Oeuvres complètes. Tome VI. Correspondance 1666-1669

N^o 1551.
Appendice au No. 1550.
[1666].

La pièce se trouve à Paris, Académie des Sciences.

Observation de l'Eclipse du Soleil du 2^e Juillet 1666.

Faite dans la maison de Monsieur Colbert, Par Messieurs Hugens, de Carcauy, Roberual, Auzout, Frenicle et Buot.

L'observation des Eclypses est si utile, et l'utilité en est si connue qu'il ne faut pas s'estonner si tous les Astronomes prennent tant de soin, quand il en arrive, pour les observer avec toute l'exactitude qui leur est possible puis qu'elles peuvent servir plus que toutes les autres observations pour rectifier le mouvement du Soleil et de la lune, et pour savoir sur la terre la difference des meridiens, ou la longitude, fans laquelle la Geographie et la Navigation sont incertaines; Et si l'on n'avoit autrefois observé les Eclypses, nous manquerions du moyen le plus seur que nous ayons pour rectifier la Chronologie et l'histoire.

Cela fut cause que ces Messieurs eurent soin de preparer toutes les choses necessaires tant pour l'Eclypse de Lune qui devoit arriver le 16^e de Juin que pour celle du Soleil du 2^e Juillet, mais parceque le mauvais temps empescha d'observer l'Eclypse de Lune¹⁾ on ne parlera point des preparatifs que l'on avoit fait et l'on se contentera de parler de l'observation de l'Eclypse du Soleil.

Ces Messieurs ayant consideré que l'on pouvoit tres bien observer l'Eclypse d'une chambre haute du pavillon de la maison de Monsieur Colbert, choisirent ce lieu pour y faire leur observation et retrancherent une partie de cette chambre avec de la tapisserie pour l'obscurcir afin d'y recevoir l'image du Soleil, et reser-

1) Consultez la Lettre N^o. 1546.

[p. 59]

verent l'autre pour y placer des Lunettes de 7 et 13 pieds dont on fut contraint de se contenter parce qu'on n'eut pas peu commodement y en manier de plus grandes. L'on se servit aussy d'un sextans de six pieds de rayon exactement divisé en degres, et un des degres en minutes que l'on mit dans le jardin pour prendre les hauteurs du Soleil. A quoy on adiousta une pendule de Monsieur Hugens, qui marque tres iuste les Secondes, et qui a esté eprouvée depuis longtemps.

Pour observer l'Image du Soleil et la grandeur de l'Eclypse l'on prepara dans la partie de la chambre qui estoit obscurcie une boule avec une Lunette de trois pieds qui portoit l'Image du Soleil sur une carte ou l'on avoit tracé un cercle de 8 pouces 3 lignes et d'une palme, qui estoit divisée dans sa circonference en 360 degres a commencer au vertical et dans son diametre a 12 doits et chaque doit en moitié et en quarts par des cercles diversement marques comme l'on a coustume de faire.

On avoit appliqué a la lunette un cave au lieu d'un convexe parce qu'on vouloit que l'Image fut renversée pour pouvoir mettre par les bords d'en haut de la Sphere des cartons de differens diametres sur l'Image de la lune afin d'en mesurer precisement la grandeur et la proportion de son diametre avec celuy du Soleil. le cave estoit faible, et d'une grande sphere, de peur que la refraction qui se fait sur les bords d'un cave plus creux n'alterast la proportion des parties de l'Image.

Il y avoit aussy un plomb pour marquer a tout moment le vertical, et prendre par consequent l'Inclinaison des cornes dans les principales phases de l'Eclypse et remarquer par quel endroit du disque de²⁾ la Lune entreroit et sortiroit.

On avoit encore une autre machine dont on donnera la description en un autre endroit pour faire en petit toutes les mesmes choses mais qui a cela de commode que l'on n'a besoin n'y d'estre dans un lieu obscur pour voir distinctement l'Image, n'y d'avoir un plomb pour prendre le vertical.

Il y avoit dans le reste de la chambre qui n'estoit pas obscurcie, trois lunettes dont l'une estoit de 13 pieds, et les deux autres de 7 pieds qui avoient d'asses grands oculaires convexes pour decouvrir en mesme temps plus que le Soleil entier, avec des verres colorés ou enfumés pour empescher l'esclat de sa lumière. Il y auoit des cheveux et des treillis³⁾ pour determiner la grandeur de l'Eclypse, et

2) Biffez le mot: de

3) Au sujet de ce réticule micrométrique, le résumé donné dans l'Histoire de l'Académie contient plus de détails que le Rapport des Registres. On lit, page 10 de l'ouvrage cité dans la Lettre N^o. 1550, note 1, ce qui suit:
Pour mesurer donc les diametres apparens avec une exactitude inconnuë à toute l'ancienne Astronomie, M. Huyguens avoit eu la premiére idée d'une machine très-ingénieuse que tout le monde connoît presentement. C'est ce petit treillis divisé en un certain nombre de quarrés égaux que forment des fils de soye ou de métal très déliés. On le place dans le foyer du verre objectif, & là les petits quarrés sont vûs très-distinctement. On fait d'ailleurs, & même assés facilement, à quelle quantité d'un dégré céleste répond le côté de chacun de ces quarrés, & par conséquent on sait la grandeur apparente d'un objet compris dans un ou plusieurs de ces intervalles.
Les ‘cheveux’, dont il est parlé dans le texte, semblent indiquer que l'on s'est servi aussi du micromètre à fils mobiles. Voir la note 11.

[p. 60]

les phases differentes. Outre ces Lunettes il y en avoit encore d'autres, et plusieurs verres tant colorés qu'enfumés que l'on avoit preparé pour tenir a la main, afin que ceux qui voudroient voir l'Eclypse dans le Ciel, car elle paroisteroit a l'oeil simple, pussent avoir cette satisfaction.

On emprunta encore de Monsieur Petit deux grands miroirs, dont l'un brusle par reflexion, et l'autre par refraction, pour eprouver s'ils brusleroient dans le temps de la plus grande obscurité et avec quelle difference de ce qu'ils ont accoustumé de faire quand le Soleil est entierement decouvert. Le premier est parfaitement parabolique, son foyer est a douze pouces et a de grandeur 15 pouces, le second a 8 pouces et demy de diametre et porte son foyer a 16 pouces et demy.

Toutes ces choses estant ainsy preparées et tous ceux qui devoient observer estant assemblés, chacun se disposa dés 5 heures du matin pour observer exactement le commencement de l'Eclypse de peur que le Ciel ne devançat les tables comme il arrive quelque fois, et parce qu'il y avoient des supputations qui mettoient son commencement a cinq heures trois minutes.

Le temps estant fort serein le commencement fut observé si exactement que l'on peut asseurer, qu'il ne s'en fallut que le temps necessaire pour avertir celuy qui estoit a l'horloge. Il fut premierement decouvert avec une Lunette mais on le vit en mesme temps aux autres Lunettes et aux Images, et on peut remarquer en passant que les grandes Lunettes sont encore plus propres que les Images, particulierement pour descouvrir le commencement et la fin, a cause qu'elles coupent plus net les disques du Soleil et de la Lune, et qu'elles ne sont pas suiettes a aucune couleur comme il s'en voit d'ordinaire dans l'Image, quelques bonnes que soient les Lunettes, particulierement si on veut avoir l'Image du Soleil un peu grande; elles peuvent mesme estre plus propres à determiner la grandeur de l'Eclypse, les doits et peut estre l'Inclinaison des Cornes si on y adiouste toutes les machines qui peuvent y esttre adioustées comme on le fera voir en quelque autre occasion.

Il estoit pour lors au pendule 5 heures 38′, 50″, et si l'on veut rabattre 2″ pour le temps qu'il fallut a avertir et a regarder l'heure l'Eclypse commenca à 5 heures 38′,48″, mais pour avoir l'heure exacte l'on verifia la pendule au Soleil par le moyen du Sextans, et on trouva qu'elle retardoit de 4′, 32″, a cause qu'elle n'avoit pas esté ajustée parfaitement sur le Soleil, depuis qu'elle avoit esté transportée, de sorte qu'ayant ajousté ces 4′, 32″, l'on peut asseurer que l'Eclypse commenca à Paris à 5 heures 43′, 20″, l'on a adiousté de mesme ces 4′ 32″, a toutes les autres heures trouvées par l'horloge, il suffit d'en avoir averty une fois.

[p. 61]

Depuis le commencement iusqu'a la fin on est asseuré d'avoir le mesme tres exacte, l'horloge a pendule estant ainsy qu'il a esté dit parfaitement bien reglée.

La plus grande obscurité fut estimée à l'Image de 7 doits ¾ et demy⁴⁾ mais avec le treillis on le trouva de 7 doits 56 minutes. Comme elle dura longtemps à cause de la diminution de la parallaxe on ne peut pas dire précisement, quand elle arriva.

La fin fut de même que le commencement observée fort exactement et avec les Lunettes et par le moyen de l'Image et tous concoururent à 7 heures 42′, 20″, tellement que la durée de l'Eclypse fut iustement d'une heure, 59′, ou si on ne rabat pas les deux secondes du commencement, elle fut d'une heure 58′, 58″.

On prit a la pluspart des phases la hauteur du Soleil avec le sextant mais parce qu'on doute que sa seconde pinule⁵⁾ fut placée dans la derniere justesse on n'a pas iugé a propos de s'y arrester, particulierement à cause que pendant tout ce temps la le Soleil estoit suiet a des refractions sensibles, dont l'Inegalité n'est pas encore bien connue⁶⁾. C'est pourquoy l'on ne s'est arresté qu'a deux hauteurs prises par le moyen de la pinule du centre et particulierement à la derniere par laquelle on trouva la hauteur du Soleil à la fin de l'Eclypse de 33 degres 47 minutes qui donne par le calcul 7 heures 42 minutes 6 secondes, la difference n'est pas considerable.

Ce fut par cette hauteur que l'on rectifia le soir du mesme iour l'horloge, car ayant attendu que le Soleil revint a la mesme hauteur (la difference de la declinaison n'estant pas considerable) on remarqua quelle heure il estoit a l'horloge, par le moyen de laquelle on trouua qu'il retardoit de 4 minutes 32 secondes ainsy qu'il a esté dit, lesquelles il falloit par consequent aiouster a toutes les heures que l'on avoit prises.

Quoyque l'on ait observé toutes les phases de demy doit en demy doit et souvent iusques aux quarts de doit avec la position des cornes au respect du vertical, on se contentera de remarquer les principales, qui sont, quand la soustendante des cornes fut parallele au vertical, quand la corne occidentale toucha le vertical, quand les cornes furent horizontales, quand la corne orientale arriva au vertical, et quand l'Eclypse fut de six doits tant en augmentant qu'en diminuant.

Ceux qui estoient à l'Image estimerent que la Lune entra a 80 degrès loing du vertical du costé d'occident dans le ciel.

Quand les Cornes furent paralleles au vertical, l'Eclypse estoit de pres de 5 doits. Il estoit 6 heures 6 minutes et les Cornes passoient par⁷⁾.

4) Intercalez: quart.

5) Ce n'est qu'en 1667 que les instruments destinés à la mesure des angles furent munis de lunettes: auparavant, on se servait de pinnules au lieu de lunettes.

6) Les meilleures tables de réfraction étaient celles que J.D. Cassini avait publiées dans les ‘Ephemerides Novissimae de C. Malvasia, Matinae, 1662’. Quoique l'on y trouve trois tables destinées à diverses saisons, l'influence de la température et de la pression de l'air sur la réfraction n'était pas encore connue.

7) Ici il y a une lacune dans le Rapport.

[p. 62]

Quand la Corne la plus basse fut au vertical, il estoit 6 heures, 29′, 2″, l'Eclypse estoit de 7 doits, et ¼ et l'autre Corne passoit par 131 ou 132 degrès. La perpendiculaire a la soustendante des Cornes ou la ligne tirée du centre du Soleil a celuy de la Lune faisoit par consequent avec le vertical un angle d'environ 66 degrés.

Quand les Cornes furent horizontales il estoit 6 heures 58′, 12″, l'Eclypse estoit de 6 doits, et cinq huitiesmes et les Cornes passoient par 64 degrès loin du vertical duquel la perpendiculaire tirèe a la soustendante des Cornes, ou a la ligne tirée entre les centres faisoit avec le mesme vertical un angle de 40 degrès 9′⁸⁾.

Quand l'autre corne toucha le vertical il estoit 7 heures 33′, l'Eclypse estoit d'un doit ¾ et l'autre corne passoit par 62 degrès par consequent la perpendiculaire aux cornes faisoit avec le vertical un angle de 31 degrès.

Quand l'Eclypse arriva au 6^e doit en augmentant, il estoit 6 heures 17′, 50″, la perpendiculaire aux cornes faisoit un angle d'environ 60⁸⁾ degrès.

Quand l'Eclypse revint au 6^e doit en diminuant il estoit 7 heures 3′, 30″, l'angle que faisoit la perpendiculaire a la soustendante des Cornes avec le vertical estoit d'environ 10 degrès.

l'Eclypse finit a 32 degrès loin du vertical du costé d'orient par consequent la ligne tirée entre les centres faisoit auec le vertical un angle de 32 degrès.

L'on pourra déduire une autre fois plusieurs conséquences de ces observations, et des autres que l'on n'a pas raportées, mais on se contentera presentement d'en remarquer deux dont la premiere est que le diametre de la Lune a paru par plusieurs phases plus petit que celuy du Soleil ou du moins qu'il luy a esté egal, comme d'autres phases l'ont representé. Il est tres certain qu'il n'a pas esté plus grand, comme presque toutes les tables le supposent, par exemple a 6 doits tant en croissant qu'en diminuant; l'estimation qu'on a faite des degrés, qui estoient entre les deux cornes, a esté entre 119 et 120 degres et afin que les diametres fussent egaux il eust fallu qu'il y eut eu precisement 120 degres; mais il ne faut pas s'estonner de cette erreur dans les tables puisque la pluspart font le diametre du Soleil beaucoup plus petit qu'il n'est pas en effet, car par plusieurs observations dont on parlera dans une autre occasion on est presque asseuré que le Soleil dans son Apogée, et par consequent au temps de l'Eclypse a plus de 30′⁹⁾ degres¹⁰⁾ 30⁹⁾ minutes et environ 34″ ou 35″. Cependant la pluspart ne luy donnent que 30 minutes comme Kepler etc. ou s'ils le font plus grand, ils font aussy celuy de la Lune plus grand a proportion tellement que quand le diametre de la Lune auroit esté de 31′, 18″, comme Kepler le fait, en cette Eclypse il auroit esté beaucoup moindre que celuy du Soleil.

Cette difficulté a esté cause que l'on a attendu de donner cette relation iusqua ce que l'on eust observé tous les iours le diametre de la Lune depuis l'Eclypse iusqu'a ce qu'elle fut pleine, parce que devant estre le iour d'auparavant la pleine

8) Il y a ici confusion: les données sont impossibles.

8) Il y a ici confusion: les données sont impossibles.

9) Lisez: 31.

10) Inadvertance de l'auteur des Registres; il faut lire: savoir.

9) Lisez: 31.

[p. 63]

Lune dans la moyenne longitude et par consequent dans un esloignement egal a celuy qu'elle avoit au temps de l'Eclypse supposé qu'elle soit également esloignée de la terre dans les moyennes longitudes, soit qu'elle soit coniointe, soit qu'elle oit opposée au Soleil, on peut iuger du diametre qu'elle a eu pendant l'Eclypse par celuy qu'elle a eu le iour d'auparavant la pleine Lune. Mais parce qu'il n'est pas necessaire de donner les observations qui ont esté faites tous les iours, par deux personnes differentes, du diametre de la Lune, et qu'on les peut reserver pour un autre temps, il suffira de marquer icy celles qui ont esté faites, lorsque la Lune a esté vers la premiere quadrature et qu'elle estoit aussy en mesme temps Perigée, lors qu'elle a esté pleine et qu'elle estoit dans la moienne longitude, et quand elle a esté dans la derniere quadrature qu'elle estoit en mesme temps vers son Apogée afin que l'on puisse iuger du diametre qu'elle a eu pendant l'Eclypse; voicy donc les observations que l'on a faites à Paris et à Passy, par Monsieur Picard¹¹⁾.

Le jeudy 8 juillet entre 8 et 9 heures du soir, le diametre fut pris a Paris de pres de 33′ et quoy qu'il ait esté estimé un peu plus petit a Passy on en peut attribuer la cause a ce que l'observation s'est faite plus tard, et que la Lune pouvait desia estre dans ses refractions.

Le vendredy 9 elle parut à Paris et a Passy de mesme grandeur que le iour precedent aussy elle avoit esté dans son Perigée entre le jeudy et le vendredy selon Kepler.

Le mercredy 14 entre 9 et 10 heures du soir elle fut iugée a Paris avoir 31′, 40″ et a Passy 31′, 35″, elle n'estoit pas entierement hors de ses refractions et pouvoit avoir 4 ou 5 secondes davantage.

11) Ce fut à cette occasion qu'Auzout et Picard se servirent du micromètre à cheveux mobiles, décrit par Auzout dans l'ouvrage cité dans la note 7 de la Lettre N^o. 1310. C'est par erreur que, dans cette note, l'année 1661 est indiquée comme date de la première publication de cette invention. Le traité ‘du micromètre’, paru en 1667, a été réimprimé dans le recueil:
Divers ouvrages de mathémathique et de physique. Par Messieurs de l'Académie Royale des Sciences. A Paris, de l'Imprimerie Royale. m.dc.xciii. in-folio.
On le trouve encore dans les Mémoires de l'Académie Royale des Sciences, Tome VII.
Il y a erreur aussi dans la note 8 de la Lettre N^o. 1310; il résulte de la Lettre N^o. 736 que Huygens mesura le diamètre de Mars, ‘non eo modo qui est in systemate’. Les Adversaria donnent quelques détails sur la méthode employée par Huygens dans cette mesure, qui eut lieu le 25 décembre 1659. Elle se fit: ‘ope bacilli telescopio allegati, ad quod altero oculo inermi simul respicio facioque admovendo ac removendo bacillo ut diameter martis per telescopium spectata tegat crassitudinem bacilli oculo vacuo spectatam. Porro ex lentibus cognosco augmentum telescopii esse ut 87 ad 1’.
La première publication de mesures faites au moyen d'un appareil micrométrique placé au foyer d'une lunette, et dans lequel les valeurs angulaires furent déterminées au moyen de passages d'étoiles, est celle du ‘Systema Saturnium’ p. 82. La méthode consistait à introduire dans le plan focal de la lunette de petites lames de métal, dont la largeur était choisie de manière à couvrir exactement le diamètre de la planète. D'après un passage de son Cosmotheoros, Huygens, vers la fin de sa vie, considérait cette méthode comme une des meilleures.

[p. 64]

Le jeudy 15 entre 9 et 10 heures du soir son diametre sut estimé a Paris à 31 25, ou 26, mais a cause de quelque refraction on peut bien la supposer de 31′, 30″.

A Passy on ne l'estima que 31′, 22″, mais la refraction peut l'avoir aussy diminué de quelques secondes.

Le vendredy 16 à la mesme heure on trouva son diametre a Paris de 31′, 10″ et a Passy de 31′, 8″. C'est de ces trois iours que l'on doit iuger du diametre de la Lune au temps de l'Eclypse car ayant esté dans sa moyenne longitude le jeudy 15 et sa plenitude le vendredy 16 on peut supposer que le jeudy quand elle a esté observée de 31′ 25″ ou 30″ elle avoit son diametre egal a celuy qu'elle avoit le iour de l'Eclypse, ainsy le diametre de la Lune aurait esté dans la verité plus petit que celuy du Soleil de quelques secondes ce qui pourtant n'est guere sensible puisque c'est moins que la 200^e partie du diametre de la Lune.

Ensin le jeudy 22 à 3 heures du matin elle parut à Paris de 29′, 50 et à Passy sur les 6 heures de 29′, 40.

Le vendredy 23 a 9 heures du matin elle parut a Paris comme le iour precedent, mais à Passy elle fut estimée plus grande, dont on ne scait pas la raison.

On reserve dans une autre occasion d'expliquer la maniere dont on se sert pour prendre si exactement les diametres du Soleil et de la Lune et des autres Planetes, et toutes les precautions dont il faut user, tant a cause de la refraction que du disferent eloignement de la Lune selon qu'elle est plus haute ou plus basse sur l'horizon, a quoy l'on ne voit pas que les astronomes aient songé iusqu'a present dans la determination du diametre de la Lune dans les Eclypses.

En attendant que l'on donne les observations sur le diametre de la Lune dans toutes ses phases soit qu'elle soit Apogée ou Perigée, ou dans les moyennes longitudes on remarquera que celles que l'on a faites dans l'une et l'autre quadrature de cette lunaison detruisent presque toutes les hypotheses des nouveaux astronomes qui veulent que quand la Lune est ensemble en quadrature et Perigée elle soit tousiours dans la plus grande proximité de la terre, de mesme que quand elle est en quadrature et apogée elle est tousiours dans le plus grand éloignement, car dans la premiere quadrature passée qu'elle estoit Périgée, son diametre n'a pas esté de plus de 33 minutes, et a pu estre un peu moindre, cependant dans les pleines Lunes Perigées, on l'a autrefois observé plus grand, et dans la derniere quadrature qu'elle estoit apogée elle n'a pas esté plus petite que 29′, 40″, quoyque en d'autres positions on l'ait trouvée pour le moins aussi petite: aussy la pluspart des astronomes dans la quadrature Perigée luy donnent conformement a leurs hypotheses 35 ou 36 minutes quoyqu'ils ne luy en donnent que 33 ou 34 dans les pleines ou nouvelles Lunes Perigées, et dans la quadrature Apogée ils luy donnent seulement 27 ou 28, ce qui monstre combien il servira pour rectifier le mouvement de la Lune, et son excentricité d'en prendre exactement les Diametres en toutes sortes de phases et de situations.

Cela fait voir aussy combien il est necessaire de travailler a la reformation des

[p. 65]

tables et a la connaissance precise des mouvemens celestes qui nous sont encore inconnus en beaucoup de choses, particulierement ceux de la Lune, quoy qu'elle oit si proche de nous au respect des autres astres et qu'elle appartienne pour ainsy dire a nostre terre. D'ou vient que toutes les tables s'y sont trouvées si eloignées de la verité dans la prediction de cette Eclypse, mais on a suiet d'esperer de la magnificence du Roy, et de l'amour qu'il a pour les Sciences que le public aura dans peu de temps, ce que les soins et les depenses des Alphonses¹²⁾, des Rudolphes¹³⁾, et des autres Potentats ne luy ont pu donner.

La seconde chose qui est a remarquer est qu'en comparant le temps qui a esté entre le commencement de l'Eclypse et la pluspart des doits avec le temps qui a esté entre les doits semblables et la fin, on trouve constamment que le temps de l'Incidence a esté plus court que celuy de l'emersion de quelques minutes et qu'ainsy la maniere d'estimer le milieu d'une Eclypse en prenant le milieu du temps entre le commencement et la fin n'est pas entierement juste, ce qui a desia esté observé en plusieurs autres rencontres.

L'on a remarqué encore pendant la durée de cette Eclypse que la circonference de la Lune paroissoit avec les Lunettes tres ronde, et sans aucunes avances egallement noires et sans aucune apparence d'atmosphere.

L'on ne vit aucune tache dans le Soleil, aussy y a-il desia quelques années que l'on n'y en decouvre pas.

Quoy qu'il ne fit point de froid fort sensible dans le milieu de l'Eclypse, le Soleil n'echauffa pas ceux qui estoient au sextans dans le jardin comme devant et apres l'Eclypse, et ils ne laisserent pas de sentir une fraicheur asses considerable, de telle sorte pourtant qu'une personne qui n'auroit pas este avertie de l'Eclypse ne s'en seroit pas aperceu, soit qu'il eust esté dans la maison, soit qu'il eust esté dans la campagne, car quoyque le temps parut aussy un peu claffart et comme enfumé, cela arrive de mesme si souvent sans Eclypse par le moyen de l'air qui se caille ou qui s'epaissit, que cette chaleur n'auroit iamais fait songer a une Eclypse, d'ou vient que plusieurs ne s'en sont pas aperceus.

Il n'y a pas lieu de s'estonner de cela pour ce qui regarde la lumiere puisque la Lune supposé que son diametre fut egal a celuy du Soleil ne nous cacha que la moitié de sa surface, et environ la 14^e partie, la portion obscurcie estant a celle qui restoit lumineuse environ comme 4 à 3, ce qui ne nous ostoit qu'un plus que la moi-

12) Alfonso X, el Sabio (le savant), fils aîné du Roi Ferdinand II et de Elisa de Souabe, naquit en 1223 et mourut le 4 avril 1284. Il monta sur le trône de Castille et de Léon en 1252 et épousa Violanta d'Aragon. Au milieu d'une vie de guerre, il s'occupa de mathématiques, d'astronomie et surtout d'alchimie. Ce fut sous ses auspices que des savants maures composèrent en 1252 les Tabulae Tabularum (consultez la Lettre N^o. 719, note 3), qui furent imprimées pour la premiére fois en 1483, à Venise.

13) Rudolf II, second fils. de l'empereur Maximilian II et de Maria, fille de Charles-Quint, naquit à Vienne le 18 juillet 1552, et mourut à Prague le 20 janvier 1612; le 12 octobre 1576 il devint empereur d'Autriche.

[p. 66]

tié de sa lumiere; dont nos yeux ne peuvent pas guere s'apercevoir, ne pouvant pas remarquer une grande difference entre une lumiere qui n'est que double de l'autre.

Mais pour la chaleur, cette diminution ne laisse pas d'estre fort sensible, d'ou vient que les miroirs bruslerent bien moins dans le fort de l'Eclypse que dans les autres temps, et ceux de Monsieur Petit que nous avions quoy qu'ils soient fort excellens ne purent brusler du papier blanc, et bien qu'ils allumassent du bois, ils ne le firent point flamber, en effet il doit arriver la mesme difference qu'entre deux miroirs qui ont un foyer egal, dont la surface de l'un est plus que double de l'autre ou entre le mesme miroir quand il seroit entierement decouvert, ou quand on auroit couvert plus de la moitié de sa surface.