins nette ou plus pure.
Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisémentGa naar voetnoot4).
Mon esprit n'admet point un pompeux barbarisme,
Ni d'un vers ampoulé l'orgueilleux solécismeGa naar voetnoot5).
Il est un heureux choix de mots harmonieux.
Fuyez des mauvais sons le concours odieuxGa naar voetnoot6).
On peut encore rapprocher du passage hollandais les vers suivants du Troisième Chant de Boileau: Conservez à chacun son propre caractère.
Que devant Troie en flamme Hécube désolée
Ne vienne pas pousser une plainte ampouléeGa naar voetnoot7).
Tous ces pompeux amas d'expressions frivoles
Sont d'un déclamateur amoureux de parolesGa naar voetnoot8).
Un peu plus loin Ten Kate s'exprime ainsi: ‘Men moet niet meenen dat platheid en eenvoudigheid hetzelfde is: het verschilt zooveel bijna als de laagste en hoogste trap. De verhevene eenvoudigheid is een gewichtig deel van de dichtkunst’, pensée que Boileau énonce plus énergiquement dans les deux vers du Premier Chant: | |||||
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Quoi que vous écriviez, évitez la bassesse:
Le style le moins noble a pourtant sa noblesseGa naar voetnoot1).
Le traité de Ten Kate nous met à son tour en garde contre ce que Boileau appelle une abondance stérile: ‘Veelen zyn er, die door de sierlykheid van een bevallig woord zich laten trekken tot iets buiten hun voorneemen te schryven. Dit gebeurt u niet: gy spreekt even zo veel als gy begeerd, en hebt breeder betekenis dan uitdruk. Deeze eigenschappen voegen Dichter en Dichtkunst’Ga naar voetnoot2). Voici sous quelle forme Boileau avait formulé la même pensée: Fuyez de ces auteurs l'abondance stérile,
Et ne vous chargez point d'un détail inutile.
Tout ce qu'on dit de trop est fade et rebutant:
L'esprit rassasié le rejette à l'instant.
Qui ne sait se borner ne sut jamais écrireGa naar voetnoot3).
Ten Kate, opposant le style de Cicéron à celui de Pollion, nous présente le premier comme un modèle à suivre: ‘Lees Cicero, zyn schikking is eenpaarig: hy houdt zyn tred, naauwkeurig, evendragtig, en zonder lafheid, zacht’Ga naar voetnoot4). Le conseil que Ten Kate nous donne ici avait déjà été donné par Boileau dans ces vers: Il faut que chaque chose y soit mise en son lieu;
Que le début, la fin, répondent au milieu;
Que d'un art délicat les pièces assorties
N'y forment qu'un seul tout de diverses partiesGa naar voetnoot5).
Dans la question de l'hémistiche, dont Ten Kate parle au quatrième chapitre, il ne se montre pas tout à fait d'accord avec Boileau. Celui-ci avait demandé: Que toujours dans vos vers le sens, coupant les mots,
Suspende l'hémistiche, en marque le reposGa naar voetnoot6).
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Ten Kate trouve un pareil procédé un peu monotone. A son avis, le retour régulier d'un vers où le sens est suspendu à l'hémistiche a quelque chose de dur: ‘Men mag het met voordracht wel zo schikken, als 't vlyen wil, dat de sterkste klemtoon, redelyker wyze, nu en dan de helftsnêe misloope, als by voorbeeld: En waant de menschen aan zyn vroomheid te verbinden.
Dans tout le quatrième chapitre, Ten Kate diffère d'opinion avec Boileau. Les exemples que le premier nous donne montrent qu'il est plutôt partisan de l'alexandrin romantique que du mètre classique avec sa césure régulière à l'hémistiche. Ces quelques passages suffisent à montrer qu'en effet, en maint endroit la ressemblance entre les deux ouvrages n'est que superficielle. Malheureusement le Oeffenschets n'avait pas été publié et n'existait qu'à l'état de manuscrit, en sorte qu'on ne connaissait pas l'ouvrage et qu'on n'a pas pu s'en inspirer. M.J. Bauwens, dans sa thèse sur La tragédie française et le théâtre hollandais au XVIIe siècle (1921) met à son tour en évidence l'autorité des écrits théoriques de Corneille, une autorité qui était bien plus grande que celle de Boileau. Quelques années plus tôt, en 1906, Ch. van Schoonneveldt avait déjà montré dans son livre sur la Navolging der klassiek-Fransche tragedie in Nederlandsche treurspelen der XVIIIe eeuw, à quel point la tragédie française s'était imposée en Hollande. On commençait par les traduire pour passer ensuite à l'imitation. Le nombre des traductions des pièces de Corneille, Racine, Quinault, Molière, Crébillon, et plus tard de Voltaire est très considérable. Les principaux imitateurs hollandais, comme Bidloo, Bernagie, Buysero, Nuits, Rotgans, Huydecoper, Feitama adoptent en général les règles appliquées par Corneille. Les deux derniers renvoient également à l'Art Poétique de Boileau. Nous retrouverons ces écrivains ailleurs. L'histoire de la littérature hollandaise au commencement du XVIIIe siècle est avant tout l'histoire de l'imitation française. Il est donc naturel que l'influence de | |||||
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théoriciens qui, comme Corneille, étaient en même temps auteurs de tragédies qu'on a traduites en hollandais, a été plus grande que celle de critiques littéraires qui, comme Boileau, n'ont pas prêché d'exemple ni écrit eux-mêmes de pièces de théâtre. Les conclusions de van Schoonneveldt et de M. Bauwens ne diffèrent guère l'une de l'autre: à la fin du XVIIe comme au commencement du XVIIIe siècle la tragédie en Hollande est surtout fondée sur les théories de Corneille; c'était toujours lui et rarement Boileau qu'on nommait, excepté dans quelques avant-propos qui juraient assez souvent avec le contenu des pièces qu'ils annonçaientGa naar voetnoot1). Même Huydecoper, qui, selon Te WinkelGa naar voetnoot2), est le meilleur auteur tragique du XVIIIe siècle, et qui, dans de longs avant-propos, témoigne de sa grande admiration pour Boileau et lui emprunte plusieurs idées, ne suit pas toujours ses préceptes. Est-ce que dans Arzaces, nommé par van EffenGa naar voetnoot3) ‘'t pronkstuk der Nederlandsche treurspeelen’, on ne voit pas au dernier acte un suicide, et n'y a-t-il pas deux cadavres sur la scène? C'est un procédé qui est plus romantique que conforme à l'idéal de Boileau. Nomsz qui, dans les examens qu'il a écrits de ses pièces, se réclame si souvent de Boileau, n'observe pas l'unité de lieu et ne divise pas toujours ses pièces en cinq actes. Aussi Worp a-t-il terminé le chapitre qu'il a consacré à la tragédie classique française en Hollande au commencement du XVIIIe siècle par ce passage: ‘Gedurende de geheele XVIIIe eeuw is het Fransche-classieke treurspel ten onzent op het tooneel gebleven. Maar, evenmin als in het laatst der XVIIe eeuw, was het de onvervalschte tragedie van Corneille en Racine. Men hield de eenheden van tijd en plaats dikwijls niet in eere en liet moord en zelfmoord op het tooneel plaats | |||||
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grijpen’Ga naar voetnoot1). Ces pièces ne suivent pas les préceptes de Boileau et n'ont donc pas été écrites sous son influence. Jan Te Winkel, Kalff, M. van Hamel sont tous d'accord pour reconnaître l'importance de la doctrine de Boileau, mais aucun d'eux ne fournit de preuves décisives pour son influence personnelle et directe. Certes, on admirait le poète français, qui avait si nettement formulé les règles de l'art, mais pour la pratique du théâtre on s'adressait de préférence à d'autres maîtresGa naar voetnoot2). On pourrait se demander si les résultats des recherches que Melle Kryn a publiées dans le Nieuwe Taalgids XI, sous le titre Franse Lectuur in Nederland in het begin van de XVIIIe eeuw ne sont pas en contradiction avec notre opinion sceptique par rapport à l'influence de Boileau. L'auteur a voulu établir le degré de popularité des différents écrivains français au XVIIIe siècle d'après le nombre de fois qu'on trouvait leurs noms dans les catalogues de cent bibliothèques diverses. Le résultat de ces recherches est tout à fait favorable pour Boileau, dont le nom paraît 46 fois dans les catalogues que l'auteur a consultés. Ce nombre n'est dépassé que par le Dictionnaire Moreri (51 fois), la Bible (54 fois) et le Nouveau Testament (53 fois). Ajoutons, pour faciliter la comparaison, que les contemporains de Boileau, Lafontaine, Molière, Corneille et Racine atteignent respectivement le nombre de 43, 42, 41 et 23. Soulignons la grande différence qu'il y a entre Corneille (41) et Racine (23), qui montre que le théâtre de Corneille a dû être beaucoup plus populaire que celui de Racine, construit selon les préceptes de Boileau. | |||||
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Si, malgré la grande renommée de Corneille en Hollande, le nom de Boileau paraît plus souvent dans les catalogues que celui de l'auteur du Cid, il faut que la cause de ce fait se trouve ailleurs que dans les théories littéraires. Dans le sixième chapitre nous verrons la vogue de Boileau comme poète satirique et surtout comme moraliste. Melle Kryn écrit dans son article: ‘Het is natuurlijk dat Boileau's werken in groten getale in bibliotheken worden aangetroffen in de tijd, dat zijn theorieën zo veel invloed kregen’. A mon avis l'auteur ne fait que répéter une opinion reçue, mais dont on n'a jamais prouvé d'une manière suffisante la vérité. Il aurait été plus exact de dire: il est tout naturel que l'oeuvre de Boileau, poète moraliste autant que théoricien littéraire, se trouve dans toutes les bibliothèques à une époque où la morale est à la mode et a pénétré victorieusement dans tous les ouvrages littéraires, traductions autant qu'oeuvres originales. Est-ce que le nombre élevé de 43 pour Lafontaine ne s'expliquerait pas de la même manière par les tendances morales de ses fables? Melle Kryn continue: ‘In een tijd van verval van de eigen letterkunde had het publiek grote belangstelling voor theoretiese kunstbeschouwingen en las die met zekere voorliefde, zoowel de moderne als de antieke, Boileau, le Bossu, zo goed als Horatius en Aristoteles’. Seulement il y a loin de la lecture à l'imitation. Lire un auteur ne signifie pas nécessairement subir son influence et lui emprunter ses idées. Pour cela il faut que le lecteur trouve dans ce qu'il lit une confirmation des opinions qu'il avait déjà. Il me semble que c'est M. Lanson qui, dans sa monographie sur Boileau, a le mieux caractérisé le rôle et l'influence de notre poète dans la phrase suivante: ‘Ce n'étaient pas les doctrines de Boileau, c'était le goût français qu'on cherchait dans l'Art Poétique’Ga naar voetnoot1). Seulement, le goût français n'était pas que Boileau; le goût français c'était tout aussi bien Corneille, | |||||
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Pascal, Descartes, Racine, et plus tard Voltaire, et on trouve des échos de tous ces représentants de la culture intellectuelle en France dans les oeuvres des auteurs hollandais. Après l'étude de ces ouvrages de critique littéraire, passons en revue les auteurs qui ont le plus sensiblement subi l'influence de Boileau et voyons à quel point leurs pièces de théâtre sont inspirées par les théories de l'Art Poétique. Nous serons de nouveau frappés par la distance qui sépare la pratique de la théorie. C'est que pour la pratique il y avait, outre l'application des règles de l'art, d'autres questions à envisager: la recette, le goût du public, les principes esthétiques des régents de théâtre, comme nous l'avons constaté plus haut. |
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