Septentrion. Jaargang 17
(1988)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermd
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éminemment méritoires, pour les gratifier du titre de baron, voire de vicomte. L'événement nous arrache chaque fois un instant à la banalité du train-train quotidien et nous rappelle vaguement le temps des croisades ou les contes de fée de notre enfance. Pourtant, la réalité (biculturelle) belge n'est jamais bien loin: elle est perceptible au fait que le nombre des privilégiés est toujours divisible par deux, pour que Flamands et Wallons se sentent également aimés. (Il en est de même, pour citer un autre exemple des équilibres belges, des timbres postaux à personnages historiques ou culturels). En 1986, le sort - soigneusement prémédité, sans aucun doute - tomba, du côté flamand, sur Madame Angèle Manteau, fille d'un industriel lillois du textile et d'une mère hainuyère et née ellemême, en 1911, à Dinant, au coeur des Ardennes belges. Cette Wallonne pur-sang (ou presque) est devenue, de par un concours de circonstances aussi capricieuses qu'heureuses, la grande dame de l'édition flamande, et, après les évolutions imprévisibles des toutes dernières années, continue à l'être, à l'âge de presque 78 ans. Elle fut élève (la seule de son sexe) à l'athénée de sa ville natale, s'inscrivit à l'Université Libre de Bruxelles en 1928 pour y étudier la chimie, et s'éprit de la littérature néerlandaise, lorsqu'elle fit la connaissance de quelques chefs de file littéraires des Pays-Bas comme Eddy du Perron, Adriaan Roland Holst et Arthur van Schendel, qui fréquentaient la maison où la jeune étudiante était logée, celle du journaliste et homme de lettres hollandais Jan Greshoff. Après une grave maladie, en 1930, elle abandonna la chimie, se tourna vers l'histoire de l'art et gagna quelques extra dans la firme d'un ami de Greshoff, A.A.M. Stols, éditeur de livres bibliophiles en français et en anglais, parfois aussi en néerlandais. Lorsque celui-ci regagna sa ville natale, Maastricht, en 1932, Angèle Manteau, à l'âge de 21 ans, reprit la firme, en fit une maison d'importation de
La baronne Angèle Manteau (o1911) (photo Rikkes Voss).
livres hollandais, allemands et anglais et y ajouta, en 1938, une maison d'édition, soutenue par les conseils de son ancien professeur d'athénée, le néerlandiciste wallon François Closset, qu'elle avait épousé en 1936. Manteau fut le premier éditeur de Johan Daisne, Piet van Aken, Louis-Paul Boon et Hubert Lampo, qui firent la gloire des lettres flamandes dans les années 40, et lança en 1950 l'enfant prodige Hugo Claus, l'ayant couronné du Prix (prestigieux à l'époque) Leo J. Kryn. Vers la fin des années 50, elle publia les débutants Ward Ruyslinck et Jos Vandeloo, qui lui sont restés fidèles jusqu'à ce jour. Elle fit parler d'elle en lançant Françoise Sagan en traduction néerlandaise, à partir de 1955, et en publiant les oeuvres complètes de quelques ‘classiques’ de la littérature flamande, notamment Karel van de Woestijne, August Vermeylen et Herman Teirlinck. En 1970, elle quitta la firme qui continuait à porter son nom, à la suite d'une brouille avec les responsables du groupe hollandais (Van Goor) qui l'avait reprise en 1965. Elle devint directeur littéraire d'un autre groupe hollandais, Elsevier, qui absorba... le groupe Van Goor, y compris Manteau, en 1978. En 1986, à la demande d'Elsevier, Angèle Manteau revint à... Manteau, pour y succéder temporairement à son successeur, le tumultueux Julien Weverbergh, qui s'était brouillé, à son tour, avec les nouveaux dirigeants hollandais. Et en septembre 1988, telle une reine des tempêtes, elle présida aux festivités organisées à Anvers à l'occasion du cinquantième anniversaire de sa maison d'édition, qui, pendant un demi-siècle, a, plus qu'une autre, contribué à l'épanouissement des lettres flamandes et à la pénétration du livre littéraire flamand aux Pays-Bas.
Ludo Simons. |
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