Le chien?
Lui, il bondissait, à hauteur de hanche d'homme, sur le muret entourant le parc, pour regarder son maître droit dans les yeux. Ils marchaient à la même hauteur. Joue contre joue. On avait l'impression que le chien voulait dire quelque chose à Mulder. Mais Mulder se détournait de lui. De même, le soir, une fois couché, il évitait les yeux qui, depuis le pied du lit, lui parlaient, et balançait une couverture sur la gueule du chien. À chaque fois, l'animal rejetait ce bandeau qui lui masquait la vue et se remettait à observer Mulder. Ce qui empêchait celui-ci de dormir. Il se dissimulait derrière un livre, non sans être exaspéré par le halètement qui montait de l'autre côté du bouquin; il bâfrait une boîte de chocolats, débouchait une bouteille de vin, tartinait du fromage et, songeant à son cholestérol, donnait la moitié des toasts au chien. Cela les réveillait tellement l'un et l'autre qu'une seconde bouteille devait y passer - un très lourd bordeaux. Et la nuit de s'éterniser.
‘Qu'attends-tu de moi?’ s'écriait Mulder en désespoir de cause.
Le chien se taisait. Mais ses yeux disaient: Je lèche un mendiant et toi, tu laves mon museau.
Tu vois quelqu'un mourir roué de coups de pied et tu te soucies du pli de ton pantalon.
Tu donnes de l'argent à des clochards, mais tu n'oses leur serrer la main.
Tu me caresses, mais les trente vestes de ton armoire, tu les caresses elles aussi.
Tu t'habilles en fonction des autres, mais tu ne laisses personne entrer dans ta vie.
Tu hausses le nez devant les ivrognes et tu vides deux bouteilles en suisse.
Tu critiques les types louches qui traînent dans l'église et tu voles un cierge près de l'autel de la Vierge.
Tu dis que tu ne crois pas en Dieu. Mais alors, qui appelles-tu au beau milieu de la nuit? (...)
(...) ‘Les croyants ont une espérance de vie plus longue, dit Mulder, une étude récente l'affirme. Allons, péchons.’
Ils commandèrent tout ce qui leur était défendu par les médecins.
‘Ça vous dérange si je fais une petite prière avant de manger?’ demanda Bruno.
Mulder regarda à la ronde.
‘Je le fais à voix basse.’
Bruno se mit à prier. Prononçant les formules d'usage, sans toutefois oublier de parler en faveur des victimes de l'incendie, morts ou vivants. L'incendie qui les avait fait se rencontrer.
L'air sombre, le prêtre tartina une lichée de foie gras sur son pain. Les choses allaient mal, estimait-il, et ça n'allait pas s'arranger dans l'immédiat. La civilisation occidentale avait échoué car elle avait fait fi de cette colonne vertébrale qu'est la religion. Dieu avait disparu dans les bouchons dominicaux. L'Occident ne pouvait plus donner l'exemple car lui-même n'en avait plus, seul comptait encore l'intérêt individuel.
‘Nous avons besoin d'une raison de vivre, d'un principe directeur: la caritas. Le père Bruno prit la voix qu'il adoptait en prêche: Ce qu'il nous reste, c'est la foi, l'espérance et l'amour.
Mais la plus grande vertu des trois, c'est l'amour.
- L'amour des prêtres et des bonnes soeurs? demanda Mulder.
- Non pas l'amour hormonal, mais l'amour de l'homme. Une règle simple.’
Mulder perdait patience.
‘Votre sermon, je le connais: Que le malheur s'abatte sur nous, pécheurs. Il convient de mieux partager, sinon notre égoïsme nous perdra. L'addition, on ne va pas tarder à nous la présenter... Mais la cupidité, ça ne disparaît pas à coups de prières, on a ça dans les gènes et ce n'est pas pour rien. La cupidité nous unit toujours plus les uns aux autres, que nous le voulions ou pas. La mondialisation est une conséquence de notre cupidité, il est trop tard pour l'arrêter. La terre entière regarde déjà la même série télévisée. Le progrès nous modèle