Oeuvres complètes. Tome IV. Correspondance 1662-1663
(1891)–Christiaan Huygens– Auteursrecht onbekendNo 1008.
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du Recipient dans lequel est enfermé vn baquet auec vn ou deux pouces d'eau au fond et vne phiole a long col renuersée ayant le col plongé dans l'eau du baquet, elle mesme pleine d'eau, du haut en bas, quelle raison, dis je, peut faire que de la premiere fois que l'air a esté tiré du Recipient toute l'eau de la phiole descend dans le baquet, et qu'apres que l'air a esté redonné au Recipient, l'eau descendüe dans le baquet estant remonté dans la phiole, à la seconde extraction de l'air l'eau de la phiole y demeure suspendüe, sans en pouuoir estre tirée en bas jusques a ce que du fond de l'eau restée dans le baquet il s'eleue vn petite bulle d'airGa naar voetnoot3) qui se grossit en montant, et qui estant montée dans le col de la phiole a vne certaine hauteur comme d'vn pouce au dessus de la superficie de leau du baquet sans se dissoudre, s'estend et se joint aux deux parois du col, puis sa base tenant tousjours ferme à cette hauteur se dissout et perd sa figure de bulle, et ses parties dissoutes montant vers le haut de la phiole et s'insinuant entre l'eau du col et ses paroisGa naar voetnoot4) et peut estre dans la masse de l'eau suspendüe la font descendre dans le baquet quoy qu'auec beaucoup de peine et de temps. C'est ainsi, Monsieur, que j'ay conceu vostre Proposition par la lecture de vostre lettre, par l'inspection de la representation de la Machine et par le secours que Monsieur vostre FrereGa naar voetnoot5) m'y a donné en me l'expliquant. Or comme vous n'estes pas satisfait de vos propres conjectures sur cette merueille, et qu'elles ne me contentent pas tout a fait, beaucoup moins encore celles qui dailleurs sont venuës a ma connoissance, je hazarde icy les miennes sans les opiniastrer et sans en respondre, puisque je suis l'vn des inuités, quoy que le plus foible de tous en ces matieres, vous les exposant afin que vous en jugiés, et je ne les expose qu'a vous, deuant qui je napprehende point de monstrer ma foiblesse, et par qui si je n'en suis louë, je suis du moins certain den estre excusé. Vous scaués desja sans que je vous le die, que de toutes les opinions anciennes touchant la matiere du Monde, celle de Democrite m'a tousjours semblé la plus plausible, et que sa position des Atomes a plus ri a mon imagination que celle de tous les autres qui ont medité la dessus. C'est aussi sur cette doctrine que je fonde mon | |
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explication du Phaenomene que vous nous aués donné a considerer. Mais auant que d'en venir a cette explication, j'ay besoin que vous m'accordiés, selon mes principes que des Atomes ceux qui composent l'Element du Feu doiuent auoir plus de mobilité et d'actiuité aussi bien que de tenuité que ceux qui composent l'Element de l'Air, et ceux qui composent lElement de l'Air plus que ceux qui composent l'Element de l'Eau, et ceux qui composent lElement de l'Eau plus que ceux qui composent lElement de la Terre, ce qui cause leur mutuelle separation, et les differens estages qu'ils tiennent en lVniuers, bien qu'ils ne se puissent pas tellement deprendre que de chacun d'eux en chacun d'eux il ne se trouue des parties meslées et engagées, les quelles seruent par ce moyen aux assemblages qu'on nomme generations et aux dissipations qu'on appelle corruptions. Dans ces diuerses mobilités d'Atomes je suppose encore que le Feu qui est le plus actif de tous les Elemens n'est excité a se mouuoir que par luy mesme, et qu'au contraire ce qu'il y peut auoir des autres Elemens meslé auec le sien sert plustost a retenir et diminuer son impetuosité qu'a l'accroistre. Pour l'Air je suppose qu'a la grande mobilité que luy donne la nature de ses Atomes il s'y en adjouste vne nouuelle par les Atomes de Feu qui sont engagés dans sa masse et qui luy font prendre vn plus rapide mouuement qu'il n'auroit s'il en estoit entierement purgé. Je suppose la mesme chose de l'Element de l'Eau, qui estant beaucoup moins mobile par la nature de ses Atomes que les deux autres Elemens, triple et quadruple sa mobilité par celle des Atomes d'Air et de Feu engagés et semés dans sa masse, y pouuant entrer et sortir par les voyes du vuide qu'elle contient. Il en est de mesme de l'Element de la Terre, à l'égard des trois autres Elemens qui se trouuant meslés dans la masse des Atomes qui la composent, l'aident par les leurs plus agités que les siens dans ses differentes productions, et quelquessois mesme le branslent, lors quil y en a vne trop grande quantité assemblée en quelque endroit de ses entrailles. Je m'imagine aussi la configuration de ces Atomes diuerse selon l'Element que chacun d'eux constituë. Je concoy ceux du Feu, comme de petits globes; ceux de l'Air comme de petits arcs ou des petites Pyramides; ceux de l'Eau comme de petites aiguilles droittes ou de petites colonnes ou de petits prismes, et ceux de la Terre comme de petits plumaches a barbes deliées ou de petits herissons a pointes recourbees et crochuës; d'où il arriue que l'Element terrestre demeure vni et ramassé en luy mesme, comme sil estoit immobile, et a sa masse si malaisée a dissoudre surtout dans ses parties les plus voisines du centre, et a proportion qu'elles en approchent ou les Atomes de l'Air et du Feu penetrent auec moins de facilité et selon que les siens sont plus pleins de crocs et plus engagés les vns dans les autres. D'où il arriue aussi que lElement de lEau coule si facilement par la figure directe de ses Atomes, qui, ne trouuant rien dans leur masse qui les retienne, glissent fans peine et se meuuent du costé où ils sont poussés soit par leur mouuement propre, soit par celuy des Atomes dAir et de Feu qui y sont meslés. La figure d'arc ou de pyramide que j'attribuë a ceux de l'Air jointe a la plus grande mobilite quils ont de | |
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leur nature selon ma supposition, les rend aussi plus propres a se mesler parmi ceux qui composent l'Eau et la Terre pour les mouuoir en les separant et en les pressant, ou pour mieux dire asin de redoubler le mouuement de lvne et de lautre par celuy quils ont plus violent par leur nature. Et cette figure courbe ou pyramidale, ou ne leur permet pas de s'entrelacer ensemble jusqu'a en former des corps simples qui tombent sous les sens, ou du moins sert a les detacher aisement les vns des autres, s'ils viennent par fois a sentrelier. Pour ceux de Feu la figure spherique que je leur donne empesche toute sorte daccrochement entre eux, leur conserue l'extreme mobilite qu'ils ont de leur nature, et leur sert à augmenter celle des Elemens plus tardifs dans la masse desquels ils se trouuent engagés. Sur vne telle supposition, l'explication de laquelle estoit necessaire pour l'intelligence de mon opinion touchant la Question proposée, et que je n'ay peu faire en moins de paroles; Ie dis que la cause de la suspension de l'eau dans la phiole apres quon a tiré lair de la capacité du Recipient pour la seconde fois, est d'vn costé la figure droitte des Atomes de leau, qui se peuuent facilement approcher les vns des autres, et s'ajuster les vnes contre les autres de toute leur longueur; Et de l'autre la figure longue et estroitte aussi bien qu'egaleGa naar voetnoot7) du col de la phiole renuersée. Car la premiere fois que par la pompe on vuide l'air du Recipient, l'eau de la phiole qui estoit soustenuë par lair du Recipient deuant qu'il fust vuide, nestant plus desormais soustenuë de cet air qui en a este tiré tombe par son poids dans le baquet aidée par la mobilité de l'air engagé dans sa masse, la plus subtile partie duquel dans la cheute de l'eau comprimée par les estroittes parois de la phiole s'eschappe de sa masse vers le fond de la phiole a la place de l'eau tombée, et le remplit en se dilatant; quoy qu'il y ait plus de vraysemblance qu'il ne le remplisse pas entierement; a cause de l'incomprehensibilité de la rarefaction, comme l'enseigne lEschole, pretendant qu'vn corps sans addition de substance et sans admission de vuide, occupe vn plus grand espace quand il est rarefié que quand il ne l'est pas. Mais lors que l'air a esté redonné au Recipient et par l'effort de cet air l'eau est impetueusement remontée dans la phiole, le col de la phiole pressant l'eau dans son ascension l'empesche d'emporter auec elle tout l'air qu'elle auoit dans sa masse, de forte quil s'en eschappe la meilleure partie par en bas et se va mesler auec l'eau du baquet qui est moins contrainte, et qui s'en empreigne plus facilement, pour auoir perdu beaucoup de l'air meslé dans sa masse lors que le Recipient en estoit despoüillé, et que ce vuide le retenoit moins d'en sortir. Cela fait que quand l'eau du baquet est retournée dans la phiole, ayant moins d'air en sa masse, elle se trouue plus resserrée en elle mesme qu'elle ne l'eftoit auant sa descente, et que prix pour prix il y a plus de matiere aquée dans la phiole, et moins dans le baquet. Lon pourroit verifier ce que je dis si en cassant les verres prontement on pesoit | |
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leau du baquet et celle de la phiole separement et que lon en comparast les poids aux poids de leurs masses obserués separement auant que de les mettre chacun dans les mesmes vaisseaux. Mais quand l'eau est remontée dans la phiole on y voit vers le haut de son fond vne bulle d'air de la grosseur d'vn grain de cheneuis, laquelle n'est point de lair que l'eau ait entraisné auec elle en remontant, mais de celuy qu'en descendant elle auoit laissé eschapper de sa masse par le pressement des parois du col de la phiole et qui auoit occupé cet espace abandonné par l'eau; lequel air comprimé par l'eau dans son ascension impetueuseGa naar voetnoot8)S et reduit au petit pied forme cette bulle qui paroist en vn instant et qui disparoist ensuite, longtemps apres et peu a peu sans doute en se degrossissant, par ce que cette eau remontée et despoüillée dvne partie de son air se rempreigne de celuy de la bulle et le boit entierement. Maintenant lorsque lon tire vne seconde fois l'air du Recipient, cet effort ne tire pas seulement celuy qui y estoit rentré, mais encore vne fort grande partie de celuy dont leau du baquet et de la phiole estoit demeurée empreignée. Ce qui se pourroit justifier par le remarquable abbaissement de leauGa naar voetnoot9) du baquet à la seconde pompe, en le comparant à la hauteur qu'elle auoit a la premiere; par où on jugeroit que l'air qui luy seruoit à occuper vn plus grand espace en estoit sorti. On doit presumer la mesme chose de l'eau de la phiole d'ou l'air auroit esté tiré par la seconde pompe, ce qui feroit non pas que cette eau en fust plus legere et par cette raison ne descendist pas, deuant au contraire estre plus pesante par sa condensation; mais qu'a force d'estre condensée et pressée par l'extraction de l'air qui y estoit renfermé, les atomes de la masse de cette eau s'approchant dauantage les vns des autres et se joignant pres a pres dans toute leur longueur, se pressent dans le canal et s'empeschent de couler et de descendre, comme feroient de petits bastons droits qui coulant auec liberté dans vn large ruisseau, sans se toucher les vns les autres, viendroient a se joindre dans vn passage estroit où la contrainte du lieu les arresteroit, et où plus ils seroient pousses par ceux qui viendroient ensuite, plus ils se serreroient et plus ils trouueroient de difficulté à se mouuoir. Cela se prouue encore plus clairement par vne foule de fuyards qui bouchent le passage de leur sortie a force de fe presser pour fortir, et par vn exemple encore plus semblable a la presente espece, lors qu'on renuerse perpendiculairement vne bouteille pleine de quelque liqueur, laquelle ne tombe point ou ne le fait qu'auec bien de la peineGa naar voetnoot10), bien que dans cette liqueur il y ait de l'air meslé qui luy pourroit seruir à descendre plus facilement. que si du fond du baquet il monte par le col de la phiole quelque bulle d'air, d'abord petite, et dans son progres plus grosse jusques à vne certaine hauteur d'ou elle s'estale vers le haut, et se glissant entre les parois du | |
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verre et l'eau qu'il contiontGa naar voetnoot11), s'insinuë dans sa masse, l'eau alors aquiert par la mobilité de cet air plus de facilité a se mouuoir, aidée par cet autre air de la bulle den haut duquel elle sestoit rempreignée, et sent detacher ses atomes les vns des autres, qui par ce moyen se meuuent vers le bas, pousses par ceux qui sont au dessus; ce qui n'arriueroit point sil ne montoit pas de bulle d'air par le col de la phiole et que cet air ne s'insinuast point parmi les atomes droits de leau suspendue, apres s'estre glissé entre elle et le verre du col. Si lon demande aussi pourquoy la bulle qui dabord est petite se grossit en montant, jusqu'a remplir tout le trauers du col, on peut croire que cela vient de ce que l'air qui restoit dans l'eau du baquet suyuant la trace de cette petite bulle qui estoit montée et se joignant à luy en rend la masse plus grande laquelle s'eleue vnie à vne hauteur d'vn pouce, ou trouuant vn milieu plus libre pour s'estendre, se dilate et ne paroist plus bulle que par sa base, laquelle est encore meslée de parcelles d'eau et par là retirée en bas vers sa surface ou du moins retenuë en ce lieu, fans qu'elle se puisse eleuer comme le reste, si lon ne vouloit penser que cet arrest de la base de la bulle à cette hauteur dvn pouce au dessus de l'eau fust lhorizon et le milieu où l'air et l'eau s'entrebalancent dans la capacité du Recipient et de la phiole, qui ne souffriroit pas que l'air de la bulle ni montast plus haut ni descendist plus bas. Cest là, Monsieur, la raison que j'ay creu pouuoir rendre selon mes principes de la suspension de l'eau dans la phiole à la seconde extraction de l'air. Et ma conjecture seroit bien confirmée, si au lieu de faire le col de la phiole estroit et sa panse large on en faisoit le col large et la panse de petite capacité, et quon la remplist d'eau comme l'autre. Car si ma raison estoit la veritable on en verroit aussi bien descendre l'eau à la seconde extraction de l'air qu'à la premiere, sans qu'il fust besoin qu'il montast de bulle d'air pour luy aider à tomber, à cause que la largeur du col ne la tiendroit pas serrée, et que l'eau superieure de la panse estant en petite quantité ne contribueroit point par sa mobilité et par son poids a faire resserrer en elle mesme celle, qui seroit contenuë dans le col. Vous ferés toutes ces espreuues si vous croyés que mon explication en vaille la peine, et de quelque maniere que ce soit vous en serés Iuge souuerain, car personne ne resistera jamais moins a vos lumieres et a vos decisions
Monsieur que Vostre treshumble et tresobeissant seruiteur Chapelain. De Paris ce 30. Auril 1662.Ga naar einda) |
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