Archives ou correspondance inédite de la maison d'Orange-Nassau (première série). Tome VIII 1581-1584
(1847)–G. Groen van Prinsterer– Auteursrechtvrij* Lettre MCLIV.
| |
[pagina 350]
| |
Ga naar margenoot+a que le Roy ne se veuille entremettre en telle guerre contre ung Prince si grand et si puissant, et finallement il vient à discourrir de ce qui touche plus particulièrement nostre Maison. Or, quant aux forces du Roy d'Espaigne, je croy que personne ne peult doubter que je ne les cognoisse aultant qu'homme que soit en ce monde, tant pour avoir eu particulière et longue entremise aux affaires de ces païs, que depuis avoir entrepris une si nécessaire et honorable guerre, que je les ay senties, esprouvées, et soustenues longues années, et desquelles je ne fai difficulté, avecq l'aide de Dieu, que ce païs n'eust esté déchargé long temps y a, si ceuls mesmes ausquels il touchoit et estoient de la religion, au moins en faisoient profession, n'eussent esté induicts, partie par leur propre ambition et désir de commander et administrer à leur teste (combien qu'ils n'eussent aulcune expérience, ny en faict de guerre, ny en faict de gouvernement), partie estants induicts et poulsez par aultres, qui prenoient plaisir à suivre des conseils particuliers et du tout eslongnez des miens et de ceuls du publicq: si ceuls là, dis-je, n'eussent armé les membres propres de ce païs les uns contreles aultres et contre leur propre corps, au moien dequoy ont de rechef attiré les forces de l'Espaignol, et n'estant le mal de ceuls qui ont faict telles faultes, jusques aujourdhui corrigé, donnent encores moien aux Espaignols d'avoir sur eux tant de victoires qu'il leur plaist, et jusques à ce qu'ils se soient aultrement résolus, se conduiront en une ruine plus grande et de plus en plus. Je dis ces choses pour monstrer que ces grandes forces ne sont pas invincibles, puisqu'on les a veues réduictes à deux doigts prez d'estre entièrement deffaictes et chas- | |
[pagina 351]
| |
Ga naar margenoot+sées honteusement hors du païs, et pareillement puisque Dieu m'a faict la grâce de les avoir si long temps soustenues, ce n'est pas merveilles si je les cognoi bien, tellement que toutes telles remonstrances ne me peuvent rien apprendre de nouveau, ny pareillement, quant à ce qui touche ma foiblesse, laquelle toutesfois j'espère, avecq l'aide de Dieu et de la bonne résolution de ceuls qui se résolvent à m'obéir, n'est pas si petite qu'elle a esté par cy-devant, et ne voy point encoires que quatre vingts mil hommes me viennent sur les bras, conduicts par un Duc d'Alve; comme aultresfois, estant beaucoup plus foible, je les ay sentis, et néantmoins Dieu ne m'a point pour lors abandonné, et encoires j'estime qu'Il ne le fera aujourdhuy. Mais, comme je le dédui plus amplement en mes mémoires, que j'envoie à la Roine d'Angleterre, dont je vous envoie copieGa naar voetnoot(1) à cest effect, je pren' pour principal fondement, la garde souveraine et universelle de Dieu, qui a rendu jusques à présent ma foiblesse forte et espère en Luy qu'Il le fera jusques à la fin, et néantmoins, comme la disposition des causes secondes et particulières est aussi dépendente de la providence de Dieu, ce que Dieu me voudra par Sa grâce mettre en main, tant des forces du païs que de celle des estrangers, je penseroi abuser des moiens donnés de Dieu, si je ne m'en servoi, remettant le tout à ceste saincte providence, pour les bénir ou pour les renverser, sachant bien toutesfois qu'il Lui plaira faire le tout réussir à Sa gloire, surquoy, Monsieur mon frère, je vous prie de considérer ce que j'en ay mandé, par le Sr de Norreits, à la Royne d'Angleterre. | |
[pagina 352]
| |
Ga naar margenoot+Et quant je vien, à part moy, à considérer ensemble toutes ces difficultés, à sçavoir quand je vien à comparer les forces du Roy d'Espaigne avecq mes petits moiens, et ce qu'on voit communément ès changements des volontés des hommes, et quand aussy je discour' sur ce qui peult advenir après moy, je confesse bien, si je prenoy conseil avecq la chair et cest entendement humain, que je trouveroi grande matière et subject d'estonnement; mais, puisque la cause de la gloire de Dieu et de nostre conscience, de la liberté du païs, de la conservation de la vie de tant de gens de bien, sur lesquels passeroit la cruaulté de l'Espagnol, comme un déluge d'eaues, si on luy permettoit reprendre la puissance sur ces païs qu'il a eues aultresfois, je ne puis aultre chose résouldre, sinon que, m'estant recommandé à Dieu, je conclu qu'il reste d'apporter à tels dangers une constance jusques à la fin, me résouldant que nuls dangers pour moy et pour les miens, ne sont à comparer à une misérable désertion, que je feroi d'une si bonne cause, si je venoi à délaisser un si sainct et honorable parti que j'ai suivi jusques à présent. Et quant à ce qu'aulcuns de la religion me portent moins d'amitié qu'ils ne debvroient, quand ainsi seroit, je ne trouveroi rien de nouveau et que je n'aie de longtemps préveu: car qui est le personnaige, aiant eu charge principalle, soit en l'Église, soit en la républicque, qui n'ait eu abondance d'ennemis, non seullement de ceuls de dehors, mais aussi de ceuls mesmement qui suivoient leur parti et se disans d'une mesme religion? Tel a esté Moyse, qui n'a point évité les calomnies et soubslèvements de Corré et Dathan, tel a esté David qui a eu son Séméi, tel a esté Jérémie, qui a esté souffleté dedans le temple, tel a esté | |
[pagina 353]
| |
Ga naar margenoot+St Paul, persécuté par ceuls qui preschoient Christ par contention; desquels nuls n'ont délaissé à poursuivre constamment leur charge, sachants que Dieu estoit leur rémunérateur, et non point les hommes; aussy, quand j'ay entrepris si grande charge, je n'ai pas eu aultre espoir, comme mesmes j'avoi veu de mes yeux le semblable advenir à des grands personnages, qui avoient soustenu semblables querelles de nostre temps. Mais j'espère que telles gens, qui peult estre ne se sont point abandonnés à telle ingratitude, tant par leur malice que par induction d'aucuns, ne continueront point en tel mal et se recognoistront, comme desjà plusieurs ont faict, estant admonestés par leurs propres faultes et tant de pertes qu'ils ont faictes, suivants leurs affections particulières, et quand ils vouldroient persévérer jusques à la fin, ce que je n'espère toutesfois, veu le bon nombre de ceuls qui se résolvent avec moy, je n'aurai pas grande occasion de me donner desplaisir pour aultre chose, sinon que de la propre ruine de telles gens, qu'ils ont plus attirée sur eux par leur témérité, que l'ennemi n'en a apporté par sa puissance. Or, ce qui a esté déduict au dict discours jusques en ce lieu, n'est pas le principal desseing de l'autheur, ains me semble que tout ce commencement est semblable à quelques exercices et espreuves de disposition de corps, que font ceuls qui veulent jouer des armes, auparavant que d'escrimer à bon escient, ou aux avant-chants, appellez par les Grecqs proëmes et par les Latins préludes, que font ceuls qui veullent jouer par après des instruments de musique; car tous ces préparatifs sont mis en avant pour tomber finalement sur le discours de l'alliance de France, | |
[pagina 354]
| |
Ga naar margenoot+qui est le poinct principal que l'autheur veult traicter et pour lequel tant de peine a esté prise. Mais je remarque en ceste partie, entre aultres choses, faulte de jugement en l'auteur de cest escript; car, comme ainsi soit qu'on ne puisse nier que le tout ne procède du conseil d'Espaigne ou de ses partisans, qui est-ce qui ne cognoistra incontinent par la lecture de ce discours, que c'est que l'Espaignol redoubte et que sur toutes choses il craint que le Roy de France n'entreprenne ceste querelle? cognoissant assez, par la situation des païs, par la force du dict Roy et pour raison de ses amis et serviteurs, quels moiens il a non seulement de nous aider, mais aussi de confiner le Roy d'Espaigne par delà les Alpes et Pyrenées? Et comme je ne sçauroi prendre meillieur conseil que de mon ennemi pour choisir ce qu'il craint et rejetter ce qu'il désire, aussi je confesse, quand je n'auroi jamais pensé à l'alliance de France, que ce discours m'y feroit penser à bon escient, et me donneroit occasion de croire que ce conseil de traicter avecq les François est très-bon, puisqu'il est tellement redoubté de l'ennemi. Mais quand je discours, à part moy, des raisons sur lesquelles se fonde le dict autheur, j'ay de plus en plus occasion d'y penser plus avant. Les raisons principalles sont qu'il n'y a aulcune asseurance avecq les François, que par eulx nous serons trompez, qu'ils ne sont point amys de la religion, et que, pour le bien de nostre Maison, nous ne debvons irriter daventaige nos ennemis, appuiez sur un si foible fondement que des François; car de respondre à ce qu'on dict que j'ay assez rendu mon nom célèbre, je ne pense pas qu'il | |
[pagina 355]
| |
Ga naar margenoot+en soit de besoing, puisque jamais telle vanité ne m'a esmeu à souffrir tant de travauls et tant de pertes et à soustenir telles et si dangereuses inimitiés. Si doncq on pense que l'alliance de France, pour les raisons susdictes, soit non seulement périlleuse, mais aussi certainement pernicieuse, quel conseil est-ce qui nous reste? Car quant à moy, je confesse que je suis vaincu par plusieurs villes et provinces de ce païs, qui ne disent point en cachette, mais ouvertement, non point deux ou trois personnes, mais en plains Estats, qu'il est nécessaire de se réconcilier avecq le Roy d'Espaigne, ou chercher secours suffisant ailleurs, et qu'aiant cerché premièrement vers les Princes faisans profession de la religion, desquels on est délaissé et abandonné, ils ne voient aultre moien que d'avoir recours au Roy de France et à son frère. Je di' que je suis vaincu, car quand telles choses sont proposées aux Estats, comme elles le sont, je ne puis aultre chose respondre, sinon que pour le moins il le fault essaier; car, s'il n'en advient aultre bien, toutesfois nous empescherons que le Roy de France ne nous soit ennemy, qu'il tiendra tousjours en haleine le Roy d'Espaigne et luy fera consumer un grand trésor et mesmes servirons à ceuls de la religion de France, pour jouir de la paix que le Roy leur a accordée, la conservation de laquelle nous debvons procurer par tous moiens à nous possibles. Et de faict l'autheur de cest escript ne parle pas au contraire de ceste conclusion; car luy mesme conseille la réconciliation avec le Roy d'Espaigne. Mais si pour la conscience je ne puis accorder avecq le Roy de France, comment est-ce que ma conscience aura dispense d'accorder avecq le Roy d'Espaigne? Luy, est-il | |
[pagina 356]
| |
Ga naar margenoot+d'aultre religion que l'aultre? Le Roy d'Espaigne n'est-il pas le fils mignon du saint siège Apostolicque de Rome et le Roy de France un fils putatif et en tiltre tant seulement? Le Roy d'Espaigne a pour le fondement de tous ses biens la faveur du Pape, et le Pape ne debvroit recognoistre avoir un poulse de terre que par le bénéfice des anciens Roys de France, qui le recognoit aujourdhui avecq telle et si notable ingratitude. Car de dire que le Roy d'Espaigne est Prince naturel de ces païs, il y a long temps que ceste question est vuidée et hors de débat, puisque, par jugement universel des Estats, après tant de debvoirs faicts, tant envers luy qu'aultres Princes, il a esté déclaré décheu de son droict, tellement, que s'il me fault à présent traicter avec luy, il fauldra traicter pour se soubmettre à un estranger ennemi, voire cruel persécuteur de la religion. On alléguera le massacre de Paris, mais comme il n'est point à excuser, comment aussi excusera-on le massacre des paouvres MoresGa naar voetnoot(1), sur lesquels a esté exercée par le Roy d'Espaigne plus que barbare cruaulté, aiant, contre sa foy et promesse, faict mourir plus de soixante mil personnes, après l'accord faict et juré? Et si on dict qu'ils ne sont Chrestiens, pourra-on toutesfois nier que le Roy d'Espaigne et le Pape ne soient plus cruels ennemis de nostre religion que de celles des Mores? Si on ne le veult croire, au moins qu'on regarde à la différence des efforts, que son coeur barbare et sans Dieu faict entre les Chrestiens et les Mahumétans, et puis qu'on en juge sans passion: pour le moins ne peult-on nier que, soubs la domination du Roy | |
[pagina 357]
| |
Ga naar margenoot+de France, n'y ait plusieurs villes, bourgades, chasteaulx, maisons de gentilhommes, ésquelles la religion a lieu et place, ce que jamais n'a peu estre impétré du Roy d'Espaigne, tant son coeur est enveminé contre la vraye religion, qu'il ne la peult non seulement souffrir, mais aussi ne peult faire semblant de la vouloir endurer; ce qui ne se trouve à l'endroict du Roy de France, qui permet, en plusieurs endroicts, libre exercice de la religion et où elle n'est pas permise ouvertement, ce néantmoins elle est exercée sans grande recherche, jusques dedans la ville de Paris. Je désireroi qu'aucuns des Théologiens que vous avez par delà, qui sont si prompts à juger la conscience d'aultrui, s'emploiassent pour me monstrer par la parolle de Dieu (qui doibt estre la règle de nos consciences et non pas un zèle sans ceste guide) que nous debvons accorder plustost avecq le Roy d'Espaigne, qui demandera pour le premier article que la religion soit abolie, qu'avecq le Roy de France, qui pour le premier article ne fera difficulté de l'accorder. Et quant à ce qu'on dict que les François nous tromperont, nous osterons nos libertés et privilèges, puisque, pour telles raisons, on trouve que nous debvons appoincter avec l'Espaignol, il s'ensuit doncq qu'on veult dire que l'Espaignol ne nous trompera poinct et qu'il nous conservera nos privilèges, et c'est pourquoi aussi on adjouste au dict escript, que tout le monde sera plus aise que nous appoinctions avecq l'Espaignol qu'avecq le François. Or je désireroi que les passions particulières d'un chascun, estans despouillées, ces affaires fussent rapportées au niveau seul de la raison, et que les personnes et toutes aultres circonstances fussent bien examinées de toutes parts, | |
[pagina 358]
| |
Ga naar margenoot+pour juger de quelle part est plus à craindre d'estre trompé, soit des François ou des Espaignols. Je ne veuil pas nier qu'il n'y ait danger des deux costés, mais s'il nous fault passer par dessus une de deux planches, je croi que chascun choisira plustost la plus large et la plus ferme, que la plus estroite et la plus foible. Or pour juger équitablement de tous dangers, il me samble qu'il fault tousjours considérer la puissance de celui qui peult mal faire et le vouloir. Mais en tous ces deux poincts on trouvera, sans comparaison, le Roy d'Espaigne surpasser le Roy de France; au moins si à mal faire on peult dire que l'un surpasse l'autre. La puissance du Roy d'Espaigne est telle en ce païs, que sans y faire passer ny Espaignol, ny Italien, en moins d'un an, sans aulcune armée, il peult exterminer la religion presque de tout le païs et, peu de temps après, de tout le reste de nos voisins. Le nombre de peuple qui le favorise et qui est de sa religion, surpasse infiniment quasi par tout, qui fera tout ce que luy sera commandé par l'Espaignol, comme il se voit journellement; car si l'ennemi vient à gaigner quelque ville ou part de païs sur nous, le peuple faict entièrement et servilement tout ce qu'il veult et aussitost; cela ne se peult dire du François; car, quand il luy a fallu faire teste, tous unanimement se sont bendez contre luy, les uns pour la religion, les aultres pensans favoriser les Espaignols, comme l'expérience a monstré, que ceuls qui crioient plus hault contre luy, se sont rendus à l'Espaignol et ont trahi le païs, combien qu'aucuns mal advisés les tinsent pour les meilleurs, par ce qu'ils parloient si mal et si hardiment des François que faict l'autheur de cest escript, mais la fin | |
[pagina 359]
| |
Ga naar margenoot+a monstré quelle estoit leur intention, asçavoir de nous livrer aux Espagnols. Les vieux officiers qui sont encores au païs, portent en leur cueur le Roy d'Espaigne, et tant de gens qui ont receu bienfaicts, sallaires, récompenses, desquels tout est plain; oultre ceuls là tant de bannis volontaires, lesquels reviendroient en un instant, comme pigeons au colombier, qui ne seroient seulement à la dévotion du Roy d'Espaigne, mais aussi ses procureurs, solliciteurs et exécuteurs de ses cruelles sentences. Pour ces raisons doncques, on peult cognoistre quelle est la puissance du Roy d'Espaigne pour nous nuire, quand il a mesmes dedans nous tous les instruments prests et aiguiséz pour nous destruire en biens et corps et en nos âmes, s'il peult; et au contraire s'en fault beaucoup que les François aient un tel pouvoir. Je ne doubte non plus que la volonté, tant de luy que de ses adhérents, ne soit encoires pire que la puissance n'est grande. Les Rois n'estiment jamais une offence estre petite, quand elle s'adresse à leurs personnes, par ceuls qu'ils tiennent pour leurs subjects. C'est pourquoy ils tiennent leurs subjects, qui ont attenté quelque peu contre eux, criminels de lèse Majesté. Mais quand un soubslévement tel et de si grande conséquence advient que celui que nous avons veu en ce païs, il n'y a sorte de cruaulté qu'ils n'exécutent contre les subjects; car, si rien n'a esté obmis de ce qui peult estre appellé cruel sur les Indiens, qui ne luy debvoient aulcune recognoissance, que pouvons nous espérer de sa miséricorde en ce païs? Des principauls officiers ont esté faicts prisonniers, ont esté chassés, leurs biens saisis, les communs officiers n'ont | |
[pagina 360]
| |
Ga naar margenoot+point eu meilleur traictement, ses armes abattues, aultre Prince premièrement appellé contre sa volonté au gouvernement et depuis encores un aultre a esté choisi pour Seigneur;estimons-nous que jamais il pardonnera telle schoses, celuy dis-je, qui a traicté, pour petites faultes prétendues, si cruellement les personnages de telle qualité et si illustres, que les Contes d'Egmont, de Hornes, Marquis de Berghe, et Seigneur de Montigny, et qui a commencé à me persécuter et les miens si oultrageusement, pour si peu de choses, en comparaison de ce qui a suivi? Et quand Dieu me feroit la grâce de me pouvoir (après avoir appointé) retirer en quelque lieu de seureté, combien que je ne voy point où je puisse estre plus asseurément qu'en ce païs, toutesfois ce nombre infini de peuple et de gens de bien, qui ont embrassé la religion et se sont opposez à ceste cruaulté et tyrannie, en quel lieu se pourroientils retirer? Le Duc d'Alve sortant de ce païs, se vantoit d'avoir faict mourir, par main de bourreau, dix huict mil hommes. Que maintenant on compare ce qui avoit esté faict par les habitans de ce païs auparavant la venue du Duc d'Alve, avecq ce qui est ensuivi, et de là qu'on juge quelle sera la volonté d'ung Roy cruel et irrité. Quand aux particuliers, en premier lieu les Ecclésiastiques, qui sont en nombre comme locustes, demanderont leurs revenus, leurs maisons, leurs meubles; en après les gentilshommes et aultres sortes de gens: ne les trouvants point, ne sera ce pas aux paouvres gens de la religion de le paier et mesmes à ceuls qui n'en ont jamais prouffité d'un obole? Les dicts Ecclésiastiques, Nobles et aultres, sans aulcune | |
[pagina 361]
| |
Ga naar margenoot+raison, sinon un prétexte tel quel de religion, ont bruslez, penduz, noiez, bannis ceuls qui donnoient seulement un petit goust de religion; maintenant, estants irritez ce que des hommes le peuvent estre, pensons-nous qu'ils seront plus miséricordieux, veu qu'ils n'ont encoires despouillé ceste nature de loup, au contraire qu'elle est eschauffée dadventaige, comme qui auroit jetté sur une fournaise bien embrasée un grand monceau de bois. Ny sert de rien à dire que plusieurs ont passé mesure, ce qui est vray et les gens de bien et moderés sçavent s'il y a de ma faulte ou non, mais pensons-nous que les Espaignols sachent ou veuillent faire telles distinctions? ains plustost ne sera ce pas crime suffisant pour estre condamné, de dire qu'on est Chrestien? dont ensuivra la perte de la vie, ou pour le moins la perte des biens. Toutes ces choses cessent à l'endroict des François; car si on dict qu'ils ont le cueur mauvais contre ceuls de la religion, premièrement ils ne sont pas touts tels, ce que sont les Espaignols et leurs adhérens, qui sont universellement ennemis; les François ne sont irritez, ils n'ont rien à demander de leurs biens, les Espaignols au contraire. Pour ces raisons il est aisé à conclure; si, pour les dangiers apparents, il est à craindre d'appoincter avec les François, comme dict l'autheur de ce discours, il est sans comparaison plus à craindre en toutes sortes avecq l'Espaignol. Cependant je veuil bien asseurer que jusques à présent je ne me suis beaucoup empêché de suaderGa naar voetnoot1 les Estats d'entrer en tel traicté, mais plusieurs provinces et villes de conséquence le proposans et faisants assez entendre ouvertement, qu'il fault accorder avecq l'un ou avecq | |
[pagina 362]
| |
Ga naar margenoot+l'aultre, je confesse que, s'il fault des deux choisir l'un, je consentirai plus tost à l'ung, que non pas à l'aultre. Et quant à ce que dessus, j'adjouste que chascun qui cognoist les affaires d'Espaigne, doibt confesser que le Roy d'Espaigne par force est contraint, pour maintenir sa monarchie, se tenir joinct au Pape, à l'Empereur et aultres Princes et Potentats papistes. Le Roy de France au contraire, pour luy coupper les aisles, sera contraint de s'allier avecq ceuls de la religion, et par ce moien, en les favorisant par le moien de leur aide, empêcher ceste grandeur, qui va remplissant la terre; comme le Roy son père fist tout le semblable à l'Empereur Charles, lors qu'il sembloit qu'il dominoit seul en toute l'Europe. Et comme lors les Princes de l'Empire, personnaiges saiges et bien conseillés, firent tous debvoirs d'induire le Roy de France à une telle délibération, de laquelle dépendoit un si grand bien pour toute la Germanie, jusques à se transporter en personne en France, aussi nostre debvoir seroit de faire le semblable; mais au contraire, comme si nous estions desplaisants de ce que ces deux Princes ne sont armés ensemble contre nous, nous faisons tout ce qu'il est en nous pour les conjoindre par tous moiens à nous possibles, ne considérants leur force et nostre infirmité. Que si on veult aussi toucher de nostre particulier et de de nostre maison, je me tien' asseuré que vous, Monsieur mon frère, et moy avons faicts de si bons offices au RoyGa naar voetnoot(1) et à l'Empereur et que la mémoire en est si avant imprimé en leurs coeurs, que jamais nous ne leur pourions faire | |
[pagina 363]
| |
Ga naar margenoot+service qui peult effacer la souvenance, ce que je ne désire en façon quelconque d'esprouver, ains plustost me résouldre à toute extrémité, pour la défense de ces païs, de la religion et de la liberté, espérant que Dieu, par quelque moien que ce soit, ne m'abandonnera point en une si juste et si nécessaire querelle, dequoy je Le prie de tout mon cueur. Faict à Delft, le 18e jour de mars 1584. Guillaume de Nassau. |
|