Album Willem Pée
(1973)–Willem Pée– Auteursrechtelijk beschermdDe jubilaris aangeboden bij zijn zeventigste verjaardag
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Du bon usage des grammaires: le problème de la négation en français
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derniers forment un système très complexe, qui, en français moderne, n'est pas encore stabilisé. Ce système enchevêtré sera étudié à part’, ce qui a lieu, effectivement, dans les §§ 622-629. Le § 630, qui conclut cette étude, y insiste: ‘Le français dispose donc d'un double système, qui oppose, d'une part, non et pas, et, d'autre part, ne et ne ... pas. Mais le parleur et l'écrivain moyens, habitués à mettre l'essentiel de la négation dans le terme pas (ou équivalent), utilisent avec beaucoup de maladresse le ne seul. C'est certainement un des points faibles du système’. Il y aurait beaucoup à dire sur les implications de la notion d'un système stabilisé ou non stabilisé, ainsi que sur la maladresse attribuée aux utilisateurs moyensGa naar eind4 dans l'utilisation du ne explétif. Nous ne nous y arrêterons pas. Notons cependant l'allusion rapide, fugitive, et aussitôt perdue de vue, à la distinction (§§ 621, 622) entre adverbes d'affirmation et adverbes de négation, dont la légitimité, telle qu'elle est exprimée et exploitée et faute de symétrie, peut sérieusement être mise en douteGa naar eind5. En fait une telle opposition est étudiée seulement dans les formes absoluesGa naar eind6 oui, non, si, aux §§ 621-626. C'est qu'elles s'expriment ici positivement, par des formes phonologiquement distinctes et dans une certaine mesure commutables. Lorsque cette condition vient à manquer, rien ne nous est dit, ou si peu, du pendant ‘positif’ de ne ... pas, qui n'est autre que la forme non marquée:
Ce qu'il eût fallu mettre pleinement en lumière, c'est la structure de la classe métalinguistique, ou classe logique décrite en termes de métalangue, à l'intérieur de laquelle la négation s'oppose à la non-négation, le positif étant une façon moins heureuse parce que ambiguë de présenter les choses. Il est vrai qu'en praticiens de la langue les auteurs de la GL, qui sont par ailleurs d'excellents linguistes, se proposent seulement de donner à leurs utilisateurs, supposés moyens (v. supra) la plénitude de l'usage, et ne s'arrêtent pas volontiers à ce qui paraît aller de soi. On voit mal néanmoins comment le théoricien pourrait se dispenser d'être pleinement explicite, et comment le philologue pourrait se dispenser d'être généreux dans son corpus d'exemples, destinés à fournir à l'utilisateur tous les modèles souhaitables. Car le bon grammairien, le grammairien d'aujourd'hui, doit être l'un et l'autre, en même temps que bon pédagogue. 3.1. On aura remarqué, néanmoins, que dans la dominance du verbe il y a opposition simple, une forme marquée ne ... pas s'opposant à | |||||||||||||||
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une forme non-marquée, non marquée de négativité, tandis qu'en dehors de la dominance du verbe, et notamment en emploi absolu, dans la phrase réponse, que la question soit explicite, ou simplement implicite, c'est elle qui fournit le pôle positif, par rapport auquel s'exprime l'accord ou le désaccord, et ce dans une forme phonologiquement différenciée:
C'est déjà dire que la notion pseudo-métalinguistique de négation ne rend pas compte de façon adéquate de la réalité empirique, que la réalité de la parole ne s'y laisse pas ajuster.
3.2. Nous nous bornerons, faute de place, à dire un mot de la ‘négativité’ dans la dominance du verbe, au type il ne vient pas opposé à il vient. C'est, précisément, l'objet des §§ 627-629, qui traitent des ‘adverbes’ de négation qui ‘accompagnent les verbes ou groupes verbaux’ (§ 627). L'exposé, relevé par de beaux exemples de corpus, oppose, mais de façon insuffisante en ce qui concerne les artifices typographiques, ce que les auteurs appellent les cas d'obligation (§§ 627, 628) à ce qu'ils appellent les cas facultatifs (§ 629). Dans les cas d'obligation ne a obligatoirement dans son environnement un mot ‘négatif’, pas, ni, personne etc., qui paraît porter principalement, outre d'autres sèmes spécifiques, celui de la ‘négativité’, ce qui, par parenthèse, fait de ne une servitude grammaticale. Dans les cas facultatifs ne est négatif, certes, car il se suffit à soi-même, ce qui exclut pas, point etc., mais cette ‘négativité’ serait ‘atténuée’Ga naar eind8 (‘Idée atténuée de négation’ § 629). Nous passerons en revue les deux séries de cas.
3.2.1. La présence d'un déterminatif de la quantité nulleGa naar eind9 dans la proposition paraît entraîner automatiquement la mise en oeuvre d'une particule proclitique ne devant le verbe ou le groupe verbal personnalisés. Pour les exemples voir aussi les §§ 410, 411: Il n'y eut aucune réactionGa naar eind10, il ne boit ni ne mange, nul n'est censé ignorer la loi, il ne vient pas, je ne t'en veux pas, je ne vais pas partir, je ne t'ai pas vu, pas un élève ne travaille, personne n'est plus belle que Vénus, je ne sais rienGa naar eind11,
et en corpus:
On ne peut lui attribuer aucun malaise de l'âme, aucunes ombres intérieures (Valéry)Ga naar eind12 | |||||||||||||||
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Ni M. Sanguinetti ni le receveur ne pouvaient disposer de cinq francs (Max Jacob) nulle n'est plus douce que madame de la Chanterie, mais aussi nulle ne fut plus confiante qu'elle (Balzac)Ga naar eind13 Vous n'avez nul besoin de téléphone (Villiers de l'Isle-Adam) nul n'a le droit de rienGa naar eind14 regretter (id.) Ils allaient graves, stoïques (...) pas un ne recula (Hugo) personne ne m'aime (E. Triolet)Ga naar eind15 Ils ne font que répéter la soi-disant sociologie d'Outre-Atlantique (Étiemble) Ils n'étaient rien moins que riches (Stendhal)Ga naar eind16 rien ne se passe que je ne saisisse, que je ne fixe pour jamais en moi (Sartre).
Si le verbe n'est pas personnalisé, si donc il est à l'infinitif, normalement ne pas lui est antéposé. L'encadrement comme plus haut trahirait ‘un effet de recherche, surtout pour l'infinitif présent’ (§ 628). L'une et l'autre possibilité est exploitée dans
Olivier prenait grand soin de ne paraître point le rechercher, il feignait même parfois de ne pas le voir (Gide).
3.2.2. Les auteurs de la GL, au § 629, signalent que ‘le système assez simple qui vient d'être décrit a été obscurci pour deux raisons’. Nous nous arrêterons à chacune de ces raisons.
3.2.2.1. La première serait ‘une raison historique. Il en reste des traces aujourd'hui. En ancien français, le ne suffisait à marquer la négation (pas, point, goutte, mie ... étaient facultatifs)’. On peut douter qu'il s'agisse là d'une raison d'obscurcissement et que cette raison soit historique. On ne saurait injecter de la diachronie dans une description sans déstructurer la métalangue. Reste le fait que la langue moderne fait alterner, apparemment sans différence de signification (§ 629, 2o ab) ne ... pas avec ne sous la dominance de certains verbes comme pouvoir, savoir, oserGa naar eind17 etc.:
Il voudrait parler, mais il n'ose (Gide) Il ne put se résoudre à dire ... (Gide),
où l'archaïsme ‘objectif’ donnerait lieu, dans la langue moderne, à ‘un trait de style recherché’, mais aussi dans d'autres conditions de dominance, c'est-à-dire après: | |||||||||||||||
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Nous n'avons fait que reprendre, pour l'essentiel, les énoncés et surtout les exemples du § 629, 2o, ab: ceux-ci paraissent à première vue manifester des comportements intellectuels semblables, mais ce n'est là tout compte fait qu'une vue étique. Seule une vue émique nous, permettrait de recourir à une métalangue adéquate, et il est loisible d'envisager qu'à ce stade une réflexion conceptualisatrice nous permettrait de proposer une formulation plus acceptable. 3.2.2.2. Sous e (‘on peut choisir entre ne et ne ... pas, mais les sens sont opposés’) nous sommes, de toute évidence, dans une situation grammaticale autre que celle écrite sous a et b, situation qui à notre sens n'est pas à sa place sous 2o. C'est si vrai que les auteurs ajoutent: ‘Il s'agit essentiellement des propositions complétives et des relatives décrites ... au 1o’. Ce qui est étudié sous 1o, malgré les apparences, c'est l'opposition obligatoire, donc significative, ne (ou -) /v/ ne ... pas, non, comme sous 2o, l'opposition facultative, non significative, ne /v/ ne pas. En d'autres mots ne ... pas est ici pleinement négatif, ou positif (puisque négatif est le pôle positif), et c'est la forme non marquée qui s'oppose à lui, tandis que ne seul neutraliserait dans une certaine mesure les deux termes extrêmes et directement pertinents. C'est, sous une autre forme, l'idée avancée par Damourette et Pichon dans leur EGLF, et reprise à leur compte par les auteurs de la GL § 629, selon laquelle ‘le français moderne semble opposer: un ne pas qui apporte une négation absolue; un ne seul qui n'implique qu'une idée atténuée de négation’, formule qui serait plus acceptable si elle faisait une place au terme non marqué, positif, ou négatif, selon l'optique dans laquelle on se place. Malheureusement, l'éventail des exemples donnés § 629 1o est tout à fait insuffisant pour éclairer des distinctions qui se laissent seulement | |||||||||||||||
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entrevoir, et d'ailleurs ils valent uniquement pour les subordonnées, où ne servirait à ‘souligner une certaine discordance entre principale et subordonnée’. Or il faut bien dire qu'en formulant la règle en termes de verbes principaux à forme positive (éviter, empêcher, craindre) et verbes principaux à forme négative (nier, douter), on lui ôte toute intelligibilité. Voici d'ailleurs les exemples:
Sa seule crainte, c'étaitGa naar eind20 que sa femme ne l'interrompît (Gide) Je ne doute pas qu'il ne soit parti trop tôt (GL)Ga naar eind21.
Cette impression se confirme quand on voit la règle étendue apparemment abusivement aux subordonnées complétives des supports avant, à moins, sans:
Vite encore un mot avant qu'il n'entre (Gide) Je l'ai appris sans qu'il s'en doute (Gide), d'où ne ... pas semble bien excluGa naar eind22.
Outre que la règle énumérative du § 629 1o confond des cas distributionnellement différents, et qu'elle est très inégalement fondée en exemples, son corollaire obligé, à savoir le tour avec ne ... pas, ne reçoit pas les développements qui permettraient au système de se manifester, développements qu'il faut aller chercher, à l'état embryonnaire, sous 2o c:
Je crains toujours qu'elle (la royauté) ne vive au-delà du terme qu'on pourrait lui assigner (Chateaubriand)
en opposition significative avec:
Crains qu'un jour un train ne t'émeuve plus (Apollinaire) où pas commute tout naturellement avec plus, à quoi on ajoutera:
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