Économie
OPA et constructions de protection aux Pays-Bas
En 1986, la direction de la Bourse d'Amsterdam annonça son intention d'élaborer une nouvelle réglementation fixant les modalités de protection offertes aux sociétés visées en cas d'OPA (offre publique d'achat) hostile. Depuis qu'en 1898 la Koninklijke Olie, mieux connue sous le nom de Royal Dutch, avait su déjouer les tentatives de rachat inamical par la firme américaine Standard Oil, moyennant l'émission d'actions privilégiées (assorties de droits spéciaux), on a vu proliférer aux Pays-Bas de semblables constructions de protection.
A en croire les autorités boursières amstellodamoises lesdites constructions auraient pris une telle ampleur qu'elles provoquent la baisse des cours au préjudice des actionnaires. Aux Pays-Bas le rapport cours-bénéfice est, en effet, inférieur à celui qu'on a coutume de constater dans les pays anglosaxons.
Une loi récemment entrée en vigueur aux Pays-Bas oblige les détenteurs de 5% ou plus du capital d'une entreprise d'en aviser celleci. La société concernée doit, à son tour, transmettre l'information au public par le biais d'un communiqué de presse. Dans les premiers mois de 1992, la nouvelle loi a ainsi contribué à mettre en lumière tout un réseau d'intérêts financiers, souvent à la grande surprise des sociétés de Bourse elles-mêmes.
Cette transparence ne constitue pas en soi une garantie contre des reprises inamicales mais elle incite néanmoins les entreprises à mieux s'y préparer et à se doter des moyens que leur offre la loi en vue d'y faire face. Or, ce sont précisément ces constructions de protection juridiques que les autorités boursières et, à leur suite, un nombre sans cesse croissant d'actionnaires prennent dans leur collimateur.
Les projets élaborés par les autorités boursières ont été sévèrement critiqués par les sociétés de Bourse qui n'ont pas hésité à mettre sur pied une association spécialement chargée d'engager des négociations sur le problème avec les responsables précités. En 1991 on a abouti à un compromis garantissant aux sociétés le maintien du statu quo. Seules les sociétés nouvellement créées et cotées en Bourse ne seraient plus autorisées à se mettre, dans une très large mesure, à l'abri des raids boursiers.
Entre-temps, la discussion avait rebondi à la suite de la proposition de directive présentée par le commissaire européen M. Bangemann. Celle-ci prévoit la suppression pure et simple des contructions de protection telles qu'elles existent aux Pays-Bas et s'inspire du souci d'harmoniser, dans l'ensemble de la CE, les conditions de concurrence sur les marchés des actions. Les propositions formulées par M. Bangemann vont beaucoup plus loin que les projets élaborés antérieurement par les instances dirigeantes de la Bourse d'Amsterdam.
Si la directive était approuvée, une bonne partie des entreprises néerlandaises deviendraient du coup une proie facile pour les spéculateurs internationaux alléchés par la perspective de réaliser des bénéfices à court terme. Aux Pays-Bas, le nombre des sociétés cotées en Bourse est proportionnellement plus élevé qu'en Belgique ou en France, pays où les entreprises ont moins besoin de se protéger juridiquement étant donné qu'elles sont structurellement en mesure de faire échec aux raiders éventuels: leurs actions sont détenues soit par l'État soit par des familles ou font l'objet d'échanges de participations.
La Commission européenne se révélerait incapable de venir à bout d'une telle protection structurelle. Les effets de la directive communautaire ne se feraient donc sentir qu'aux Pays-Bas et sans doute aussi en Allemagne, faussant encore plus la concurrence entre les divers pays membres de la CE. Il paraît que M. Bangemann a reculé, du moins provisoirement, devant les critiques émises tant par les Pays-Bas que par l'Allemagne et auxquelles souscrivent en gros le gouvernement néerlandais et les dirigeants de la Bourse d'Amsterdam.
Pour l'heure on constate aux Pays-Bas une opposition de plus en plus tranchée entre ceux qui entendent privilégier les intérêts des actionnaires et ceux qui, au contraire, défendent la primauté des intérêts des entreprises (autrement dit, des dirigeants, salariés, clients et fournisseurs).
Christiaan Berendsen
(Tr. U. Dewaele)