Oeuvres complètes. Tome IV. Correspondance 1662-1663
(1891)–Christiaan Huygens– Auteursrecht onbekendNo 1006.
| |
[pagina 113]
| |
renuersée la pointe en bas dans le fond de l'eau de la phiole, y descend toute, et que cette mesme eau y estant toute remontée auec impétuosité lorsque vous aués redonné de l'air au grand Recipient, qui peut, dis-je causer que le tirant une seconde fois par la pompe de ce Recipient l'eau de la phiole demeure suspendüe dans la phiole et n'en peut estre tirée en bas qu'auec une très grande [?]Ga naar voetnoot3) peine et lors seulement qu'une bulle d'air s'éleuant du fond de l'eau du baquet monte vers l'eau suspendüe et s'estendant le long des parois du goulot entre l'eau et les parois la détache et la fait tomber. C'est ainsi, Monsieur, que j'ay conceu vostre proposition et ces autres Messieurs aussi. Or comme vous n'estes pas satisfait de vos raisonnemens sur cette Merveille et que je ne le suis pas non plus des conjectures de ces Messieurs, je hazarde les miennes sur vostre inuitation et quoyque tout a fait inférieur à vous et à eux en ces matières je ne laisse pas de vous les exposer asin que vous en jugiés, et je ne les expose qu'à vous devant qui je ne crains point de monstrer ma foiblesse et de qui je suis assuré d'estre excusé si je n'en suis loüé. Vous scavés que de toutes les opinions anciennes touchant la matière du Monde je trouue celle de Démocrite la plus receuable et que sa position des atomes pour cela rit plus à mon esprit que celle de tous les autres Philosophes qui ont ruminé la dessus. C'est sur cette doctrine des Atomes que je fonde l'explication de ce Phaenomène que vous nous avés proposé. Et auant que d'y venir, il est nécessaire que je vous die que de ces Atomes ceux qui composent l'Element du feu doiuent auoir plus de mobilité et par consequent de vigueur que ceux qui composent l'air, et ceux qui composent l'air plus que ceux qui composent l'eau, et ceux qui composent l'eau plus que ceux qui composent la terre, ce qui est cause de leur separation mutuelle et des differens estages qu'ils tiennent dans l'Univers, quoy qu'ils ne se puissent pas tellement separer que de chacun d'eux dans chacun d'eux il ne se trouve des parties meslées et engagees qui seruent par ce moyen aux assemblages qui font les generations et aux detachemens qui font les corruptions. Dans cet ordre de differente sorte de mobilité d'Atomes je suppose que le feu qui est le plus mobile n'est excité par aucun autre Element à se mouuoir, au contraire que ce qu'il y peut auoir d'eux en luy ne sert qu'a reprimer et a retenir son impetuosité. Pour l'air je suppose qu'à la grande mobilité que luy donne la nature de ses atomes il s'y en adjouste une nouuelle par les Atomes du feu qui sont engagés dans sa masse et qui luy fait auoir un plus rapide mouuement encore qu'il n'auroit s'il en estoit tout purgé. Je dis la mesme chose de l'Element de l'eau qui estant beaucoup moins mobile par la nature de ses Atomes que les deux Atomes d'air et de feu qui sont engagés et semés dans sa sa mobilité par celle des Atomes d'air et de feu qui sont engagés et semés dans sa masse pouuant y entrer et en sortir par les voyes du petit uide semé entre eux. Il en est de mesme de l'Element de la Terre a l'egard des trois autres Elemens qui | |
[pagina 114]
| |
se trouuant meslés auec les Atomes moins mobiles qui la composent par les leurs plus agités en est aidée dans ses productions diuerses qui sont autant de mouuemens qu'elle fait, et quelques fois emeüe et ebranlée lors qu'il y en a une trop grande quantité amassee dans quelque lieu de ses entrailles. Je me figure aussi la figure de sesGa naar voetnoot4) Atomes diuerse l'une de l'autre selon l'Element qu'ils constituent; ceux du seu sont conceus par moy comme ronds, ceux de l'air comme courbes ou triangulaires, ceux de l'eau comme droits, et ceux de la terre comme rameux et crochus de tous costés; ce qui fait que l'Element de la terre demeure uni en luy mesme et si difficile à se detacher d'une partie plus ou moins aisée a se separer et mouuoir selon que ses Atomes sont plus ou moins fermes crochus et rameux. Ce qui fait d'autre costé que l'Element de l'eau coule si facilement a cause que ses Atomes sont droits et que ne trouuant rien dans sa masse qui les retienne ils glissent sans peine et se meuuent du costé dont ils sont poussés par leur propre mouuement et par celui des Atomes d'air et de feu qui y sont meslés. La figure courbe et triangulaire que j'attribüe a ceux de l'Air jointe a la plus grande mobilité que je supposé qu'ils ont de leur nature les rends plus propres aussi à se mesler parmi ceux qui forment l'eau et la terre pour les mouuoir en les separant et en les poussant, sans que cette figure courbe ou triangulaire puisse seruir a les faire s'entrelier eux mesmes dans leur propre masse Elementaire ni dans les deux autres ou ils se trouuent engagés, ou du moins qui sert a les detacher aisement les uns des autres s'ils sattachent ensemble quelques fois. Pour ceux de feu la forme de globe que je leur donne empesche tout accrochement entre eux, leur conserue toute la mobilité souueraine qu'ils ont par leur nature et leur sert a redoubler et accroistre celle des Elemens moins mobiles dans lesquels ils se trouuent engagés. Sur cette supposition dont l'explication estoit necessaire pour celle de mon opinion sur la question proposée; et qui ne s'est pu faire plus succinctement, Je dis que la cause de cette suspension de l'eau dans la phiole apres qu'on a tiré l'air du Recipient pour la seconde fois vient d'une part de la figure de l'eau, droite comme des aiguilles sur des piliers carrés ou a trois faces qui se peuuent facilement approcher les uns des autres du haut en bas et toucher en tous les points de leurs supersicies; Et de l'autre de la figure estroitte du col ou goulot de la phiole. Car la premiere fois qu'en pompant on vuide l'air du grand Recipient l'eau de la phiole qui estoit suspendüe dans la bouteille et dans son col par le ressort de l'air du Recipient lorsqu'il y estoit encore, n'estant plus soustenüe par ce ressort tombe en bas par son poids et sa mobilité naturelle et par l'aide de celle de l'air qui estoit engage et meslé auec elle dont la partie la plus subtile pressée en tombant par les parois du col s'en eschappe et monte à la place de l'eau de la phiole qu'elle remplit en partie au moins si elle | |
[pagina 115]
| |
ne la remplit tout a fait, ce que je croy plus vraysemblable a cause de cette rarefaction inconceuable sans l'admission du uide entre les parties rarefiees. Mais quand l'air a esté redonné au Recipient et que l'eau est remontée impetueusement dans la phiole le mesme col estroit de la phiole empesche en pressant l'eau dans son ascension d'emporter auec elle tout l'air qu'elle auoit meslé dans sa masse lors qu'elle est descendüe par ce qu'elle en a desormais moins a cause que cet air mesle dans sa masse et tombé auec elle dans le baquet ne se trouuant plus contraint par le ressort de l'air auant qu'il eust esté redonné au Recipient, s'estoit degagé de l'eau du baquet par les pores de sa surface et s'estoit semé et espandu dans la capacité du Recipient uide d'air par la pompe la premiere fois, desorte qu'il n'en monte point vers le haut de la phiole par le dedans du goulot, ce qui fait que quand l'eau y est montée, elle est bien plus pressée et condensée en elle mesme qu'elle n'estoit auant que d'en estre descendüe et que prix pour prix il y a plus de matiere aquée qu'il n'y en auoit et dans le baquet moins; ce qui se pourroit justifier si en cassant prontement les verres on pesoit l'eau du baquet et celle de la phiole separement et que l'on en comparast les poids aux poids separés de leurs masses qu'on auroit obserués et marqués auant que de les enfermer chacun dans leurs vases la premiere fois. En cet estat des choses lors que l'eau est remontée impetueusement dans la phiole apres l'air redonné, on voit vers le haut de la phiole une bulle d'air de la grosseur d'un grain de Cheneuis, laquelle selon moy n'est point de l'air que l'eau en remontant y a entraisné auec elle, ce que j'ay monstré ne pouuoir estre à cause du pressis de l'eau ascendante plus propre a en faire sortir l'air par en bas qu'a leGa naar voetnoot5) faire monter l'air par le haut. Cette bulle donc, comme je croy n'est autre chose que l'air qui estoit demeuré dans la phiole exprimé de l'eau à sa descente par le pressis du canal et estendu dans l'espace abandonné de l'eau, lequel air comprimé par la mesme eau lors qu'elle remonte auec impetuosité, se ramasse en un petit espace et forme la bulle qui paroist en un instant et qui disparoist ensuite mais longtemps apres et sans doute peu à peu et en degrossissant par ce que l'eau remontée rempreigne comme auparauant et le boit entierement. Mais quand on tire l'air du Recipient la seconde fois par la pompe, cet effort ne tire pas seulement l'air qui y estoit rentré mais encore une fort grande partie de celuy dont l'eau du baquet et de la phiole estoit demeurée, ce qui se pourroit justiffier par le notable abbaissement de l'eau du baquet cette seconde fois que l'on pompe en comparaison de la premiere, par ou on jugeroit que l'air interieur qui la soustenoit en seroit sorti. Ce que l'on doit aussi presumer de l'eau de la phiole d'ou l'air dont elle estoit impregnee auroit aussi esté tiré par cette seconde pompe, d'ou il arrive non pas que l'eau de la phiole en soit plus legere et ne descende pas par cette raison, estant au | |
[pagina 116]
| |
contraire plus pesante par sa condensation; mais qu'a force d'estre condensée et pressee par l'extraction de l'air qui y estoit enfermé, les atomes de la masse d'eau s'approchent et se joignent les uns aux autres de toutes leurs longueurs et se pressant sans le canal s'empeschent les uns les autres de couler et de descendre comme feroient des bastons unis qui s'entrepresseroient dans un passage estroit et plus ils feroient chargés par un fardeau superieur ou par des coups de marteau plus ils se serreroient et moins ils se renuerroient. Cela se preuve encore plus clairement par une grande foule de fuyards qui bouchent le passage de leur sortie à force de se presser pour fortir et par un exemple encore plus semblable a l'espece presente lors qu'on renuerse une bouteille pleine de liqueur d'eau ou de vin ne se vide point ou ne se vuide qu'à peine quoy que dans cette liqueur il y ait de l'air meslé qui luy peut seruir a en tomber plus facilement. Que s'il monte du baquet par le goulot quelque bulle d'air par le haut de la phiole et que par son actiuité et subtilité coule entre l'eau ou les parois du goulot ou mesme dans la masse condensée, alors cette eau aquerant de l'aisance a se mouuoir par le meslange de l'air qui s'y est meslé et dont elle s'est rempreignée, sent detacher ses atomes droits les uns des autres et se meut vers le bas ou leur pesanteur naturelle les porte, ce qui n'arriueroit pas s'il ne montoit point de bulle d'air par le goulot et que cet air de la bulle ne s'insinuast point entre les atomes droits de l'eau entassée par sa puissante actiuité. C'est là la raison que j'ay creu pouuoir rendre par mes principes de cette suspension d'eau a la seconde extraction de l'air du Recipient qui se trouueroit encore plus certaine si l'on mettoit dans le baquet une phiole de petite capacité pour son globe et de grande pour son goulot et que l'on la remplit d'eau comme l'autre; car il arriueroit que dans la premiere extraction de l'air toute l'eau de la phiole tomberoit de mesme dans le baquet et qu'elle tomberoit aussi dans la 2e a cause que la largeur du canal en empresseroit le pressis. C'est ce que je pense de la question, vous l'esprouuerés et en jugerés. Je suis, Monsieur, Vostre, De Paris, ce xxiiiie avril mviclxii. |
|