Archives ou correspondance inédite de la maison d'Orange-Nassau (première série). Tome VIII 1581-1584
(1847)–G. Groen van Prinsterer– Auteursrechtvrij* Lettre MCLIII.
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Ga naar margenoot+dement en nos affaires, sinon que j'espère que le quartier d'Utrecht et de Gueldre sera un peu mieux asseuré qu'il n'estoit, mais quant à la Flandre, je n'y voy pas grand espoir, car la ville d'Ypre, assiégée y a environ sept mois, est tellement serrée, qu'il n'y a grand moien de la secourir. Les ennemis ont si peu de résistence en tout le païs de Flandre, pour le mauvais ordre que les membres ont mis à leurs affaires, suivant les conseils particuliers qu'aulcuns venants par cy-devant d'Allemaigne, leur ont mis à la teste, que l'ennemi, avec cent ou deux cents hommes seulement, faict des forts où bon luy semble, et mesmes est venu (avecq quelque peu de forces dadventaige toutesfois) jusques à la portée du canon de la ville d'Anvers. Oultre cela nous appercevons une nouvelle grosse armée nous venir sur les bras, conduicte par gens de grande qualité, entre aultres du frère du duc de Florence, laquelle estant joincte avecq celle qu'ils ont à présent en ce païs, vous pouvés, Monsieur mon frère, bien juger ce qui en peult advenir, attendu les forces que nous pouvons avoir par deçà réduites à si peu par le mauvais conseil d'aulcuns, ainsi que je vous ay plus particulièrement déduict par mes précédentes; car quand toutes les faultes qui sont entre les Estats, seroient bien réparées, si est-ce que jamais il ne sera possible de trouver des forces pour fournir nos places de garnisons nécessaires, qui me faict craindre qu'après tant de pertes de belles Églises, qui estoient en Flandre, (perdues seulement par la faulte de ceuls qui ont rejetté mon conseil, par lequel ils pouvoient aisément éviter ce mal) que nous ne facions encores autres pertes notables, restants encores trop de villes qui veuillent suivre leur conseil particulier, et quant à celles qui se | |
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Ga naar margenoot+laissent conseiller, ores que j'espère y donner le meilleur ordre que faire se pourra, toutesfois je ne puis, avecq si peu de moiens, empescher que l'ennemi avecq le temps n'emporte quelques places, comme il advient ordinairement à ceuls qui se résolvent simplement sur la défensive. Nous avons dadventaige ce mal, qui ne sera osté de long temps, assavoir, ce que je vous ay escript par cydevant de l'espérance qu'on leur avoit donnée du grand secours d'Allemaigne, et combien qu'il y ait quelque différence entre ce qui est en l'obéissance de monsieur l'Électeur et l'estat de ces païs, ce néantmoins, non seulement pour l'union de religion, mais aussy pour la conjoinction de nos affaires, nous ne pouvons que sentir en nostre particulier un dommage infini, par la perte de la ville de Bonne et la crainte que nous avons que ses affaires n'aillent en empirant, puisque du costé des princes d'Allemaigne, non seullement il n'y a apparence de secours, mais aussi on entend icy que les premiers et principauls princes blasment ouvertement son entreprise. Si en telles extrêmités je recevoi quelque bon conseil, ce seroit bien ce que mon coeur désireroit, mais je voy que chascun sçait bien reprendre le conseil d'aultrui, mais nul ne m'en donne de meilleur. On me dict que je me doy deffier du parti de France. Les dangers qu'il y a de ce costé ne me sont incogneus, ains peult estre mieux cogneues qu'à ceuls qui en parlent, et me touchent de plus près qu'à nul aultre: à qui doncq veult-on que je me fie? Les princes d'Allemaigne ont esté si souvent sollicitez, et nous n'en avons receu aulcun secours, ny apparence, non pas en parolles seullement, et quand nous le recevrions, nous sentirions peult estre ce secours grief, pour raison de la diversité de la confession: | |
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Ga naar margenoot+mais voiants et cognoissants que devant leurs yeux ils laissent fouler à deux pieds par les papistes leur propre frère, qui soustient une si juste cause à leur porte, voire dedans leurs entrailles, je ne pense pas debvoir estre estimé de si peu de jugement qu'on me puisse mener jusques dedans la fosse par parolles, comme on a faict le paouvre peuple de Flandre, lequel, se fondant sur tels discours, se trouve maintenant soubs la cruelle patte de l'Espaignol, bien loing des promesses qu'on leur faisoit et des asseurances que leurs propres Théologiens leur donnoient. Et pourtant je désireroi, qu'en reprenant un conseil, on en donna un meilleur; ce que je ne voy point jusques à présent; car, quant à ce discours que vous m'avez envoié, vous entendrez, Monsieur mon frère, par la responce que je fay et un aultre que j'ay envoié à la Royne d'Angleterre, que je vous envoie, qu'il n'a aulcun fondement asseuré, ains, si je le vouloy croire, que ce seroit vraiement abandonner Dieu, ma conscience, mon honneur, ma vie, mes biens, et le reste des gens de bien qui s'attendent à moy; voire, je feray un acte très-pernicieux à touts ceuls de la Religion, en quelque pays qu'ils soient, desquels, ores que je ne reçoive telle assistence qu'il se debvroit faire, toutesfois je les servirai, Dieu ainsi m'aidant, le reste de ma vie. Que si ils trouvent mes conseils mauvais, ils le doibvent imputer à eux mesmes, qui me contraignent cercher moien où je puis, d'aultant qu'il n'y a pas apparence d'en recepvoir de leur part et qu'en m'abandonnant et Monsieur l'Électeur, ils n'abandonnent pas des hommes, mais la cause de Dieu. Car quelle différence y a-t-il entre celuy qui occist, ou celluy qui ne empesche pas le meurtre, quand il le peult faire. | |
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Ga naar margenoot+Et pourtant, quand il y auroit quelque faulte en mes conseils, ce que je ne confesse pas, si est-ce que leur faulte seroit sans comparaison plus grande que la mienne; pourtant debvroient, devant entreprendre de me reprendre, regarder à la poultre qui est en leur oeil et non point au festu qui est en celluy d'aultrui; car, si je pren un conseil périlleux, la nécessité m'y contraint, eulx prennent un conseil fondé sur avarice, bassesse de couraige et qui n'est guères eslongné de trahison de la vraie religion, qui me faict plus esbahir des Theologiens de par delà, lesquels, comme vous m'escrivez, trouvent si mauvais ce qu'ils pensent que je fai, car encores ne sçavent-ils mes conseils, sinon par bruicts populaires; car, s'ils sont si grands zélateurs, pourquoi se donnent-ils tant de peine de ce qui se faict loing d'eulx, et ce pendant ils voient la religion abandonnée, et encores ils réputent gens de bien ceuls qui sont si froids et condamnent les autres. Ce n'est pas cependant que je veuille excuser mes faultes sur celles d'autrui; mais jusques à présent j'ay bien ouy des calomnies et des fauls rapports, mais de raisons solides je n'en ay pointentendu: premièrement jusques ores, je n'ay point mis en délibération la réconciliation, au moins depuis le traicté de Dendremonde, mais les bonnes villes et les provinces entières disent ouvertement qu'il fault avoir secours de France ou appoincter de bonne heure avecq l'Espaignol, cependant qu'il y a encores quelque moien, sans attendre d'endurer leur joug du tout, selon la loy qu'il leur plaira nous donner, et disent rondement, si leur peuple estoit seurement adverti que toute négociation avecq la France seroit rompu, que le lendemain ils traicteroient avecq l'Espaignol. Les Etats-générauls là des- | |
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Ga naar margenoot+sus délibérent ce quil leur plaist. S'ils me demandent si je voy secours d'ailleurs, je ne les puis tromper; je di que non: s'ils me demandent si je suis asseuré de celui de France, je di que non aussi: là dessus, si résolvent de le tenter, tant pour n'avoir la France ennemie, que pour tenir le Roy d'Espaigne en peine, que peult estre (si Dieu touche le cueur au Roy) ils pourroient sentir semblable assistence que si grands princes d'Allemaigne ont trouvé au Roy son père; si doncques ils prennent une telle résolution, je confesse que je ne veuil point aller au contraire. Vos Théologiens et plusieurs aultres disent que c'est contre la parolle de Dieu. Premièrement vous scavez, Monsieur mon frère, que touts ceuls de ce païs ne sont pas de la religion Réformée, vous le sçavés bien et en cognoissez le nombre; pourtant toutes ces raisons ne peuvent servir de rien à telles gens, et ne servent aussi grandement à la plus grande partie de ceuls de la religion, car le plus grand nombre est infirme, comme on a tousjours veu qu'en nécessité et affliction le nombre a esté le plus petit, et de fresche mémoire nous l'avons veu en Flandre, car l'Eglise de Nieuport n'estoit moindre que de trois mil personnes, quinze jours devant leur rendition, il n'y en avoit point qui fissent sonner plus hault les mesmes propos que vos Théologiens font, et leurs ministres n'en faisoient guères moins. Dès le premier jour qu'ils virent le trompette de l'ennemy les sommer, il ne s'en trouva que trois seuls résolus en toute la ville et, nonobstant qu'ils eussent raisonnable garnison, toutesfois ils contraignirent les gens de guerre de sortir, et se rendirent honteusement, jusques à abandonner leurs ministres en proie, ne les comprenants en leur capitulation et eussent esté les paouvres gens mis | |
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Ga naar margenoot+à mort, sans qu'aucuns de mes anciens serviteurs eussent trouvé moien, au danger de leur vie et de leurs soldats, les desguiser et les faire passer entre leurs soldats. A telles gens doncq aussy ne peult pas beaucoup servir telle remonstrance, s'ils ne voient secours devant leurs yeulx ou espérance, et quant au reste, qui est bien le plus petit nombre, entre lesquels j'espère par la grâce de Dieu estre, on ne leur a encores prouvé ceste question, mais, comme si c'estoit une chose confessée qu'il n'est licite de traicter avecq ceuls qui ne sont entièrement de nostre religion, ils s'emploient à crier contre le Duc d'Anjou, dequoy il n'est point de besoing, car s'ils peuvent prouver leur dire, à sçavoir qu'il n'est licite de traicter aucune alliance avecq ceuls qui ne sont de nostre religion, en quelque cas que ce soit, item qu'en cas de nécessité, il ne soit licite nullement se submettre à un prince qui n'est pas de nostre religion, quand par nous est pourveu à la seureté de nostre religion, quand dis-je ils auront prouvé ces deux poincts, il n'y aura pas grande dispute pour le Duc d'Anjou; mais jusques à présent on prend pour confessé ce que je révocque en doubte et plusieurs aultres. Car quant aux passages que vous m'avez faict laisser par vostre secrétaire, je les ay examinés et je trouve que sont touts commandemens particuliers, qui ne doivent estre estendus plus loing que la circonstance des lieux et des personnes desquels il est parlé. Aultrement, si on les veult estendre par tout, il fauldroit tuer touts les papistes, jusques aux petits enfans, et seroient à condamner Abraham, Isaäc, Jacob, qui ont eu alliance avecq princes infidèles, pareillement David, Salomon, Josaphat et plusieurs autres, seroit à condemner Jérémie, qui commande qu'on s'assubjettisse | |
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Ga naar margenoot+à un infidelle, et si on respond qu'il avoit commendement de Dieu, je respon qu'il n'est doncq pas vrai que jamais on ne le puisse faire, puisqu'il y a exception; car à la défense d'idolâtrer, d'adultérer et semblables, on n'y trouvera jamais d'exception; et je dis plus, quand par le jugement des Estats-générauls, non point assemblés une fois, mais plusieurs, non point à la volée, mais par longues délibérations, après avoir cerché par tout ailleurs, après estre abandonné de tout le monde et mesmes de ceuls de la religion n'avoir aultre secours d'eux que des accusations, quand dis je par une telle assemblée seroit jugée une nécessité, j'estimeroi ce jugement, puisque aujourdhui les prophéties sont cessées, n'estre aultre chose qu'une déclaration de la volonté de Dieu. Mais aussy j'enten' que toute l'église, voiant les victoires d'Alexandre, s'est submise à icellui, sans que jamais personne aist repris l'Église, et depuis à Pompée le grand, et ce sans répréhension. De nostre temps les princes d'Allemaigne ont traicté alliance avecq le roy de France, la royne d'Angleterre, le roy d'Escosse; les Cantons des Suysses en ont faict aultant et avec [luy] mesmes depuis deux ans ceuls de Genesve. Les Polonois ont choisi un roy papiste, les Électeurs un Empereur, l'Empire, composé des uns et des aultres, a alliance en son corps; je ne voy point que les Théologiens escrivent contre ceuls là. Pourquoy est ce qu'ils s'addressent à moy et non aux aultres? Si c'est par leur propre mouvement, je désire en eux équité; s'ils sont poulsés par aultrui, je désire intégrité. Et encores vous m'escrivez qu'il y en a de si présumtueux que de toucher ma conscience et mon honneur, ce que je trouveroi fort estrange, si je ne cognoissoi de longue main | |
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Ga naar margenoot+l'ingratitude qui est aux hommes et le désir effrené de mal parler. Car qui est l'homme du monde si hardi, que d'oser toucher à la conscience d'aultrui? Et quand à mon honneur, puisqu'il fault que je le défende, il me sera plus licite, parlant à mon frère, de parler plus hardiment, que si je parloi à un estranger de nostre maison. Y-a-il quelcun qui se puisse glorifier (la gloire toutesfois en soit à Dieu) d'avoir plus travaillé, plus souffert, plus perdu que moy, pour planter, advancer, maintenir les Églises, que je n'ay faict? S'il y en a de perdues, que Dieu m'avoit faictla grâce de conserver un temps, ont-elles pas esté perdues pour avoir suivi ce conseil, qui est trouvé si bon par mes accusateurs, et au contraire me poeult on monstrer une seule ville perdue de celles qui m'ont obéis? mais aussitost que l'ennemi a senti que mon conseil estoit creu, a-il pas cerché son proufit ailleurs? Aiant par la grâce de Dieu advancé jusques là, je ne sçay pas qui peult avoir en ce monde ceste puissance de toucher à ma conscience, laquelle, s'il plaist à Dieu, se défendra bien. Et comme je vous ay tousjours trouvé pour bon frère, je vous prie de respondre pour moy et faire entendre à ceuls que vous trouverez convenir, que je les prie de faire mieux que moy, et tant s'en fauldra que je les aille accusants et mal parlant d'eux, qu'au contraire, et de forces et de moiens, je les servirai et maintiendrai leur honneur à mon possible. Et combien que telles affaires se pourroient mieux vuider entre vous et moy, par un colloque particulier et en présence, comme je vous ay faict aultrefois entendre, et encoires je désireroi le faire, si est-ce que ce ne seroit pas maintenant la principalle raison pour laquelle je vous vouldroi prier de me venir veoir, mais principalement affin d'avoir de vous, tant | |
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Ga naar margenoot+que ceste guerre durera, assistence de conseil et de toutes aultres choses que vous pourriez apporter, pour la défense d'une si bonne et si juste cause, en laquelle, Dieu m'en faisant la grâce, je suis délibéré de finir mes jours et de n'appoincter jamais avecq l'Espaignol, sachant que de tel appoinctement dépendroit la ruine des Églises de ce païs et de plusieurs autres, une tyrannie généralle sur touts les subjects de ce païs, et particulièrement la destruction de toute nostre maison, laquelle, comme elle nous a esté mise en main par nos ancestres, aussi je m'emploierai, tant qu'il sera en ma puissance, pour la conserver à nostre postérité. Surquoy, me recommandant très-affectionnement à vos bonnes grâces, je prie Dieu vous donner, Monsieur mon frère, en bonne santé, heureuse et longue vie. A Delft, ce 18 jour de mars 1584. VostreGa naar voetnoot1 très-affectionné frère à vous faire service, Guillaume de Nassau.
Monsieur mon frère, ces lettres avoient esté escrites, il y a plus de huict jours: depuis nous avons eu certaines nouvelles que ceulx de Gand traictent avec le Prince de Parme pour abandonner nostre parti, et avecq eulx plusieurs aultres en Flandre. Ce sont les fruicts que j'ay tousjours bien préveu que nous améneroient tels conseils. Je vouldroi bien que vos Théologiens me fissent entendre en quelle conscience les dicts de Gand et semblables peuvent abandonner les frères, l'Électeur de Couloigne et la Royne d'Angleterre, qui va aussi estre assaillie par le Roy d'Espaigne. On me mande que Dathenus est l'un des conseillers pour traiter une si honorable capitulation. Au reste, | |
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Ga naar margenoot+quand aux cincq mil florins, ils sont trouvez à Franckfort, en la mesme maison où furent reçues les autres cinq mil l'année passée. Je ne sçai comment, veu la grande nécessité de nos affaires, je pourrai continuer les autres suivantes. A Monsieur, Monsieur le Conte Jehan de Nassau Catzenelnbogen et Sr de Bilsteijn, mon bien bon frère. |
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