No 596.
J. Chapelain à N. Heinsius.
7 mars 1659.
La lettre se trouve à Paris, Bibliothèque Nationale.
Elle a été publiée par Th. Tamizey de Larroque dans les Lettres de J. Chapelain. 1883.
A.M. Heinsius à la Haye, en Hollande.
Monsieur,
la lettre que vous avés fait passer par mes mains pour Monsieur le marquis de MontauzierGa naar voetnoot1) luy a apporté la plus grande joye du monde et m'a donné un nouveau titre pour la possession de son amitié, car il n'a pu recevoir cette marque de la vostre sans croire m'en estre obligé en partie. Je ne vous dis rien de la beauté ni de la grandeur de son ame ni des bons sentiments qu'il a pour vous. Ce sont des choses dont vous estes persuadé comme moy. Je vous dis seulement que sa tendresse et son estime augmentent tous les jours pour vous et que nous ne sommes jamais ensemble que vous n'y ayés vostre place et que vostre vertu et vostre bonté ne facent la plus grande matière de nos entretiens.
Pour le long temps que vous avés esté a luy respondre, ne vous en mettés point en peine. Si c'est par paresse, il le trouve d'autant moins mauvais qu'il est paresseux luy mesme, et que ce defaut luy semble le plus supportable de tous. Ainsi il me sera aisé de vous conserver un coeur qui se conserve tout seul a vous, et je n'auray pas grand mérite à maintenir l'amitié entre vous, n'y ayant pas moins de disposition d'un costé que de l'autre.
Que si je vous plais par ces agreables nouvelles, vous m'avés fort pleu par celles que vous me donnés de la faveur que Monsieur notre Ambassadeur continue a me faire de me conter tousjours entre ses serviteurs et de faire tousjours cas de ma petitesse. Quoyque je ne croye pas nécessaire de rebattre ce que vous luy avés desja tant dit de mon respect et de mon zèle pour luy, je ne laisse pas de vous prier de l'en assurer de nouveau aussi bien que du ressentiment extreme que j'ay de la bienveillance dont il m' honnore. J'ay mesme esté tenté de l'en assurer moy mesme et de luy escrire ce que je vous dis. Mais je n'ay pas creu le devoir divertir de ses hauts emplois par une importune lecture, où aussi bien il n'auroit veu que ce qu'il scavoit desja bien. Espargnés luy donc ce travail en luy expliquant a son loysir et au vostre
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mes sentiments sur son sujet et j'y gagneray beaucoup encore, quand je parleray par vostre bouche, mes bons mouvemens ne pouvant si bien paroistre que quand ils seront revestus de vos bonnes paroles.
Je plains Monsieur Hugens le père et Messieurs ses enfans de cette revolution de fortuneGa naar voetnoot2) qui les a affoiblis de credit et de consideration dans leurs païs. Lorsque je songe pourtant a la vertu qui leur reste, et a ces belles connoissances qui accompagnent leur vertu, je ne les puis estimer malheureux. Du moins je n'en rabas rien de la justice que tout le monde leur doit rendre. Je vous supplie de sçavoir de Monsieur Christianus Hugens s'il m'a escrit depuis un mois ou cinq semainesGa naar voetnoot3) pour responses à mes dernièresGa naar voetnoot4) avec lesquelles j'avois mis une seconde copie de l'horloge de Monsieur de Roberual. Car un de mes amis me dit, environ ce temps là, qu'il avoit veu au bureau de la poste de Hollande un paquet suscrit de mon nom sans adresse, sur quoy j'envoyay pour le retirer, mais inutillement parce qu'elle ne s'y trouva plus. J'en fus fort marry dans la crainte qu'il n'y eust dedans quelque chose où il eust besoin de mes soins. Obligés moy donc de luy en parler et, s'il avoit rien à m'ordonner, exhortés le a prendre des voyes si seures qu'il ne puisse perdre la peine de m'avoir escrit, ni moy la joye et l'honneur de l'avoir servy.
Monsieur Bigot a veu dans la lettre que vous m'envoyés tout ce que vous y dittes d'avantageux de luy et en a esté ravi à son ordinaire. Il vous le tesmoignera luy mesme et vous respondra aux questions que vous me faisiés pour luy. Ce matin, il m'a communiqué l'epicediumGa naar voetnoot5) dont vous me parliés dans la vostre, et qu'il n'avoit receu que le soir précédent. Il est digne de vous et digne de vostre amy, pour excellentes que fussent les qualités de cet amy. J'en fay tirer une coppie que je mettray entre les autres choses que j'ay de vous, et qui me sont toutes précieuses.
Je fis voir à ce Monsieur le PrieurGa naar voetnoot6) qui procure l'édition des vieux glossairesGa naar voetnoot7)
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la curiosité que vous aviés eue de sçavoir son nomGa naar voetnoot8), dont il se tint fort glorieux, et il me fit comprendre avoir dessein, si on luy en donnoit quelques exemplaires, de vous en envoyer un lorsque l'impression en sera achevée.
Je me resjouis de ce que vos Elzevirs se resveillent et que vostre OvideGa naar voetnoot9) commence a rouler sous leur presse. Les manuscrits d'Angleterre vous seront apparemment utiles, et, s'il y a quelque chose de cette nature à Paris, Monsieur Bigot vous le déterrera. C'est un amy effectif et vigilant sur le soin duquel on peut faire un fondement solide.
Ce n'est point moy, ce me semble, qui vous ay parlé de l'OvideGa naar voetnoot10) de Nicolaus FaberGa naar voetnoot11), n'en ayant jamais eu de connoissance, et je n'ay entendu vous parler que de nostre Faber de SaumurGa naar voetnoot12) qui a publié depuis peu le FedrusGa naar voetnoot13) et un volume de lettres critiquesGa naar voetnoot14). Je n'ay point veu Monsieur de PeyrarèdeGa naar voetnoot15). A la première rencontre je luy demanderay ses observations et corrections sur vostre autheur.
Nous verrons la dissertationGa naar voetnoot16) de Monsieur Vossius sur la naissance du monde puisqu'elle est icy. Je serois bien aise que vous sceussiés de luy addroittement s'il a receu le remerciment que je luy ay fait de son MelaGa naar voetnoot17) par une lettre expresse. Il me seroit fascheux qu'il me creust capable d'ingratitude.
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Nostre pauvre Monsieur ColletetGa naar voetnoot18) mourut, il y a un mois, et mourut veritablement pauvre, ayant fallu quester pour le faire enterrer. S'il a avancé ses jours par ses nopces, ça esté plustost par ses troisiesmesGa naar voetnoot19) que par ses secondesGa naar voetnoot20), car il s'est marié jusqu'à trois fois et toutes les foisGa naar voetnoot21) à ses servantes. C'est la seule tache de sa vie laquelle d'ailleurs il a passé dans l'innocence entre Apollon et Bacchus, sans soucy du lendemain au milieu de ses plus fascheuses affaires. Je ne le plains pas trop d'estre mort, puisqu'il n'avoit pas moyen de vivre. Je plains ses amis de la perte qu'ils ont faitte d'un homme de bien et qui estoit de bonne compagnie, surtout vous et moy qu'il aymoit cordialement.
Je ne sçavois point la mort de Monsieur FabertGa naar voetnoot22). C'estoit une de nos grandes lumières pour la jurisprudence.
Pardonnés moy ma longueur et vengés vous en par de longues lettres. Mille baisemains à Monsieur Hugens et a Monsieur Vossius.
Je suis, Monsieur, vostre, etc.
De Paris ce 7. Mars 1659.
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voetnoot1)
- Charles de Sainte-Maure, marquis puis duc de Montausier, second fils du marquis de Montausier et de Marguerite de Chateaubriand, naquit le 6 octobre 1610 et mourut le 17 mai 1690 à Paris. Militaire de renom et savant historien, il fut nommé gouverneur du grand Dauphin.
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voetnoot2)
- Probablement ce passage se rapporte à l'influence politique de Constantijn Huygens, père, diminuée après la mort du Stadhouder Willem II, dont il fut le Secrétaire, et qui n'avait pas été remplacé.
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voetnoot3)
- Dans la Lettre No. 602 Chr. Huygens se plaint à J. Chapelain de la perte d'une lettre, qu'il lui aurait écrite vers mi-février 1659.
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voetnoot4)
- Nous ne possédons pas cette lettre dans nos collections.
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voetnoot5)
- C'est la Elegia VIII, Libri III, de N. Heinsii Poemata 1666, intitulée ‘Epicedion Francisci Arsenii Plataei, ad Cornelium Arsenium Somersdicium, defuncti patrem’ V. Ill. Van Aersen Seigneur de Plaat se noya le 14 novembre 1658 (voir la Lettte No. 549).
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voetnoot6)
- Philippe Le Prieur (= Priorius) de Saint-Vaast (Caux) mourut à Paris en 1680. Il fut professeur à l'Université de Paris jusqu'en 1660, lorsqu' il fut doué d'un bénéfice en Bretagne. Il était savant dans les langues et l'histoire.
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voetnoot7)
- Il résulte de l'ouvrage ‘Mélanges de Litterature tirez des Lettres Manuscrites de M. Chapelain 1716’ à la page 39, que le Prieur a travaillé à l'ouvrage suivant:
Cyrilli, Philoxeni, Aliorumque Veterum Glossaria Latino-Graeca, & Graeco-Latina, a Carolo Labbaeo collecta, & in duplicem Alphabeticum ordinem redacta. Cum variis amendationibus ex Mss Codd. petitis, Virorumque Doctorum castigationibus ac conjectaneis; his accedunt Glossae aliquot aliae Latino-Graeca ex iisdem Codd. Mss. quae nunc primum prodeunt. Praeterea Veterae Glossae verborum juris, quae passim in Bacilicis reperiuntur, ex variis perinde Codd. MSS. Bibliothecae Regiae erutae, digeslae, & Notis illustratae ab eodem Carole Labbaeo. Lvtetiae Parisiorvm, Curâ & impensis Lvdovici Billaine. m.dc.lxxix. Cum Privilegio Regis Christianissimi. in-folio.
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voetnoot8)
- Le Prieur se couvrait du pseudonyme Eusebius Romanus.
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voetnoot9)
- C'était la troisième fois que N. Heinsius donnait une édition d'Ovide. En voici le titre:
Publii Ovidii Nasonis Operum Tomus I. Nicolaus Heinsius D.F. locis infinitis ex fide scriptorum exemplarium castigavit & observationes adjecit. Amstelaedami. Ex officinâ Elzevierianâ. cIɔ.Iɔ.c.lviii, cIɔ.Iɔ.c.lix, cIɔ.Iɔ.c.lxi. in-12o.
Il en avait déjà donné des éditions en 1629 et en 1652, et en donna encore en 1662, 1664, 1670.
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voetnoot10)
- Il n'existe pas d'édition ou traduction d'Ovide, publiée par N. Faber.
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voetnoot11)
- Nicolas Le Fèvre de la Roderie naquit à Falaise le 2 juin 1544 et mourut à Paris le 3 novembre 1612. Il épousa la fille du premier maître d'hôtel de Catherine de Médicis. Il était très savant en langues et publia divers ouvrages.
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voetnoot12)
- Tanneguy Lefebure [Tanaquil Faber] naquit à Caen en 1615 et mourut à Saumur le 12 septembre 1672. Devenu protestant, il a été un ornement de l'Académie de Saumur, où il entra en 1651. Il se retira en 1670 et fut appelé à Heidelberg, mais mourut avant d'y aller.
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voetnoot13)
- Phaedri Fabulae cum Notis. Auctore Tanaquil Fabro. Saumur. 1657. in-4o.
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voetnoot14)
- Epistolarum Criticarum Pars I. Tan. Fabri. Saumur. 1659. in-4o.
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voetnoot15)
- Jean de Peyrarède, gentilhomme protestant, naquit à Bergerac (Dordogne) et mourut vers 1660. Il était latiniste et publia divers commentaires.
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voetnoot16)
- Isaaci Vossii Dissertatio de vera aetate Mundi. Quâ extenditur Natalis Mundi tempus Annis minime 1440 vulgarem Aeram anticipare. Hagae-Comitis. Ex Typographia Adriani Vlacq. m.dc.lix. in-4o.
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voetnoot17)
- Isaaci Vossii Observationes ad Pomponivm Melam de Sitv Orbis. Ipse Mela longè quam antehac emendatior praemittitur. Hagae-Comitis. Apud Adrianum Vlacq. m.dc.lvii. in-4o.
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voetnoot18)
- Guillaume Colletet, l'aîné de 24 enfants, naquit le 12 mars 1598 à Paris, où il mourut le 10 février 1659. Il fut un des premiers membres de l'Académie Française, et un des cinq auteurs pensionnés par le roi.
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voetnoot19)
- Avec Claudine le Hain, servante de son frère. Elle survécut à Colletet et mourut, comme lui, dans la misère; elle avait épousé Colletet le 19 novembre 1652.
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voetnoot21)
- Sa première femme était Marie Prunelle, servante de son père.
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voetnoot22)
- Charles Annibal Fabert naquit à Aix en Provence le 15 septembre 1580 et mourut à Paris le 16 janvier 1659. Avocat célèbre, il devint professeur de droit à Aix en 1609; en 1646 il vint à Paris où il continua la publication de ses ouvrages de jurisprudence.
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