Oeuvres complètes. Tome VI. Correspondance 1666-1669

N^o 1781.
Christiaan Huygens à [Lodewijk Huygens].
28 novembre 1669.

La lettre et la copie se trouvent à Leiden, coll. Huygens.

A Paris ce 28 Novembre 1669.

Le calcul que je vous ay envoiè¹⁾ vous aura embarassè sans doute, au quel ayant songè depuis, et aussi au vostre²⁾, je trouve que nous avons tous deux raison en prenant la chose en different sens. Vous donnez a un enfant conceu 18 ans, et 2½ mois de vie, et il est vray que son esperance vaut autant que cela. Cependant il n'est pas apparent qu'il vivra si longtemps, car il est beaucoup plus apparent qu'il mourra devant ce terme. de sorte que si on vouloit gager qu'il y parviendroit la partie seroit desavantageuse, car on peut seulement gager avec egal avantage qu'il vivra jusqu'a 11 ans environ, ainsi que je le trouve par ma maniere. de mesme l'esperance d'un enfant de 6 ans ou un garçon de 16 vaut les 20 ans que vous dites, mais vous ne pouviez pas en conclure qu'en gageant qu'il vivroit encore 20 ans, la partie seroit egale. car pour cela l'on ne devroit gager que 25 contre 39 sur celuy de 6 ans, et 2 contre 3 sur celuy de 16 ans. Ou autrement sur un de 16 ans on peut gager 1 contre 1 qu'il vivra encore 15 ans.

Ce sont donc deux choses differentes que l'esperance ou la valeur de l'aage futur d'une personne, et l'aage auquel il y a egale apparence qu'il parviendra

1) Consultez la Lettre N^o. 1776.

2) Consultez la Lettre N^o. 1771.

[p. 538]

ou ne parviendra pas. Le premier est pour regler les rentes a vie, et l'autre pour les gageures. Ie verray si vous avez fait la mesme distinction. Cependant vostre methode est fort belle et subtilement trouuée. Elle revient justement a la mesme chose que je trouue suivant mes regles de hazard imprimées dans les Exercitationes Mathematicae de Schoten³⁾, en disant qu'un enfant conceu par exemple a 36 chances pour vivre 3 ans, 24 chances pour vivre 11 ans &c. car il faut par la regle, multiplier chasque nombre de chances par ce qu'elles donnent, et diviser la somme des produits par la somme de toutes les chances pour avoir la valeur.

Pour vos capitaines⁴⁾ vous vous estes servi de la table Angloise comme je crois. En disant si de 10 personnes il en meurt 4 entre les 46 et 56 ans, donc de 40 il en mourra 16 entre les 46 et 56 ans, c'est a dire en 10 ans de temps. Et si 16 meurent en 10 ans, donc 2 meurent en 1 an 3 mois, par la regle de trois. Toutefois par ce calcul il en mourroit 2 de 40 en 15 mois en les supposant de 46 ans chacun⁵⁾, et non pas de 50. Et mesme il ne faudroit pas encore tout a fait les 15 mois puis qu'il n'en meurt pas egalement pendant les 10 ans, mais plus dans les premieres années a cause que le nombre des personnes est plus grand alors qu'apres que la mort en a ostè quelques uns.

Voicy une question assez jolie qui me paroit bien plus difficile que celle des Capitaines, et que je n'ay pas encore calculée, mais je vois le moien de le faire. Deux personnes de 16 ans chascun, combien peuvent ils esperer de vivre ensemble sans que l'un ou l'autre meure? Item dans quel temps seront ils morts tous deux? Ce sont en effect 2 questions differentes, et ou il y a penser a chacune⁶⁾.

3) Dans les Exercitationes Mathematicae de Fr. van Schooten, (voir la Lettre N^o. 128, note 3) on trouve l'ouvrage:
Chr. Hugenius, De ratiociniis in ludo aleae.

4) Le problème des capitaines semble avoir été posé par Lodewijk Huygens dans une lettre que nous ne possédons pas, écrite après la Lettre N^o. 1771. Sans doute il s'agit de calculer le temps qui s'écoulera avant que de 40 capitaines, âgés de 50 ans, il en mourra deux.

5) Consultez la pièce N^o. 1777, où le problème des capitaines est traité dans cette forme.

6) Consultez, sur ces problèmes, la pièce N^o. 1777.

[p. 539]

Les aages des 2 personnes estant posez differents comme l'une de 16 ans et l'autre de 56, cela apporteroit encore quelque changement mais il n'y auroit pas grande difficultè apres qu'on auroit trouvè la solution dans les aages egaux. La ligne courbe⁷⁾ dont j'ay parlè dans ma precedente⁸⁾ ne sert que pour les gageures, c'est pourquoy il n'est pas necessaire que je vous l'envoie. mais on en peut faire une pour suppleer vostre table des restes de vie de chasqu'aage, ainsi, mais en plus grand volume⁹⁾.

Le consul¹⁰⁾ vous a trouuè bien a propos occupè dans ces supputations. Je souhaite que ces admirautez se souuiennent de leur promesse lors qu'il sera question de remplir les places vuides, et voudrois desia veoir nostre Capitaine avec les Pendules en Mer. I'ay mandè a mon Pere la raison pourquoy je n'envoie point copie de la derniere Relation¹¹⁾, et il faut que vous n'ayez pas veu sa lettre.

Ie me rends facilement a vos considerations et a celles de Monsieur van Leeuwen touchant la Residence, et pour mon particulier j'aimerois incomparablement mieux que vous trouvassiez quelqu'employ ou quelque bonne alliance dans le païs. Mais croiez vous d'ailleurs que ceux qui rerum potiuntur vous consieroient bien cette charge?

Je recus vostre lettre¹²⁾ chez Madame Caron¹³⁾ et luy fis a l'heure mesme et a l'Espouse¹⁴⁾ vos felicitations, et leur tesmoignay que l'on approuuoit l'affaire parmy le parentage. J'avois escrit a Monsieur Schott pour information, qui m'a dit beaucoup de bien du Gentilhomme dans sa response. Il est de la Religion, et l'aisnè de la maison, il doibt à 2 de ses soeurs leur mariage de 10 mille ℔ chascun, mais il a assez de quoy a ce que Monsieur Schott me mande.

Je lus aussi aux Cousines l'avanture admirable du Commissaire Schotte¹⁵⁾, que la mere connoit fort bien. Taschez de vous ressouuenir de l'autre s'il se peut.

Je me souuiendray de vostre livre de Chifres et des vers pour Madame de Beverning¹⁶⁾. et je viens de marquer l'un et l'autre sur mes tablettes.

Comment se porte Mademoiselle Ida¹⁷)?

7) Voir la planche vis-à-vis de la page 531.

8) Consultez la Lettre N^o. 1776.

9) Voir la figure à la fin de la page 538.

10) David Suerius. Consultez la Lettre N^o. 1552, note 3.

11) Consultez la Lettre N^o. 1765, note 11.

12) Nous n'avons pas trouvé cette lettre de Lodewijk Huygens à Chr. Huygens.

13) Constance Boudaen, veuve Caron.

14) Madame la Ferté, née Susanne Caron.

15) Peut-être
Jacobus Schott, fils de Simon Schott et de Cornelia van der Hoogezande, né à la Haye en 1619, et mort le 27 février 1670. Il étudia à Leiden en 1629 en jurisprudence, et devint conseiller à la Cour suprème.

16) Consultez la Lettre N^o. 1753.

17 Ida van Dorp avait été très-malade. Consultez la Lettre N^o. 1771.