Johan Polak (1929-1992)
La mort de Johan Polak, le jeudi 26 mai 1992, fut aussitôt annoncée par la radio et la télévision néerlandaises. Sa renommée nationale datait des dernières années, mais auparavant il était déjà célèbre dans les milieux littéraires. Et à bon escient. Car Johan Polak était non seulement professeur de lettres classiques, éditeur, libraire et, depuis 1988, docteur honoris causa de l'Université d'Amsterdam, mais encore une personnalité extrêmement affable et raffinée en dépit d'un extérieur particulièrement ingrat. Les notices biographiques qui parurent dans les journaux néerlandais, rappelèrent pour la plupart sa célèbre humilité le plus souvent interprétée comme une pseudo-modestie, une modestie qui appelait manifestement la dénégation. ‘Peut-être suis-je devenu éditeur par pure frustration’, avait-il dit lors d'une interview, ‘car il faut bien le comprendre: un éditeur ne peut rien. Un éditeur n'écrit pas le livre, ne le lit pas, ne l'imprime pas, il ne s'occupe pas de sa reliure, il ne le vend pas non plus car c'est le rôle du libraire et les soldes sont également faits par
Johan Polak (1929-1992).
quelqu'un d'autre. Les éditeurs sont des gens tragiques.’ Mais derrière cette attitude il y avait probablement plus qu'une simple coquetterie déguisée.
Il y a environ trente ans, le professeur de lettres classiques Johan Polak lança, avec le jeune Rob van Gennep, une maison d'édition: Polak & Van Gennep, et par la suite il continua seul sous le nom d'Atheneum-Polak en Van Gennep. Sous cet emblème, il édita les splendides classiques et des classiques modernes aussi beaux qu'hors de prix: Boutens (1870-1943), Leopold (1865-1925), Bloem (1887-1966), Ida Gerhardt (o1905), Platon, Virgile, l'Augustinus, Canetti, Yourcenar, Purdy, Gombrowicz, Svevo, Kavafis, Huysmans, Lautréamont et Gerard Reve (o1923). Cette énumération montre clairement le choix de Polak: depuis les classiques, en passant par la fin du siècle, vers les auteurs contemporains qui traitent dans leurs livres de l'héritage classique ou décadent.
Polak établit la librairie Atheneum sur le Spui à Amsterdam, qui devint une institution telle que nombre de gens de lettres commémorèrent en 1991 son vingt-cinquième anniversaire par une revue spéciale. Quelques années auparavant Polak s'était déjà retiré de l'affaire et y restait seulement attaché comme conseiller. De même il avait laissé à d'autres la maison d'édition. Cela venait de ce qu'il n'était ni un vendeur, ni un commerçant, mais d'abord un bibliophile (il possédait entre autres une grande collection de manuscrits de ses auteurs favoris), qui préférait garder ses livres par-devers lui plutôt que de les voir passer en d'autres mains. Les éditions à tous égards précieuses que Johan Polak fit paraître rapportèrent si peu que des lots entiers durent finalement être soldés.
Je fus personnellement en contact avec Johan Polak, il y a environ cinq ans, lorsque je suivis une série de ses cours publics ayant naturellement pour sujet les auteurs classiques et décadents. Ce furent de belles soirées. Après s'être excusé de ses connaissances imparfaites, Polak passait de l'anecdote au poème étincelant récité par coeur, avec une visible émotion. Je pense que là se montrait le vrai Johan Polak et se manifestait la sincérité foncière de sa modestie: c'était l'expression de la conscience de n'être pas lui-même un écrivain, mais un serviteur, un serviteur érudit il est vrai, mais convaincu par son savoir que sa place était celle d'un admirateur et d'un animateur. Cela se rencontre peu parmi les scientifiques, les critiques et les éditeurs!
Lorsque j'eus fait sa connaissance à l'époque de ses cours, il s'attacha avec enthousiasme à obtenir la parution, dans une revue, d'un de mes articles (le premier que j'eusse écrit). Cela réussit. Cette cordialité désintéressée aussi caractérisait cet homme. Bien que sa santé laissât depuis longtemps à désirer, la mort de Polak à soixante-deux ans fut une surprise. A part son frère, il avait perdu toute sa famille au cours de la seconde guerre mondiale. C'est pour cette raison sans doute, et par son choix des lettres classiques, que Polak dans ses articles (rassemblés dans Bloei der decadentie (Floraison de la décadence), paru en 1991 et Het oude heden (Les anciens jours), paru en 1992, regarde uniquement loin en arrière sans pouvoir percevoir d'épanouissement dans la littérature moderne. Le riche héritage que Polak a légué - les livres qu'il écrivit, mais surtout