Oeuvres complètes. Tome VI. Correspondance 1666-1669

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N^o 1607.
Christiaan Huygens à [Ph. Doublet].
28 octobre 1667.

La lettre se trouve à Leiden, coll. Huygens.

A Paris ce 28 Octobre 1667.

Il est vray fratello que les moulins aussi peu que les montaignes ne se rencontrent pas les uns les autres, mais les hommes ne peuvent manquer de les rencontrer quand ils vont aux endroits ou ils sont plantez, ne s'estant jamais veu que montaigne ou moulin ayent esquivè la rencontre d'un honnest homme. Or graces au hazard qui vous a portè au lieu ou cette belle machine se tenoit et a l'adresse de vostre main, nous avons obtenu a la fin¹⁾ ce tant desirè dessein, et sans beaucoup de peine avons compris et penetrè le secret de l'invention. Seulement il reste quelque petit esclaircissement a faire touchant la maniere de faire tourner la partie qui est pardessus la platte forme ce qui se doit faire en sorte que le pompstock²⁾ demeure tousjours libre; et il me semble que pour cet effect il vaudroit mieux que le tuyau au dessus de la platte forme demeurast fixe et immobile estant attachè a la platte forme mesme pour servir d'axe sur le quel le reste tourneroit, que non pas que ce tuyau tournast avec le reste comme vous dites qu'il fait. Car s'il est ainsi, il faut donc, puisque le pompstock ne peut pas servir d'axe, qu'il y ait quelque chose qui arreste la machine superieure contre la platte forme, a fin qu'elle ne puisse vaciller en tournant par le moyen de la queuë, ce qui ne me semble pas si aisè a faire que de l'autre maniere. Vous me direz s'il vous plait ce qui en est. l'Invention au reste n'est pas si peu considerable que vous semblez l'estimer, et ne laissera pas de rejouir le bon Seigneur de Roanez³⁾ que je n'ay pas pu veoir depuis l'arrivee de vostre lettre⁴⁾ a cause de la distance de nos demeures.

Ie ne comprens pas pourquoy vous laissez tant vostre tableau⁵⁾ chez le peintre⁶⁾ sans le faire achever, puis qu'il est bien a vostre grè. Si vous attendez tous deux que vous deveniez plus beaux que vous n'estes, pour faire mettre la derniere main aux visages, nous en avons encore pour longtemps. Songez donc un peu je vous prie a la satisfaction que me donnera cette piece, et ne me remettez pas jusqu'a ce que je la viene prendre, a quoy je ne vois guere d'apparence. Mais si vous me promettiez de me l'apporter vous mesme, ma patience s'estendroit sans peine encore 5 ou 6 mois. En effect vous devez venir faire un tour icy vers le printemps et pou-

1) Consultez les Lettres N^os. 1578, 1581 et 1585.

2) Traduction: tige de la pompe.

3) Artus Gouffier.

4) Nous ne possédons pas cette lettre de Ph. Doublet à Chr. Huygens.

5) Consultez les Lettres N^os. 1565, 1587 et 1592.

6) Gaspar Netscher. Consultez la Lettre N^o. 1562.

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vez vous assurer que vous n'en aurez point de regret quand ce ne seroit que pour veoir les ouurages qu'on a fait depuis que vous n'y avez estè⁷⁾. le Bastiment des Tuilleries est tout a fait achevè, et il n'y a rien de plus beau que de voir cette grande facade, qui est toute neuve, quand on promene dans le Iardin qui est aussi merveilleusement changè et embelli depuis qu'on y a fait des grands parterres et rondeaux du costè du bastiment, et une allée large tout a travers, que l'on continue maintenant par le jardin de Renard jusques sur la montaigne de Chaliot⁸⁾. Vous verriez aussi le Louvre fort avancè comme encore le college des 4 Nations⁹⁾, et nostre somptueux Observatoire¹⁰⁾. de plus le Val de grace¹¹⁾ qui a toute autre mine apres que l'on y a basti les 2 aisles, et qu'on le voit a decouuert du costè de la rue.

L'on vous meneroit au Gobelins veoir toutes ces¹²⁾ belles manufactures dont. Monsieur le Brun¹³⁾ a la conduite et qu'il estala il n'y a guere aux yeux du Roy, ou je fus aussi et admiray la quantitè de grands vases d'argent, et les belles tapisseries et tableaux dont on auoit parè une grande cour. Ie ne vous parle pas des beautez vivantes que vous verriez dont il y en a que vous trouveriez avancees aussi bien que les bastimens. En fin pour un homme curieux comme vous, exempt d'affaires et naturellement voiageur, il me semble qu'il n'y a pas a deliberer.

Ie vous remercie des nouvelles dont il a plu me faire part, estant marry que le devoir vous ait fait quiter la plume pour me priver des autres que vous y auriez adjoustees.

Mes baisemains s'il vous plait a tous ceux de chez vous, au valeureux Consul¹⁴⁾, et aux trois pucelles dont les ferventes prieres¹⁵⁾ puissent a la fin avoir effect. que si elles n'obtienent pas une si petite chose en priant trois a la fois, comment seront elles exaucees en demandant chacune en particulier une grande, dont elles ont bon besoin.

7) C'était dans l'année 1663. Consultez les Lettres N^os. 1111 et 1115.

8) La hauteur de ‘Challiot’ (Chaillot) se trouvait près de la Place de l'Etoile.

9) Hôtel des quatre Nations était le nom populaire du collège Mazarin, maintenant l'Institut.

10) La construction de l'Observatoire par Perrault, décidée en 1664, fut commencée en 1667.

11) Le Val-de-Grâce était un couvent de bénédictins, fondé par Anne d'Autriche et construit sur les plans de Fr. Mansart.

12) Ici un mot de la lettre est brûlé.

13) Charles Lebrun (le Brun), né à Paris le 24 février 1629, mourut le 12 février 1690; il devint en 1662 premier peintre du Roi et directeur de la manufacture des Gobelins.

14) David Suerius.

15) Consultez, sur l'objet des prières des trois pucelles, la Lettre N^o. 1613.