Septentrion. Jaargang 30
(2001)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermd
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me conduisit à un quai plein de neige
où attendait tout rongé de rouillure
le bateau qui m'emmènerait en mer
81.
le fleuve en descendant fait un grand coude
où disparaissent les feux de la ville
debout tout seul sur le bateau qui bouge
je détaillais dilatant mes pupilles
tout ce que dans sa descente tranquille
un fleuve fait voir quand on est ‘à bord’
notre vieux cargo s'éloignait du port
en glissant sur l'estuaire du fleuve
‘venez’ me dit un matelot dès lors
je fus au poste observer la manoeuvre
82.
le pilote sèchement ordonnait
les mouvements à donner à la roue
aussitôt l'officier les transmettait
pour empêcher que le bateau s'échoue
sur les nombreux bancs de gluante boue
dont notre fleuve est partout encombré
de même l'homme s'il veut éviter
de s'échouer aux bancs de boue putride
doit bien veiller entre eux à serpenter
pour mieux entrer aux grandes eaux plus libres
83.
la nuit d'hiver dévorait tout le fleuve
je rejoignis mon étroite cabine
car fatigué d'observer la manoeuvre
je désirais dormir mais les machines
soudain stoppèrent lors sur l'eau chemine
un frêle esquif qui vient près du navire
prend le pilote et vite se retire
comme on s'enfuit d'une zone infectée
puisqu'on nous savait vers la Mer partir
déjà notre air en était détesté
84.
la nuit régnait encor quand notre étrave
perça la barre des ondes terriennes
(car un fleuve quand il vomit sa bave
à la mer fait dans sa colère vaine
un remous qu'on appelle barre) pleine
de courage notre nacelle alla
contre la barre et si bien la troua
que malgré de grands chocs la Mer fut nôtre
et la machine activant le combat
nous élança vers des vagues plus hautes
85.
nous remontâmes dans la Mer du Nord
pour aller chercher de quoi compléter
la charge du navire dans un port
hollandais fermé de fils barbelés
puis nous cinglâmes enfin libérés
de toute attache européenne vers
le sud du monde loin de cet hiver
rempli de neige fondant sur les quais
gagnant la douceur des plus chaudes mers
nous commencions très gaiement à voguer
Extrait de ‘Journal d'un innocent. Poème’, Gallimard, Paris, 1996, pp. 59-61. |
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