Boileau en Hollande
(1929)–H.J.A.M. Stein– Auteursrecht onbekendEssai sur son influence aux XVIIe et XVIIIe siècles
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IntroductionIl y a peu d'auteurs français sur qui on ait autant écrit que sur Boileau. Pour s'en convaincre, il suffit de parcourir l'imposante Bibliographie générale des CEuvres de Nicolas Boileau-Despréaux que M. Emile Magne vient de publierGa naar voetnoot1), ceuvre magistrale en deux gros volumes, véritable monument élevé à la renommée mondiale du Législateur du Parnasse. Après avoir pris connaissance de cet ouvrage, il faut bien conclure que, dans les pays de l'Europe civilisée on a connu Boileau, qu'on a lu et traduit son oeuvre et qu'on a aimé à le citer. Il est donc tout naturel qu'on s'attende à trouver partout des traces de son influence. L'étude du rôle de ses épîtres et de ses satires paraît bien avoir été abondonnée aujourd'hui. Actuellement on se préoccupe plutôt de la question de savoir comment et en quelle mesure on a, dans les divers pays, imité, adapté ses théories; on tâche de découvrir quelle part sa doctrine a eue à la formation des idées esthétiques d'autres nations que la France. La grande admiration qu'on ressentait pour la littérature française plus que pour le poète a quelquefois fait supposer des influences là où il n'y en avait pas, et on a trop souvent confondu sa doctrine avec le goût français en général. N'oublions pas que ce goût est un diamant à plusieurs facettes; Boileau en est une, mais il y en a d'autres, peutêtre moins brillantes, indispensables pourtant pour donner à l'ensemble la valeur et l'éclat d'un joyau précieux. A la fin du XVIIe et au commencement du XVIIIe siècle tout le monde était classicisant, tout le monde avait été gagné à la cause de la culture française, que chacun prétendait servir à sa façon, l'un en imitant Corneille, Crébillon, Fénelon ou | |
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Voltaire, l'autre en jurant par les préceptes de Boileau. Que les admirateurs de celui-ci aient vu du Boileau partout, c'est naturel, quoique ce soit regrettable. Une étude objective des auteurs hollandais doit nécessairement éveiller des doutes sur l'importance que Boileau a eue pour la formation de nos idées littéraires et sur l'étendue du rôle qu'il a joué dans leur évolution. La cause en est évidente: il n'a été que théoricien, et il est extrêmement difficile pour un auteur médiocre - et au commencement du XVIIIe siècle il n'y en avait presque pas d'autres - de composer des oeuvres d'art d'après une théorie aride. Certains préceptes généraux, comme celui de polir ses vers, d'éviter la bassesse, ont été partout appliqués, mais avait-on besoin de l'Art Poétique pour savoir qu'un poète négligent, ordurier ou ennuyeux ne répondait pas au but de son art? En Hollande ont paru les dernières années un certain nombre d'études de comparatisme traitant de l'influence que tel ou tel auteur français a exercée sur les écrivains de notre paysGa naar voetnoot1) ou de l'attitude de tel auteur hollandais en face de la civilisation française. Boileau, dont on rencontre, à tort ou à raison, le nom dans les ouvrages théoriques sur des questions littéraires, est un de ceux dont l'influence mérite en premier lieu d'être étudiée de plus près. Entreprenant mes recherches dans l'opinion préconçue, nourrie par les manuels, que je rencontrerais à chaque pas les traces de cette influence et que je n'aurais qu'à en enregistrer les effets, j'ai été, au contraire, obligé de reconnaître que ces influences dont tout le monde parlait étaient souvent plus apparentes que réelles. Croyant m'y être pris maladroitement, j'ai étudié les ouvrages de ceux, qui, dans d'autres pays que la Hollande, se sont livrés à des recherches analogues aux miennes, mais le résultat de leurs travaux n'a fait que | |
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confirmer mon opinion qu'en effet on a beaucoup exagéré la signification que Boileau a eue pour la formation esthétique et littéraire dans les pays hors de France. Dans tous ceux où l'on a fait jusqu'à présent une étude plus spéciale de lui, on n'est arrivé, malgré les recherches les plus actives et les plus poussées, qu'au même résultat: on constate seulement une influence vague, difficile à déterminer et presque impossible à dégager de celles d'autres représentants du goût français. Le terrain le plus propre à faire triompher la doctrine de Boileau, c'était le théâtre, qui a toujours été le champ de bataille où les grandes luttes des idées esthétiques se sont livrées. Est-ce que la Cléopâtre de Jodelle, le Cid de Corneille, l'Othello de Vigny, l'Hernani de Victor Hugo, la Lucrèce de Ponsard, le Demi-monde de Dumas fils, la Parisienne de Becque, le Paquebot Tenacity de Vildrac ne caractérisent pas autant de périodes nouvelles dans l'histoire de l'évolution des idées esthétiques en France? Il est vrai que l'auteur dramatique n'est pas toujours lui-même l'initiateur du genre nouveau qu'il introduit sur la scène. Les idées qu'il lance étaient depuis quelque temps en train d'évoluer, lorsque le dramaturge s'en empara. Le public au théâtre se laisse facilement prendre au mirage de ce qui lui paraît nouveau, hardi, humain, et sans se donner le temps de la réflexion, il applaudit aux tendances nouvelles, que, plus tard, dans un moment de recueillement, il désapprouvera peut-être. Les escarmouches entre partisans et adversaires d'un courant d'idées nouveau ne sont que les rencontres d'avant-garde précédant l'assaut définitif, qui sera donné sur la scène, où l'auteur préconise publiquement ce qui jusqu'alors n'avait été accepté et enseigné que par quelques novateurs. Dans la lutte pour la tragédie classique on se réclamait de Boileau pour justifier le choix d'une matière empruntée aux Anciens, on se fondait sur son Art Poétique pour exiger l'application de la règle des trois unités. Pourtant on connaissait ces règles avant Boileau et la matière antique était déjà à la | |
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mode depuis le XVIe siècle. Les préceptes de notre poète formulaient souvent des idées reçues qui n'avaient de nouveau que la forme nette et élégante sous laquelle elles étaient exprimées. L'auteur de l'esthétique dogmatique de l'Art Poétique construit un moule où il veut jeter toutes les pièces de théâtre, sans se demander si, dans la pratique, on pourrait se heurter à des obstacles, ou si le public préférerait autre chose que de voir toujours les variations d'une même pièce sous des titres différents. Ne nous étonnons donc point de constater que, plus d'une fois, on n'a appliqué que très imparfaitement ses préceptes ou qu'on les a tout à fait négligés. Et cette constatation ne s'appliquera pas seulement au théâtre. Le résultat de mon travail est pour une partie négatif. Malgré les peines que je me suis données, je n'ai pas réussi à découvrir chez nous cette influence prédominante de Boileau, dont la critique littéraire parle comme d'un fait acquis. Tout ce que j'ai pu faire, c'est de redresser une erreur littéraire, ou d'atténuer du moins les conséquences d'une tradition erronée ou d'une idée préconçue que notre poète aurait été le premier à signaler lui-même, puisque, à ses yeux, rien n'était beau que le vrai. |
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