d'elle... Zeinstra, ayant assisté à son tour à un cours de Mussert sur Phaéton et désireuse d'assouvir une vengeance, jette son dévolu sur Socrate et lui ‘fait entrevoir un domaine qui m'était jusque-là fermé’. Plus tard, à l'issue d'un cours à haute envolée sur la mort de Socrate, Lisa, entamant un dialogue avec Mussert sur l'immortalité de l'âme, veut lui déclarer son amour. Zeinstra s'interpose. L'intrigue se corse. Elle rompt avec son mari et veut s'installer chez Mussert. Herfst administre à celui-ci une correction dans la cour de l'école, s'enfuit en emmenant Lisa, qui périt dans un accident de voiture... Les trois acteurs restants sont renvoyés de l'école. Mussert-Socrate devient auteur de guides touristiques populaires sous le pseudonyme de Dr Strabon...
Ce factuel qualifié de ‘banalitas banalitatis’ est découpé en de nombreux fragments éparpillés sur les deux volets du récit: l'errance à Lisbonne; le passage de la vie à la mort symbolisé par un voyage en bateau de Lisbonne au fin fond de l'Amazonie, en compagnie d'un adolescent espagnol, un vieux bénédictin, un vieux savant chinois, un aviateur et un journaliste buveur, qui se racontent des bribes de leur vie et leur disparition. Mussert adresse en dernier son histoire à la femme-Mort qui l'attend et a pris la figure de Lisa d'India, déjà présente dans le ‘tu’ qui jalonne par intermittences la narration.
C'est un merveilleux conte philosophique contemporain - par ailleurs écrit sur commande de la Stichting Collectieve Propaganda van het Nederlandse Boek (CPNB - Fondation pour la propagande collective en faveur du livre néerlandais) et offert en tant que livrecadeau lors de la Semaine des livres 1991 - que nous a donné Cees Nooteboom (o1933), avec qui les lecteurs de Septentrion ont déjà pu faire connaissance. Il y mélange très librement les choses de la vie, des considérations sur l'identité, la fugacité de la vie et du temps, sur les rapports avec la réalité - toujours problématiques dans sa prose - et les tensions entre l'actualité et le passé, ‘ce chien docile’, des références à la littérature antique et à la science moderne, des réflexions sur les effets de miroir, les notions de vide et de passage. Il parle sérieusement de l'amour et de la mort sur le ton léger, avec une ironie sous-jacente. Dépistant l'inconsistance que dissimulent la prétendue réalité et la banalité du quotidien, il brode un tissu bariolé complexe qui nous entraîne d'une surprise à l'autre dans l'ambiance magico-réaliste aux tonalités raffinées de la prose tant pessoaïenne que nabokovienne et nous prend volontiers à contre-pied.
Et, bien sûr, la traduction qu'a réalisée Philippe Noble de ce cinquième titre de Nooteboom qui paraît aux Éditions Actes Sud en quatre ans est, comme toujours, excellente et ajoute encore au charme du texte et au plaisir de la lecture.
Willy Devos
cees nooteboom, L'histoire suivante (titre original: Het volgende verhaal), Actes Sud, Arles, 1991, 143 p.