Oeuvres complètes. Tome II. Correspondance 1657-1659

N^o 605.
Ism. Boulliau à Christiaan Huygens.
4 avril 1659.

La lettre se trouve à Leiden, coll. Huygens.
Elle est la réponse au No. 603. Chr. Huygens y répondit par le No. 615.

Monsieur Hugens de Zulichem.

A Paris le 4^e Auril 1659.

Pour respondre a la vostre du 27^e du passé, Je vous diray que finalement Monsieur l'Abbé Brunetti arriua dimanche¹⁾ au soir a Paris, & que le jour suiuant il prist la peine de me venir voir & de me rendre la boite dans laquelle estoient les beaux & excellens verres de Lunettes, que vous m'auez enuoyez; le tout estoit bien cachetté, & bien conditionné. Je vous suis tres obligé, Monsieur, de ce riche & precieux present, que vous m'auez faict auec vne generosité toute extraordinaire; Je vous supplie aussi de croire que j'en conserueray a jamais la memoire & la gratitude, ne laissant passer aucune occasion dans laquelle je ne vous en donne des tesmoignages, autant que mes forces me les pourront fournir. Vous auez pris la peine de grauer vostre nom & le mien autour du grand verre, c'est vn honneur particulier que vous m'a uez faict, & j'espere que ce sera vn titre a l'aduenir, qui me sera tres auantageux, lors que l'on scaura qu'une personne de vostre merite m'a donné part dans son amitié, & qu'il m'en a donné vn tesmoignage & des marques si illustres.

J'ay retiré du Sieur Anet²⁾ l'horologe que vous auez pris la peine de me faire faire par vostre ouurier; par l'espreuue que j'en fais depuis quelques jours, je voy qu'elle se meut tres egalement, je luy ay payé 20. richedales et quelque chose pour la peine & le soin quil a pris pour me la rendre fort bien conditionee. C'est encores vne autre obligation que je vous ay, & que je ne compte pas pour peu de chose, dautant que vostre bonté & courtoisie est a vn si haut point, qu'elle ne se peut trop estimer.

1) Ce dimanche était le 30 mars.

2) Hanet, voir la Lettre N^o. 550, note 7.

[p. 383]

Je m'enquiers tous les jours si je ne pourrai point trouuer quelque voye d'ami pour vous enuoyer les 6. exemplaires des liures de Monsieur Pascal, pource qu'il n'y a pas d'apparence de vous les enuoyer par la poste.

Lundi dernier³⁾ le resultat de l'assemblee de Messieurs les Academiciens fut, que l'arresté, par lequel Monsieur Boileau est exclus, demeureroit en sa force & vertu. Ainsi Messieurs Pellisson & Menage ont le dessus. L'affaire fut traictee auec chaleur, & Monsieur de Montmor Maitre des Requestes en vint si auant contre Monsieur Pelisson, qu'il luy dist qu'il luy feroit faire amende honorable au Chastellet⁴⁾ de Paris. Pour satisfaire vostre curiosité, je vous diray que Monsieur Pelisson est fils d'vn Conseiller⁵⁾ de la Chambre My-partie⁶⁾ de Castres & protestant de Religion. Il a l'esprit fort bien tourné a la mode du temps, il a vn fort beau stile & tres net. Il est a Monsieur le Procureur General⁷⁾, qui l'emploie a faire des lettres a plusieurs personnes qui ont affaire a luy. Il est fort disgracié de visage⁸⁾, & grand ami de Mademoiselle de Scuderi, qui luy ressemble aussi beaucoup en beauté d'esprit & de visage, l'vn et l'autre se trouuant tresrichement laids. Pour Monsieur Boileau, il est fils d'vn⁹⁾ qui estoit honneste homme greffier de la Grand Chambre de ce Parlement, & il a vn frere¹⁰⁾ qui occupe apresent cette place. Il est advocat de sa profession, & il a aussi vn bel esprit, mais malin & satyrique. Il est ami de Monsieur Chapelain, & il l'a esté autresfois de Monsieur Menage, chez qui il alloit; mais comme il est du nombre de ceux qui ayment mieux perdre vn ami qu'vn bon mot, il fit imprimer contre Messieurs Menage & Costar¹¹⁾ vn es-

3) Ce lundi était le 31 mars.

4) Au Châtelet se trouvaient la prison et la cour de justice.

5) Jean Jacques Pellisson, protestant, épousa Jeanne de Fontanier.

6) La chambre mi-partie (nommée chambre de l'édit de Castres) était une chambre de justice, que la population de Castres, d'un protestantisme sévère, obtint en 1595; mais en 1670 la cour leur ôta cette institution et la transféra à Castelnaudary.

7) Nicolas Foucquet, vicomte de Melun et de Vaux, marquis de Belle-Isle, fils du conseiller du Roi François Foucquet et de Marie de Monpeau, naquit à Paris en 1615 et mourut le 23 mars 1680 dans la forteresse de Pignerol, à ce que l'on croit. Maître des requêtes en 1635, il devint en 1650 procureur-général au Parlement, rendit de grands services à Mazarin et à la reinemère, et fut nommé, en 1652, surintendant des finances. Après la mort de Mazarin, le Roi fit arrêter Foucquet, en septembre 1661; son procès ne fut terminé que le 20 décembre 1664, et le 10 janvier 1665 il fut enfermé dans le donjon de Pignerol.

8) A la suite d'une grave attaque de petite-vérole.

9) Gilles Boileau naquit à Crosne le 28 juin 1584 et mourut à Paris le 2 février 1657. Il descendait d'une ancienne et noble famille, était avocat de grande expérience et devint greffier de la Grand' Chambre du parlement de Paris; en secondes noces il épousa Anne de Nielle.

10) Nicolas Boileau Despréaux, le célèbre poète satyrique, dernier fils du précédent, naquit le 1^er novembre 1636 à Paris, où il mourut le 13 mars 1711.

11) Pierre Costar, fils du chapelier Coustart, naquit à Paris en février 1603 et mourut au Mans le 13 mai 1660. D'abord prêtre sous l'évêque d'Angers, il suivit plus tard l'évêque de Mans. Reçu a l'hôtel de Rambouillet, il s'attacha surtout à Voiture: mais sa variabilité et sa cupidité lui causèrent beaucoup d'ennuis.

[p. 384]

crit¹²⁾ fort virulent, par lequel il a pretendu monstrer que ces deux Messieurs qui sont dans les premieres chaires du Parnasse sont des plagiaires, & qu'ils font des liures a bon marché, se seruant tresutilement du trauail d'autruy. Je suis bien hardi d'entreprendre de parler des beaux esprits, & je doibs bien craindre qu'ils ne prenent la Cithare dentre les mains d'Apollon pour la rompre sur ma teste; aussi je vous prie de ne me pas deceler. Je salue auec vostre permission Monsieur Heinsius, & si Monsieur Vossius n'a plus de maltalent contre moy, & qu'il veuille bien receuoir mes baisemains, vous me permettrez aussi que je les luy presente icy.

J'ay fait rendre vostre lettre¹³⁾ a Monsieur Chapelain incontinent apres que je l'eus receue. I'oubliois a vous dire que lundi Monsieur de Montmor & les amis de Monsieur Boileau au nombre de 9. sortirent en cholere de l'assemblee, & ils protestent qu'ils n'y retourneront plus. Je suis de tout mon coeur & tres veritablement

Monsieur

Vostre treshumble et tresobeissant seruiteur Boulliau.

A Monsieur Monsieur Christian Hugens de Zulichem. A la Haye.

12) G. Boileau, Avis à Monsieur Menage sur son Eclogue intitulé Christine, avec des remerciments à Monsieur Costar. Paris. 1646. in-4^o.

13) Voir la Lettre N^o. 602, qui doit donc avoir accompagné la Lettre N^o. 603, dont nous ne possédons que le sommaire.