Oeuvres complètes. Tome VI. Correspondance 1666-1669

N^o 1721.
Christiaan Huygens à R. Moray¹⁾.
Appendice II au No. 1718.
30 mars 1669.

La lettre se trouve à Londrcs, Royal Society.
La lettre est la réponse au No. 1708. R. Moray y répondit par le No. 1730.

a Paris ce 30 Mars 1669.

Monsieur

Je vous suis beaucoup obligè d'avoir bien voulu prendre la peine d'examiner les raisons du different que j'ay avec Monsieur Gregory et de ce que vous taschez de remettre la paix en representant a un chacun de nous deux en quoy il a failly.

Cependant vous me permettrez de vous dire que pour n'avoir pas ouy ma defense aussi bien que les accusations qu'on a apportées contre moy, vous ne me faites pas autant justice que vous avez intention de me la faire. L'estat de nostre Controverse que l'on vous a dressè et dont vous m'avez envoiè copie, ne semble point estre fait par une personne indifferente, mais plustost d'avoir estè dictè par Monsieur Gregory luy mesme, hors mis la derniere ligne; c'est pour quoy j'appelleray a vous mesme de vostre sentence l'un de ces jours, en vous envoiant mes remarques et justifications contre tout ce qu'on m'impute dans ledit Escrit; car j'ay trop de choses a dire pour le faire maintenant, et trop peu de loisir.

Pour ce qui est des Regles du mouvement de Percussion, j'ay estè estonnè en voyant celles de Monsieur Wren imprimées dans vostre Journal sans qu'on y ait fait la moindre mention de moy, puisque non seulement on scavoit que je les avois trouvées il y avoit longtemps, mais qu'encore depuis peu je les avois communiquées a la Societè Royale, Monsieur Oldenbourg m'ayant demandè par son ordre ce que je pouuois avoir trouuè dans cette matiere du mouuement, et cela a sin que je n'y fusse pas prevenu. Mais quand il n'y auroit nulle obligation a faire mention de moy apres cela, j'admire comment on a pu trouuer bon d'en user de cette maniere. Car on devoit bien presumer que je demanderois quelque part en l'honneur de l'Invention de ces regles. Et cependant comment pouuois je faire voir que

1) Dans le catalogue des Manuscrits de la Société Royale, cette lettre est notée par erreur comme adressée à H. Oldenburg.

[p. 396]

j'avois droit d'y pretendre, si ce n'est en rapportant ce qui c'est passè sur ce suject entre ces Messieurs et moy, ce qui ne pouuoit pas estre fort avantageux ni a eux ni a Monsieur Wren. Je ne scay ce que le monde en jugera en voiant dans le Journal des Scavans ce que j'escris a l'Autheur²⁾ sur cette matiere, quoy que je n'aye rien mis que ce qui est de fait et necessaire pour m'exempter de soupçons, et maintenir ce qui m'appartient justement, car je suis fort eloignè d'avoir aucune sinistre opinion de Monsieur Wren, qui a acquis trop d'honneur par ses inventions pour se vouloir parer de celles d'autruy.

Monsieur Oldenbourg m'a envoiè la derniere response³⁾ de Monsieur Gregory sur le suject de la Quadrature, ou il n'a rien fait qui vaille, et je voudrois bien scavoir s'il y a aucun des geometres par de la qui prenne pour des demonstrations ce qu'il donne pour telles. J'ay de la peine a m'imaginer qu'il le croye luy mesme, et il me paroit plus vraysemblable qu'il s'est voulu sauver dans l'embaras et dans l'obscuritè.

J'ay pris la libertè de prier⁴⁾ Monsieur du Hamel de se vouloir charger de l'argent que vous luy donnerez pour moy pour me l'envoier icy par lettre de change. J'ay payè 275 livres en Hollande de l'Horologe que vous avez, qui font 100 escus icy, et je croiois vous l'avoir desia mandè⁵⁾.

J'avois apportè 2 pareilles horologes avec moy pour les envoier sur mer, mais j'ay apprehendè que la chainette ne donnast trop d'embaras a ceux qui les gouverneroient, ce qui m'a obligè d'en faire faire icy d'autres sans chainette, les ayant perfectionnez par d'autres moyens, et il y en a maintenant sur mer, dont je me promets un succes assurè. Cela m'a fait trouuer d'autant plus estrange la proposition que Monsieur Mercator a fait⁶⁾ depuis peu a Monsieur Colbert de trouuer les longitudes par le moyen des horologes a pendule, comme si j'avois abandonnè entierement cette affaire, ou qu'il eust droit de se prevaloir de l'Invention de ceś horologes sans avoir egard a moy, non plus que si je n'estois plus au monde.

Je suis bien aise que vous approuuiez la maniere des chifres ou anagrammes pour eviter les Contestations en matiere d'inventions nouvelles. Vous dites qu'il faut que ces communications se fassent en langage commun, Latin, Anglois ou Francois, ce que j'interprete ainsi qu'il faut determiner une de ces langues, pour s'en servir tousjours, asin que l'affaire soit moins sujette a caution. Mais il est encore necessaire pour eviter tout soupçon de prefinir un certain nombre de lettres qu'on ne puisse point exceder, parce qu'autrement on fait tout de tout. Je crois que 60 suffisent, et quand ce qu'on veut escrire demande plus de lettres, il ne faut que le mettre en 2 ou 3 parties distinguées, dont chacune n'excede point ce nom-

2) Le rédacteur de Journal des Scavans était alors J. Gallois.

3) Voir la pièce N^o. 1682.

4) Consultez la Lettre N^o. 1719.

5) Consultez la Lettre N^o. 1708, note 2.

6) Consultez la pièce N^o. 1711.

[p. 397]

bre de 60. Le chifre dernier⁷⁾ de Monsieur Wren que Monsieur Oldenbourg m'a envoiè⁸⁾ est de près de 100 lettres ce qui me semble trop. Et il devroit pour son propre interest le diviser en deux parties.

J'ay lu ces jours passez avec plaisir le livre⁹⁾ de Monsieur Wilkins du charactere universel, dont le dessein et¹⁰⁾ fort bien mais tres malaisè a executer, non pas a cause de la difficultè de la chose mais parce qu'il faut le contentement des nations.

Je vous baise tres humblement les mains et suis sans reserve

Monsieur

Vostre tres humble et tres obeissant serviteur Hugens de Zulichem.

7) Consultez la pièce N^o. 1703,

8) Consultez la Lettre N^o. 1702.

9) An Essay Towards a Real Character, And a Philosophical Language. By John Wilkins D.D. Dean of Ripon, And Fellow of the Royal Society. London, Printed for Sa: Gellibrand, and for John Martyn, Printer to the Royal Society. 1668. in-solio.

10) Lisez: est.