Si l'enquête va comme un gant à la société néerlandaise, c'est aussi pour une autre raison. Depuis la Seconde Guerre mondiale, la pénurie de logements continue à sévir. Pourquoi? Les explications sont multiples:
- | - contrairement aux pays environnants, les Pays-Bas sont restés en dehors de la Première Guerre mondiale et de ses champs de ruines; aussi n'avaient-ils pas, en 1945, de tradition de la reconstruction; |
- | au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le pays a connu une véritable explosion démographique: si la Belgique est passée de 8 millions d'habitants en 1945 à 10 actuellement, les Pays-Bas, eux, sont passés de 8 millions en 1945 à presque 15 maintenant; |
- | un net ‘éclaircissement’ des familles qui a réduit la moyenne d'occupants par logement de 4,5 en 1945 à seulement 2,3 de nos jours; |
- | le gel des loyers le 10 mai 1940 (date de l'invasion allemande) a réduit l'attrait de l'investissement immobilier; |
- | le Néerlandais, contrairement à son homologue belge, n'est pas né avec une brique dans le ventre. Proportionnellement aux autres Européens, les Néerlandais vivent davantage en logement loué que dans leur propre maison; |
- | aux Pays-Bas, l'invasion allemande et la libération de septembre 1944-mai 1945, ont détruit 10% du parc immobilier; 8% du sol néerlandais - et il s'agissait de la partie la plus peuplée - furent envahis par les flots salés de la mer; |
- | enfin l'indispensable effort de construction a conduit à négliger l'entretien des immeubles d'avant-guerre, négligence qu'on allait payer cher dans les années soixante-dix. |
A compter de 1945, le gouvernement s'est attribué le soin du logement. Il y avait par exemple une loi de 1948 qui déniait au propriétaire le droit d'occuper luimême son propre logement si l'immeuble abritait des locataires. En un mot, la construction échappa totalement aux lois du marché. En particulier pour encourager les investisseurs, le gouvernement introduisit dans les années soixante une allocation pour locataires moins fortunés (ils sont 30% à la percevoir!) et accorda des primes aux caisses de retraites qui construiraient des logements.
Des intérêts divergents intervenaient: le gouvernement - chaque fois relancé ‘par le parlement’ - souhaitait le plus possible de logements; quant aux investisseurs, ils entendaient tirer le plus possible d'argent de leur investissement. Si le ministère du Logement ne voulait pas dépasser en subventions ses possibilités légales, il était contraint de magouiller, par exemple en minorant sur le papier les frais d'implantation, ce qui majorait d'autant le montant des subventions.
Aussi la question qui se pose est-elle la suivante: y a-t-il eu de véritables malversations ou ne s'agissait-il que d'un gentleman's agreement entre les hauts fonctionnaires du Ministère et les investisseurs et entrepreneurs?
C'est pour répondre à cette question qu'en septembre 1986, le Ministère décida lui-même de lancer une enquête qui conclut par la négative. Toutefois, l'Assemblée nationale voulut un complément d'information et décida fin novembre 1986, d'ouvrir une Enquête parlementaire ‘sur un possible mésusage des subventions au logement par les investisseurs et les sociétés immobilières semi-officielles et sur des tripotages dans l'affectation des subventions à la construction de logements pour locataires assistés’. Pour être complet, il faut ajouter que le plus gros organisme investisseur, l'ABP (Algemeen Burgerlijk Pensioenfonds - Caisse Générale de Retraites), s'était rendu coupable de versement de potsde-vin. (L'ABP, qui pèse quelque 130 milliards (!) de florins (2340 milliards FB ou 377,4 milliard FF), gère les cotisations-retraite versées par l'Etat pour ses fonctionnaires).
La Commission d'Enquête compte 9 parlementaires, qui appartiennent aux quatre grands partis politiques. Elle est présidée par un socialiste de 43 ans, disert, persévérant et ponctuel, M. Klaas de Vries. Pour garantir leur indépendance, ses membres ont promis de ne prendre aucun contact avec leur parti sur cette affaire, tant que durera l'enquête, laquelle coûtera 12 millions de florins (216 millions FB ou 34,8 millions FF).
Les sessions, qui se tiennent dans la solennelle Salle de réunion du Sénat, se composent pour partie d'interminables exposés techniques qui débouchent chaque fois sur la question centrale: y avait-il oui ou non des accords ‘secrets’ entre les investisseurs et les éminences du Ministère, tendant à modifier l'imputation des sommes de façon à rendre le placement immobilier intéressant pour les investisseurs? Soir après soir, la communauté nationale peut suivre à la télévision le petit jeu des questions et des ‘si!’ ‘non!’. Voici la conclusion provisoire qu'on peut en dégager:
- | il y a effectivement eu un ‘consensus’ entre le ministère du Logement et les investisseurs pour prêter la main aux glissements d'imputation des sommes, de manière à inciter les investisseurs à placer de l'argent dans la construction de logements; |
- | le parlement néerlandais, à force de conjurer les gouvernements d'en finir enfin avec la pénurie de logements, a quasiment forcé les ministres concernés à des jeux d'écritures afin d'attirer les investisseurs sans sortir des normes financières fixées par ce même parlement; |
- | en fait, l'enquête engagée par le parlement est une mise en accusation du parlement lui-même, coupable de n'avoir pas, dans le passé, exercé de contrôle sur les subventions considérables allouées à la construction. |