Septentrion. Jaargang 37
(2008)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermd
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‘Il voyait et sentait tout’: Adriaan van DisLe titre du nouveau roman d' Adriaan van Dis (o 1946), Le PromeneurGa naar voetnoot1, semble faire référence au poème éponyme de Martinus Nijhoff (1894-1953), dans lequel le personnage évoqué se qualifie de ‘spectateur d'une haute tour’ et se rend compte qu'il est séparé du monde, ‘que je perçois comme étant plus petit, comme s'il était très loin/ Et que je ne peux pas toucher ou entendre.’ Le promeneur dans le roman de Van Dis vit dans une espèce de tour d'ivoire, souffrant en plus d'une phobie de la saleté, mais il s'engagera néanmoins pour les misérables du monde d'aujourd'hui. Sa vie se passe sur le fond dramatique de l'histoire moderne, à savoir les cadavres de boat people rejetés par la mer, les Arabes nomades conquérant leur espace vital en Afrique en tuant des Noirs, un Africain tombant d'un avion, l'exode d'un continent. Au centre du roman se trouve Paris, ‘la plus grande ville africaine en dehors de l'Afrique’, une ville en pleine agitation, une ville où la violence gratuite peut parfois frapper, où un incendie dans un immeuble squatté coûte des vies et où une église est occupée par des sans-papiers en fin de procédure, qui en dernier ressort recourent à une grève de la faim. Ces événements se passent ‘à la vue et au su’ de M. Mulder, un Néerlandais domicilié dans un quartier chic de Paris, tout comme Van Dis lui-même, qui portait d'ailleurs jusqu'à l'âge étudiant le nom d'Ad Mulder. Dans le roman, Mulder est un homme soigné d'âge moyen vivant d'un héritage. Il est très attaché aux rituels destinés à maintenir l'ordre dans sa vie, comme par exemple la promenade qu'il fait tous les jours, en mémorisant les dates des opérations militaires d'un illustre maréchal, dont la statue marque son trajet quotidien, et il apporte beaucoup de soins à son habitation et à sa garde-robe. C'est un esthète qui cherche dans l' art une consolation pour mieux tenir tête à la vie. Il semble être un sceptique, un homme indécis, peureux même, continuellement préoccupé par l'impression qu'il produit sur autrui. Il a cependant aussi un noyau dur et indépendant, ce qui ressort de son regard impartial sur la réalité, de son aversion pour les discours rhétoriques et de son aspiration à un humanisme irréligieux. Ce n'est aucunement une chiffe molle. | |
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Adriaan van Dis (o 1946) lit des extraits de son roman Le Promeneur lors d'une soirée littéraire organisée par Ons Erfdeel vzw au centre d'arts Bozar à Bruxelles, photo D. Samyn.
Par un effet du hasard, sa vie protégée se trouve impliquée dans l'agitation générale. Un chien se sauve de l'immeuble squatté en flammes et bondit vers M. Mulder. Celui-ci s'intéresse au sort du chien et le recueille chez lui. Bien que ce soit un vrai chien, avec les habitudes d'un chien, il est également doué de dimensions humaines, voire surhumaines. Il n'a pas seulement, comme certains chiens connus de la télévision, les caractéristiques d'un sauveur d'hommes et d'un détective, mais c'est en plus un camarade critique qui fera office de conscience pour M. Mulder, le poussant à passer à l'action pour aider les miséreux. De ce fait, le chien prend des proportions mythiques mais, grâce à l'art d'écrire de Van Dis, l'histoire reste vraisemblable. M. Mulder a fourni un nom français à la police, celui de Nicolas Martin, un martyr de la Résistance mort le jour même de la naissance de M. Mulder. Cette nouvelle identité permet à M. Mulder de devenir une espèce de ‘héros’ lui-même, quoiqu'un héros gobant des pilules pour son coeur quand la tension monte, un héros de comédie burlesque qui a maladroitement placé des billets de banque un peu partout sur son corps lorsqu'il va chercher un passeport contrefait pour quelqu'un, un M. Hulot égaré dans le monde mauvais d'aujourd'hui. Le troisième protagoniste du roman est le père Bruno, un prêtre pragmatique qui, après un parcours de missionnaire, se dévoue aux gens dépourvus de droits, mais qui en même temps est un alcoolique. Le roman est peuplé de mendiants et de criminels, de victimes qui ont préservé un certain orgueil, de profiteurs de niveaux variés, parmi lesquels se trouve un évêque, et de quelques esprits nobles, qui pourtant, eux aussi, ont été meurtris par la vie. Le ‘petit ministre’, dans lequel nous reconnaissons Sarkozy, surgit à plusieurs reprises, entre autres quand il assiste à l'église à une commémoration des victimes de l'incendie: ‘La gloire de la nation avait découvert une catastrophe.’ Van Dis formule sa critique de l'inébranlable France officielle d'une façon élégante, mais elle n'en est pas moins efficace. Des préjugés racistes, le cynisme du pouvoir et l'exploitation commerciale de la misère sont mis en contraste avec une réalité cuisante qui demande une action immédiate. | |
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Une tempête furieuseUn captivant discours secondaire du roman consiste en la critique de la religion, se manifestant surtout dans les conversations entre M. Mulder et le père Bruno, tous les deux philanthropes, mais qui ont des avis divergents sur la source d'inspiration de leurs actions. M. Mulder, quant à lui, établit un rapport entre la religion et la persistance de la misère; de plus il est allergique au prêchi-prêcha des croyants, mais c'est un athée qui tient néanmoins à des rituels de sa propre invention. Bienfaiteur, il voudrait opposer aux calculs du monde occidental son propre culte, celui du dévouement et de la charité. Il ne croit pas qu'il existe des desseins d'un être supérieur, mais il croit à l'espoir. Le père Bruno essaie de lui faire reconnaître que la morale ne saurait se passer de Dieu, mais ses efforts sont vains. De l'avis de M. Mulder, la Bible est devenue un livre pour un petit monde, qui n'est plus adapté au monde présent, qui, lui, deviendra le théâtre d'une ‘tempête furieuse’. Sa moquerie et sa critique n'épargnent pas les religions autres que le christianisme. Il apprendra tout de même l'art de se détacher à la manière des bouddhistes. C'est une femme sans papiers du Sri Lanka qui lui donne l'exemple, elle qui a perdu ses enfants à cause du tsunami dans son pays, puis son mari à cause de l'incendie à Paris. M. Mulder se détache aussi d'elle, bien qu'elle ne le laisse pas indifférent. Il lui suggère d'épouser un sans-abri vietnamien qui s'avère avoir la nationalité française, afin qu'elle puisse échapper à son statut de sans-papiers. En outre, il cède son chien à une jeune fille brûlée dans l'incendie. Le promeneur lui-même continue sa promenade: ‘Il marchait seul et il voyait et sentait tout.’ Telle est la phrase de conclusion de ce roman à thèse écrit dans un style magnifique, qui devrait devenir la lecture obligée des politiciens, et pas uniquement ceux de France. Kees Snoek |
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