Oeuvres complètes. Tome II. Correspondance 1657-1659
(1889)–Christiaan Huygens– Auteursrecht onbekendNo 606.
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enfermé la despesche qui accompagnoit ce second modelle qui n'est pas encore venu jusqu'à vous. Cependant vous trouuerés auec cellecy le troisiesme que vous demandes, et que vous demandés auec trop de reserue et de ciuilité pour si peu de chose. Je crains que vous ne l'estimiés indigne de vostre curiosité apres l'auoir veu; mais en recompense vous vous resjouïrés de l'auantage que le vostre a sur le sien et de la possession ou vous demeurerés de la gloire d'vne inuention si exquise et si vtile a la Societé par dessus ceux qui dailleurs ont beaucoup de nom en ces sortes de disciplines. Si a vostre premier loysir vous m'en apprenes vostre sentiment je m'en tiendray fort oblige et j'en vseray auec la discretion necessaire. Mais quelque plaisir que cet eclaircissement m'apporte il ne sera point comparable a celuy que vous m'aués donné en m'informant de l'estat où vous aues mis vostre Systeme de Saturne, et de sa prochaine publication. Entre les rares productions de vos veilles il ne faut pas douter que cellela ne tienne le premier lieu, et qu'elle ne fonde pour l'eternité la reputation qui vous placera au rang des plus grands hommes de lettres. On dit que les gens de mon mestier portent les yeux auec quelque seureté sur les choses auenir. Je me sers de cette opinion receue pour vous augurer cet honneur par forme de prophetie, et la passion que j'ay pour vostre merite en est fort agreablement flatée. Auancés donc ce beau trauail je vous en supplie, ou plustost puisqu'il est acheué ne l'enuiés pas dauantage a la satisfaction des Personnes qui en sont dignes. Quant a la guerre ciuile dont vous me parlés, a ces fraternas acies, litterataque bella Profanis decertata odijsGa naar voetnoot2), j'en ay vne si grande honte que j'ay fort balancé auant que de me resoudre a contenter l'enuie que vous me tesmoignés d'en estre instruit, quoy qu'il n'y ait rien que je face plus volontiers que de contanter vos enuies. Enfin neantmoins je m'y suis determiné, dans l'esperance que vous me garderiés le secret et que vous n'en feriés confidence qu'au seul Monsieur Heinsius pour vous seruir l'vn et l'autre de cette lumiere, sans m'alleguer comme historien de ce combat, en cas que vous en entendissiés parler d'autre sorte. Voicy donc ce que c'est. Monsieur ColletetGa naar voetnoot3) ayant laissé par sa mort vne place vacante dans l'Academie, les Amis de Monsieur Boileau, pour seconder son ancien desir songerent à la luy faire remplir, et le proposerent a la Compagnie. Dixhuit que nous estions l'agreasmes tout d'vne voix et Monsieur le Chancelier Protecteur de ce Corps y consentit en suitte. Mais le bruit s'en estant respandu auant que le Scrutin de la Reception fust fait, Monsieur Pelisson qui en est et Monsieur Menage qui n'en est pas, tous deux ennemis declarésGa naar voetnoot4) de Monsieur Boileau, se mirent en campagne pour luy faire donner l'exclusion, et auec vne violence extreme solliciterent contre | |
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luy, de manière que des Dixhuit Approbateurs ils en regaignerent sept, et firent venir cinq autres des Confreres, que leurs emplois, ou leurs infirmités, ou leur negligence, empeschoient de se laisser jamais voir parmy nous. Le jour du Scrutin arriué Monsieur Pelisson, quoy qu'assuré de ses douze voix pour contenter sa haine fit vne harangue d'vne heure et demie tresaigre et tresvehemente dans la Compagnie contre le Proposé, laccusant de n'auoir ni honneur ni probité et d'auoir fait des libelles contre luy et contre vne de ses AmiesGa naar voetnoot4). Mais comme il alleguoit ces moyens sans preuue l'Assemblée pour le fauoriser ou pour luy donner temps de reuenir de son emportement jugea qu'il luy falloit accorder huit jours pendant lesquels il feroit ses diligences et se muniroit de bonnes attestations. les huit jours passés sans qu'il en eust recouuré, la Compagnie en corps par deliberation le pria de donner ses ressentimens a la paix, et de relascher d'vne poursuitte mal soustenuë. Il refusa neantmoins sa priere et opiniastra le Scrutin, dont pendant ces huit jours il s'estoit encore assuré dauantage. En effet au grand estonnement de la moitié de la Trouppe que sa brigue n'auoit pu corrompre ni porter à deshonnorer vn homme sur la simple deposition de son Ennemy, cet homme se trouua exclus par le nombre des ballottes. Dequoy entre autres Monsieur lEuesque de LaonGa naar voetnoot5) fit paroistre vne juste indignation et Monsieur de Monmor ensuitte forma vne opposition à cet Acte comme nul, tant pour ce que l'exclusion n'estoit fondée que sur des cas non prouués que pource que Monsieur Pelisson auoit dit et escrit qu'il auoit au moins dix voix assurées pour la donner. Depuis cela la Compagnie est demeurée partagée, et Monsieur le Chancelier qui l'auoit laissée en liberté de ses suffrages, voyant le mauuais effet de ses bonnes intentions s'est charge a la prière que luy en ont faitte nos Prelats, d'accommoder ce different. C'est là ou nous en sommes a cette heure, auec apparence que cet orage se dissipera bientost et que les Muses retourneront a leur Musettes et rengaigneront leurs poignards et leurs caniuetsGa naar voetnoot6). Ceux aureste qui m'ont fait chef de l'vn des Partis m'ont fait trop d'honneur de la moitié. Car je n'ay esté qu'vne fois seule a la meslée, m'estant trouué mal tous les autres jours, et ce jour la mesme je me contentay d'estre pour l'Accusé voyant l'accusation mal fondee, sans eleuer mesme mon ton pour la justice, parce que l'Accusateur estoit mon Amy et que l'autre n'estoit que de ma connoissance, et parce que j'esperois que mon Amy rentreroit en luy mesme et nous donneroit de bonne grace ce dont nous nous abbaissions a le prier auec tant de raison. Il y pourroit mesme auoir quelque chose à dire a la tiedeur de mon suffrage si je n'eusse formellement esperé qu'il en vseroit ainsi. Ce qu'il y a de plus | |
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scandaleux en cette affaire c'est qu'on a connu depuis que la cause de ce trouble na pas esté principalement la vengeance de Monsieur Pelisson, mais celle de Monsieur Menage, Ennemy connu de l'Academie par les libellesGa naar voetnoot7) qu'il a faits contre elle et que vous aués veus imprimés par luy. Car il n'en a point fait la petite bouche s'estant declaré que cestoit son affaire, et sur ce pied la voyant que je ne voulois pas seruir d'instrument a sa fureur ni deuenir ministre de sa cruauté contre vn homme qui dans sa poursuitte ne luy faisoit pas le moindre tort du monde, il a bien eu le mauuais courage de venir ches moy rompre vne amitié de plus de vingt ans que luy mesme est contraint davouer qui luy a este honnorable et vtile par mille offices ardens et cordiaux. Mais ce n'est pas la seule perte que j'ay faitte en ma vie ni la plus grande sans m'en emouuoir n'ayant jamais mis mon bien veritable qu'en l'innocence de mes moeurs et quen l'amour de la vertu. Je vous jure et a nostre excellent Amy qui comme vous est l'innocence et la vertu mesme que je me plains bien moins de cette injustice que j'ay receue de celuy qui me la deuoit le moins faire, que je ne l'en plains. Car apres tout je puis bien cesser de l'aymer parce qu'il s'en est rendu indigne, mais je ne puis pas le haïr, ni ne souhaitter pas qu'il n'acheue point de noircir vn nom qui m'a esté cher entre tous si longtemps et a la reputation duquel j'ay contribué autant qu'aucun autre. Vostre amitié et celle de nostre cher Monsieur Heinsius me recompenseront au double de cette perte, et je vous en demande à tous deux la continuation. Je vous demande encore le secret de toute cette narration chatoüilleuse, et suis sans reserue
Monsieur
Vostre treshumble et tresobeïssant seruiteur Chapelain.
De Paris ce 4. Auril 1659.
A Monsieur Monsieur Christianus Huggens de Zulikem Gentilhomme Hollandais A la Haye. |
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